Un écho du passé

Chapitre 6 : Dans les mains du Diable

Catégorie: K+

Dernière mise à jour 09/11/2016 19:47

 

Dans les mains du Diable
Chapitre cinq
God knows it's terrifying,
God sees it all unfold,
There's a million reasons for you to be crying
You been so bold and so cold.
 
Un petit rire parvient de l’avant. Spencer essaye de ne pas se laisser intimider mais il ne peut se défaire d’un sentiment de malaise. Il avait prévu de se battre mais faut-il pour cela avoir un adversaire en chair et en os. Hors pour le moment son ravisseur se fait discret. A aucun moment Reid n’a pu l’approcher.
En lisant la missive, Reid a compris qu’il n’avait pas d’autre choix. On lui a donné des ordres et il a obtempéré.  Il est entré de son propre chef dans le véhicule, s’est glissé à l’arrière et a fermé ses menottes personnelles sur ses poignets. En y repensant, Spencer se donnerait des claques, mais sur le moment, c’est ce qui lui a semblé le plus sûr, le moins dangereux, du moins pour JJ.
Reid essaye de se persuader que les choses se sont déroulées ainsi. Le message était explicite, du moins pour lui, tout comme l’était la présence de son bourreau à proximité de Jennifer. En réalité ce que Reid tente d’atténuer, c’est la réminiscence d’une soumission qu’il avait refoulée mais qui est bien encrée en lui. Il avait su s’en extraire alors qu’il était enfant, mais qu’en serait-il à présent ? Spencer, l’agent du FBI, avait imaginé pouvoir attaquer son ancien maître. Une fois à l’arrière du véhicule il s’était préparé à la rencontre. Malheureusement celle-ci se fait attendre.
D’abord il se fait gazer, à l’ancienne, avec de l’éther… Spencer a beau essayer de se souvenir du moment où le chiffon a été apposé sur son visage, rien à faire, tout juste croit-il se rappeler avoir entendu un bruit derrière lui. Et maintenant alors qu’il a réussi à énerver son bourreau pour l’obliger à se dévoiler, voila que l’homme se maîtrise rapidement et fait machine arrière, s’installant calmement à l’avant du véhicule. Il donne l’impression de savoir exactement ce à quoi s’attendre, comme s’il avait un antidote anti-Spencer ! En fait c’est cette analyse que l’agent du FBI craint le plus. L’homme le connaît, lui le docteur Reid, pas seulement l’enfant Spencer, et paraît de ce fait être capable d’anticiper ses moindres actions. Comment dans ses conditions l’amener au corps à corps ?
-Tu sembles bien pensif Spencer. Tu cherches une réponse à ma question ?
-Quelle question ?
-Ne cherche pas à m’énerver. C’était bien joué mais vois-tu j’ai d’autres projets pour toi, pour nous, qu’un combat dans une Dodge, aussi spacieuse soit-elle.  De plus je sais comment t’amener à répondre. Bientôt tu seras le gentil petit garçon que tu n’aurais jamais dû cesser d’être. Spencer, réponds à ma question ! Que suis-je pour toi ?
Spencer contracte instinctivement ses mâchoires et serre ses poings derrière son dos. Que peut imaginer cet homme pour qui il avait tant d’admiration ? Que peut-il avoir inventé pour obliger Spencer Reid à l’obéissance ? Spencer est très loin d’être rassuré. Il perçoit une telle assurance chez cet homme qu’il en vient à craindre un pouvoir quasi paranormal. C’est d’une voix plus enroué qu’il ne le voudrait qu’il tente une fois de plus de faire sortir l’homme de ses gonds.
-Un vieux professeur de langue. Un vieil homme érudit. Voila ce que vous êtes pour moi professeur Leland. Ceci et rien de plus !
-Cesse donc ce petit jeu idiot ! Je te connais mieux que tu ne te connais. Je sais ce qui te fait peur Spencer, je connais tes tourments. La peur de l’abandon, du rejet. La peur d’être comme ta mère…
Le vieux professeur laisse sa phrase en suspens. Il a marqué quelques points et compte bien permettre à Reid de le digérer, de le faire sien. Il est plus fort que lui, il est plus que temps que Spencer l’admette !
-Ma mère est ce qu’elle est, mais elle ne m’a jamais abandonné.
-Non, mais ton père oui.
Reid voudrait garder le contrôle de la situation mais il perçoit bien dans son intonation le trouble qui l’envahit.
-Non, ce n’est pas moi qu’il a abandonné, c’est le contexte, ma mère et les difficultés qui en découlaient.
-Il a été lâche.
-Oui, ça c’est vrai, il a été lâche. Je le suis aussi quand je retourne à Vegas. Je ne peux pas l’en blâmer.
Spencer reprend de l’assurance. Le docteur Reid comprend que l’homme veut visiblement l’entraîner dans un lieu où l’enfant qu’il était sera fragilisé. Mais Spencer connaît cet endroit depuis si longtemps, qu’il en a apprivoisé les moindres recoins et sait où dénicher les sorties de secours. L’échappatoire étant souvent de reporter son agressivité sur lui-même, une proie facile d’accès, une proie qui a une bonne armure pour ce qui est des reproches et des jalousies malsaines du monde extérieur.
Leland fulmine. Il donne un coup de poing dans le volant. Il se doutait évidemment qu’il serait difficile de dompter Spencer avec de simples mots, mais il espérait quand même pouvoir le déstabiliser. Paradoxalement, la rapidité avec laquelle l’agent a su reprendre le contrôle de lui-même instille en Leland un sentiment de fierté. Ce petit gars là est extraordinaire ! Il méritait vraiment d’attendre. Douze ans, cela avait été si long. Mais comme il l’avait écrit dans ses directives à l’attention de Spencer, ce dernier en valait la peine. Leland avait aimé écrire ce message. Le choix des mots avait été difficile mais le résultat était au-delà de ses espérances. Détourner ces termes et cet humour qu’ils avaient tant aimés avait été un pur bonheur, un avant goût de ce qui les attendait. Pour le moment le docteur Reid ne voit certainement pas les choses avec clarté mais bientôt il lui en sera reconnaissant.
Bien, puisqu’il n’a guère d’autres choix, il va devoir passer à l’action. Sous peu Spencer sera à lui, il n’y a aucun doute possible.
 
