Emerald Tome 1: L'intégrité perdue.

Chapitre 2 : Serena

2816 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 07/07/2020 14:38

Chapitre 2: Serena



—« Elle était faite plus de marbre que de chair. Une main de grâce et une langue de vipère. Deux traits mal assortis qui hybridaient l'âme. Le tout saupoudré de doigts graisseux malgré les griffes qui en débordaient. Oh Rigov… »

—Il suffit Piecko ! Arrête de m'emplir l'ouïe de tes sornettes.

—Ce ne sont pas des sornettes Sir Patsuky. C'est…

—"L'apologie de Girov" ouais je sais, compléta-t-il d'une moue de lassitude imperceptible.

—Rigov Sir Patsu…

—Rigov ou Girov, c'est la même chose. Le plus important, c'est que toutes les lettres y soient. Le décalage importe peu. "Attache le chien" et "le chien, attache" reviennent au même.

—Sauf que, Sir…

—Combien de fois je t'ai dit ici de ne plus m'interrompre ?

—Mais… mais c'est vous qui m'interromp…

—Je t'ai déjà réprimandé de ne pas me contredire Piecko. Qu'un dire soit faux, tant qu'il émane de ma bouche, considère-le comme vrai et irrévocable. Je suis le dieu du nouveau monde.

Et Patsuky souligna ses mots d'une grimace d'hégémonie, planté dans une posture solennelle, les mains liées reposant sur son arrière-train. Tandis que les portes de l'ascenseur se refermaient sur eux, Piecko se retrancha dans un coin de la petite caisse métallique, convaincu de la stérilité d'une nouvelle insistance. Il savait que l'opiniâtreté de Patsuky était aussi ferme et tranchante qu'une épée d'acier genesis. Ce serait aussi sot que de forcer une muraille à coup de tête. Les deux compères restèrent muets dans l'effluve de sonorité grise répandue de la montée de l'ascenseur. Une poignée de temps s'écoula quand Patsuky trancha la toile que le silence tissait autour d'eux.

—Tu penses que cela suffira à dissuader l'ennemi ?

L'air hautain de Patsuky, s'était affaissé. Sa silhouette n'était plus qu'un enchevêtrement de chair blême et anxieux. Piecko haussa les sourcils et ajusta ses lunettes rebelles étincelantes en contrepoint de la pénombre. Il était plus vieux que Patsuky par deux âges, plus petit et rond de graisse. Ses cheveux l'avaient déserté. Soit parce qu'il les rasait ou que la vieillesse n'avait pas été tendre. Un clin sonore immobilisa l'engin et les portes les mirent à découvert. Patsuky enjamba la salle à l'instar de son interlocuteur. Un séjour luxueux pourvu d'un bureau garni de paperasses et d'un espace de détente se résumant à une disposition concise de meubles fortunés. Un écran était aménagé dans l'encadrement du mur en matière insoupçonnée. La croupe de la salle n'était qu'un revêtement de verre à la lisière duquel avait été érigé le bureau. Le trentenaire s'affala sur son grand fauteuil comme si écouter la comptine du vieux scientifique tout au long du trajet avait été éprouvant. C'était bien le cas. Piecko s'établit sur un siège en volte-face.

—Vous voulez parler de la campagne publicitaire ? Demanda celui-ci.

—Non, de mon oncle le paquet de Haribo.

Le vieux ne releva pas la pique. Le temps l'avait immunisé contre l'humeur maussade du jeune homme. Patsuky était un jeune prétentieux, hautain, sombre d'esprit avec des paroles aussi perçantes que des flèches. Il adorait faire valoir son statut de jeune frère de l'empereur. Mais il ne manquait pas de main affable malgré toutes ses imperfections. Au fond, c'était quelqu'un de bien et Piecko le savait. Ce dernier se contenta de glisser un sourire à la place de ce qui aurait pu être un éclair de rage.

—Nous n'aurons pas pu faire mieux. Le Souffle d'Archer est le plus puissant Android de guerre que puisse disposer un peuple. Et à voir les essais illustrés en campagne, aucun vaisseau de guerre n'oserait se risquer à sa portée. Répercuter ces images sur les six autres planètes a vraisemblablement épuisé nos télépathes. Une chose est certaine, tant qu'on aura cet Android en notre possession, nous ne risquons pas une attaque des autres planètes.

—J'aimerais en être aussi convaincu, murmura Patsuky.

