La Flamme de Mililian - Tome 1 - Partie 1

Chapitre 18 : Des rêves et des flammes

4340 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 13/04/2021 12:30

              Faelor faisait les cent pas, appuyé sur ses béquilles, dans la pièce principale de leur repaire. Même s’il allait mieux, sa cheville restait fragile et Avëlëa refusait de le laisser prendre le risque d’aggraver sa blessure tant qu’elle jugerait que son articulation restait trop fragile pour supporter son poids. Pour une fois, l’alfombre ne souhaitait pas faire abstraction de ses conseils. Les rares moments de répits qu’il avait pu s’octroyer durant la semaine lui avaient permis de réfléchir, et de conclure que s’il voulait aider ses camarades, il devait se remettre en forme. De plus, une cheville cassée pourrait lui être fatale s’il devait, pour une raison quelconque, fuir quelque chose ou quelqu’un. Il fallait qu’il soit prêt à échapper à Vanador, à Khassendrah, et aux gardes, surtout qu’un de leurs contacts les avait trahis quelques jours auparavant et ainsi excité l’intérêt de leurs poursuivants, qui retournaient avec soin chaque quartier pour les retrouver.

              Il repensa avec un léger froncement de sourcils à la jeune manipulatrice. Maintenant que l’orphelinat était sous les ordres de Vanador, elle y faisait ce qui lui plaisait. Peu de nouvelles lui parvenaient, puisque le bâtiment était toujours coupé du monde extérieur, et les rares messages qu’il recevait portaient de sombres rumeurs. Beaucoup de leurs camarades avaient décidé de plier devant Khassendrah, qui leur faisait vivre un enfer dès qu’ils s’opposaient à elle. Seuls quelques rares enfants timides et discrets restaient fidèles à Faelor, émerveillés par le dernier exploit de Raeni malgré le sermon que leur avait fait Vanador à son sujet.

              Faelor savait que beaucoup d’orphelins rêvaient de quitter la ville. Certains voulaient devenir des mages connus, d’autres se persuadaient qu’ils possédaient des pouvoirs uniques. Que, quelque part, peut-être, un dragon les attendait. Qu’ils se transformeraient un jour eux-mêmes en l’une de ces créatures surpuissantes, à la sagesse et à la beauté légendaires. Les premiers Frolralen, les drakes, tous étaient humains. Pourquoi eux, à moitié althëliens seulement, ne pourraient-ils le devenir à leur tour ?

              Il connaissait les rêves d’aventure, de gloire et de paix des enfants. Lui-même avait, un temps, imaginé retrouver ses parents après avoir parcouru Sorena comme son grand-père des siècles auparavant. Il comprenait leur désir d’échapper à Khassendrah, à la perspective d’une vie fade et morne, sans personne pour croire en eux. Ils n’avaient aucune famille, après tout. Il ne leur restait que leurs espoirs, leurs songes emplis d’innocence et de pureté.  

              Un courant d’air frais le ramena à la réalité. Il leva les yeux, juste à temps pour croiser le regard de Laëlia, qui arrivait tout juste. Ses joues rouges et sa respiration haletante indiquaient qu’elle venait de courir.

—   Tout va bien ? s’inquiéta-t-il aussitôt.

—   Oui, assura-t-elle, un léger sourire aux lèvres. J’ai juste failli me faire piquer par une araignée, j’ai eu un peu peur et…

—   Ouf, souffla-t-il, rassuré. Au moins, tant qu’elles sont là, personne n’osera s’aventurer dans la maison.

—   Elles sont effrayantes, confirma la jeune fille, les mains appuyées sur ses genoux pour reprendre son souffle.

Faelor la laissa récupérer quelques instants. Il se sentait un peu rassuré, mais inspecta sa camarade d’un coup d’œil discret, de peur que l’une des arachnides se soit accrochée à elle sans qu’elle ne le remarque. Il ne distingua rien de plus qu’une légère déchirure sur le bas de sa robe, ce qui acheva d’apaiser ses craintes.

—   Quoi de neuf, en ville ? demanda-t-il lorsqu’elle se fut redressée.