***
 
Aaron Hotchner s’approche du tableau d’affichage et punaise une nouvelle photo jaunie montrant un petit gamin blond de douze ans, la victime X, Spencer. Son geste se veut intimiste mais tous les regards sont tournés vers lui. Le silence alourdit encore plus l’ambiance lugubre qui règne en maître dans la salle. Hotch sait qu’ils sont tous acharnés dans leur recherches, mais parfois à vouloir avancer trop vite on a tendance à stagner, voire à reculer. D’autant qu’ils n’ont pas grand-chose à se mettre sous la dent. Hotch regarde le papier que les spécialiste du FBI viennent de lui faxer. Un espoir, enfin. Sans rien dire il baisse la luminosité de la pièce pour s’attirer, comme s’il ignorait que ce geste était inutile, l’attention de tous. Une image apparaît sur le mur prévu à cet office.
-Nos spécialistes ont enfin fini de reconstituer le papier trouvé par Derek. Certaines lettres étaient illisibles, trop endommagées, et ont été remplacées par les parties en bleu. Ce sont des propositions et non des certitudes. Tout avis est le bien venu.
 
Te souviens-tu du fils de Marcus?
Ensemble, nous avons eu tout le temps nécessaire pour trouver comment te Faire Plaisir. C’est maintenant à ton tour de patienter dans l’inconfort ; mais tu n’auras pas l’espérance. ME voici enfin dans la troisième forme qui apporte l’Accomplissement. Regarde, le temps se gâte et il me serait ai de créer des vacances sur ton bateau, alors reviens vite sur ma Terre. Oublie que tu étais Pauvre et rejoins-moi. Quitte tout, sauf les anneaux pour parer ton habit de Fiancé. Bientôt nos Noces. Il me tarde tant…
 
Ce qui devait apporter la lumière sur le pourquoi du comment, plonge l’équipe dans l’expectative. Une évidence pourtant. L’auteur de la missive connaît très bien Spencer, assez pour partager avec lui un langage qu’eux seuls comprennent… malheureusement. Cela ne fait que conforter les soupçons sur le professeur Leland.
Dès la disparition de Spencer, l’équipe a tenté d’établir le portrait du sujet en ajoutant une donnée nouvelle mais fondamentale, son passé commun avec Reid. Evidemment Jennifer a de suite pensé au vieux professeur qui par le plus grand des hasards avait enseigné en terminal alors que justement Reid avait douze ans. De premier abord, elle avait écarté ses soupçons du vieil homme car celui-ci était avec un groupe d’étudiants au moment de la disparition. Elle se souvenait parfaitement l’avoir croisé en s’éloignant pour téléphoner. Comment aurait-il convaincu Reid de partir avec lui, s’il n’était pas là pour exercer une quelconque pression ? Puis JJ s’était souvenue de la crainte de Spencer. Il avait peur pour elle, pour Jennifer. La présence de Leland à ses côtés prenait alors un tout autre sens, celui de la contrainte, celui de la menace. Hotch, Morgan et même Prentiss venue à la rescousse, avaient tenté de trouver le professeur mais, à son tour, celui-ci avait disparu. Les profilers attendaient avec impatience la reconstitution de la missive pour savoir ce qui avait précisément été demandé à Spencer. Une longue attente d’espérances, aboutissant en cet instant à la déception.
 
