Avant toi

Chapitre 4 : Chapitre 4 : Demi-frère

2649 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 31/01/2021 00:56

Chapitre 4 :

Demi-frère.



Dans une petite maison d'un quartier calme de Platte, les cris d'un nourrisson se font entendre. Sa mère, très réactive, se hâte de le rejoindre, prenant le bébé dans ses bras avec des paroles apaisantes. Berçant le nouveau-né, la jeune femme s'installe confortablement sur son lit et s'empresse de se découvrir pour mettre sa petite fille au sein.


Lydia Randall sourit tendrement alors que le bruit de déglutition retend dans le silence. Elle en profite pour admirer la perfection de ce petit être qu'elle tient contre elle et sent une nouvelle fois cette vague d'amour la submerger.


Une fois la petite nourrie, la rousse change sa couche et la remet dans son berceau et la regarde s'endormir. Lydia n'étant pas fatiguée malgré l'heure tardive, elle décide de descendre boire un thé. La jeune femme attrape son peignoir avant de fixer la place à côté de la sienne dans le lit. La place ne semble pas avoir été occupée, l'oreiller encore bien gonflé et le matelas froid. La rousse fronce les sourcils, une petite voix lui soufflant que c'est étrange.


— Où est ton papa ? souffle Lydia.


Consciente qu'elle n'obtiendra pas de réponse, la rousse sort de la chambre et se dirige vers la cuisine. En se dirigeant vers l'évier, le regard de la jeune femme s'arrête sur une photo aimanter contre le frigo de la pièce. Appuyée contre un bar, vêtue d'un tee-shirt blanc rayé noir, elle rigole en regardant sur le côté.


Lydia sent un frisson remonter le long de sa colonne vertébrale alors qu'elle s'approche pour mieux regarder la photo. Quelque chose la dérange sur ce cliché mais, elle ne saurait dire quoi.


Lydia.


La concernée sursaute et se tourne vivement. Mais, il n'y a personne d'autre dans la pièce. Peut-être a-t-elle rêvé. La rousse s'apprête à revenir sur la photo quand des pleurs se font entendre dans le baby-phone situé dans sa main droite.


Quand ai-je pris le baby-phone ? Se dit la rousse en déglutissant.


Les pleurs s'intensifient et Lydia repousse le profond malaise qui lui ronge l'estomac, rejoignant Nora.


***


25 juin 2017


— Tu le connais ?


La question vient de Jérémy. Sa sœur ne peut pas lui en vouloir de se poser la question. Le dénommé Liam est dans un coin du bar depuis le début du service à la fixer avec curiosité. Lydia à la sensation d’être un phénomène de foire.


— Plus ou moins, grogne la rousse avec mauvaise humeur.


Lydia lui explique globalement leur première rencontre et alors qu’elle s’attend à le voir se moquer d’elle et sa chance légendaire, Jérémy fronce les sourcils avec sérieux.


— Tu veux que j’aille lui parler ?


— Pour lui dire quoi ? « Hé boss, arrête de fixer ma sœur avec un regard de psychopathe avant que ça me soûle trop. En passant, tu me filerais une augmentation ? »


— Oui… C’est pas faux, admet le jeune homme à contrecœur. Si il t’ennuie vraiment vient me le dire par contre.


— Jérémy, quand ai-je eu besoin de toi pour me défendre ? Je suis plus compétente que la peste pour éloigner les gens de moi.


Son frère lui fait un sourire moqueur face à la comparaison avant d’aller reprendre son service. Lydia sert un client en soupirant. Il y a longtemps que Jérémy n’a pas essayé de jouer au protecteur. Pour commencer, parce que la rousse ne s’intéresse pas aux relations intimes – ou aux relations en règle général – et, ensuite, car les garçons de la ville entière ont eus une discussion avec Jérémy quand ils tentaient une approche avec elle. Lydia n’a jamais rien dit à ce propos, ça l’arrangeait que son frère joue au défenseur de vertu étant donné que la rousse avait moins d’effort à fournir pour envoyer balader ses prétendants. Mais, cette fois-ci, ce n’est pas une bonne idée.


Liam Griffin est leur patron et la jeune femme n’a pas du tout envie que Jérémy se fasse virer à cause d’elle. Elle n’est pas méchante à ce point et puis, rien que l’idée d’entendre leur mère bavasser pendant des heures calmeraient les ardeurs de n’importe qui. La jeune femme l’entend déjà lui dire que tout est de sa faute, que Jérémy lui a gentiment trouvé un travail et que ça lui a coûté sa propre place. Vive la migraine. Et de toute façon, Lydia doute que ce soit un prétendant. Pourquoi un patron baverait sur une serveuse grincheuse et cynique ?


Le reste de la soirée se passe assez rapidement, les autres employés partent un à un. Lydia est censé faire la fermeture et voir que ce Liam reste dans un coin à attendre commence à la mettre mal à l’aise. Jérémy qui a fini depuis au moins vingt minutes semble tergiverser, jetant des coups d’œil récurrent à leur patron et pinçant les lèvres en signe d’agacement.


