Avant toi

Chapitre 3

4081 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 30/11/2020 13:39

Chapitre 3.


Samedi 24 juin, dans la cuisine, au bord de la crise de nerf.


Oui, je m'énerve facilement. Oui, je n'ai pas un caractère facile. Que l'on soit clair, je n'ai jamais prétendu être parfaite. Juste plus sincère que cette bande d'hypocrite qui parcoure cette planète. Donc, oui, je suis loin d'être facile à vivre mais là, j'estime avoir pleinement le droit d'être vraiment énervée !


Parce que Jérémy – oui, encore lui – est la pire des plaies ! Il m'a lâchement abandonnée. Parce que, évidemment, il ne pouvait pas passer à côté de ça. Encore que là, j'aurais pu lui pardonner, généreuse que je suis. Car pour passer à côté de cette brunette au 85 D, c'est vrai qu'il fallait le faire. Mais voilà que MONSIEUR a voulu la raccompagner chez elle – on se demande pourquoi – et m'a laissée gérer la fermeture toute seule. Là encore, soit. Moins je vois Jérémy Saint-Clair, mieux je me porte. Mais hier, j'aurais vraiment préféré qu'il reste.


Je me suis retrouvée toute seule avec un sociopathe. L'inconnu irrespectueux d'hier est resté planté toute la soirée à me fixer avec ce fichu regard moqueur, comme s'il savait quelque chose que j'ignore et que c'était particulièrement hilarant. Au bout d'un moment, j'ai même eu peur de devoir le mettre à la porte parce que je devais fermer – enfin, peur c'est un grand mot. Mais il est finalement parti tout seul comme un grand vingt minutes avant et je n'ai eu qu'à jeter dehors une espèce de gros cochon rose qui ronflait sur une table, puant l'alcool, le tabac et le vomi. Je préfère ça !


Sauf que le cas social précédemment cité a eu le culot de laisser un papier avec son numéro et son nom. Du moins, je suppose que c'était son nom, j'ai jeté le papier sans plus y prêter attention. Et tout ça c'est à cause de...


— BONJOUR !


...Jérémy !


Lydia lève un regard meurtrier sur le concerné qui vient d'entrée dans la petite cuisine. Cette dernière n'est vraiment grande, une fois quatre personnes installées, il n'y a plus vraiment de place pour bouger. Mais Lydia l'aime bien. Déjà, elle dispose de tout le confort nécessaire. Four, frigo, congélateur, four à micro onde et surtout, l'indispensable lave-vaisselle ! De plus, sa mère a eu la bonté de la choisir en rouge, une couleur que Lydia aime vraiment beaucoup. Bref, cette petite cuisine est vraiment agréable... Quand il n'y a pas son demi-frère pour pourrir le paysage !


Ne lui accordant pas plus d'intérêt, la jeune rousse retourne à son carnet, griffonnant rageusement.


— Lydia, appelle Lucie. Ton frère a dit bonjour.


La concerné se fige et relève la tête en direction de sa mère, un sourcil haussé pour lui demander où elle veut en venir. Après tout, Lydia n'est pas sourde.


Sa mère dépose son journal sur la petite table délicatement. Tout dans sa posture est royale. La tête haute, le dos droit, les jambes délicatement croisées, Lucie ressemble à une duchesse. Lydia se dit ironiquement que sa mère doit être la réincarnation d'une duchesse douairière acariâtre particulièrement pénible. La réincarnation soupire d'ailleurs avec exaspération.


— Tu pourrais lui répondre, fait-elle remarquer avec une note d'espoir.


Là, le deuxième sourcil de Lydia se lève dans une mine choquée. Même Jérémy reste bloqué devant le frigo ouvert. Le carton de lait devant sa bouche ouverte comme un poisson rouge, il fixe leur mère comme si elle venait d'une autre planète. Lucie Peeters a-t-elle perdu l'esprit ?


Cette dernière les fixe l'un après l'autre, attendant une réaction. N'en voyant aucune venir, elle se lève brusquement.


