Un écho du passé

Chapitre 5 : Going, going, gone.

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Dernière mise à jour 10/11/2016 06:40

 

       Going, going, gone.    
 Chapitre quatre
 
I'm closin' the book
On the pages and the text
And I don't really care
What happens next.
I'm just going,
I'm going,
I'm gone.
 
 
Ses pas sont lourds, retenus par le sable mouillé. Il court sur la plage, essayant vainement de rejoindre l’ombre. La silhouette féminine marche tranquillement devant lui, sans se soucier du vent qui la décoiffe… et du sang qui salit ses escarpins. Deux mains se tendent, tentant d’agripper la femme, mais celle-ci s’échappe comme de la fumée entre ses doigts, et disparaît. Il n’y a plus que ses mains tendues en une prière désespérée. La pulpe de ses doigts est écorchée, ses ongles sont arrachés et ses paumes montrent d’étranges stigmates… des signes de crucifixion ? Spencer hurle à l’attention de la femme.
-Maman, ne me laisse pas !
***
 
La voix éraillée de Dylan tourne en boucle dans sa tête. Spencer aussi voudrait refermer le livre, négliger le futur et laisser le temps en construction l’effleurer sans jamais l’atteindre. Reid essaye d’ouvrir les yeux mais ses paupières sont lourdes, collées par les larmes qui ont coulé durant son sommeil agité. Spencer ne doute pas un instant avoir pleuré. Il se souvient vaguement d’un sentiment de rejet et de peur. Pas besoin d’avoir un QI de 187 pour comprendre qu’il a bien d’autres raisons d’avoir peur que son cauchemar. La réalité ne peut être que plus douloureuse encore… plus douloureuse et plus violente. Pas besoin non plus d’être Einstein pour comprendre que son sommeil n’avait rien de naturel. Spencer a mal à toutes ses articulations, comme si malgré ses attaches solidement fixées dans le dos, il avait pu danser la gigue. De plus, l’odeur caractéristique de l’éther diéthylique embaume tout le tapis de sol. Reid connaît parfaitement les indications et effets secondaires de ce genre de produit. Il sait aussi que les psychopathes utilisent ce qu’ils maîtrisent le mieux, ce qu’ils ont à portée de main…
-Le diéthyl éther est une substance psychoactive très prisée par ceux qui ont dû mettre de côté le cannabis lors des répressions des années 70.
Reid déglutit laborieusement. Sa bouche est pâteuse et ses mots ont du mal à se former. Encore un effet secondaire dudit produit. Il force tout de même son articulation afin que son élocution soit claire et ne laisse pas transparaître son hésitation et sa peur.
-Saviez-vous qu’on la nommait l’huile douce de vitriol ? C’est caustique non ?
Spencer Reid ne cherche pas spécialement à faire de l’humour. Il veut seulement exprimer ses pensées, qu’elles soient ou non en relation avec le présent. Parler est sa seule arme, et il la manie en expert. Pour le moment, l’homme ne semble pas vouloir entrer en communication avec Reid. Il fredonne, bat la mesure avec son pied gauche et parfois laisse échapper une toux rauque à peine retenue. Reid poursuit son monologue, conscient qu’il doit impérativement maintenir son humanité, faire savoir qu’il est un adulte et non un enfant, un être vivant et non un objet. Il sait également qu’il court le risque d’énerver son ravisseur, mais au point où il en est, il est prêt à prendre tous les risques qu’il jugera nécessaire.
-C’est Philippus Théophrastus Aureolus Bombastus Von Hohenheim qui a découvert ses propriétés analgésiques. Vous le connaissez surement sous le nom de Paracelse. Fallait-il qu’il soit particulièrement imbu de lui-même pour se nommer ainsi dans le but de ridiculiser les écrits de Celse. Quoiqu’il en soit, Paracelse…
-Connais-tu la devise de Paracelse, Spencer ?
Spencer a laissé sa parole suivre ses pensées sans chercher ni à les canaliser ni à les analyser. Il dit simplement ce qui lui vient à l’esprit, selon un processus habituel dont le cheminement ne peut être compris par le commun des mortels. Lorsque la voix de son ravisseur lui parvient, douce, calme, presque paternelle, Reid ne peut retenir un frisson de terreur. Il reste un moment interdit. Il savait que le dialogue finirait forcement par s’installer, mais il ne s’attendait pas à ça. L’homme lui pose une question simple mais qui lui glace le sang. Et dire que c’est lui, la victime, qui a orienté la discussion  sur ce terrain glissant et dangereux ! Etrange comme l’esprit aime se jouer de nous et tendre des pièges machiavéliques. Etrange comme il nous est aisé de tomber dedans… fragiles petits êtres humains que nous sommes !
-Connais-tu la devise de Paracelse, Spencer ?