—   Vanador a fait dépêcher quelques messagers pour Torfrirta, rapporta-t-elle. Apparemment, Hëlaya l’a entendu dire à Khassendrah qu’il comptait faire appel à ses connaissances pour, heu… remettre de l’ordre en ville. C’est ce qu’on m’a dit.

—   Et personne ne l’a encore banni ? s’étonna-t-il.

—   Ils ont peur de la puissance thalëni, je crois. Je n’ai trouvé personne pour me le confirmer, mais je ne vois pas d’autre raison. En même temps, il clame à qui veut l’entendre que s’il n’a pas ce qu’il veut, il va ramener ses copains thalëni, son armée personnelle, quelques mercenaires et un ou deux dragons pour tous nous brûler vivants. Ça marche sur les plus petits, mais je crois qu’il s’est fait aussi beaucoup d’ennemis parmi les victimes de la guerre.

—   Une… armée personnelle ?

—   C’est ce que j’ai entendu dire, confirma la jeune fille. Après, cette info, je la tiens de Lyn’ qui la tient du code que lui a transmis Thëla, qui elle-même a entendu Hëlaya dire au directeur que Vanador l’avait dit à Sënaria et Enahis pour leur faire peur parce qu’ils ont refusé de lui dire où ils ont caché la bobine de fil à broder qu’ils avaient volée pour réparer leurs vêtements troués.

—   Bon, vu le nombre de « qui l’a entendu de », je pense qu’à un moment un détail a dû être un peu grossi… se rassura-t-il.

—   Tu veux dire que je ne sais plus lire un message ? s’offusqua-t-elle.

—   Je dis juste que quelqu’un parmi tes intermédiaires a peut-être compris quelque chose de travers.

—   Donc tu ne nous fais pas confiance, résuma-t-elle avec une mine boudeuse.

Faelor soupira.

—   Je n’ai pas dit ça…

—   Tu le sous-entends.

—   C’est faux ! s’agaça-t-il. J’ai juste dit que la communication est très mauvaise, et que forcément à un moment il peut y avoir un cafouillage ! Ce n’est pas contre toi ni contre les autres !

—   Tu t’enfonces, grommela-t-elle.

Une bourrasque la repoussa. Un cri surpris lui échappa.

—   Heu, d’accord, couina-t-elle. Désolée, Laertha. Je sais que tu lui fais confiance, mais il est nul quand il parle…

—   Merci de me le rappeler, grogna le jeune homme.

Un silence s’installa entre eux. La demi-älfä se frotta le bras, le regard baissé sur ses pieds, gênée. Faelor détourna le sien, boudeur. Il savait bien qu’il ne possédait pas les capacités de Raeni pour mener le groupe, et avait par ailleurs insisté à maintes reprises auprès de la bande pour qu’ils lui pardonnent ses erreurs. Après tout, il n’avait jamais commandé ni même eu à gérer de situation aussi complexe pratiquement seul. Bien sûr, il pouvait compter sur l’aide d’Avëlëa, qui faisait de son mieux pour le seconder et le conseiller, mais aucun d’eux ne pouvait espérer égaler l’hybride.

Cependant, l’alfombre comptait bien apprendre. En une semaine à peine, il trouvait qu’il avait déjà fait quelques progrès. Il avait compris qu’il devait faire passer certaines choses avant d’autres, qu’il devait jouer avec les évènements pour pouvoir faire ce qu’il souhaitait. A la différence de Raeni, et en grande partie à cause de ses béquilles, il s’assurait à travers Fëlia, Laëlia et Falëon des moindres faits et gestes de Vanador avant de mettre un plan en place. Il avait demandé aux enfants de repérer les patrouilles, d’attendre les relèves pour savoir où se trouvaient les gardes et quand elles avaient lieu. Il restait prudent, attendait d’avoir une bonne vision d’ensemble avant d’organiser la bande pour commencer à s’opposer à l’Ahal ouvertement. 

