Une histoire de sorcières

Chapitre 9

1960 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/06/2019 16:24

Chapitre 9


Parmi les innombrables livres constituant la bibliothèque de sa tante, Lysandra avait opté pour “Histoires en forme de dialogues sérieux, de trois philosophes”. Véritable mine d’or sur l’évolution du monde des sorciers depuis des centaines d’années, il retraçait leurs histoires du point de vue de trois éminents magiciens. Selon eux, le monde de la magie tel qu’on le connaît est apparu suite à l’Inquisition. À l’origine, les sorciers vivaient avec les humains. Aucune communauté de sorciers n’existait à cette époque, très peu se connaissaient d’une bourgade à l’autre. Ils vivaient dans l’anonymat et embrassaient souvent la carrière de guérisseur. Parce que la nature ne représentait pas un inconnu pour eux, la majorité d’entre eux occupait une place centrale au sein des villages.


Mais l’Inquisition a bouleversé ce monde. Pour se protéger, les sorciers survivants se regroupèrent dans des zones reculées, loin de leurs meurtriers. La peur de vivre à nouveau une vague de crime les poussa à créer un conseil des sorciers. Au-delà de les protéger, il devait aussi les regrouper autour d’une même communauté pour augmenter leurs forces. L’Organisation était alors née, prenant la forme d’un ordre mondial contrôlant le monde des sorciers.


- La bibliothèque de Flanna est ancienne. Si tu cherches des livres plus récents, rends-toi à celle de l’université. »


Une voix masculine coupa la jeune femme dans sa lecture. Aussitôt, Lysandra se retourna pour découvrir le sorcier qu’elle méprisait le plus se tenir derrière elle. Préférant ignorer le jeune homme plutôt que de lui sauter au cou, Lysandra continua sa lecture sans lui prêter attention. Sans prendre en considération la dangerosité de la jeune femme lorsqu’elle est en colère, le bûcheron se rapprocha d’elle afin de percevoir la lecture de la sorcière. Un souffle chaud vint balayer une mèche de Lysandra. Le visage d’Erkan était à côté d’elle, elle pouvait humer son haleine qui sentait le café du matin. Une vague de chaleur emplit la jeune femme qui se sentit rougir. Elle devait s’éloigner de lui, mais elle ne pouvait pas montrer une once de faiblesse à cet être abject. Erkan soupira avant de prendre le livre des mains de la jeune femme. Lysandra se retourna vivement pour protester, mais le bûcheron la coupa dans sa lancée.


- Ce vieux bouquin raconte d’anciennes histoires. Si tu veux en apprendre plus sur le monde des sorciers, lis au moins les bons livres. »


- Comme tu as l’air d’en savoir plus, raconte-moi. » Répondit Lysandra en tendant la main pour essayer de récupérer son livre, sans succès. Erkan était plus rapide qu’elle.


- L’Organisation est un organe créé par trois familles de sorciers qui survécurent à l’Inquisition. Un membre de chacune de ces familles siégeait au haut conseil, l’organe de décision. Il y a vingt-trois ans, la dernière héritière d’une de ces familles décéda, laissant un siège libre. Une lutte acharnée commença alors entre les plus grandes familles de sorciers pour remporter cette troisième place au haut conseil. Après dix années de guerre dans le monde des sorciers, la famille Haddad réussit à obtenir un second siège au sein du haut conseil, lui conférant un pouvoir absolu sur l’Organisation et le monde des sorciers. Auparavant, la doctrine de l’Organisation consistait à protéger les sorciers, mais la famille Haddad a changé cette prérogative. Aujourd’hui, le haut conseil chasse les êtres magiques mettant en danger l’anonymat des sorciers. Les sorciers comme toi. »


- Oh. » Répondit seulement Lysandra qui venait de comprendre l’allusion de Keren. Pourquoi ce crétin ne lui avait pas dit clairement les risques qu’elle encourait ?


- On dirait que tu commences à comprendre... Mais ce n’est pas de ta faute. Ton ignorance n’a d’égale que la bêtise de ta mère qui, en t’empêchant d’accéder à une éducation de qualité, t’a condamné... »


- Comment oses-tu parler de cette manière de ma mère ? » S’exclama Lysandra avant d’attraper, dans un mouvement, la chemise à carreau bleu d’Erkan. « Elle ne voulait pas que nous grandissions en nourrissant une haine contre les êtres humains ! Elle nous a offert la possibilité de choisir notre voix sans avoir à prendre en compte le monde des sorciers et ses règles nauséabondes ! »


- Quel succès. Ton frère fait partis des meilleurs de sa classe à l’école des sorciers et toi, tu te ridiculises chaque jour par ton incompétence et ton isolement. Ne te fais pas d’illusion, Keren cherche juste à te mettre dans son lit. Dès qu’il y arrivera, tu ne seras qu’une conquête de plus et il arrêtera de t’aider. »  


Pour la première fois depuis sa naissance, Lysandra venait d’être mouché et cette situation ne lui plaisait guère. Le sourire narquois du bûcheron ne cessait de s’aiguiser à mesure que la jeune femme restait silencieuse. Elle ne savait que répondre à cet être abject qui se nourrissait du désespoir des autres. Mais, peu à peu, l’attitude d’Erkan à son égard lui rappela d’anciens souvenirs. Elle-même s’était comportait à de nombreuses reprises comme lui, envers des humains qui cherchaient à la connaître. Ce n’était rien d’autre qu’un mécanisme de défense pour empêcher quiconque de s’approcher. Sur ces réflexions, Lysandra se laissa tomber sur le canapé avant de prendre un autre livre d’histoire qu’elle avait posé sur la table basse.