— Je ne vois vraiment pas pourquoi je continue d'espérer un comportement mature de votre part, s'exclame la matriarche.


Puis, elle quitte la pièce, délaissant son journal à moitié lu et son café à peine entamé. Quelque chose cloche vraiment et Lydia a comme une impression de déjà vu. Sensation confirmé par le regard plein de pitié de son demi-frère à son encontre.


— Quoi ? aboie Lydia mais Jérémy se contente de grimacer.


— Tu sais que quand elle réagit comme ça il n'y a qu'une raison, réplique le jeune homme avec un air vraiment désolé.


La jeune femme réfléchit avant de blanchir. Il est rare de la voir paniquer pourtant, là, elle panique réellement. La dernière chose dont elle a besoin c'est...


— Mon père va nous rendre visite, soupire la rousse avec fatalité.


Puis elle laisse tomber sa tête sur la table dans un bruit sourd. Jérémy a peur un instant qu'elle se soit assommée devant son inertie. Mais elle relève la tête brutalement, les sourcils froncés.


— S'il me fait la moindre remarque, je te jure que je le..., commence-t-elle avant de laisser échapper un cri de rage.


Jérémy boit à la bouteille de lait, n'osant rien dire. La peur a laissé place à la colère et c'est tant mieux. C'est plus facile de gérer une Lydia énervée qu'apeurée. Évidemment, cette réaction peut ne pas durer. Paul Randal, le père de la rousse est une calamité. Si Lucie critique souvent sa fille, elle passe pour une sainte à côté de cette homme. Si ce dernier ne l'a jamais dit clairement, il reproche simplement à Lydia d'exister. Et évidemment, Lucie en prend pour son grade, se faisant traiter de mère incapable, ayant rater l'éducation de leur fille. Le problème étant que peu importe que Lydia soit strip-teaseuse ou politicienne ou avocate comme lui ou encore vétérinaire... Jamais son père ne sera satisfait. La rousse est une tache sur son parcours impeccable. Parce que, à cause d'elle, il ne peut pas faire comme si le mariage avec Lucie n'avait jamais existé. Lydia est là, preuve inéluctable des années perdues en compagnie d'une femme excentrique qu'il a supporté pour garder une bonne image. Et non seulement il a été jeté comme un malpropre à cause de petites erreurs sans conséquence – selon lui – mais en plus, il doit continuer à garder contact avec cette folle de Lucie pour Lydia. Car, dans le cas contraire, il se ferait en plus passer pour un père indigne – en plus d'un mari infidèle – et perdrait toute crédibilité auprès de ses clients. Car dans une bourgade comme celle-ci tout se sait et la famille est une valeur importante pour tous.


Voilà pourquoi les plus âgés pardonnent le caractère exécrable de la jeune rousse – pauvre enfant délaissée et traumatisée – et pourquoi son père fait de chacune de leur entrevue un parcours du combattant, espérant que Lydia renonce à le revoir un jour – ce ne serait alors pas sa faute. Sauf que Lydia a vite compris le manège et son tempérament a pris le dessus. Hors de question de le laisser gagner, dit-elle. Alors elle supporte chacune des rencontres juste pour avoir la satisfaction de pourrir la vie de son géniteur qui, en plus d'être incapable d'être un bon mari, est un père exécrable !

Ce n'est pas pour autant que les rencontres se passent sans encombre. Alors, ils se hurlent dessus au bout de trois jours maximum en privé et sourient devant le monde extérieur. Mais Lydia a beau dire ce qu'elle veut, elle peut être insensible à beaucoup de chose, il n'en reste pas moins qu'elle ressort toujours blessée des séjours de son père. Évidemment, elle préférera mourir brûlée vive que de l'admettre. Mais Jérémy le sait. Alors il ne dit rien et ne se moque pas pour une fois. Il la laisse se lever et fait mine de croire que tout va bien même si la démarche de la rousse vers la salle de bain ressemble à une fuite.