— Rentre, grogne Lydia en rangeant des verres.


— Il ne m’inspire pas confiance.


— Jérémy, tu deviens lourd ! Si tu ne veux pas que je te foute dehors, dégage !


— Pitié, comme si tu en avais la capacité, se moque Jérémy.


Lydia se contente de le darder d’un regard profondément agacé.


— Tu te souviens de Vicky ? susurre-t-elle fièrement. Elle m’a demandé ton numéro la semaine passé. Elle avait l’air assez énervée.


Jérémy blanchit. Vicky est sa dernière ex. Particulièrement cinglée et violente. Un jour, elle a envoyé un vase à la tête du jeune homme qui a fini avec une légère commotion. Il l’a quittée un peu après ça et il fréquente de manière régulière son ancienne meilleure amie. En gros, si elle le croise, Jérémy est mort.


— On se voit à la maison, cède-t-il.


— Arrête d’être gentil, s’agace Lydia alors qu’il s’en va.


La rousse n’a besoin de mettre personne dehors, les cas sociaux ayant visiblement décidé de lui épargner ce fardeau supplémentaire. Lydia range les derniers verres sans prêter attention à son patron qui est sur son portable depuis vingt minutes. Elle récupère son sac sur le bar et les clés, prête à enfermer ce Liam s’il est décidé à camper et se tourne vivement pour lui demander s’il compte partir un jour pour le trouver juste derrière elle. La rousse en lâche son sac et sa phrase acerbe reste bloquée dans le fond de sa gorge alors que ses yeux rencontrent un torse plus imposant qu’elle ne l’a cru. Cet homme est bien plus proche que ne le permet les convenances. Lydia tente un pas en arrière mais elle bute contre un tabouret et manque de tomber. Une poigne ferme sur son bras empêche sa chute et provoque une décharge électrique dans tout son corps. La jeune femme lève un regard troublé vers Liam qui arbore un air sérieux.


— Vous envahissez mon espace vital, marmonne la rousse sans réfléchir.


— Tu me vouvoies maintenant ? la taquine son nouveau patron.


— Vous allez me verser mon salaire tous les mois, j’imagine que ça nécessite un minimum de respect hiérarchique. Et vous n’avez toujours pas lâché mon bras.


— Je t’ai empêchée de tomber.


— J’ai trébuché parce que vous me colliez au train ! Et je commence à me dire que j’aurais préféré la chute.


Lydia pince les lèvres devant l’air amusé de l’homme en face d’elle. Elle constate également que les cheveux de Liam sont plus d’un brun très foncés que noirs. Et qu’il a des fossettes.


Depuis quand je prête attention aux fossettes ?


Il finit cependant par lui lâcher le bras et recule d’un pas. Lydia sent l’air devenir moins lourd alors que la partie de son bras qu’il tenait est encore parcourue de picotements. La rousse est légèrement déstabilisée et elle a horreur de ça.


— Ton air renfrogné a un côté mignon, en fait, rigole Liam.


Lydia fronce les sourcils, réellement agacée par cet arrogant aux yeux océans qui semble se rendre compte que le corps de la jeune femme réagit malgré elle.


— J’ai terminé alors je ferme ou vous le faites mais, je rentre chez moi.


— Ce n’est pas une façon très correcte de parler à son patron, fait remarquer Liam avec amusement.


La rousse ne répond pas et ramasse son sac. Liam va chercher ses affaires et ils sortent de l’établissement ensemble. Le brun la regarde alors qu’elle ferme la porte et descend la grille. Une fois terminée, et sentant les yeux de son patron l’analyser, la rousse soupire et se tourne vers lui.


— Vous trouvez ça amusant, avouez, siffle-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine. Et c’est pour ça que sembliez si sûr de vous l’autre jour. Vous vous êtes moqué de moi.


— Tu m’en voudrais si c’était le cas ?


— En fait… Non, admet Lydia.


Liam attend une explication mais la jeune femme n’ajoute rien et lui tourne le dos pour rejoindre sa voiture.


La vérité, c'est que cet homme est le premier à lui tenir tête et ne faire aucun cas de son caractère exécrable. Mise à part Alex et Jérémy, personne n'ose l'approcher et encore moins lui parler. Soit parce qu'ils sont effrayés, la prenant pour une folle furieuse. Soit parce qu'elle les agace. La rousse est donc plus habituée à être fuie que poursuivie. Liam fait naître quelque chose de nouveau en elle qu'elle peine à nommer. De plus, respirer devient un parcours du combattant en sa présence. Le tout fait naître une curiosité toute nouvelle chez la rousse, brisant sa monotonie.


En arrivant chez elle, Lydia fait face à un Jérémy circonspect et elle soupire lourdement.


— Tu es sérieux ?