-Oui, je la connais. Alterius non sit qui suus esse potest.
-Ce qui se traduit par… Spencer, j’attends ta réponse. Attention ne me déçois pas !
Sur ses derniers mots, la voix de l’homme est subitement devenue arrogante, presque agressive. Un timbre angoissant qui surgit du passé, déterrant des souvenirs enfouis et oubliés, un flot d’émotions qui submerge et tétanise Reid. Une intonation perçue il y a douze ans de cela.
« Spencer, monte dans le camion ! Qu’attends-tu ? Obéis ! Ne me déçois pas Spencer, ne me déçois pas ! »
A l’époque déjà, le petit Spencer avait pressenti dans cette voix le danger qui guettait. Il avait su au plus profond de lui-même qu’il devait s’éloigner et surtout ne pas monter, ne pas le suivre. Il avait senti avec une certitude effrayante que son mentor serait son bourreau. Il avait fui et ne s’était plus jamais retourné sur cet épisode de sa vie. Il avait fui et scellé à tout jamais cette rencontre avec le mal, avec ce qu’il avait perçu et analysé à l’époque comme étant « le côté obscur de la force » !
-J’attends Spencer !
-« Ne laisser aucun homme qui peut être lui-même appartenir à un autre ».
-Oui, ou « l’homme ne peut-être lui-même que s’il s’appartient ».
Spencer ne dit rien. Il se contente de fixer l’avant de la camionnette, l’origine de la voix. Puis soudain le véhicule s’arrête, brutalement, étourdissant Spencer en le projetant contre l’une de ses parois. Un peu déboussolé, Spencer regarde autour de lui puis fixe à nouveau l’avant dont la cloison séparative se met doucement à glisser.
- Sais-tu qui tu es vraiment Spencer, crois-tu le savoir mieux que moi qui te chéris depuis si longtemps ?
Reid ne répond pas. Il voudrait pouvoir le faire mais il s’en sent incapable. Il se sent comme un petit garçon que l’on va réprimander…
Une tête apparaît. Puis la question, encore.
-Qui crois-tu être Spencer ? Et qui suis-je pour toi ?
Pas de réponse. Reid n’arrive plus à exprimer ses pensées. Elles partent en tout sens, donnant naissance à plus de questions que de réponses.
-Réponds !
La voix… puis le regard. Embrasement  des sens, colère, haine, amour…. Déchainement de sentiments trop longtemps retenus ! Reid est pris d’un tremblement incoercible.
A l’avant un homme furieux et très en colère…
A l’arrière, Spencer Reid, docteur de 24 ans au QI phénoménal et à l’espérance de vie fortement limitée !
***
JJ est totalement désemparée. Elle a beau remuer ses souvenirs en tout sens, elle ne comprend rien à ce qui vient de se produire. Tranquillement, sans la bousculer Morgan l’amène à raconter sa vision des faits. Derek a parfaitement conscience de la fragilité de JJ. Inutile de l’agresser ou de l’accuser de négligence, même de façon insidieuse, cela ne ferait que l’enfoncer davantage dans son trouble et ne les aiderait en rien à avancer. JJ s’est assise sur le talus, jetant par alternance des regards vers le parking et vers l’école, s’attendant presque à voir Reid surgir de nulle part. Morgan se pose à ses côtés et la conduit doucement à se livrer. Les autres profilers tournent autour d’eux à la recherche d’indices, mais JJ ne les voit pas. Pourtant au fur et à mesure de son récit, l’atmosphère se charge, rendant plus palpable la présence de ses amis et l’absence du docteur Reid.
-Je me suis éloignée de quelques pas pour répondre au téléphone.
JJ lève les yeux vers Derek, paniquée, en attente de quelque chose, n’importe quoi.
-Tu as bien fait JJ, cet appel était important.
-Oui, c’est ce que l’on a supposé. Puis Hotch m’a expliquée… Spencer me regardait. Je pense qu’il a compris qu’il se passait quelque chose de grave, mais il se contentait de me sourire comme pour me rassurer.
-Et après ?
-Après je l’ai perdu des yeux quelques secondes, juste le temps pour Hotch de me donner ses directives. Quand il m’a dit que nous serions des appâts, j’ai regardé Reid et c’est là que je l’ai vue.
-Quoi JJ, qu’est-ce que tu as vue ?
-Sa peur. Il me regardait avec un air effrayé. J’en ai eu des frissons. Je crois que pendant un instant j’en ai oublié la mission, les enfants, tout quoi ! Le temps s’est soudainement arrêté. Je ne voyais plus que ses yeux, comme si le reste s’estompait et avançait au ralenti. Cela t’est déjà arrivé Derek ?
Morgan sent que Jennifer a besoin d’être rassurée. Il la prend dans ses bras, l’incitant à poser sa tête sur son épaule. L’agent Jareau résiste quelques secondes, mais la femme Jennifer se laisse finalement aller. C’est dans un semi-sanglot qu’elle termine son histoire.