—Vous n'avez pas à vous en faire. L'empereur peut se reposer sur son piédestal.

—Saya m'a informé que l'Android comporte des failles.

—Comme tout Android qui se respecte. Sauf qu'ici, ce n'est qu'une faille. La faille de tous les Androids de l'univers.

—L'onde de rang S je suppose.

—Exacte. Je suis flatté que vous maîtrisiez encore vos cours sur la technologie, se moqua Piecko.

—J'ai peut-être été cancre à l'époque où je fréquentais encore, mais par Fisco, je n'étais pas le plus cancre non plus, s'indigna le jeunot. Je puis même vous réciter tous mes cours d'histoire.

—Et vous ne vous souvenez pas de l'apologie de Rigov ?

Le vieux se racla la gorge et recommença à fredonner.

—« Elle était faite plus de marbre que de ch...

Cette fois, ce ne fut pas Patsuky qui l'interrompit, mais une puissante quinte de toux. Le vieux s'éclaircit un instant puis décida de recommencer, mais une nouvelle quinte de toux plus puissante que la précédente secoua ses entrailles.

—Attend ! Je vais te chercher de l'eau, dit Patsuky en se levant.

Il se dirigea vers la table du minuscule salon, servit de l'eau dans un verre. Mais dès qu'il se retourna, ce qu'il vit le parcourut d'un frisson tel que le verre d'eau lui échappa des doigts. Le son argenté du verre qui se brise sur le plancher et l'horreur qui s'offrait en pâture à ses yeux. Un fluide de liquide écarlate maculait les babines argentées de Piecko. Du sang ruisselait de sa gueule encore secouée de toux. Il se rua vers le vieux en agonie et le prit dans ses bras.

—Piecko, qu'est-ce qui ne va pas ?

—Je ne comprends pas, gloussa péniblement Piecko.

Bientôt, le sang se substitua à un coulis sombre bleuté. Son corps grelottait. Patsuky retroussa la manche du vieux et ce qu'il vit cette fois-ci l'emplit de frayeur. Les veines saillantes de Piecko réfractaient la couleur du coulis en travers de la peau et palpitaient comme un cœur.

—Un Agrippeur, geignit Patsuky.

Quand son regard incrédule croisa celui du vieux, il put y lire un voile de désespoir et de panique. Son premier réflexe fut une course jusqu'au mur de vitre. Il le percuta de toute sa force et passa de travers. Une géante explosion le suivit dans sa chute du quatre-vingts douzième étage, sectionnant le haut du grand immeuble à partir de son bureau. Il l'avait échappé de justesse. Mais avec quelques blessures, car le souffle de l'explosion avait logé les éclats de vitre dans son dos. C'était toujours mieux que de se faire calciner. Emprunter l'ascenseur aurait été fatal. Mais toujours est-il que sauter du quatre-vingts douzième étage était aussi suicidaire. Il aura réussi à retarder sa mort de quelques secondes car bientôt, il allait s'écraser au sol comme du beurre. Par chance, il se rattrapa à une saillie de barre qui soutenait la surface vitrée du gratte-ciel. Une couche ténébreuse l'enveloppa lorsque le haut scié du bâtiment se pencha sur sa misère. Des cris d'effroi des personnes piégées sur les huit étages du haut traversèrent les vitres et empalèrent l'atmosphère. La loi de la physique réclama son dû. Le pan céda complétement en un bruit de grincement de matière et échoua dans le vide de la brume grise de l'aube, emportant avec lui l'écho plaintif des infortunés.