- Va chercher ce que tu voulais. » Dit-elle simplement. Il s’exécuta aussitôt, ne cherchant pas à obtenir plus de la jeune femme.


Alors que la porte d’entrée de l’appartement de sa tante claqua, Lysandra laissa échapper un soupir. Quelque chose en elle venait de se briser. Depuis son enfance, la jeune femme s’était évertuée à éloigner toute personne souhaitant entrer dans sa vie. Parce qu’elle était incapable de contrôler ses émotions, elle avait appris à toutes les réfréner par peur qu’un étranger ne bouleverse sa vie. Les personnes qu’elle avait côtoyées auparavant étaient plus des faire valoir que de véritables amis. Jamais, elle n’avait pas réussi à tisser des liens d’amitié ou d’amour avec quelqu’un d’étranger à sa famille. Mais aujourd’hui, le décès de sa mère avait plongé la jeune femme dans une solitude encore inédite. La perte de contrôle de ses pouvoirs, mais aussi la perte de tutelle de son petit frère bouleversé chaque jour de plus en plus Lysandra. Devenue cheffe de famille, elle avait besoin de quelqu’un sur qui se reposer.


Encore dans ses réflexions, la jeune femme s’attarda sur le paysage brumeux qui s’offrait à elle. C’était une journée comme sa mère les adorait. Elle aurait profité de l’humidité ambiante pour s’occuper de ses plantes avant de préparer une soupe pour ses enfants. L’odeur aurait empli la petite maison de campagne, poussant les deux garnements à se diriger vers la cuisine pour passait du temps avec leur mère. Mais c’était une autre époque dans un autre endroit et plus jamais elle ne pourrait revivre cela. À cette pensée, Lysandra secoua sa tête comme pour faire s’éloigner ces sombres idées. Bien que sa vie ait changé, cela ne signifiait en aucun cas qu’elle devait abandonner. Elle avait un plan et pour cela, elle devait tenir plusieurs années dans cette ville. Elle devait reprendre à tout prix sa vie en main.  


En ce début d’après-midi, " Au Sortiriarus heureux” n’accueillait que quelques sorciers venus profiter du calme. Certains lisaient des livres tout en sirotant un cocktail frais, tandis que d’autres se perdaient dans leurs pensées, aidait par la musique calme jouait par l’orchestre d’instruments. Erkan se trouvait au bar, il préparait une boisson tandis qu’un torchon s’activait à nettoyer des tasses dans le lavabo. Il ne daigna ni lever les yeux, ni adresser la parole à la jeune femme lorsqu’elle pénétra dans le bistrot de sa tante. Lysandra l’imita et se dirigea directement vers la personne qui était à l’origine de sa venue aujourd’hui.


Sa tante était en pleine discussion avec l’un de ses clients. Agé d’une cinquantaine d’année, il portait un chapeau melon et sa moustache lui conférait un air d’acteur des années 50. Il semblait boire les paroles de Flanna qui, pour la première fois depuis qu’elle la connaissait, affichait un air préoccupé. Occupée à sa conversation, la gérante ne distingua sa nièce qu’après que cette dernière n’est incendiée un de ses clients pour l’avoir frôlé. Dès qu’elle l’aperçut, sa mine préoccupée disparu pour laisser place à un large sourire. Flanna se leva pour embrasser sa nièce qui ne l’accueillit pas avec autant d’entrain. Après avoir reçu une tape sur l’épaule, la gérante l’invita à la suivre dans son bureau. La venue de la jeune femme dans son établissement piqué la curiosité de Flanna.


- Que se passe-t-il ? » S'empressa-t-elle de demander après avoir fermé la porte de son bureau.


- Je me demandais si ta proposition tenait toujours. »


- Bien sûr ! » Sourit-elle à pleine dent. « Laisse-moi le temps de rédiger ton contrat et présente toi demain à 15 heures, sans faute. »


Dès que la porte se ferma, Flanna ne put s’empêcher de sauter de joie. Sans objectivité, elle s’extasia plusieurs minutes sur ses qualités de tante qu’elle jugeait parfaite. Sa nièce semblait enfin vouloir vivre parmi ses semblables. Elle avait démissionné de son emploi d’hôtesse de caisse dans un commerce pour humain pour venir travailler dans un haut lieu de la magie. Peu à peu, Lysandra changeait et la gérante était prête à l’aider à découvrir le véritable monde des sorciers.


- Tu penses qu’elle pourrait nous rejoindre ? » L’homme au chapeau melon pénétra dans le bureau de Flanna peu après le départ de l'intéressée.


- Laissons-lui du temps, elle commence à s’ouvrir à la magie. Bientôt, elle comprendra où est son véritable intérêt. » Répondit Flanna dont l’expression du visage s’assombrit.

- Tu es consciente qu’Isleen n'aurait jamais voulu cela. C’était contraire à ses croyances les plus profondes. »


- Elle n’avait aucune idée de ce qui était bon ou pas pour elle... Et puis regarde où l’a mené cette quête pour rapprocher humain et sorcier. »


- Bien, c’est toi qui décides. Tâche de ne pas oublier qui est sa mère. Je n’ose même pas imaginer ce dont elle serait capable si elle finissait par se rendre compte que... »


- Rien. Il n’y a rien à dire, rien à découvrir. » Coupa sèchement Flanna. « Isleen s’est elle-même tiré une balle dans le pied. Nous n’étions pas au courant et n’avons rien avoir avec le meurtre de ma sœur. »


Laisser un commentaire ?