-J’avais l’impression d’être reliée par un lien télépathique. Il avait très peur mais subitement il a cherché à le cacher. Un peu comme moi finalement. J’espère avoir été plus douée que lui, parce que franchement, sa terreur transpirait par chacun de ses pores. Puis il a dit quelque chose.
-Qu’est-ce qu’il t’a dit Jennifer ?
Les mots de Morgan sont doux et calmes. Sa voix est posée et rassurante. Un spectateur anonyme ne pourrait jamais deviner l’angoisse qui le tenaille. Si les agents Jareau et Reid ne sont pas experts dans l’art de cacher leurs sentiments, l’agent spécial Morgan Derek est lui passé maître en la matière.
-Que voulait te dire Spencer, te faire comprendre ?
-Rien. Enfin, je ne sais pas, je ne lis pas sur les lèvres tu sais mais… mais je crois qu’il me disait… adieu.
Morgan essaye de rester profiler avant tout. Les sentiments, les émotions, il sera encore temps de les libérer lorsque tout cela sera fini… quelqu’en soit la fin. Derek aime à penser qu’il sait se maîtriser mais en cet instant il a bien du mal à ne pas se lever pour détruire le premier obstacle qui se présentera. Gideon qui sent l’empathie gagner méchamment ses deux agents prend le relais sur Derek.
-JJ, calme-toi et dis nous simplement ce que tu as vu, sans ressenti, comme si on parlait d’un sujet lambda.
-Mais Gideon, c’est de Spencer qu’il s’agit ! L’agaçant, l’horripilant, l’énervant docteur Spencer Reid !
Gideon attrape JJ par le bras, l’obligeant à se relever. Sans mot dire, il la traîne jusqu’à l’entrée de l’école.
-Tu es Reid. Que fais-tu ?
JJ semble un instant déstabilisée mais sous la direction de Gideon, son côté professionnel prend rapidement le dessus. Elle glisse son âme de côté, elle la reprendra plus tard, et devient l’agent spécial Jareau.
-Je surveille les enfants et les adultes. Il n’y a rien de suspect. J’observe aussi ma collègue qui discute au téléphone avec l’agent Hotchner. Elle est inquiète. Malgré ses efforts pour le cacher, elle est  réellement anxieuse. Sa peur me touche mais j’arrive à la mettre de côté. Je continue ma surveillance mais quelque chose ou quelqu’un attrape mon attention. C’est mon tour d’avoir peur. Je regarde ma collègue et subitement ma peur se déculpe.
JJ s’arrête. Elle semble être en suspend, attendant que quelqu’un ait la bonté d’appuyer sur la touche play.
-JJ, que se passe-t-il ?
-Il a peur pour moi. Je ne l’avais pas compris sur le moment mais c’est clair maintenant. Il a peur pour moi ! Je connais ce sentiment, pourquoi ne l’ai-je pas compris plus tôt ?
-Continue JJ.
-Il m’adresse un sourire de réconfort mais ses lèvres me disent adieu. Ensuite il se détourne et avant que je comprenne l’imminence du danger, il se met à courir vers le parking.
JJ se met aussitôt à imiter les faits et gestes de Reid. Elle court vers le parking mais s’arrête juste avant le talus.
-Là il a stoppé nette sa course. Il a fait quelque chose puis m’a jeté un dernier regard avant de repartir en contrebas du talus et de disparaître. Qu’est-ce qu’il a fait ici ?
Tout en exprimant une question unanime, JJ se met à inspecter les alentours. Les autres membres de la BAU en font tout autant. Soudain la voix de Derek retient l’attention générale.
-J’ai trouvé.
L’agent Morgan étale au sol le contenu d’une poubelle. Prospectus, papiers gras, restes de vieux sandwichs et autres canettes se côtoient dans un ordre bien aléatoire. Au milieu de cette publicité pour le tri sélectif se trouvent quelques objets inappropriés en ce lieu de scolarité, un flingue, une pochette contenant une carte nominative du FBI, des papiers d’identité et un téléphone portable ouvert et désossé.
Gideon s’approche de Morgan.
-Vous savez ce que cela signifie n’est-ce pas ?
-Que le sujet veut déshumaniser Spencer.
-Du moins l’adulte qu’il est devenu. Il manque ses menottes, mais cela n’a rien d’étonnant. Le sujet doit apprécier l’idée de retourner la propriété de Spencer contre lui. Il va chercher à annihiler le Spencer que nous connaissons pour retrouver celui qu’il a perdu… le petit garçon de douze ans qu’il était ! On embarque tout cela. Rien ne sert de rester plus longtemps ici, il faut se poser et raisonner calmement comme on le ferait pour tout autre crime.
-Gideon, regarde !
Morgan tend l’arme de Reid, canon vers le haut. Celui-ci est obturé par un morceau de papier froissé, déchiré. Un papier intentionnellement glissé là à leur attention. Gideon se fend d’un large sourire. Il se tourne vers JJ.
-Reid n’a pas perdu sa confiance en nous. Il a cherché à te protéger. De quoi, de qui, je l’ignore, mais s’il s’est volontairement « donné » au sujet, il n’a surement pas l’intention de devenir son instrument sans réagir. Ayons confiance en lui. Au boulot !
 
