Dreamland - Le voyageur qui ne voulait plus dormir
Je regarde par la fenêtre du bus, le regard perdu dans le vide, en attendant impatiemment d’arriver à destination et de retrouver mon ami. C’est alors que je ferme les yeux et me rappelle la nuit que je viens de passer à Dreamland avec mes amis.
A Dreamland, cette nuit-là
- Bon, dit Ève. Eh bien au moins, le bac, s’est terminé pour tout le monde, c’est déjà ça.
Je pousse un grognement de mécontentent.
- Hey, me répond-elle, je suis désolé Terrence, mais je n’y suis pour rien, moi, si tu n’as pas réussi à décrocher ton bac.
Sabba se tourne vers moi.
- Alors ça y est ? Ils ont donné les résultats du rattrapage ?
- Oui, répondis-je. Je l’ai raté.
- Oh… Pôv’vieux.
- Mouais, me réponds Savane.
Cette affaire à l’air de l’agacer et il m’en parle avec dédain.
- Moi, je n’ai pas eu mon bac et pourtant, j’en fais pas tout un plat.
- Remarque très pertinente de la part d’un mec qui n’a même pas fini le lycée.
- La ferme !
- T’étais allé au lycée ? demande Sabba.
- Non mais ça va, oh ! Arrêtez de croire que je suis un primipif.
- Tu vis quand-même dans une caravane, dis-je.
- Et tu ne prononces pas le mot primitif correctement, ajouta Sabba.
- La ferme !
- On se calme, les garçons, demanda Ève. Pour une fois qu’on passe la nuit dans un endroit tranquille, on va peut-être éviter de se prendre la tête, vous ne croyez pas ?
Savane pousse à son tour un grognement de mécontentement puis jette l’éponge. Quant à moi, je regarde autour et profite de la tranquillité de l’endroit où nous nous trouvons.
Nous sommes en train de nous promener dans une forêt dont les arbres sont garnis de feuilles multicolores. Les animaux sont craintifs mais ils approchent quand même pour nous observer (tout en restant à une distance raisonnable, de peur que nous ne les attrapions) et nous suivons un sentier censé nous conduire au bord d'une falaise d’où nous devrions avoir une vue imprenable sur la vallée qu’elle surplombe.
Ève se tourne vers-moi.
- Au moins, tu vas maintenant profiter d’être avec Lydia.
- Oui mais je vais devoir attendre encore un petit peu parce que je ne vais pas tarder à m’absenter.
- Ah oui, dit Savane. Cette histoire de voyage.
- Tu pars quelque part ? demande Sabba.
- Je ne vous en ai pas parlé ?
- Tu me l‘as dit à moi, réponds Savane, mais le reste du groupe n’étais pas là.
- Ah oui, c’est vrai.
- C’est vrai que Lydia m’en avait touché un mot, dit Ève, mais j’attendais de te voir pour te demander plus de précisions.
- Eh bien en fait, je monte sur Tours pour aller voir un vieil ami à moi qui s’appelle Arnaud.
- Ah ? dit Sabba.
- Arnaud et moi, on s’est rencontré quand on était à l’école primaire. C’était le CP, j’avais peur et lui, il est venu vers moi et il m’a parlé. Il était aussi effrayé que moi et il voulait être mon ami parce qu’il disait que c’était moins effrayant d’avoir un ami avec soi plutôt que d’être tout seul. Il a été avec moi comme il aurait voulu qu’on soit avec lui. Il est comme ça, Arnaud.
- Hey, c’est adorable, dit Sabba.
- Ouais, le garçon le plus bienveillant que je connaisse. Nos parents se sont rencontrés grâce à nous et ils sont devenus amis, ce qui a multiplié les moments que j’ai passé avec Arnaud.
- C’était avant la mort de ta mère, du coup ? me demanda Ève.
-… Oui.