Lydia se passe de l'eau sur le visage avant de se regarder dans le miroir en soupirant. C'est une adulte aujourd'hui. Pourtant, rien ne l'effraie plus que son père. Si ça ce n'est pas une réaction de gamine, qu'est-ce que c'est ? Une chose est sûre, la rousse se trouve pitoyable ! Mais rien ne peut contrer l'appréhension qui la ronge à l'idée de voir Paul Randal débarquer pour chambouler toute sa vie. Elle renifle, hautaine envers elle-même.


Reprends-toi ma fille !


Oui, il faut qu'elle se reprenne. Elle a passé l'âge de se laisser malmener par un incroyable con qui prend plaisir à la punir d'être venue au monde. Jamais elle ne le laissera gagner en déclarant forfait. Alors, il ne lui reste plus qu'à encaisser.


Sa fierté la tuera...


***


Lydia s'ennuie. Et une Lydia qui s'ennuie est une Lydia dangereuse. Du moins, c'est le point de vue d'Alex qui la regarde tourner dans son café avec une lassitude étonnante. Surtout après les informations que la jeune femme vient de lâcher. Alex a besoin d'une longue minute pour tout assimiler.


— Attend, soupire-t-il finalement. Récapitulons histoire de voir si j'ai bien compris.


— Tu veux que je répète plus lentement ? persifle la rousse qui n'aime pas devoir réentendre ses révélations.


Son meilleur ami lui lance un regard blasé et fait comme s'il n'avait rien entendu.


— Donc, ton père débarque dans deux jours. C'est déjà une super mauvaise nouvelle. Si cet hypocrite pouvait oublier que tu existes, ce serait une bonne chose...


— Surtout pour lui, renifle Lydia en retroussant son nez de dégoût.


— Ce que je ne comprends pas c'est pourquoi tu n'es pas venue me voir directement ! s'emballe le jeune homme. On aurait dit plein de mal de ton géniteur et tu te serais sentie beaucoup mieux après. Mais non, toi, tu refais une crise de boulimie !


Lydia pince les lèvres. Comme si elle avait besoin qu'il le formule de cette façon. Et puis, il l'a fait passer pour une jeune femme faible. Alors que ça n'a rien à voir ! Lydia a rechuté une toute petite fois depuis des mois. Bon, en fait, depuis la dernière visite de son père. La rousse a un contrôle absolu sur tout ce qui l'entoure et fait parti de sa vie. Sauf quand Paul Randal se rappelle à son bon souvenir. Là, Lydia perd le contrôle et elle compense. Jusqu'à en vomir et souffrir de maux d'estomac pendant des jours. Ce qui explique qu'elle se contente de tourner dans son café au lieu de le boire.


Lydia a commencé les crises de boulimie assez jeune et ça a duré des années. Jusqu'à ce qu'un médecin lui dise que son estomac était en sang et limite troué. Elle a également souffert de problème dentaire mineur, un exploit après des années à maltraiter son pauvre corps. Lydia était déjà majeur et les deux seuls personnes au courant de ses déboires, ce sont Alex et... Jérémy. Qui lui a souvent tenu les cheveux en soupirant de frustration avant de la porter dans sa chambre quand la crise était critique. Mais c'était la drogue de Lydia, son addiction. Et elle a la rechute facile.


Lydia hausse alors simplement les épaules, à cours de mots.


Ce dernier se tape la tête contre la table, attirant les regards.


— Tu me désespères, décrète-t-il.


— Grand bien te fasse, réplique Lydia en plissant les lèvres d'agacement.


— Tu dois vraiment arrêter de faire ça, insiste Alex avec un air grave.


— Reprend-toi, on pourrait croire que t'inquiète vraiment, raille Lydia.


Son ami ferme les yeux pour s'exhorter au calme et quand il les ouvre, la rousse sait qu'elle va avoir droit à un des rares discours sérieux d'Alex. Sachant qu'elle n'y échappera pas, Lydia grimace de dégoût et se contente d'écouter.