Patsuky resta là, suspendu pendant un moment, l'esprit défait. L'effort ébréché de tremblotes desserrait graduellement l'étau qui le maintenait. Il ne s'en rendait même pas compte. Il était là sans être véritablement là, présent de corps, mais vide d'âme. Une balade risquée au pays des introspections spirituelles. Il revint à lui seulement lorsque ses dernières forces le trahirent, le plongeant dans la gueule du vide abyssal. Son être attiré vers le sol perçait la palette de brumes flottantes, prêt à se ramollir. Des spectres éoliens lui pénétraient les orbites et exhumaient ses larmes. Piecko était mort d'un Agrippeur. Et qui parle d'Aggripeur parle de sniper, car de base, l'Agrippeur était une balle tirée d'un fusil de précision. La balle capable de ressentir la chaleur corporelle de la cible à des centaines de mètres se démantelait instantanément en cours de route, rongée par le foyer de la particule incorporée. Cette substance invisible à l'œil nu est ainsi libérée dans l'air et achevait la trajectoire de la balle en s'infiltrant dans l'organisme de la cible par les pores cutanés. Un gène indécelable par le système immunitaire de la cible est libéré dans le sang. Il y avait deux sortes d'Agrippeur, l'Agrippeur explosif et l'Agrippeur silencieux. Le gène de l'Agrippeur explosif fusionne avec le génome de l'individu et y déverse l'information codée de la fabrication de milliers de particules explosives. La cible explosait de l'intérieur d'un feu d'artifice capable de raser les trente mètres de rayon. Le gène de l'Agrippeur silencieux produisait quant à lui des milliers de particules chargé de détruire l'organisme de l'intérieur. La victime meurt ainsi au bout d'un certain temps. Les symptômes sont quelque peu semblables sauf que dans le cas d'un Agrippeur explosif, les veines de la cible palpitaient comme un cœur. Et c'était le cas pour Piecko. Il était mort d'un Agrippeur explosif. Une foutue technologie recherchée qui a vu le jour chez les Nåmeless. Un excellent moyen d'opération pour les mercenaires. Si Patsuky n'avait pas sauté par les vitres à cet instant, s'en était fini de lui aussi.

Le sol n'était plus qu'à quelques mètres. Au bout de la mort, Patsuky se souvint qu'il était Serena et qu'en tant que tel, il avait la maîtrise du vent. Un moyen salvateur. Admettons-le, les choses subtiles nous échappent lors des moments d'angoisse. Et Patsuky n'y faisait pas exception. Un moment d'introspection suffisait à recouvrer ses moyens. Au dernier instant, le brun lâcha une compression d'air qui amortit sa chute. Il se réceptionna calmement sur ses pieds dans l'écume balotée de poussière qui avait suivit l'écrasement du haut décapité du gratte-ciel. Des flots roulants de sirènes lui parvinrent. La police était déjà là pour les rapports. Il suffoqua de toux un instant. Puis les silhouettes des médias crépitèrent à l'horizon dans le nuage de brouillard qui écourtait sa vue. Il essaya de les contourner, mais trop tard. Une rouquine le vit et se rua sur lui brandissant son micro, suivit d'un cameraman. Patsuky conclut qu'elle l'avait reconnu comme un survivant de l'attentat à allure défaite de ses vêtements et les tessons de verres qui lui criblaient le dos tacheté de sang.

—Sir Patsuky, pouvez-vous nous dire ce qui s'est passé ? Comment vous en êtes vous sorti ? Étiez vous avec quelqu'un au moment de l'explosion ?

—Laissez-moi en paix, maugréa-t-il d'un ton agacé !

Puis il se mit à courir sans issue dans la rue pour ne pas attirer d'autres charognards. Une puissante vague de toux s'échoua sur ses côtes. Il se recroquevilla et lâcha un juron de sang. Subtil comme une brise, il défit ses bouton et retroussa sa manche pour constater ce qu'il redoutait. Il avait été également touché par un Agrippeur. Ses veines s'étaient déjà noircies. Ses secondes sur terres étaient à présent comptées. Plus aucun doute, un sniper ou un mercenaire s'amusait à faire mouche dans les parages. Il venait d'être touché sinon il aurait déjà explosé depuis fort longtemps. Les Agrippeurs avaient une faille et Patsuky le connaissait. Se soumettre à une bonne dose d'électricité suffisait à annihiler leur effet dans l'organisme. Il l'avait appris à l'université. Il lui fallait trouver au plus vite une source d'énergie, une prise ou un fil qu'il pourrait défaire et se faire électrocuter. L'être humain est prêt à tout dans les moments désespérés. À présent, il n'était plus qu'une bombe humaine prêt à exploser. Lorsque son regard tomba sur un policier qui faisait la ronde, une idée émergea de ses pensées. Il se dirigea vers lui et lui cria.

—Eh ! Toi là-bas, passe moi ton taser, vite !

La sentinelle l'ayant reconnu s'empressa de s'exécuter.

—Que comptez-vous en faire Sir ?

—Ne me pose pas de question, lance-le moi vite !