- Oh, pardon Terrence. Je ne voulais pas…
- Non, ça va… Ce n’est pas ta faute si repenser à cet accident m’affecte. Ma mère est morte dans un incendie, c’est un fait, et je ne vais pas vivre en faisant semblant d’ignorer ce qui s’est passé.
J’ai beau avoir surmonté ma phobie du feu, je continue de ressentir une haine farouche à l’égard de cet élément qui m’a pris l’être qui m’était le plus cher.
- Donc, je disais qu’Arnaud était devenu mon meilleur ami et puis un jour, j’ai cessé de parler avec lui.
- Pourquoi ? me demande Ève.
- A cause, justement, de la mort de ma mère. J’avais sept ans, Arnaud et moi nous connaissions depuis plus d’un an et une nuit, mon immeuble a pris feu à cause d’un défaut de l’installation du réseau électrique. J’y ai perdu ma mère et je suis resté traumatisé par cet événement. Je me suis mis à avoir peur du feu et à m’isoler des autres. Je ne parlais plus, je ne souriais plus, et petit à petit, les autres ont commencé à me laisser seul. Je me rappelle qu’une fois, Arnaud, conscient de mon état, était venu vers moi avec un ballon et m’avait demandé si je voulais jouer avec lui. Je lui ai répondu que je ne voulais plus jouer au ballon et je suis parti.
- Aouch, dit Sabba.
- Je n’oublierais jamais ce qui s’est passé après : la semaine suivante, nous étions parmi les enfants qui allaient rester à l’étude jusqu’à 18h00 et donc, juste après la fin de l’école, nous disposions d’une pause pour prendre notre goûter et jouer dans la cour de récréation. J’étais assis dans mon coin et Arnaud est venu s’asseoir à côté de moi. Il a ouvert sa boite à pique-nique et il en a sorti un cookie qu’il m’a donné.
Ce jour-là, dans la cour de récréation
Arnaud, plein de compassion, tendit un cookie à Terrence.
- Tiens, dit-il.
Terrence pris le cookie sans savoir quoi dire. Arnaud regarda ensuite sa boite, pleine de cookies.
- Ma maman les prépare elle-même.
- Mmh mmh…
- J’ai pleuré quand j’ai appris la mort de ta maman, Terrence. Mais je crois que ma mère a encore plus pleuré que moi. Récemment, je lui ai dit que j’avais peur qu’il ne lui arrive pareil et elle m’a promis qu’elle allait tout faire pour que ça n’arrive pas et qu’elle veillera toujours sur moi. Je ne sais pas si c’est possible, mais ça m’a quand-même un petit peu rassuré.
-…
- Et aujourd’hui, elle m’a fait des cookies. Elle les fait drôlement bien, ma maman. Et ils sont très bons !
-… Oui, c’est vrai.
- Mais, quand je les ai reçus, je me suis dit que si ma maman n’était plus là, je n’aurais plus ses cookies et je me suis dit que si ça arrivait, ce qui me manquerait le plus ne serait pas les cookies mais ma maman.
-… Oui.
Terrence remarqua soudain qu’Arnaud commençait à trembler et à pleurer.
- Alors… Je me suis dit que si tu ne pouvais plus avoir ta maman, au moins, tu pouvais avoir les cookies. Alors… Alors sache que tu peux tous les prendre ! Je te donnerais tous les cookies du monde si tu veux parce que moi, je préfèrerais renoncer aux cookies plutôt qu’à ma maman.
Terrence fondit en larme et Arnaud et lui pleurèrent ensemble.
A Dreamland, de retour au présent
Sabba fond en larme en entendant mon histoire.
- J’ai petit à petit recommencé à vivre et mon amitié avec Arnaud est redevenue comme avant. Au fil des ans, nous avons continué à être dans la même classe puis, au terme de notre année de sixième, les parents d’Arnaud ont déménagé pour des raisons professionnelles. On s’est quitté et cela a été dur mais nous sommes restés en contact : on s’envoie des cartes de temps en temps et chaque année, je monte passer quelques jours chez-lui au début de l’été et lui descend en passer quelques-uns chez-moi à la fin des vacances.