***
-Spencer ?
-…
-Je suis bien plus pour toi qu’un professeur de ton enfance, n’est-ce pas ?
-Non professeur, vous n’étiez rien de plus et maintenant vous n’êtes rien d’autre qu’un tueur, un psychopathe qui mérite de finir ses jours derrières les barreaux.
-Tu comptes me profiler Spencer ?
-Je le pourrais assurément, mais je ne le veux pas.
-Pourquoi ?
-Parce que vous ne méritez pas mon attention. Je vous ai tourné le dos il y a douze ans de cela et les choses ne seront pas différentes maintenant.
Leland est saisi par l’assurance de Spencer. En cet instant il est un homme, à n’en pas douter. Un homme mais bien plus encore, un profiler, un flic du FBI ! Leland sent monter sa fierté et proportionnellement son désir de le soumettre en est décuplé.
-Spencer, je ne veux pas te nuire bien au contraire. Je t’aime et je ne souhaite rien de plus que d’être pour  toi le père que tu n’as pas connu. Je veux que tu me laisses t’aimer et te conduire vers cette relation qui nous manque tant à tout les deux. Accepte Spencer, accepte de me nommer comme le ferait un enfant et jamais plus tu ne souffriras.
-Non, c’est impossible. Quoique vous fassiez, vous n’obtiendrez pas cela de moi. 
-Quoique je fasse vraiment ? Sais-tu ce qui effraie le plus les gens comme toi ? Certainement pas la souffrance. Tu n’as que faire de ton apparence physique et tu te ficherais pas mal de hurler si cela te soulageait… Non, ce qui tétanise de peur les petits génies de ton espèce, c’est de devenir de simples humains. Maintenant dis-le moi avant qu’il ne soit trop tard. Dis-le !
Reid sent monter une nausée. « Petits génies de ton espèce », les mots avaient été littéralement crachés avec haine. Spencer ignore ce qui se cache sous ce langage sibyllin, mais l’animosité et l’agressivité latente y sourdent comme d’une plaie béante, déclenchant une vraie inquiétude. Ce que Leland attend de Reid lui a été clairement énoncé dans la missive, mais à aucun moment Spencer n’aurait envisagé se laisser posséder dans ce type de relation. Le nommer Père ? Non, cela était au-dessus de ses forces.
Leland ne dit rien de plus, laisse passer quelques minutes de silence puis referme la cloison de séparation et les quelques centimètres qui le liaient à Reid. Spencer entend le moteur se mettre en branle mais la voiture reste fixe. Soudain une lassitude l’envahi et il comprend. Une sourde céphalée s’installe, martelant doucement puis avec de plus en plus de vigueur son cerveau déjà paniqué. Evidemment, comment a-t-il pu se croire plus fort que son vieux mentor ?
-Alors Spencer que penses-tu de mon petit stratagème ?
Reid ne dit rien. Une réelle panique l’a envahi. Le vieux professeur avait raison. Rien ne peut l’effrayer davantage que la crainte de finir ses jours dans un état végétatif et dépendant. Finalement l’apocalypse de Raphaël et de ses deux autres tiers, n’était rien comparée à ce qui l’attend ! A commencer par une nausée terrible que Spencer réprime malgré la douleur qui s’amplifie. Le monoxyde de carbone est inodore mais ce n’est pas le cas des autres gaz qui s’y mêlent et brûlent ses yeux et son palais comme de l’acide. Des larmes coulent sur ses joues, tentant vainement de faire disparaître l’irritation.
-Dis-le moi Spencer, dépêche-toi avant qu’il ne soit trop tard !
Le docteur Reid balbutie un incompréhensible « Non »  avant de sombrer dans une perte de conscience à la fois salvatrice et source de toutes les terreurs. Dans quel état sera-t-il lorsqu’il en émergera ? Car à ne pas douter, le bourreau ne se contentera pas d’un seul essai…
Tout en perdant conscience, Spencer sait parfaitement qu’il aura droit à d’autres séances d’inhalation de CO, et qu’à chacune d’elle, ses chances de retrouver ses capacités cognitives s’amenuiseront.
 