— C'est ton frère et moi qui t'avons conduite aux urgences l'année passée, tu ne t'es pas vue ce jour-là. On a cru que t'étais en train de crever ! J'ai pas envie que ça devienne une habitude et surtout pas pour un paternel complètement con qui ne mérite pas que tu prononces ne serait-ce que son nom même en pensée. Putain Lydia, tu emmerdes les gens ! Tu emmerdes ta mère qui passe son temps à te critiquer. Tu emmerdes les pimbêches qui te traitent de tarées névrosée. Tu emmerdes les vieux qui te regardent avec condescendance. Tu emmerdes les mecs qui rêvent de te dépuceler. Alors emmerdes ton père ! Dis-lui de plus se repointer et d'aller se faire foutre.


Lydia pince les lèvres. Parce qu'il a raison. Lydia emmerde tout le monde. Elle n'aime personne parce que ça ne sert à rien. Sauf Alex mais, lui, c'est différent. Il accepte tout d'elle, la laissant parfois déverser sa haine sans lui en tenir rigueur. Comme Jérémy. Son demi-frère tellement parfait. Parfait au point d'aimer une sœur qui passe son temps à le brimer. Parfait au point de lui tenir les cheveux pendant qu'elle vomit sa rancœur et cette solitude qu'elle cache au monde. Parfait au point de lui trouver un job, la poussant à ne pas se renfermer encore plus.


Ce n'est pas que Lydia apprécie d'être comme elle est, même si elle prétend l'inverse. Mais, elle n'arrive pas à créer de lien avec les autres, la rousse est bien trop différente. Elle a balancé ses illusions d'enfants bien trop jeune et, comme elle a le tact d'un éléphant en tutu, Lydia n'a jamais pu s'empêcher de faire redescendre les autres sur terre. Et les filles de quatorze ans n'ont pas envie d'entendre que leur coup de coeur de la semaine ne le sera que pour la semaine parce qu'il va les piétiner. Ou que leurs rêves de se barrer de ce village paumée est aussi réaliste que la paix dans le monde.


Alex pense comme elle. Et les deux cas désespéré de la ville de Platte se sont trouvés pour ne jamais se quitter. La seule chose qui les différencie c'est la capacité de Lydia à l'autodestruction. Alex s'aime beaucoup trop pour ça.


— Tu travailles ce soir ? s'enquit son meilleur ami.


Lydia sent la reconnaissance lui gonfler les poumons. Alex lui fait comprendre que le sujet est clos et ça lui va parfaitement.


— Oui, je dois y aller plus tôt d'ailleurs. Nouveau patron qui désire se présenter, explique la rousse avec des mimiques agacées. Tant qu'il me paie mon salaire, j'en ai rien à faire de son foutu nom ou de sa tête de troll.


— Qui te dit qu'il a une sale tronche ? rigole Alex.


— On vit dans un patelin minuscule. La liste des mecs mignons, je la connais par coeur.


— Pour ce que les relations t'intéressent, de toute façon,...


— Tu seras d'ailleurs gentil de laisser mon hymen tranquille et de ne plus en parler, menace la rousse en fronçant les sourcils.


— Bon sang quand tu le dis comme ça, c'est carrément dégueulasse, grimace Alex.


Lydia offre un sourire narquois au jeune homme qui affiche une moue mécontente. Il part ensuite dans d'intenses réflexions, se rappelant que si Lydia n'a jamais fréquenté personne intimement, ce n'est pas entièrement sa faute – même si elle excelle dans l'art d'écarter les gens de sa personne. Jérémy a veillé à ce que personne n'ose ne serait-ce qu'imaginer mettre la main sur elle. Parfois, Alex se demande si ce type n'est pas légèrement obsédé par sa sœur. Il sait de source sûre que le brun a refusé de partir à l'université quand il en a eu l'occasion. Et Alex n'est pas convaincu que Lydia n'ait rien à voir dans sa décision. La rousse a beau le maltraiter et lui en faire voir de toute les couleurs, Jérémy semble lui être dévoué quoi qu'il advienne. Mais bon, c'est son frère après tout. Alors Alex se dit qu'il voit peut-être de l'obsession là où il n'y a que de l'amour fraternel – bien que particulièrement fort. Ce qui est risible, c'est que Lydia persiste à ne pas le supporter alors qu'il est l'un de ses meilleurs alliés.