- Je comprends mieux, maintenant, me dit Ève. Et il fait quoi, comme études ?
- Eh bien… J’ai récemment appris qu’il avait obtenu son bac et qu’il était reçu dans l’école d’animation qui l’intéressait. Il va réaliser des films d’animation.
- Oh, c’est cool. Mais, euh… Comment tu te sens ? Arnaud a quand même réussi sa terminale tandis que toi, tu viens d’échouer aux rattrapages. T’as pas mal boudé ces derniers temps alors j’espère quand-même que tu ne vas pas ruiner l’ambiance.
- Surtout si on prend pour exemple la soirée à la plage où t’as déclenché une bagarre avec ce gros bouffon de Sealvia, ajoute Savane.
- Et que tu t’es fait défoncer ! s’exclame Sabba.
- Ouais bah toi, Sabba, tu peux parler ! lui dis-je. Tu t’es jeté dans la bagarre pour me prêter main-forte et tu t’es fait dérouiller toi aussi.
- Mais euh !
- Tout ça pour dire, conclue Ève, que ton ami a beau être patient, t’aurais tort d’en profiter.
- Vous inquiétez pas, ça va bien se passer !
Nous arrivâmes alors à l’endroit recherché et contemplions la vue.
- Ouais… répétais-je, ça va bien se passer.
De retour au présent, dans le bus
Le bus ralenti et j’entends le chauffeur faire une annonce.
« Chers passagers, votre bus va s’arrêter à la gare de Tours. Nous invitons nos aimables voyageurs qui descendent à cet arrêt de bien vérifier d’avoir pris tous leurs sacs et effets personnels avant de quitter le véhicule. »
C’est mon arrêt. Je me prépare et vérifie plusieurs fois de n’avoir rien oublié, me rappelant qu’une fois, j’avais eu la flemme de m’assurer que j’avais bien toutes mes affaires et du coup, j’avais oublié un de mes sacs.
Je descendis donc du bus puis cherchais mon ami des yeux. Les parents d’Arnaud allaient être absents pendant la première moitié du séjour que j’allais passer ici. Du coup, c’est lui qui venait me chercher et on allait avoir la maison pour nous tous seuls.
- Arnaud ? appelais-je. Arnaud, tu es là ?
C’est alors que j’aperçus un garçon un petit peu plus loin faisant les cents pas, un casque sur les oreilles et une boisson énergisante à la main. Je reconnu celui que je cherchais.
- Arnaud ? dis-je en m’approchant.
- Terrence ! Comme je suis content de te voir, dit-il en me prenant dans les bras.
J’étais très surpris. Arnaud n’était non seulement pas le genre de personne à avoir ce genre d’attitude mais en plus, il avait l’air d’être malade : ces joues étaient creuses, son teint pâle et il avait des cernes sous les yeux.
- Tu as fait bon voyage ?
- Euh… Oui, ça s’est bien passé.
- C’est cool.
Il me prit une partie de mes sacs et nous marchâmes jusqu’à chez lui. J’en profitais alors pour lui raconter la riche année que je venais de vivre.
-… Et donc, Savane me paraissait être un voyou, mais en fait, c’était un type bien. Et puis Sabba, qu’est-ce qu’il est mauvais en informatique. Je te jure ! Je te raconterai une mésaventure qui lui est arrivée une fois où il faisait la fête avec des potes, tu vas voir, c’est à tomber ! Et puis il y a Ève, la meilleure amie de Lydia avec qui je suis ami, maintenant. Ah mais j’y pense ! Tu te souviens de Lydia ? Cette fille qu’on a rencontré en sixième et qui occupe mes pensées depuis ? Eh bien ça y est ! On est enfin ensemble ! Et je suis super heureux ! Elle me plait vraiment, cette fille et, euh…
Arnaud regardait droit devant lui et semblait ailleurs, concentré sur autre chose que ce que je disais.
