Le Massacre d'Aurillac

Chapitre 2 : La ferme de Marie

1349 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 26/05/2018 22:34

Dans une maison perdue au milieu des champs à quelques kilomètres du centre d’Aurillac vivait Marie et son domestique Anoobis. Marie était une vieille femme grisonnante qui, bien qu’ayant reçu la plus haute instruction que l’on prodiguait du temps qu’elle était jeune, avait préféré dédier sa vie à l’agriculture et à l’élevage. Il y a 10 ans de cela, elle avait recueilli Anoobis, un jeune réfugié nigérien. Elle lui avait offert une éducation, l’avait logé, nourri et blanchi. En retour, Anoobis se chargeait des travaux de la ferme afin de préserver la beauté des mains de sa maîtresse.

 Ce jour-là, Marie avait interrompu la leçon de piano plus tôt que d’habitude. Comme chaque année, il leur fallait protéger le domaine en prévision des hordes de punks qui allaient déferler dessus. Elle commanda à Anoobis de creuser des trous qu’ils recouvrirent d’épis de blé, d’installer des systèmes de déclenchement à poulies pour assommer les intrus, ou de dérouler des bandes électriques au pourtour de leur terrain. En guise d’appât, ils posèrent des bières et des phéromones canines.

 Une fois l’effort accompli et le domaine miné, Marie commença sa leçon de physique moléculaire.


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À Aurillac, dans leur dortoir, Freak et Juude achevaient pour la trentième fois l’exécution de leur chorégraphie. Les deux sœurs vivaient dans cet établissement depuis le décès de leur père. Leur travail consistait la plupart du temps à pousser les rares clients à la consommation par l’utilisation de techniques de persuasion spécifiques à la gente féminine. Lors du Festival cependant, elles comptaient sur leurs danses et sur l’afflux de touristes pour faire gonfler leurs modiques économies.

On entendait les chaussures claquer dans la rue et Freak, se penchant par la fenêtre, informa sa sœur de la foule qui circulait devant leur bar en direction de la place.

On toqua à la porte. Juude ouvrit à la concierge qui leur apprit que M. Turnuevo, leur employeur, avait ajouté une condition au jour de congé qu’il leur avait accordé : elles devaient, après s’être produites, revenir au bar avec un client suffisamment crédule ; le plus jeune qu’elles pourraient trouver. Les danseuses s’étonnèrent sans pourtant estimer que cette mission leur poserait trop de problèmes.


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À leur réveil dans la grange, les forumeurs eurent l’heureuse surprise de trouver Benjam conscient et, bien que la mine pâle et le regard vide, disposé à marcher — ou du moins à boiter  — jusqu’au centre d’Aurillac. Ils déjeunèrent des œufs de poule que Calinou préféra manger crus pour des raisons d’apports protéiniques qu’il leur exposa assez vaguement. Au moment de quitter la ferme, Autenthic expliqua qu’ils devraient marcher le long de la route et la suivre jusqu’au village. « Je viens ici tous les ans, je connais un chemin beaucoup plus court en coupant du côté des bois, » annonça Pastèque, qui égrugeait des coquelicots dans une feuille à rouler. Après s’être concertés, ils acceptèrent de suivre Pastèque qui marchait maintenant en chef de file, son pétard floral entre les lèvres.

Ils croisaient beaucoup de voitures et de minibus qui se rendaient aussi au festival. Yvel manqua de se faire écraser par un van lorsqu’il se mit à marcher distraitement sur la route, les yeux rivés sur son émulateur. Pharmacy hurla qu’on avait déjà bien assez à s’occuper d’un blessé. Ils arrivèrent près du champ qu’il fallait traverser pour rejoindre le raccourci de Pastèque. Ils durent passer en dessous d’une clôture électrifiée que Baptoche souleva en se servant d’un bâton. Sous un arbre, ils trouvèrent un caisson de bières encore pleines. Autenthic proposa que l’on se les partage mais, quand il souleva la caisse, un bruit long et inquiétant se fit entendre. « mdr s’est quoi s… »

Un tronçon de bois tombé du ciel venait de percuter sa tête. Il s’effondra et tous se précipitèrent sur son corps inerte. Ils n’eurent pas le temps de vérifier ses fonctions vitales car, un peu plus loin, une étrange créature courrait vers eux à quatre pattes en aboyant comme un chien. Elle était suivie par une femme en peignoir armée d’un tromblon. Luntik se mit devant le groupe en position défensive  pour intercepter l’attaque. La créature était proche à présent et ils constatèrent qu’il s’agissait en fait d’un jeune homme qui avait l’air de se comporter comme une bête sauvage. Il quitta sa position quadrupède pour bondir sur Luntik qu’il tenta de mordre à la gorge. Luntik le saisit sous les aisselles et l’envoya buter contre l’arbre. La vielle femme cria « Bibis, au pied ! »

Anoobis obéit à l’ordre et se rangea derrière sa maîtresse.

« Que faites-vous dans mon champ ? Vous n’avez pas l’air de punks pourtant.

— Madame, notre ami a reçu un coup à la tête, il faut l’aider, » s’inquiéta Pharmacy.

Marie accepta de leur porter secours et ils emmenèrent Autenthic dans la vieille bâtisse. Anoobis semblait s’être calmé et il marchait de nouveau normalement. Ils allongèrent le blessé sur un divan et Marie posa une serviette humide sur son front. Anoobis prépara du thé et ils burent à table tout en surveillant Autenthic. « Maintenant racontez-moi pourquoi vous vous trouviez sur mon domaine.

— C’est Pastèque, elle a dit qu’elle connaissait un raccourci pour aller à Aurillac, s’exclama Teefreez.

— Nous ne voulions pas vous déranger, nous comptions traverser votre champ pour rejoindre la forêt, expliqua Pharmacy.

— La forêt n’est plus sûre pendant la période du Festival. Des tonnes de punks s’y installent avec leurs chiens dégoutants. C’est pour ça qu’Anoobis et moi avons posé des pièges. Celui-ci n’était pas destiné à votre ami. »

Pendant que Marie et les forumeurs parlaient, Autenthic commença à reprendre ses esprits et, se retournant sur lui-même puis se redressant, il éructa « CÉANS !»

Authentisme fut la première à courir vers le divan. Elle se pencha dessus: « sa va autenthic ? tu ma fais peur j’ai crut genre t’étais mort. 

— Si c’est ma reviviscence qui vous cause cette abominable manière de vous exprimer, j’eusse encore préféré mourir et ne pas avoir à en endurer la vocalisation. Non contente de violer les codes idiomatiques les plus élémentaires, vous décidiez encore de m’infliger votre putrescible haleine. Sachez cependant, si vous ne l’aviez remarqué, que je suis bien vivant, sinon un peu affaibli par la vision pandémoniaque qui s’imposa à mon réveil. »

Authentisme recula, ne reconnaissant pas là son ami, et se retourna vers ses amis qui avaient l’air aussi effrayés qu’elle.

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