Malgré une ou deux erreurs qui leur avaient coûté un sac de pommes et une caisse remplie d’œufs, il avait jusqu’à présent réussi à leur assurer un minimum de sécurité. Il avait pu leur trouver plusieurs chemins pour sortir de la ville malgré l’attention des gardes, commençait à comprendre l’utilité des cartes pour choisir où envoyer ses camarades pour récupérer un peu de pain ou quelques fruits. Laëlia pouvait presque manger à sa faim, elle n’allait quand même pas se plaindre pour quelques mots malheureux qu’il avait pu prononcer de travers ? Surtout qu’il faisait de son mieux !

Au bout de quelques minutes, cependant, la jeune fille sortit du silence :

—   Sinon, souffla-t-elle d’une voix mal assurée, ils fichent enfin la paix à Anathor.

—   Ah ? demanda-t-il, intéressé.

Elle hocha la tête.

—   Vanador l’a interrogé pendant plusieurs heures hier, expliqua-t-elle. Il a fini par conclure qu’il n’avait rien à voir avec nous, au moins pour cette fois.

—   Ça veut dire qu’on pourra peut-être lui parler… se réjouit-il.

—   Oui, opina-t-elle. Et il pourra peut-être nous aider !

—   Si personne ne le surveille, il nous aidera, j’en suis certain, affirma-t-il. Le seul problème, c’est qu’on ne peut pas sortir comme on veut pour aller le voir.

—   On pourrait demander à Laertha ? proposa la jeune fille. Je suis sûre qu’elle sera ravie de discuter avec Anathor.

Une bourrasque fraîche agita l’air autour des deux adolescents, qui se mirent à rire.

—   Du coup, tu iras le voir ce soir, Laertha, annonça Faelor, ravi. Quand il aura fini de travailler et qu’il sera seul chez lui, ce sera plus simple et plus discret pour tout le monde.

Un courant d’air caressa sa joue. Il esquissa un sourire, tandis qu’une forme éthérée vague se dessinait devant ses yeux, juste à côté de la demi-älfä. La silhouette se dissipa aussitôt, comme un mirage. L’alfombre était pourtant certain de ne pas avoir rêvé. Il commençait à s’habituer aux apparitions fugaces de son amie spectrale, sous le coup d’une émotion forte. La joie de pouvoir être utile et de revoir Anathor devait en être à l’origine, cette fois-ci.

Faelor s’en réjouit, car il savait à quel point l’esprit restait timide envers les inconnus et préférait utiliser ses pouvoirs pour les repousser plutôt que pour se montrer. Si elle prenait la peine de laisser des traces physiques de sa présence, cela signifiait qu’elle se sentait en sécurité avec eux, qu’elle leur faisait confiance. Qu’elle les appréciait.

—   Elle est où, Av’ ? demanda soudain Laëlia.

—   Heu, aux dernières nouvelles, elle était occupée à trier les légumes que vous avez ramenés ce matin, expliqua-t-il. Pourquoi ?

—   J’aimerais lui parler, déclara-t-elle, les joues un peu rouges.

—   Rien de grave ? s’inquiéta-t-il aussitôt.

—   Non, le rassura-t-elle. C’est juste que… heu…

Elle baissa les yeux sur le sol, de toute évidence un peu gênée.

—   Si tu préfères ne pas m’en parler, je comprendrai, lui assura-t-il avec un sourire rassurant. Tu pourras aider Av’ au passage, je pense qu’elle doit s’ennuyer un peu, toute seule. J’aurais bien aimé la rejoindre, mais elle n’a pas voulu…

—   Toujours à cause de tes blessures ? s’enquit-elle, soulagée.

—   Oui, soupira-t-il. Elle est persuadée que même quelque chose d’aussi simple que de me pencher pour regrouper des tomates dans un cageot suffirait à fragiliser mes côtes.

Un rire léger échappa à la jeune fille.

—   C’est peut-être vrai, supposa-t-elle. Surtout que les cageots pleins, faut les bouger pour en remplir d’autres après.

—   Ça, je veux bien que ce soit risqué, confirma-t-il. Mais séparer les patates des navets, sérieusement ?

—   Av’ doit avoir une raison de ne pas te laisser faire, affirma-t-elle.

—   Je me doute, mais en attendant, je reste sans rien faire et ça m’énerve.