- Euh… Arnaud ? Tu m’écoutes ?
- Hein… Euh, pardon, excuse-moi. Je… J’ai dû avoir une absence… Qui est en couple avec qui déjà ?
- Euh… Moi avec Ève.
- Ah oui ? Ah, c’est cool. C’est très bien mon vieux, je suis très content pour toi. Tu le mérites !
- Non Arnaud ! Je suis en couple avec Lydia !
- Bah ? On est bien en train de parler de Lydia, non ? La fille qui est pote avec le gars qui aime bien les ordinateurs. Et sinon ? C’est qui qui est allé dans la savane ?
- Euh… Laisse tomber. Je te raconterai tout ça plus tard.
En arrivant chez-lui, Arnaud sorti les clés de sa poche, eu du mal à les mettre dans la serrure et les fit tomber.
- Oh, merde ! s’exclama-t-il, exaspéré.
Il se pencha pour les récupérer mais semblait avoir du mal à les saisir.
- Je peux t’aider, si tu veux.
- Non, je peux me débrouiller ! Arrête de me prendre pour un bébé !
Je m’écartais, craignant un mouvement d’humeur. Arnaud récupéra les clés et parvint finalement à ouvrir la porte. Nous entrâmes et il me proposa de commencer par préparer mon lit. Nous nous rendîmes donc dans sa chambre et commençâmes le travail. Arnaud avait l‘air de s’appliquer mais je vis qu’il se frottait souvent les yeux.
- Euh… Au fait, j’ai appris que tu avais obtenu ton bac et que tu allais aller dans l’école qui te plaisait. Félicitations.
- Merci Terrence, me dit-il en essayant de sourire. J’ai appris que toi, par contre, tu allais devoir faire une deuxième terminale… Comment tu le prends.
- Ça me gave. Crois-moi, ça me gave. Mais j’ai pris sur moi et depuis, j’arrive un petit peu mieux à relativiser. Tu sais, j’ai récemment croisé la route d’une fille en fauteuil roulant qui avait un sourire rayonnant. C’était la deuxième fois que je la voyais et la première fois que je lui parlais.
- Ah oui ?
- Oui. Et à chaque fois, cela m’a aidé à relativiser : les problèmes auxquels j’étais confronté n’étaient pas si importants par rapport au sien. Le bac, par exemple, eh bien je pourrais l‘avoir l’année prochaine alors qu’elle, elle ne peut pas remarcher. Mon problème n’est que temporaire alors que le sien est définitif. Par conséquent, si elle, elle arrive à sourire, alors moi, je n’ai pas de raisons de faire la gueule.
- Je vois.
Arnaud détourna le regard.
- C’est toujours plus facile quand ce n’est pas définitif…
Puis il s’absenta pour aller se rincer le visage. Je vins le retrouver dans la salle de bain.
- Il y a quelque chose qui ne va pas ?
Arnaud ne se regarda pas dans la glace. Il garda le visage plongé vers le lavabo. Quelque chose le contrariait.
- C’est… C’est mes potes, Terrence.
- Hm ?
- Mes… Mes parents m’avaient mis de l’argent de côté pour que je puisse partir en vacances avec mes amis cet été. J’en ai parlé avec eux et ils m’ont dit qu’une fois les examens terminés, on partirait tous ensemble. On avait mis au point un circuit avec des tas de choses à aller voir et, arrivé-là, ils ont coupé contact avec moi !
- Sérieux ?
