Wastelanders

Chapitre 8 : Wasteland's diaries

3160 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 12/07/2025 22:54

Long Fellow - Rédemption


L’idée même d’une revalidation était pénible à John Long Fellow. Quand on a connu une aussi longue vie que lui, la simple perspective d’un nouvel apprentissage est démoralisante. Afin d’occuper sa première journée, il décida donc d’être pénible et se fit conduire dans la chambre de Sly afin de chanter « C’est le jour un, celui qu’on retient…» pour le faire enrager (ce qui fonctionna très bien). Même si la revalidation se déroulait bien, les employées du centre étaient préoccupées à cause de l’agressivité dont faisait preuve le vieux marin. Elles lui recommandèrent donc de s’essayer à l’écriture de haïkus. Il en écrivit deux :


Démons chitineux

Il faut les exterminer

Ces maudits fangeux


Sale petit con

Il a vendu sa mère

Jason doit mourir


Il lui fut demandé d’arrêter l’expérience après cela.

Mais au fil des semaines, tandis qu’il prenait le contrôle de son nouveau corps, un autre changement inattendu s’opérait en lui : il voyait de moins en moins les personnes qui l’entouraient comme des en-cas potentiels et de plus en plus comme des êtres doués de sentiments et d’émotions – c’était une sensation très nouvelle pour lui. Un jour, il réalisa que l’infirmière qui s’occupait de lui aurait eu l’âge de sa fille s’il avait eu une fille née la même année qu’elle. Cela lui fit remettre sa vie en perspective : était-il réellement sain de considérer les autres essentiellement comme de la nourriture ? N’avait-il pas été parfois trop dur avec ses équipiers ? Ne devrait-il pas être plus à l’écoute des positions de Sly ? N’avait-il pas été trop sévère avec Jason ? (Mauvais exemple : cette ordure avait vendu sa mère.)

Les jours devinrent des semaines et les semaines des mois. Au fur et à mesure qu’il récupérait le contrôle de son corps, John développait un nouvel instinct protecteur vis-à-vis des gens et en particulier de ses équipiers.

Au terme de la convalescence, il s’adressa à ses camarades et leur dit :

- Ne vous en faites, je vous protège et je n’ai aucune intention de vous manger.

L’équipe ne réagit pas vraiment, vu que c’étaient des choses qu’il avait souvent dites durant leur aventure, sans se rendre compte de la révolution que cela représentait. Cette fois, il le pensait.


*****


Le journal de Mako


Notre rééducation motrice prit bien plus de temps que je ne l'avais espéré. Quand le Docteur Amari avait parlé de réapprendre à utiliser notre corps, je n'avais pas imaginé à quel point il nous faudrait tout reprendre de zéro. Ce fut notre premier repas qui me le fit comprendre. En effet, je ne fut même pas capable d'amener ma fourchette jusqu'à ma bouche sans en faire tomber tout le contenu.

Les premiers jours furent difficiles car si j'avais gardé la mémoire des gestes, mon corps lui, refusait d'obéir. Au final, ils furent quand même moins pénibles que pour mes compagnons car j'avais somme toute accepté sans broncher l'idée que mon corps ne m'appartenait plus. Cette facilité d'acceptation m'avait d'ailleurs valut quelques réprimandes de la part de mes deux compagnons et plus particulièrement de Sly qui ne décolérait pas.

Au fil du temps, je pus voir le changement qui s'opérait chez notre capitaine. Il était passé de la colère et de l'agressivité, à l'acceptation et à une certaine forme d'enthousiasme. Il avait découvert les haïkus et bien que son psychologue lui ai gentiment demandé d'arrêter, il avait continué à exercer cette nouvelle passion dans le plus grand des secrets. Et c'est avec exaltation qu'il nous en faisait « profiter » à la moindre occasion.


Heureusement, je finis par trouver une échappatoire à ses envolées poétiques. Nous n'étions en effet pas les seuls « nouveaux-nés » de l'Institut et lors de certaines séances collectives, j'avais fait la connaissance d'Ana-Lucia. Trois ans plus jeune que moi au moment de sa mort, ce petit bout de femme au caractère bien trempé avait accueilli cette renaissance comme une bénédiction. Sa joie de vivre me changeait du caractère ronchon de mes collègues miliciens. J'avais enfin trouvé quelqu'un qui me comprenait et avec qui je pouvais parler pendant des heures. Ana-Lucia était originaire de Junktown et elle y avait passé sa vie entière. J'en appris ainsi beaucoup sur la ville à travers ses souvenirs.