Aussitôt dit, aussitôt fait. Il rattrapa l'arme en plein vol et se soumit à la supplice d'une électrocution sous le regard hébété du garde. Ses nerfs frémissaient de l'intérieur. Il s'affala sur le ventre, l'instant mu d'un spasme et sombra progressivement dans l'obscurité opaque de l'évanouissement pendant qu'une voix l'appelait. La voix du garde.

Dans son vaisseau de guerre qui traversait l'espace, l'empereur Seth était assis sur un grand fauteuil, une tasse de thé enrôlée dans ses mains gantées qu'il sirotait passionnément. L'enchanteresse Whitley se promenait devant lui nerveusement. Après une longue série de va-et-vient, elle s'arrêta et se tourna vers lui.

—N'est-ce pas une mauvaise idée que d'attaquer les Serena en premier maugréa celle-ci ?

—Tout ce que je fais est méthodique ma chère, répondit flegmatiquement l'empereur.

—Peut-être. Mais je pense toujours que nous devons faire demi-tour.

—Aurais-tu peur Whitley ?

—Non je ne dis pas ça. Mais je pense que ce sont les Serena que nous devons attaquer en dernier. Nous ne pouvons risquer nos vaisseaux à la portée du Souffle d'Archer. C'est un suicide sans les autres Emeralds. On aurait pu commencer par les Don, les Genesis ou même les Nåmeless, je sais pas moi. Juste le temps de rassembler les pierres pouvant nous permettre d'affronter ce puissant Android du docteur Piecko. Avec les pierres, cette machine ne serait plus qu'un simple tas de ferrailles.

—Est-ce donc pour ça que tu t'inquiètes tant ma chère ? Ne t'inquiète pas pour la machine. J'y ai envoyé Rhetys pour s'assurer qu'ils ne puissent pas l'utiliser contre nous. Nos hommes n'attendent que son signal. Leur planète est déjà encerclée par nos vaisseaux. Ce n'est plus qu'une question de temps.

—Vous avez envoyé Rhetys ? Il est très jeune. Il n'a même pas l'expérience de guerre. Même moi malgré toutes les magies que me confère mon statut d'enchanteresse, je crains de ne pouvoir rien contre cet Android. Mais alors là Rhetys ?

—Parfois les bonnes choses se cachent dans la simplicité. Dans une guerre, ce n'est pas des choses les plus menaçantes qu'il faut se méfier, mais des choses les moins menaçantes. C'est elles qui ont plus de potentiel de surprise. C'est sur cette base que j'ai envoyé Rhetys à ta place. Il est certes jeune, mais le sang dragon coule dans ses veines. Et puis il est épaulé par Femy. Il n'y est pas seul.

—Ça ne change pas grand-chose qu'il soit accompagné de Femy ou quelqu'un d'autre. Nous ne savons même pas comment fonctionne ce truc. Vous les avez envoyé au suicide.

Un fou rire plia l'empereur. Il but une gorgée de sa tasse et considéra Whitley, l'air amusé.

—Calme toi et observe ce qui va se passer ! Observe le fin stratège qu'est ton empereur.


Rhetys baissa son sniper au travers d'un trou aménagé dans les vitres d'un gratte-ciel Serena. Femy en faction dans la salle le rejoignit dès qu'il commença à ranger son arme.

—Alors c'est fait petiot ? On peut lancer le signal ?

—Oui je ne l'ai pas raté. Il m'a fallu deux Agrippeurs. J'espérais pouvoir les économiser en visant uniquement le docteur Piecko. Vu qu'il était collé à Sir Patsuky, je me suis dit que l'explosion l'emporterait avec lui. Mais Patsuky l'a échappé de justesse en passant les vitres. Alors j'ai dû le viser à nouveau quand ses pieds ont foulé le sol. Je lui ai logé un Agrippeur dans le cou. Il explosera d'un moment à l'autre. Il ne me reste plus que trois Agrippeurs.

—Bien joué. Maintenant que c'est fait, il faut qu'on lance le signal. L'oncle Seth n'aime pas qu'on le fasse attendre, enjoignit Femy plus détendu que lorsqu'ils avaient élu repaire dans l'immeuble.

Le jeune imberbe s'exécuta en saisissant son talkie-walkie.

— « À toutes les unités stagnantes de l'espace, vous me recevez ? Ici le lieutenant capitaine Rhetys en compagnie du commandant Femy. Je déclare l'ouverture des hostilités sous ordres de ce dernier. N'épargnez personne. Menez une attaque azimute consistant à se diriger vers le Nezer. Terminé ! »


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