- Oui. J’ai eu mon bac, les autres aussi, et quand je les ai recontacté pour effectuer les réservations, plus personne ne répondait. Et quand j’ai eu des nouvelles, c’était parce qu’un tel postait sur internet une vidéo de lui, en boite à Marseille, ou qu’un autre disait sur les réseaux sociaux que sa copine et lui étaient partis en Belgique… Ils… Ils m’ont laissé tout seul ! On va changer de villes, à la rentrée. On ne se reverra peut-être plus et au lieu de vouloir profiter du temps qui nous reste ensemble, où même de tout simplement se montrer honnêtes avec moi, ils me font de fausses promesses, me mentent en me regardant droit dans les yeux, tout ça pour retourner leurs vestes à la fin ! Alors, ça va que je n’ai pas effectuer les réservations mais ça m’a bousillé tous mes projets !
- Oh… Je suis désolé. Je ne savais pas.
- Ce… Ce n’est pas grave. Tu n’as rien à voir là-dedans. C’est juste que… C’est juste que ça m’a contrarié.
- D’accord. Mais au moins, dis-toi que moi, je suis là.
Arnaud me sourit. Son moral semble être un petit peu remonté.
- Merci Terrence. Bon, dit-il en se tapant dans les mains. Me rincer le visage m’a aidé à me réveiller. On va pouvoir finir ton lit et après, je serais mieux disposé à t’écouter me raconter ce qui t’est arrivé cette année.
Arnaud et moi discutâmes pendant une partie de l’après-midi puis, alors que je le laissais dans son canapé, j’eu juste le temps d’aller me chercher un truc à boire qu’il s’était endormi. Comme il avait l’air fatigué, je décidai de le laisser se reposer mais quand il se réveilla, il sembla angoissé.
- Hein ? Oh, mince… Je dors depuis combien de temps ?
- Depuis un peu moins d’une heure, je dirais.
- Mince… Il ne faut pas que ça se reproduise ! se dit-il. Euh… Il se fait un petit peu tard, Terrence. Et si on dinait ? Je nous commande des pizzas et on se pose devant un film.
- Cool, dis-je ravi.
Mais la soirée s’avéra moins agréable que prévu. Arnaud avait les yeux rivés sur l’écran et c’est à peine s’il les clignait. En plus, il buvait beaucoup de Coca-Cola.
- Fait gaffe, mec. Il y a de la caféine, dedans.
- Je sais.
Puis, je finis par m’endormir et retrouvais mes amis à Dreamland.
- Tiens ? Terrence, contents de te voir, me dit Ève.
- Salut les amis.
Savane me tapa dans la main.
- Alors ? me demanda-t-il. Comment il va ton pote ?
- Bah… Pas si bien que ça. Ces copains n’ont pas été cools avec lui.
Sabba me mis la main sur l’épaule.
- Ah oui ?
Je leur expliquais ce qu’Arnaud m’avait raconté.
- En effet, me dit Ève. Avec des amis comme ça, tu n’as pas besoin d’ennemis.
- Bah, c’est ce qui se passe quand on donne tous ses cookies aux autres plutôt que de les distribuer en fonction du mérite de chacun, répondit Savane.
- T’es dur, dit Sabba.
- Bah, c’est la vérité ! Pourquoi tu crois que moi, je garde toujours tout pour moi ? Je sais très bien que t’en ressors juste blessé, quand tu donnes aux autres. C’est pour ça que moi, je prends et je ne donne rien en retour.
- Est-ce que ça aurait quelque chose à voir avec le fait que tu n’es qu’un gros macho qui collectionne les filles au lieu de vraiment s’intéresser à elles ? lui demande Ève.
- Ecoutez, interrompais-je, vous réglerez les histoires de Savane plus tard mais pour l’instant je m’inquiète pour Arnaud. Je comprends qu’il n’ait pas le moral mais là, il y a quelque chose qui cloche !
- Comment-ça ?
- Il a mauvaise mine, des absences, des mouvements d’humeur… Il dort debout et je n’ai pas l’impression que ce soit à cause des mêmes raisons…
- Eh bien… évoque Sabba. Peut-être qu’il…
« Pouf »
Je me réveille dans le canapé. Je suis tombé sur le côté et me suis réveillé en me redressant. Arnaud est dans la même position que tout à l’heure. Je regarde l’écran.