À son tour, elle me questionna sur mon passé et sur les raisons qui m'avaient conduite à rejoindre les rangs de la milice. Souvent elle écoutait mes réponses en mâchonnant distraitement une mèche de ses cheveux noirs et bouclés. Et quand j'avais l'impression qu'elle ne m'écoutait pas vraiment, elle me surprenait en rebondissant sur des détails que d'aucun aurait jugé insignifiants. J'aimais passer du temps avec ma nouvelle amie, ça me changeait de la poésie douteuse de John et de la misanthropie grandissante de Sly.

Au début je m'étais inquiétée pour lui car même lorsqu'il fut apte à se déplacer seul, il restait cloîtré dans sa chambre. J'avais tenté de parler avec lui, de lui remonter le moral. Mais devant son manque flagrant de bonne volonté, son éternelle mauvaise humeur et ses reproches incessants sur le fait que je prenais trop à la légère les implications de notre nouveau statut, je finis par laisser tomber préférant rire et m'amuser avec Ana.


Je n'en oubliais pas pour autant Lucy dont l'état de santé m'angoissait. Elle avait été ma pupille jusqu'au jour de sa majorité. Ensuite, elle était demeurée à mes côtés et j'avais continué à veiller sur elle, restant ainsi fidèle à la promesse que j'avais faite à ses parents : celle de toujours la protéger. Et là j'avais lamentablement échoué. J'avais beau me répéter que nous étions TOUS morts, que je ne devais pas me reprocher le mauvais fonctionnement de son nouveau corps, après tout je n'étais ni médecin ni scientifique, je m'en voulais quand même. J'avais d'ailleurs tellement cassé les pieds de tout le corps médical du complexe, en les harcelant tous les jours pour avoir des nouvelles, qu'ils avaient finit par m'autoriser à la voir de temps en temps.

Je fus alors obligée de passer à la désinfection et de porter une combinaison étanche afin d'éviter tout risque de contamination qui pourrait aggraver la situations. Je pensais néanmoins qu'ils espéraient me décourager en m'imposant cela car aucun des médecins que je croisais à son chevet n'en portait. Dommage pour eux, cela n'eut pas le moins du monde l'effet escompté. Je vint dès lors m’asseoir à côté du caisson dans lequel son corps synthétique reposait. Je ne savais pas si une part d'elle pouvait m'entendre. Mais comme pour une personne dans le coma, je lui parlais longuement. Je lui expliquais le complexe et les changements apportés par notre nouveau corps. Je parlais de l'évolution de John, j'abordais ma rencontre avec Ana-Lucia et sa jovialité qui contrastait avec l'air maussade et l'esprit borné de Sly, qui refusait toujours d'aller de l'avant. Je parlais aussi du Docteur Amari et de ma fascination pour le fait qu'elle ait connu l'Ancien Monde.

Un jour en entrant dans la chambre, je ne trouvai qu'un lit vide. L'infirmière qui m'accompagnait m'informa alors que Lucy avait été transférée dans une partie restrictive du complexe pour suivre un ultime traitement dans l'espoir de la faire renaître. Mes angoisses revinrent aussitôt et je demandai chaque jour de ses nouvelles. Lassée de mes questions incessantes, une infirmière excédée m'envoya un garde armé. L'homme n'était pas n'importe qui, il s'agissait de Nash Woland dit le Béhémoth, le capitaine de l'unité d'élite Éden. Avec son armure de combat et son gros fusil, il me fit « gentiment » comprendre qu'il me fallait cesser mes questions. Avant de quitter mes quartiers, il ajouta plus aimablement qu'il comprenait mes inquiétudes mais qu'il avait entière confiance dans les capacités du Docteur Amari et que je devrais en faire autant.


Et puis, il y avait Pedro...

C'était mon kinésithérapeute attitré, un latino-américain dans le début de la cinquantaine. Svelte et élégant sous sa blouse de praticien, il avait les tempes grises et des pattes d'oie autour des yeux quand il souriait. Je l'ai tout de suite trouvé très séduisant. Au fil de nos séances, nous sympathisâmes et bien que cela ne soit pas très déontologique, nous commençâmes rapidement à flirter ensemble. On aurait dit deux adolescents bien que nous ne le fûmes plus depuis longtemps.

Et dire que je pensais ne jamais tomber amoureuse, ne jamais rencontrer quelqu'un qui me plairait. Il avait fallu ma mort et un corps synthétique pour qu'un homme fasse chavirer mon cœur. Je souris comme une idiote en pensant à lui et mon air niais s'accentua encore lorsque je me rappelai qu'il m'avait invitée le lendemain soir, à une soirée dansante organisée par des amis à lui, tous musiciens, qui s'étaient improvisé un petit orchestre.

