Suite de petits écrits

Chapitre 11 : Incendie - 13/09/2021

798 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 16/10/2021 11:07

Je vais brûler.

 

Je n’entends pas l’alarme. Peut-être que mes oreilles sont bouchées. Toutefois, je perçois tous les détails. Un souffle. Non, deux. Saccadés. Des frottements de tissus. Un objet en métal tombe. Je crois que c’est moi qui vient de le lâcher. Au bruit, je devine qu’il s’agit de la boucle de ma ceinture qui, en rencontrant le sol, a retenti dans le silence du drame. J’entends un rire, nerveux mais léger. Il est presque immoral. Je n’entends pas l’alarme.

Quand est-ce que j’ai vérifié pour la dernière fois le détecteur de fumée ?

 

C’est donc à moi de vérifier qu’il n’y ait pas de fumée. J’ouvre les paupières. Il fait sombre. Je reconnais la pièce : c’est ma chambre. Excepté le rai de lumière qui traverse la jalousie, je ne distingue aucune autre source d’éclairage. Le foyer de l’incendie n’est donc pas ici. Il semble cependant si proche !

Allongée sur le dos, dans mon lit, je scrute les alentours. Puis je me souviens d’un cours suivi dans une caserne de pompiers : la fumée monte. Je lève mon regard vers le plafond et je remarque que je le distingue parfaitement. Aucun écran de fumée.

Mes yeux sont attirés vers ma poitrine, des cheveux bruns y sont posés. Je suis blonde. Ma vue doit me faire défaut. Peut-être que, finalement, il y a de la fumée ? Est-elle toujours visible ?

 

Mon réflexe est d’essayer de flairer quelque chose. Je ne sens rien brûler. Ni odeur de bois, ni de nourriture oubliée dans un four. Pas même d’un court-circuit. Plusieurs effluves néanmoins se bousculent à l’entrée de mes narines. D’abord florales. Comme si, près de moi, quelqu’un venait de sortir de sa douche. Puis je renifle une senteur moins agréable. De la sueur. J’ai pourtant le souvenir d’avoir mis du déo, ce matin. Je me surprends à sourire face à ce parfum. J’ai comme un souvenir qui veut remonter dans mon esprit.

Peut-être que le parfum appartient à une de mes connaissances ? Ou peut-être qu’un plat sucré est vraiment en train de brûler dans mon four ?

 

L’idée d’un plat cuisant réveille une faim insatiable. Je commence déjà à saliver. Mes dents veulent croquer une viennoiserie, les papilles sur ma langue réclament un mélange fruité et sucré. Un repas d’enfance ou une surprise dans un plat traditionnel commandé dans un restaurant qui ne paie pas de mine. Argh, j’ai faim ! Comme si, pendant un incendie, c’était ce à quoi il fallait penser. Si je veux pouvoir manger, il va falloir que je comprenne d’où vient le feu et que je règle cette histoire… J’espère ne pas avoir besoin de pianoter sur mon portable le 112.

 

Tout brûle. L’intérieur, l’extérieur. Tout. J’ai chaud. Trop chaud. Cependant, je n’ai pas envie de fuir. Comme si je m’étais habituée à la chaleur. Comme lorsqu’on tourne le thermostat de sa douche sans se rendre compte qu’on a passé la limite acceptable pour sa peau. Comme lorsque, pour apaiser un mal de ventre, on pose une bouillotte tout juste remplie et qu’on ignore la nouvelle douleur tant celle que l’on cherche à apaiser est grande. Je vais encore avoir des cloques…

 

Pourtant, en cet instant, je comprends que je m’en fiche de cet incendie. Je me jette à corps perdu dans les flammes. Les conséquences risquent d’être terribles. J’ai posé ma main sur la plaque de cuisson et bientôt, quand mes connexions neuronales auront été effectuées, je m’apercevrai que je suis en train de brûler. J’ai beau vivre cent fois la même histoire, je n’arrive pas à apprendre.

 

J’aime la langue taquine de la flamme, le crépitement que je ressens dans le bas ventre, la tendre chaleur qui s’en dégage. Je m’approche encore et encore du foyer. Il m’observe d’un œil langoureux. Oh qu’est-ce que je vais regretter cet instant ! J’espère au moins que je vais pouvoir en profiter jusqu’au dernier instant. Que le feu, sous un coup de vent, ne s’éteigne pas ou qu’il me consume avant même d’avoir eu le temps d’en savourer sa fougue.

 

Enfin, je brûle.

 

13/09/2021


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