Recueil de divagations

Après avoir écrit le monologue de l’une des deux femmes, l’intervenante nous a demandé de réaliser le même exercice... pour celle qui lui faisait face.

Cinq jours que je ne saigne pas. Cette fois, pas de doute : il a réussi.

J’ai pourtant fait tout mon possible pour éviter ça. Chaque fois que nous avons fini de faire l’amour – une fois par semaine, pendant cinq minutes, avec une régularité de métronome –, je me lève et vais jusqu’aux lieux d’aisance pour faire sortir autant que possible sa semence de mon corps. Heureusement qu’il n’y connaît rien en anatomie : il n’a jamais compris que c’était là la meilleure méthode de contraception à ma portée.

Au début, je me débattais. Je ne veux pas d’enfant ! Mais avec ses grosses mains rêches, il me maintenait en place et faisait son affaire. Une fois, j’ai tenté de fuir la chambre à coucher, mais il m’a poursuivie jusque dans le salon, son pantalon aux chevilles et son ceinturon à la main. Après cela, j’ai cessé de résister pour me contenter de vider autant de ses germes que je pouvais dans les cabinets.

Mais ça n’a pas suffi.

Alors, puisque nos maris sont assez riches pour avoir le téléphone, j’ai appelé ma sœur, mon point d’ancrage, ma bouée insubmersible, mon phare dans la nuit. Je lui ai dit que j’avais un problème. Et je l’ai laissée prendre les choses en main.

Elle m’a donné rendez-vous dans ce café, où nous avions l’habitude de venir avec les parents lorsque nous étions gamines. C’est notre refuge, en quelque sorte. Nos maris n’y ont évidemment jamais été conduits.

Et nous voici, attablées, à nous regarder sans rien dire. Elle, stoïque, prête à entendre n’importe quoi : “Maman est morte”, “Papa a la tuberculose”, “Je vais déménager”. N’importe quelle nouvelle, elle peut l’encaisser.

Et moi, les yeux humides, qui n’arrive pas à articuler un propos cohérent.

J’inspire profondément, je me calme, et je me lance :

— Je suis enceinte.