- C’est toujours le même film ?
- Hein ? Non, j’en ai mis un autre.
Arnaud semble totalement absorbé par l’écran. Il ouvre une autre canette de Coca.
- Je… Euh… Je vais aller me coucher.
- D’accord, dit-il sans me regarder. Je te rejoins plus tard.
Arnaud me cache quelque chose.
Le lendemain, je descends vers dix heure pour prendre mon petit déjeuner. Arnaud est dans la cuisine, en train de se servir du café.
- Bonjour, me dit-il.
- Bonjour, répondis-je surpris. Tu t’es levé tôt, dis-moi.
- Hm ? Euh… En fait, je ne me suis pas couché.
- Sérieux ?
La main d’Arnaud tremble, si bien qu’il a besoin d’utiliser la deuxième pour pouvoir boire son café, tout juste servi. Il le boit en faisant la grimace.
- Tu n’aimes pas ça ?
- Il est serré… me dit-il, dégoûté, avant de se forcer à le finir et à en prendre une deuxième tasse.
- Euh… Arnaud…
- Je te laisse te servir. J’ai promis à mon père d’arroser ses plantes et il doit surement y avoir du courrier dans la boite aux lettres.
Puis il s’en va, me laissant seul. C’est alors que le téléphone se mis à sonner. Soulagé d’avoir une échappatoire, je répondis machinalement.
- Allo ?
- Euh… Terrence ?
- Stéphanie ?
C’était la mère d’Arnaud.
- Bonjour mon grand. Comment tu vas ?
- Je vais bien, je te remercie. Je suis arrivé hier.
- Tant mieux. Arnaud est là ?
- Arnaud ? Il vient de sortir dans le jardin. Tu veux que j’aille le chercher ?
- Euh… Non. Justement, cela m’arrange que je sois tombée sur toi. Est-ce qu’Arnaud va bien ?
- Eh bien… Il m’a expliqué qu’il était contrarié depuis que ses amis l’avaient laissé tomber.
- Hm… Rien d’autres ?
- Euh… Peut-être que si mais je n’en suis pas sûr…
- Hm… Terrence, si tu l’acceptes, j’ai besoin que tu m’aides.
- Qu’est-ce qui se passe ?
- Arnaud s’empêche de dormir. Cela a commencé après qu’il ait obtenu son bac et à peu près au moment où ses amis l’ont abandonné. On ne s’en est rendu compte qu’un petit peu avant de partir, ce qui fait que l’on n’a pas pu intervenir mais quand nous avons essayé d’en parler avec lui, il s’est mis en colère.
- Quoi ?
- Il nous a rejetés. Il nous a dit que son père et moi ne comprendrions pas, que cela n’avait rien à voir avec ses copains et que nous n’avions pas à nous mêler de ses affaires.
- C’est bizarre… Il n’a jamais de secrets pour personne.
- Il semble ne pas nous faire suffisamment confiance pour nous en parler mais toi, Terrence, tu es son ami et en plus, vous avez le même âge. Peut-être auras-tu plus de résultats que nous…
- Je vais essayer.
- Je sais que je t’en demande beaucoup mais je suis très inquiète : Arnaud met sa santé physique et mentale en danger en s’imposant une chose pareille et je veux régler le problème avant que son cas ne s’aggrave. Henri et moi venons de partir et je pense que ce ne serait pas une bonne idée de faire demi-tour mais si tu ne peux rien faire, nous revenons tous de suite.
- Ce… Ça va aller. Profitez de votre déplacement, je vais essayer de lui tirer les vers du nez.
- Merci mon grand garçon. Je vais raccrocher mais avant, j’aimerais que tu reprennes mon numéro pour pouvoir me recontacter.
- D’accord.
Je pris un papier et un crayon puis notais les coordonnées de Stéphanie avant de raccrocher, pile au moment où Arnaud rentrait.
- Qui c’était ?