—   Tu peaufines les détails de ton plan pour notre survie ! s’exclama-t-elle.

—   Mais ça prend pas des jours, ça ! Et puis, c’est théorique. J’aimerais pouvoir vous aider de manière concrète. J’ai un peu l’impression de juste donner des ordres, j’aime pas ça…

—   T’aimes pas quoi ? demanda une voix dans son dos.

Il se tourna pour faire face à Fëlia. L’elfe de feu était arrivée si silencieusement qu’il ne l’avait pas entendue. A son expression malicieuse, il se douta qu’elle l’avait fait exprès.

—   Rester à ne rien faire, éluda-t-il.

—   Ah, ça tombe bien ! s’exclama la jeune fille. J’ai trouvé quelque chose qui pourrait t’intéresser !

Faelor l’invita à poursuivre, intéressé. Ils furent cependant coupés par Laëlia, qui lança :

—   Je vais voir Avëlëa, du coup. A plus, vous deux !

Elle trottina jusqu’à une porte, qu’elle ouvrit d’un geste pressé. Faelor la regarda disparaître dans le passage, curieux de savoir ce qu’elle avait à dire de si important à l’elfe de feu. Il n’irait pas insister pour lui demander, elle avait bien le droit d’avoir ses propres secrets, mais il aurait bien voulu savoir malgré tout. Il supposa qu’il s’agissait peut-être d’une histoire de filles, alors il ne s’en mêla pas. Il espérait juste que ce n’était rien de grave, qui pourrait avoir un potentiel impact sur la bande plus tard.

—   Je crois que c’est par rapport à un œuf, souffla Fëlia.

—   Comment ça ? s’étonna Faelor.

—   Elle parlait d’un œuf, tout à l’heure, expliqua la jeune fille avec un haussement d’épaules. Elle discutait avec Alwena. Elles se sont tues quand elles m’ont entendue. Je n’ai pas tout compris, du coup.

—   On verra ça plus tard, décida l’alfombre, un peu perturbé par la nouvelle. Tu voulais me dire quelque chose ?

—   Plutôt te le montrer, confirma-t-elle.

—   Tu sais qu’Av’ ne veut pas que je sorte ? lui rappela-t-il.

—   Ah mais tu n’as pas besoin de bouger ! s’exclama-t-elle avec un petit rire.

Elle lâcha un cri, léger, semblable à un glapissement, qui se répercuta dans la salle et dans le couloir. Faelor fronça les sourcils, se demanda ce qu’elle avait derrière la tête. Elle patienta quelques secondes, puis recommença, plus doucement. Une vague lueur scintilla dans le couloir, semblable à de minuscules flammes qui se déplaçaient. L’alfombre plissa les yeux pour essayer de distinguer la créature. Son amie s’avança d’un pas tranquille dans sa direction.

—   Nýa stëldë stelldyë, Dëvlyn.

Sous les yeux ébahis du jeune homme, une minuscule créature sortit de l’ombre. Haute d’une cinquantaine de centimètres, elle possédait une fourrure d’un magnifique roux vif. Les poils laissaient la place à de petites écailles sur les pattes. De somptueuses flammes formaient ses oreilles et ses moustaches, et dansaient sur le bout de sa queue. Son museau, allongé et pointu, frétillait d’inquiétude et reniflait la pièce avec intérêt. L’elfe de feu le rejoignit, et l’animal se réfugia dans ses bras. Sans craindre les flammes qui menaçaient de brûler ses vêtements et sa peau, elle rejoignit Faelor, son protégé dans les bras, avec un grand sourire ravi.

—   Je l’ai trouvé dans la campagne, expliqua-t-elle. Il était bloqué dans un piège.

La créature posa sa tête sur l’épaule de la jeune fille avec un regard adorable. L’alfombre, impressionné et encore sous le choc, fut incapable de lui répondre tout de suite. Son regard passait de Fëlia à son protégé, puis se posait à nouveau sur elle, comme s’il n’en revenait pas de ce qu’elle venait de faire. Elle rougit.

—   Tu me fais un peu peur, là, souffla-t-elle. Tu l’aimes bien ?