Probablement conscient qu'il a dépassé les limites de l'inquiétude fraternel — surtout compte tenu de leur relation — , Jérémy se contente de hausser les épaules et monte les escaliers de sa chambre. Lydia le regarde disparaître, mitigée. Il y a longtemps que la situation entre eux est devenue étrange. La rousse étant agressive à la moindre occasion et Jérémy restant gentil en toute circonstance. Ils ont été proches. Avant.


Avant quoi ? Lydia n'est pas sûre. Mais, Jérémy a toujours été présent, à sa manière. Lui tenant les cheveux pendant qu'elle torturait son corps durant ses crises de boulimie ou en l'attendant dans le hall d'entrée pour s'assurer qu'elle va bien comme aujourd'hui. La rousse ne dit pas merci. Premièrement parce qu'elle n'a rien demandé, Jérémy prend soin d'elle de sa volonté propre. Deuxièmement, car elle aurait la sensation d'admettre qu'elle a besoin qu'il veille sur elle. Et la jeune femme préférerait mourir que ce soit vrai ou non.


Cependant, si la rousse ne prononce jamais des remerciements verbaux, il lui arrive de dresser un drapeau blanc de courte durée. Alors, Lydia monte et entre dans la chambre de son demi-frère. Ce dernier se fige alors qu'il retirait son pull, les bras en l'air et les cheveux en pétards. Se rappelant qu'elle vient en paix, Lydia ravale sa remarque sarcastique sur sa tête de poisson rouge et se dirige vers la console de la pièce. La rousse attrape une des manettes avant de se jeter à plat ventre sur le lit.


— Call of ou GTA ? s'enquit Lydia.


Jérémy regarde sa demi-sœur une seconde avant de lancer son pull dans un coin de la pièce et d'attraper la deuxième manette et de lancer le jeu. Le jeune homme ne sait pas exactement que lui vaut cette nuit d'armistice mais il la savoure. Les moments où Lydia se laisse approcher sans mordre deviennent rares. Plus le temps passe et plus la rouquine semble se renfermer derrière une barrière de sarcasme frôlant la méchanceté. Cherchant à éloigner le monde extérieur, la jeune femme en oublie que Jérémy a été son allié un jour.


Jérémy la connaît, sans doute mieux qu'elle-même. Sa tendance à faire fuir les autres est totalement volontaire. En esquivant toutes formes de relation, elle esquive la possibilité d'être blessée. Comme l'a fait son père ou sa mère. Le jeune homme peine à comprendre pourquoi ses parents ne voient pas ce que lui voit.


Lydia est un diamant à l'état brute. Si elle s'en laissait l'occasion, elle aurait tellement à donner aux autres, au monde. Elle ne cherche pas exploiter son potentielle. Pourtant, la rouquine est intelligente, jolie et marrante. Leur mère perd tellement en ne voyant en sa fille qu'une source de problèmes et de mauvais souvenirs.


Jérémy revient au jeu quand Lydia lui frappe l'arrière du crâne en râlant.


— Pas que je sois étonnée d'être meilleure que toi mais, là tu ne fais aucun effort, grince la rousse sans le regarder.


Le jeune homme la regarde, lui. Il sourit légèrement en la voyant si concentrée, se mordant la lèvre sous la tension ou rigolant avec sadisme devant la mort de ses ennemis.


Cette fille est sans doute un peu cinglée. Mais, c'est précisément ce qui la rend si parfaite, au fond.


Ricanant comme un enfant, Jérémy tue sa demi-sœur alors qu'elle allait monté dans une voiture fraîchement volée. Cette dernière se fige et se tourne vers son meurtrier avec lenteur, complètement perdue.


— Mais t'es con ou quoi ?


Le concerné se contente de rire alors que la jeune femme se jette sur lui le frappant avec un coussin et l'insultant de tous les noms.


Le rire de Jérémy, cependant, résonne toujours dix minutes plus tard. Et en y faisant très attention, on peut entendre le rire de Lydia le rejoindre de temps à autre, discrètement.


***


Tu es stupide Lydia. Tellement.


Je te hais de t'infliger ça. Je te hais de me l'infliger, à moi.


Je suis toujours là, moi. Et je te hais pour ça.


Je te hais de te laisser abattre. Je te hais d'être si faible. Je te hais de laisser le monde te tuer. Je te hais de ne pas attraper ma main désespérément tendue. Je te hais de hurler quand j'entre dans ta chambre alors que ce n'est que moi.


Je te déteste d'être si impitoyable dans ta souffrance et ta déchéance. De ne pas penser à ceux qui te regardent partir chaque jour un peu plus. Je te déteste parce que malgré tout, tu restes si parfaitement toi.


Je te déteste parce qu'en dépit de tout ce qu'il s'est passé, je t'aime toujours.


Trop, sans doute. Pas comme il le faudrait, sûrement.


Mais plus que n'importe qui sur cette Terre, indéniablement.


Alors revient et laisse-moi te détester un peu plus longtemps.

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