J'avais tellement hâte d'y assister mais avant cella, nous avions été convoqués au bureau des défenses par l'officier Miller. Ce dernier souhaitait sûrement faire le point avec nous sur l'avancement de notre entraînement militaire. Je rejoignis donc John et Sly, dont l'humeur semblait s'être miraculeusement améliorée, dans le couloir et leur emboîtai le pas.

L'avenir était en marche, mais qu'allait-il me réserver, ça je l'ignorais encore.



*****



Sly


Prostré dans la cellule morne qui lui servait de chambre, Sly, la tête enfouie entre ses mains luttait contre ses doutes et ses craintes. C'était hélas devenu son quotidien depuis sa résurrection « miraculeuse ». Qui étaient réellement ces gens qui lui avaient si « généreusement » offert une deuxième chance ? Quelles étaient leurs véritables intentions ? Allaient-ils vraiment les relâcher un jour ? Sly n'avait aucune confiance en eux malgré leurs belles manières, leurs discours posés et leurs sourires mielleux. Le fait d'être devenu leur « propriété » lui était insupportable.

Et puis de toute façon, que faisait-il dans cet abri alors que le monde au dehors s'enfonçait un peu plus dans le chaos chaque jour ? Il avait choisi d'être milicien pour aider les populations à restaurer un semblant d'ordre et pour rebâtir une civilisation moins hostile pour tous les survivants à travers les vastes étendues ravagées des Terres Désolées.


Bref, les jours passaient solitaires et sombres, entrecoupés ponctuellement d'entretiens à sens unique -Sly ne desserrait pas les dents- avec le Docteur Amari ou de sessions d’exercices de rééducation avec les autres médecins de l'abri. Il recevait aussi de temps en temps la visite de ses camarades. Ces derniers donnaient d'ailleurs l'impression d'être plutôt satisfaits de leur sort, ce qui irritait encore d'avantage Sly, isolé dans son sentiment d'être prisonnier d'une cage dorée et rageant à la pensée que tout le monde paraissait trouver cela normal.

Être en désaccord avec John était devenu une habitude. Après tout, le vieil homme et lui semblaient destinés à demeurer éternellement en conflit. Toutefois la bonne humeur et le changement drastique de personnalité du marin contrariait particulièrement Sly, de même que sa propension à chantonner d'épouvantables chansons de midinettes pleurnichardes. À ce titre, Sly estimait que son camarade avait eu beaucoup de chance que son propre corps ne réponde pas à ses pulsions meurtrières lors de leur premier jour de convalescence alors que ce dernier était venu le torturer en braillant à tue-tête une bluette sirupeuse et niaise des heures durant...


Par contre, il ne comprenait pas l'attitude de Mako et cela était bien plus étrange. Cette dernière semblait avoir accepté sans difficulté leur situation actuelle. Bien souvent, elle était venue lui rendre visite, mais chaque fois cela s'était terminé de la même façon : ils se disputaient et Mako repartait déçue et blessée. C'est d'ailleurs à l'issue de la dernière visite de son amie que Sly commença à se demander si ce n'était pas lui qui exagérait. Lui, qui s'était toujours vu en protecteur des gens qu'il aimait et qu'il considérait comme sa famille, était devenu celui qui leur faisait du mal.

Après quelques jours supplémentaires passé à se morfondre sur cette nouvelle constatation amère, il décida que cela ne pouvait plus durer. D'autant que Mako n'était pas revenue le voir, preuve sans doute qu'il était allé beaucoup trop loin dans ses propos. Il fallait qu'il se ressaisisse. Rester assis à se morfondre et à décevoir ses amis n'apporterait jamais la moindre solution. Il fallait agir.

Il accepta de suivre les séances de yoga de maître Wa-Gi-U que lui avait conseillé l'un des médecins de l'abri. Si au début, Sly se demandait où il était tombé tant maître Wa Gi U était un curieux mélange de tradition et d'anti-conformisme saupoudré d'un rien de douce excentricité, il finit non seulement par apprécier le vieil homme mais aussi par retrouver un peu de paix intérieur, malgré les tourments qui le rongeaient continuellement. Le vieux sage lui conseilla alors d'exprimer ses contrariétés et ses émotions. C'était le seul moyen pour lui d'avancer sereinement sur sa nouvelle voie. « Fort comme un bœuf, libre, zen et neuf » conclut maître Wa-Gi-U qui possédait tout un tas de préceptes un peu tordus mais (presque) toujours pertinents et emplis d'enseignements.