—   C’était de l’ancien eldalien, ça ? bafouilla-t-il, sidéré.

—   Non, expliqua-t-elle. C’est du frylahëlique. La langue du feu.

—   Et… t’as appris ça où ?

—   Je suis une elfe de feu ! s’exclama-t-elle avec un petit rire. C’est inné, pour nous, de parler avec les flammes.

—   Av’ ne m’a pourtant jamais parlé de cette langue…

—   C’est parce que les ash’ghalën et les thalëni ont un peu imposé les leurs et nous ont appris à les parler, mais je t’assure que, si elle le voulait, elle n’aurait aucune difficulté à l’apprendre.

Faelor observa sa camarade sans un mot. Plus que la créature, sa capacité à parler le frylahëlique l’étonnait, malgré son affirmation. Même s’il avait grandi à Toëlla, la terre de feu par excellence, il n’en avait jamais entendu parler. Il savait cependant que la jeune fille avait raison sur un point. Les thalëni et les ash’ghalën, les deux plus grandes civilisations de leur époque, avaient étendu leur influence jusqu’ici, à Khaëlentis. Il savait, grâce à sa grand-mère, que sa langue natale correspondait à un mélange de thalëni et de ghalënique parlé depuis des siècles dans la région. Un patois que ni l’une ni l’autre des deux puissances ne reconnaissait comme rattaché à leur langue, chacun à cause des apports de l’autre dans le vocabulaire ou la prononciation de certains sons.

La capacité de son amie à parler cette langue inconnue, que certains devaient sans doute croire disparue, l’intriguait autant qu’elle l’émerveillait. Il savait que certains dialectes issus de l’ancien eldalien possédaient une origine magique, que les mots eux-mêmes étaient enchantés. Le frylahëlique, de ce qu’il venait d’entendre, lui semblait correspondre à ce type de magie élémentale.

Il observa Fëlia un instant, pendant qu’elle caressait la tête de la créature sans la moindre crainte. Il se sentit impressionné par sa capacité à toucher les flammes minuscules sur sa tête sans se brûler, grâce à son sang d’elfe de feu. L’animal ne semblait plus faire attention à l’alfombre, rassuré par les mots qu’elle employait et le contact léger de ses doigts dans sa fourrure. Le jeune homme la trouva plus que jamais proche de son élément, ainsi : insouciante, vive, joyeuse. Il comprenait, chaque fois qu’il la voyait aussi heureuse, pourquoi elle appréciait tant le contact chaleureux des flammes, leurs mouvements gracieux et vifs lorsqu’elles bondissaient sur l’herbe sèche. Lui-même craignait l’élément, à ses yeux imprévisible et dangereux. Mais il ne pouvait que l’apprécier chaque fois qu’il remarquait à quel point sa bénédiction rendait ses amis si extraordinaires.

—   C’est quoi ? demanda-t-il enfin, le regard fixé sur la créature.

—   Un klënthýa. Il est trop mignon, non ?

Il observa l’animal avec un peu plus d’attention. Ses yeux dorés le fixaient à nouveau avec méfiance. Il remarqua, sous ses babines, de fins crocs à la blancheur inquiétante. Leur bout arrondi, cependant, le rassura un peu. Sa gorge portait des poils blancs, de même que son ventre. Dans l’ensemble, Faelor jugea qu’il ressemblait à un gros renard. Un petit sourire étira ses lèvres.

—   Il n’est pas méchant ?

—   Non ! assura Fëlia avec un petit rire. Les klënthýä sont pacifiques comme tout. Ils peuvent attaquer quand ils se sentent menacés, mais, tant que je serai là, Dëvlyn ne fera de mal à personne. En plus, c’est un bébé.

—   Un bébé ? s’étonna-t-il.

Elle hocha la tête.

—   Les adultes mesurent jusqu’à deux mètres de haut, expliqua-t-elle. Lui, il ne doit pas avoir plus de trois ou quatre mois.

Le regard de Faelor lui arracha un fou rire, qui laissa son protégé perplexe. L’alfombre, lui, se sentit un peu vexé.