Lydia finit par rentrer chez elle en traînant des pieds. Sa mère n'est heureusement pas là, travaillant jusqu'à dix-sept heure. Lucie travaille comme secrétaire de direction pour une maison d'édition dans la ville d'à côté.


Ce n'est pas un exploit de trouver des petites villes dans le Dakota du Sud. La capital, Pierre, contient seulement quatorze milles habitants. Platte n'est pas non plus la ville la plus petite de l'État, puisqu'un recensement en 2010 notait 1230 habitants précisément. Plus que Wall et ses huit cents résidents ou même Gary qui n'en compte que deux cents cinquante.

Vivre à Platte n'a donc rien de dramatique. Sauf pour Lydia qui ne supporte pas que tout le monde la connaisse. La pauvre fille de Lucie Peeters l'excentrique et de Paul Randal l'homme volage mis à la porte en caleçon en plein milieu de l'après-midi avec sa secrétaire. Ses parents sont, ce qu'elle appelle communément, un cliché. Et ce genre de cliché dans une ville aussi petite, on en parle encore des années plus tard. Sans parler de leur fille désagréable, sarcastique qui n'aime personne et que personne n'aime, même pas ses propres parents.


Le seul endroit où Lydia est tranquille, c'est chez elle ou chez Alex. La mère de ce dernier ne l'apprécie pas forcément mais, elle aime son fils plus que n'importe qui alors elle subit la rousse qui, de son côté, fait un effort incroyable pour rester polie.


Qu'est-ce que je ne ferais pas pour Alexandre...


— Qu'est-ce que tu fous ?


Lydia sursaute. La tête dans le congélateur depuis au moins dix bonnes minutes, dans ses pensées, elle n'a pas entendu Jérémy arriver. Appuyer contre le chambranle de la porte de la cuisine, les bras croisé contre son torse, il hausse un sourcil. Visiblement, il est là depuis assez longtemps pour remarquer que sa demi-sœur s'est perdue dans les surgelés. Et d'ailleurs la rousse se rend compte qu'elle a légèrement froid.


— Je cherche un truc que je serais capable de cuisiner sans brûler la maison, explique-t-elle avec frustration.


Ce n'est pas tellement que Lydia n'aime pas cuisiner. C'est juste qu'elle ne sait pas. Et ce n'est en aucun cas de la mauvaise volonté. La rousse a essayé, plusieurs fois. Et la maison a failli exploser... Plusieurs fois. Donc Lucie et Jérémy se sont mis d'accord pour interdire l'accès aux taques vitrocéramiques ainsi que le four à la catastrophe ambulante qu'elle représente. Lydia a peu apprécié mais, elle doute qu'elle aimerait mieux finir carboniser alors elle a cédé.


Sauf que là, elle a faim. Et il n'y a rien qu'elle puisse manger froid sans cuisson préalable. Et de toute façon, la rousse aurait certainement fini empoisonnée par la quantité de sel astronomique que sa salade aurait contenu.


Jérémy lui adresse un sourire en coin et la rousse répond par une grimace dégoûtée.


— Pousse-toi, lance-t-il en l'éjectant du congélateur.


— Te gêne pas surtout, tête de lama !


— Tu veux manger ou pas la rouquine ?


La concernée ouvre la bouche mais la referme, ravalant la remarque acerbe qui lui brûle les lèvres.


— Quelque chose d'équilibré, si c'est dans tes cordes, grince-t-elle finalement.


— Plus que dans les tiennes, Lydia, rit le jeune homme sans la regarder.