Ainsi, quand vint le moment de l'entrevue suivante avec le Docteur Amari, Sly arriva déterminé à vider son sac et à mettre les points sur les i, même si arrivé devant la cyborg, il se renfrogna tant cette femme avait le don de l'énerver et de faire ressortir ce qu'il y avait de pire en lui.


  • Toujours muet? demanda le Docteur Amari simulant l'empathie. Vous savez, nous ne sommes pas obligé d'être ennemis mon cher Sly.
  • Ah? Parce que vous vous prétendez mon amie? demanda le milicien sur un ton acide.
  • Oh, peut-être pas une amie dans le sens chevaleresque que vous vous imaginez, non. Mais je fais tout de même partie des rares personnes en ces terres hostiles qui vous veulent du bien. À vous et à vos amis, d'ailleurs.
  • Bien sur, comme un maître peut se montrer bienveillant envers ses esclaves. Non, votre « amitié », vous pouvez vous la garder, grogna Sly en se renfrognant. Il s'enfonça dans sa chaise tout en croisant les bras sur son torse tandis que le docteur l'observait par delà son bloc-note, indifférente à l'hostilité que lui témoignait son patient.


Alors qu'il allait de nouveau se murer dans son silence, Sly repensa à Mako, à Lucy et à John. Il se remémora aussi les précieux conseil de maître Wa Gi U. Il inspira profondément, plongea un regard froid et empli de colère dans le regard hautain et faussement compatissant du Docteur Amari, plaqua ses poings sur la table et dit sur un ton qui évoquait le grondement de l'orage sur l'océan :


  • Je ne vous appartiens pas. Je ne vous ai jamais appartenu et je ne vous appartiendrai jamais docteur. Je suis peut-être lié à vous en ce moment par une dette contractée via un service que je n'ai pas demandé, mais ça s'arrête-là. Si travailler pour vous est le prix à payer pour recouvrer ma liberté, soit. Je vous rembourserai. Mais une fois cette dette épongée, je ne veux plus jamais entendre parler de vous, ajouta-t-il en laissant transparaître tout le dégoût et la colère que lui inspirait sa geôlière.
  • Vous voulez nous quitter, minauda le docteur avec une petite moue amusée.
  • Oui, laissa tomber froidement Sly dont la voix charriait des torrents de glaçons.
  • Et vos amis ? Pensez-vous qu'ils vous suivront ? Ils semblent s'épanouir avec nous. Ils ont même commencé à tisser des liens avec d'autres personnes, rétorqua le docteur en scrutant les réactions de son interlocuteur à la manière d'un rapace.


Sly eu besoin de quelques secondes pour encaisser le coup. Il n'avait pas pensé que durant tout le temps où il était resté cloîtré dans sa chambre, la vie avait suivi son cours... Il finit par répondre :

  • Ils sont ma famille. Je les protégerai aussi longtemps que je le pourrai. Mais ils sont également des hommes et des femmes libres de faire leurs propres choix. Si ils décidaient de rester avec vous, je respecterai leur décision. Alors, peut-être bien que je les perdrai en partant. Mais ce qui est certain, c'est que je me perdrai si je reste ici.
  • Vous rendez-vous compte que si vous nous quittez, nous ne pourrons plus vous réparer ? Vous n'aurez plus accès au confort et aux avantages que nous vous offrons ici ? fit le docteur sur un ton de réprimande.
  • Qu'est-ce que ça change ? Ne suis-je pas déjà mort de toute façon ? Je préfère mourir libre que de vivre éternellement en tant que marionnette entre vos mains.
  • Entendu, répondit Amari avec son petit sourire supérieur. D'ici là, je suis certaine que nous ferons du bon travail ensemble mon cher Sly. Et puis, qui sait, peut-être changerez vous d'avis à notre sujet et déciderez-vous de rester parmi nous ?!


Il acquiesça en produisant un son à mi-chemin entre le grognement et le « m'ouais » peu convaincu et plein de défiance. Après quelques secondes de silence, il ajouta :


  • Je suppose que nous en avons fini pour aujourd'hui, docteur ?
  • En effet. Bonne journée, fit le médecin sur un ton presque désinvolte.


Sly ferma la porte du bureau du Docteur Amari en se sentant plus léger. Il emprunta le couloir qui menait aux appartements de Mako afin de lui présenter ses excuses pour son récent comportement mais n'eut pas le temps d'arriver à sa porte qu'une alarme retentissait et qu'il était invité à rejoindre les autres membres de l'abri au centre de commande pour recevoir une mission urgente...

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