—   T’es au courant qu’on est en ville et qu’un renard de deux mètres de haut n’entrera jamais ici ? lui demanda-t-il, un peu agacé par ses moqueries.

—   Il n’atteindra pas sa taille adulte avant au moins deux ans, le rassura-t-elle. Et…

Elle sembla hésiter quelques instants.

—   Et ? l’invita-t-il à poursuivre.

—   Je crois que je vais partir avec lui quand il sera assez grand pour se débrouiller tout seul, avoua-t-elle à voix basse. Je vous aime bien, mais…

Un soupir lui échappa, tandis que son regard dérivait vers l’animal.

—   Les plaines sauvages du nord me manquent, souffla-t-elle. Mon frère me parlait souvent d’un grand dragon de feu, quand j’étais petite… j’aimerais le trouver.

Faelor observa sa camarade en silence quelques instants. Du haut de ses treize ans, Fëlia n’était pas la plus âgée ni même la plus mature de la bande. En fait, elle faisait partie des plus jeunes à avoir pu quitter Valmaëlën. Elle était aussi l’une de ses pensionnaires les plus récentes, puisqu’elle n’était arrivée que deux ans auparavant, après la mort de son frère aîné au cours d’une attaque de pillards. Le jeune homme ne savait pas grand-chose sur eux, mais avait appris qu’ils étaient nés bien loin de Khaëlentis, quelque part dans la plaine frolrdrahl, au nord. L’adolescente faisait donc partie de ces elfes sauvages, qui avaient refusé de s’adapter aux cultures thalëni et ash’ghalën. Il comprenait sans peine à quel point il devait lui être difficile de vivre en ville, si loin de ce qu’elle avait pu connaître durant son enfance.

—   Personne ne t’en voudra, affirma-t-il avec un sourire rassurant. Si c’est ta décision de retourner là-bas, alors on la respectera. Evite juste de partir sur un coup de tête, quand même…

La jeune fille hocha la tête, et tendit le bras vers lui. Faelor comprit aussitôt son intention et écarta les siens pour qu’elle puisse s’y réfugier. Dëvlyn émettait une forte chaleur, qui l’insupportait un peu, mais il prit sur lui pour ne pas contrarier sa camarade. Son corps frêle, qu’il serra avec douceur, lui rappela à quel point même les flammes les plus vives pouvaient se montrer fragiles.

Leur étreinte dura quelques instants, durant lesquels les deux orphelins se sentirent enfermés dans un agréable cocon de silence. Faelor surveillait d’un œil protecteur le visage de sa cadette blottie contre lui. Même si elle ne le lui avait jamais dit, il savait qu’elle le considérait un peu comme son grand frère. Lui-même se prit à songer qu’il l’aimait comme une sœur. Son insouciance, la façon dont ses rêves s’accrochaient à elle et envahissaient son esprit lui rappelaient l’enfant qu’il avait pu être des années plus tôt, bien avant de connaître l’enfer de la guerre. Fëlia avait attiré son attention grâce à son caractère malicieux et joueur, sa faculté incroyable à rester positive face à n’importe quelle situation. Même la mort de son frère ne semblait pas l’avoir affectée autant qu’elle aurait dû. L’alfombre pensait depuis longtemps que, comme beaucoup d’autres orphelins, elle avait appris à camoufler ses émotions à sa façon pour ne pas céder à la tristesse.

Pourtant, lorsqu’elle déposa un baiser léger sur sa joue avant de quitter ses bras et de reposer Dëvlyn au sol, il sentit que son moment de faiblesse s’était envolé aussi vite qu’il était apparu. Il la contempla un instant, pendant qu’elle jouait avec l’animal sans plus faire attention à lui, et se demanda si elle n’avait pas trouvé une autre méthode pour combattre ses émotions négatives. Une indifférence totale. Un émerveillement perpétuel devant la beauté des plus petites choses. Il réalisa enfin que, du haut de ses treize ans, Fëlia avait gardé l’âme d’une petite fille. Une petite fille née des flammes et de la magie, qu’il se jura de protéger tant qu’elle aurait besoin de lui.


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