***
 
Pour la centième fois, Gideon examine la missive laissée par Reid à leur attention. Comme tous les autres membres de la BAU, il explore et décortique les moindres millimètres de papier, en exploitant son propre regard sur le sujet et la victime. Le texte est hermétique à toute traduction simple. La reconstitution est approximative et le sens des phrases est terriblement sibyllin.
Garcia a déjà rentré dans sa base de données les termes, indications et tout ce qui pourraient faire ressortir de vieux indices oubliés. Malheureusement, en matière de langage et de références, aucune base de données ne vaut le cerveau du docteur Spencer Reid. Dieu, comme il manque, le gamin, dans ce genre de circonstances !
-Qui est ce Marcus ?
Prentiss est la première à lancer le débat. Hotch, Morgan et Gideon y répondent aussitôt en un jeu habituel de questions/réponses. Seule JJ se tient en retrait, travaillant davantage avec la police locale pour retracer le parcours du professeur Leland depuis son installation dans l’Oregon.
-Il n’y a aucun Marcus parmi ses victimes. Peut-être un personnage commun à leur passé.
-On parle ici davantage du fils de Marcus. Garcia qu’en est-il des parents des victimes ?
L’informaticienne est en duplex depuis ses quartiers où elle officie avec ardeur, pianotant en même temps sur plusieurs claviers, faisant travailler de nombreux moteurs de recherche, certains légaux, d’autres… beaucoup moins.
-Rien du côté des victimes. RAS également sur les enfants ayant été en terminal avec Spencer. J’élargis la recherche sur tous les protagonistes apparaissant dans l’affaire mais ce sera long.
-Bon, ensemble sous-entend quand même qu’il s’agit d’un travail commun. C’est étonnant car un complice n’entre absolument pas dans le profil du professeur Leland.
-C’est peut-être un code ou une référence. Un rappel à un évènement que seul Reid peut comprendre. En tout cas te faire plaisir paraît plus de l’ordre de la menace.
-D’autant qu’il insiste sur la notion de temps et d’attente. La menace semble être proportionnelle à cette longue attente, que nous pouvons deviner être de douze ans. Encore ce nombre maudit.
-Spencer n’avait rien trouvé là-dessus ?
-Non, rien de plus, mais maintenant que nous avons le nom du sujet nous pouvons chercher de façon plus précise.
-C’est déjà en route !
-Merci Garcia. Est-ce que quelqu’un a une idée sur ce que signifie la troisième forme ?
Les visages se figent, chacun cherchant dans le regard de l’autre la solution qu’il n’a pas. Hotch reprend la parole en se levant, montrant clairement qu’il est plus que temps d’agir.
-Prentiss, travaille avec Garcia sur ce texte, essaye de trouver une relation avec le passé de Reid et celui de Leland.
-Ok Hotch!
-Morgan, tu viens avec moi, on va fouiller chez Leland. Il y a surement quelque chose qui est passé entre les mailles de la police locale.
Gideon s’est également levé. D’un pas assuré il s’installe devant les dossiers classés sans suite.
-Je reste ici. Il y a là de quoi s’imprégner de Leland. Nous avons douze jours pour retrouver Spencer. Il nous faut trouver où et comment Leland compte achever sa tâche. Ce matin Spencer a dit à un policier que nous étions exactement là où il voulait que nous soyons. Qu’il était le maître du jeu. Nous devons maintenant en comprendre les règles. Nous avons été manipulés pour conduire Spencer entre les mains de Leland. Il savait précisément comment nous allions réagir. Pas seulement Reid, mais chacun de nous. Quand un psychopathe arrive en bout de quête, soit il tue l’objet de sa fascination, soit il se tue. Après une telle attente, Leland ne peut achever sa tâche que par une fin commune, se liant avec Spencer dans la mort. Il aurait certainement pu enlever Spencer n’importe où. Pourquoi ici, pourquoi nous avoir fait pénétrer son jeu ? Il veut finir en beauté. Je suis certain qu’il nous fera parvenir des indices. Il y en a peut-être déjà.

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