- Ta mère.
- Ah.
- Elle m’a dit que tu t’empêchais de dormir. C’est vrai ?
- Qu’est-ce que ça peut te faire ?
- Ça fait que cela expliquerait tout, au sujet de tes absences, ton humeur, tes cernes…
Arnaud s’énerva.
- Mais de quoi je me mêle, à la fin ?! C’est moi que ça regarde !
- Arnaud… Ta mère s’inquiète. Ton père aussi. Et moi, je suis là depuis même pas vingt-quatre heures que je m’inquiète déjà…
- Oh mais c’est bon ! Foutez-moi la paix ! Qu’est-ce que vous avez tous à toujours être derrière mon cul ? J’ai pas le droit d’avoir un minimum de liberté ?!
- Je viens de dire à ta mère que j’allais t’aider !
- Oh ? Alors tu bosses pour ma mère, maintenant ? Madame va jusqu’à engager mes amis pour m’espionner ? Franchement, elle me saoule ! Elle me saoule, elle me saoule, ELLE ME SAOULE ! Même quand elle est pas là, faut forcément qu’elle continue à me casser les noix ! Je suis content d’avoir une mère, moi ! Toujours là pour s’immiscer dans ma vie privée ! Je regrette de ne pas être tout seul !
- ÇA SUFFIT ! m’écriais-je en tapant sur la table avec le plat de ma main.
Arnaud sursauta. Il venait de me fâcher.
- Je n’arrive pas à croire que le mec qui a pleuré ma mère puisse me dire des choses pareilles ! Tu veux que je te rappelle ce qui est arrivé à la mienne ?
- Mais… Mais je…
- T’as la chance d’avoir la tienne et en plus, elle se fait énormément de souci pour toi ce qui, figure-toi, est une belle preuve d’amour ! Tu n’as pas le droit de cracher sur la chance que tu as !
- Mais… Mais c’est que…
Arnaud fondit en larmes en s’écroulant dans un fauteuil.
- J’en peux plus ! J’en peux plus, j’en peux plus, j’en peux plus…
- Arnaud… Parle-moi. Dis-moi ce qui ne va pas.
Il releva la tête et renifla.
- Snif… D’accord.
Il me fit signe de le suivre et nous nous installâmes dans la cuisine, assis face à face, d’un bout à l’autre de la table.
- Terrence… On est amis depuis longtemps, tous les deux, pas vrai ?
- Oui.
Il soupira.
- Je ne vais pas te mentir mais peux-tu me promettre que tu m’écouteras jusqu’au bout sans me juger où me prendre pour un fou.
- Tu as ma parole.
- Alors voilà. Terrence, figure-toi qu’il existe un monde parallèle au nôtre qui s’appelle Dreamland. Les gens s’y rendent quand ils dorment et en oublient son existence quand ils se réveillent. Mais il existe une catégorie de gens qui ont conscience de Dreamland. Pour la plupart, ce sont des gens qui avaient une phobie et qui ont réussi à la surmonter lorsqu’ils y ont été confrontés à Dreamland. Depuis, ils disposent d’une sorte de super pouvoir en rapport avec ladite phobie et ils ont la capacité de voyager à travers Dreamland. On les appelle les « Voyageurs ».
« Il connaît Dreamland ? » me dis-je, stupéfait.
- Je suis conscient que cela puisse te paraître dingue, Terrence, mais ce que je te dis est la vérité et si je sais tout ça, c’est parce que… C’est parce que je suis un voyageur.
Je suis stupéfait.
- Tu avais une phobie ?
- Non… Ou du moins rien de très sérieux… Juste quelques peurs communes comme celle des femmes ou celle de l’inconnu… Je suis devenu voyageur il y a quelques mois d’une manière différente de l’accoutumée et c’est pour ça que je m’empêche de dormir, à présent.
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Terrence… Je m’empêche de dormir parce que je ne veux surtout pas retourner à Dreamaland.