***
La voiture est à l’arrêt mais le moteur ronronne toujours, comme s’il fallait être prêt à déguerpir et vite. Spencer aimerait bien disparaître, se fondre dans l’environnement et ne plus être, mais tout cela n’est qu’utopie et espoirs vains. Il n’est pas dupe et ne se fait aucune illusion quand aux dessins de son ravisseur. L’agent du FBI a déjà enduré ce genre de choses… attendre, cogiter sur l’avenir proche et se rendre compte qu’en fin de compte la réalité sait être aussi horrible que l’imaginaire. Il l’a déjà vécu et ne compte plus le subir en spectateur impuissant. Il a étudié les dossiers que JJ puis Garcia ont sortis des archives et sait parfaitement ce à quoi s’attendre. Douze jours pour faire de lui sa possession… Ha s’il croit que Spencer va se laisser faire ! Non, cette-fois-ci les choses ne couleront pas aussi simplement.
L’homme est sorti du véhicule. Quelques bruits tendent à supposer qu’il contourne la Dodge, s’apprêtant sans doute à ouvrir le coffre et en extraire Spencer. Ce dernier bande tout son corps, replie ses jambes contre son thorax, prêt à projeter ses pieds sur son ravisseur dès que celui-ci apparaîtra. Il ferme les yeux cherchant à localiser sa position mais tout ce qu’il perçoit n’a aucun sens. Un bruit de caoutchouc, de scotch… et un murmure rauque, comme si l’homme se parlait à lui-même. Puis une porte qui s’ouvre et l’homme s’installe de nouveau à l’avant. Spencer ne baisse pas sa garde. Il n’a pas l’intention de laisser s’échapper la moindre possibilité d’action. Il ne sera plus jamais l’objet d’un psychopathe, même si cela doit signer son arrêt de mort. L’espace d’un instant le visage de Jennifer vient se greffer devant ses yeux.
Spencer a parfaitement conscience de ne pas être un homme d’action, même s’il a prouvé à tous et surtout à lui-même qu’il était capable de surpasser ses limites. Mais celles-ci n’ont plus cours dans ce type de situation. Tout en disant adieu à JJ devant le groupe scolaire, il s’était promis de se battre vaille que vaille ! Une promesse qu’il réitère en cet instant où tout bascule.
-Adieu JJ.
***   ***   ***

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