Suite de petits écrits

Chapitre 12 : Intérêt personnel

656 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 27/10/2021 14:15

« Madame ! J’suis embêté. »

La professeure principale regardait Eliott lever la main et poser sa question avant même qu’elle l’ait interrogé.

« Je t’écoute. »

Elle était lassée de ses questions. De ses remarques. Seulement, par esprit de professionnalisme, elle lui laissa une chance de faire enfin une remarque intéressante.

« Ben, commença-t-il de son ton d’adolescent blasé, j’dois mettre quoi dans mes passions ? »

Cette heure, elle l’avait dédiée au CV, et bien évidemment, une partie concernait les activités de ses élèves en dehors des cours et de leurs expériences professionnelles. Tous les autres élèves de la classe de Première s’étaient afférés tranquillement à cette partie : Danse, Basket, Jeux Vidéos, Séries… En soit, rien d’extraordinaire. Mais c’était déjà ça. C’était plus que ce qu’Eliott avait noté.

« Je ne sais pas moi, tu fais quoi quand tu n’es pas en cours ?

- J’traîne.

- Tu écoutes peut-être de la musique ?

- Bof.

- Tu joues au foot ?

- Nan.

- Alors tu erres juste dans les rues de ton quartier. Sans rien faire.

- C’est l’idée. »

Aïe. Encore une fois, la vie d’Eliott se confrontait à la sienne. Elle était triste pour lui. Il ne semblait rien faire en dehors de l’école. Comme si, en rentrant, il s’éteignait et se rallumait à 8 heures 10, pour le début des cours.

La semaine dernière, il avait été incapable de dire comment il imaginait son futur. La semaine d’avant, c’était son passé qu’il ne savait pas analyser. « Rien ». Le mot comment à toutes leurs conversations. Eliott était une enveloppe vide.

Soudain, une phrase lui revint à l’esprit, sortie de nulle part : « A lotta people ain’t got passion ». Rod Stewart, 1980. Elle se faisait vieille.

« Mais si ! fit soudain Elisa, volontaire comme à son habitude. T’as forcément le cœur qui bat pour un truc, nan ?

- Ben nan.

- J’sais pas moi ! J’adore le violon, c’est le truc qui me fait vibrer même les tripes. Quand j’en entends ou quand j’en joue, j’ai des frissons ! T’as pas ça ?

- Le seul truc qui fait ‘vibrer mes tripes’ ou avoir des frissons, c’est la gastro. 

- Et, tenta la prof de revenir à une conversation plus neutre, tu as déjà essayé d’aller à un cours de musique pour voir si tu ressens quelque chose ?

- Nan. Mon père dit que c’est dangereux.

- Dangereux ?

- Il dit que c’est ce qui a poussé les allemands à voter pour Hitler, qui parlait passionnément. »

Elle était sidérée. Elle n’était apparemment pas la seule. Dans la classe, des rires nerveux et gênés se faisaient entendre. Eliott n’avait pas tort, enfin son père n’avait pas tort. Mais c’était extrême.

« D’accord, Eliott, je vois. Alors, je te propose qu’à la place de tes passions, tu mettes tes intérêts personnels. »

La professeure principale avait tenté un tour de passe-passe et priait intérieurement pour qu’Eliott ne relève pas une définition douteuse « d’intérêts personnels ». Il fit une moue, réfléchit profondément et lança à la hâte :

« Ouais, j’vois.

- Tu comptes mettre quoi ?

- Elisa. »

La concernée faillit s’étouffer avec sa propre salive et la professeure eut un petit sourire. Finalement, Eliott restait un adolescent comme les autres. L’amour était le seul intérêt, la seule passion qui lui donnait une raison d’être.

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