Lydia va s'asseoir et prend son téléphone. Mais elle abandonne vite sa partie de Candy Crush pour regarder son demi-frère s'affairer dans la cuisine. Jérémy est un mystère pour elle. Ce garçon est d'une gentillesse effarante. Il ne se laisse pas faire, loin de là, mais il a une capacité à compatir et sociabiliser qui dépasse la rousse. Cette dernière ne voit pas l'intérêt de la compassion. Être soi peut déjà être suffisamment compliqué sans en plus se mettre à la place des autres de son point de vue. Pourtant, Jérémy le fait. Ce qui le pousse à comprendre Lydia, à lui pardonner. Ce qui agace la rousse outre mesure.


— Pourquoi tu es aussi sympa avec moi ? demande-t-elle avec curiosité.


Jérémy tourne le blanc de poulet dans la poêle avant de la regarder pensivement. La rousse attend, sa joue contre sa main.


— C'est plus de l'instinct de survie, répond-t-il finalement. Je n'ai pas envie de mourir exploser ou carboniser. Et j'avais faim aussi, alors.


Il hausse les épaules et Lydia fait la moue.


Ce crétin vient d'esquiver ma question !


Décidant que, finalement, elle s'en moque, la rousse retourne sur son portable jusqu'à ce le jeune homme lui mette son assiette sous le nez. Du blanc de poulet et des pâtes aux champignons. L'odeur fait gronder l'estomac de la jeune femme.


— Tu m'étonnes que maman ait peur que tu te cases, marmonne Lydia en commençant à manger.


Jérémy lui fait un clin d'œil et commence à manger également.


— Je me demande comment va être le nouveau patron, finit-il par dire.


— Bof, tant qu'il paie, on s'en fout non ?


— Tu es vraiment une énigme... Parfois, je me demande si tu viens vraiment de cette famille, tu es un cas à part, toi.


— Merci, je sais, répond Lydia d'un ton fier.


— De toute façon, on va ensemble, donc tu le verras quand même.


— Je t'arrête, mon cher frère, on ne va pas ensemble. Nous allons au même endroit par nos moyens personnels.


— Ce n'est pas pareil ?


— Non parce que tu prends ta voiture et moi la mienne, tête d'âne !


— Tu économiserais en essence...


— Je préfère nourrir ma voiture plus souvent que de me nourrir d'anti anxiolytique.


— Charmant, grogne Jérémy alors que sa sœur mets son assiette dans le lave-vaisselle et quitte la pièce.


Ils se rendent au bar toujours fermé où le personnel occupe les tables en attendant le nouveau gérant. Lydia s'installe dans son coin, prêtant à peine attention à son demi-frère qui prend place à ses côtés. La rousse retourne à nouveau sur son portable, toujours sur le même jeu en se disant qu'elle devrait peut-être en changer avant de se lasser.


Au bout d'un moment, le calme envahit la pièce et une voix retend, glaçant Lydia toute entière.


— Bonsoir, je me présente, Liam Griffin et je suis le nouveau gérant du bar.


Putain, c'est un blague ?


Au vu des regards sur elle, Lydia est forcée de constater que ce qu'elle a cru être une pensée est en fait un cri du coeur.

Et les yeux océans qui la sonde avec moquerie et intensité sont sans conteste ceux de l'homme à la bière.


Parfois, ça craint vraiment d'être moi...


***


Est-ce que tu te souviens de ce moment ? Tu devais être tellement fier de toi. À me regarder avec cet air suffisant du chat qui a attrapé la souris. Si tu avais su comment ça allait finir, changerais-tu quelque chose ?


J'aimerais te dire que je ne modifierais rien, que ces moments sont bien trop précieux pour les supprimer. Qu'on a vécu une de ces histoires à laquelle on se raccroche pour vivre. Mais, la vérité, c'est que je donnerais n'importe quoi pour que tu n'aies jamais mis un pied à Platte. Parce qu'aucune histoire, aussi intense soit-elle, ne vaut la peine de ressentir ce que je ressens aujourd'hui. Rien ne mérite d'avoir subi ce qu'on m'a fait.


Même pas toi.


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