Sombres Contes - Tome 1 : Le Dernier Hiver

476 après Jésus-Christ, Bretagne

Le monde entier était plongé dans le chaos. L'Europe Humaine connaissait des guerres pour de nouvelles prises de pouvoir, pour la domination d'un peuple sur un autre, laissant les Célestes, et surtout les Dieux, sans défense devant la grande menace qui se réveillait sur le monde. Pire encore, les Humains se retournaient contre eux. Le grand argument pour renverser l'Empire Romain, fervent allié de la magie et des Dieux, était d'accuser les Célestes pour le malheur qui s'abattait sur eux, encourageant la population humaine à fuir la magie et les oublier pour se protéger d'eux. 

Sur une colline bretonne, deux silhouettes restaient calmes en regardant le monde. Un homme et une femme dont le physique affichait à peine la trentaine d'années, mais dont la profondeur du regard trahissait une vie bien plus longue. Deux ennemis de longue date, mais les événements les avaient rapprochés, de force. L'heure n'était plus aux vieilles querelles, mais aux alliances.

- Elle ne va pas venir, s'enquit Morgane à Merlin, ce dernier ayant les yeux rivés vers le ciel, attendant encore.

Merlin eut un léger sourire. - Détrompe-toi. Elle est arrivée.

Morgane eut un frisson désagréable, la sensation que laissait un Dieu en s'approchant d'un sorcier. Elle se tourna alors aussitôt, pour faire face à Hécate, déesse de la magie, qui semblait bien mal en point, sa stola salie par le sang doré des olympiens et déchirée au niveau des manches. Hécate s'appuyait sur son sceptre pour ne pas trop en demander à ses jambes meurtries. Morgane la regardait de haut en bas, dans un mélange de surprise, d'inquiétude et de méfiance.

Merlin, lui, n'avait pas bougé. - Bonjour Hécate. Il est temps pour les Dieux et les Sorciers d'arrêter leur longue rivalité.

Malgré la douleur, Hécate eut un rictus. - Les Sorciers veulent fuir. Voilà une lâcheté décevante qui entache la réputation du grand et sage Merlin. Pour une fois dans l'Histoire, ce ne sera pas les Dieux qui seront accusés d'abandonner l'Humanité à son sort.

Un voile sombre passa sur le visage de Merlin, préoccupé, alors que Morgane rendit à la déesse son sourire désagréable. - Zeus a déjà accepté notre porte de sortie. Il n'y a plus que toi qui refuse de suivre. Mais si tu laisses la magie aux Humains, qui commencent justement à la rejeter, dans ces temps aussi sombres, le monde risque de ne jamais s'en remettre.

Merlin bougea enfin, se tournant face à la déesse, les mains jointes dans le dos. - Tu dois à tout prix convaincre Ether de se retirer avec les siens, et toi aussi, dans les Terres Sacrées de Camelot. Vous devez croire en la prophétie, vous devez croire qu'un jour, ce monde pourra renaître. 

La Déesse et les Sorciers se regardèrent pendant un moment, les cheveux pris dans le vent au terrible parfum de souffre, les yeux illuminés par les éclairs de destruction qui s'abattaient de plus en plus autour d'eux. Après quelques minutes, Hécate ignora la douleur et se redressa, reprenant l'attitude de guerrière pour laquelle on la connaissait si bien. Un air déterminé et fier habilla à nouveau les traits de son visage.

- Ether n'abandonnera pas. Je resterai avec mon neveu. Le monde nous abandonne peut-être, mais je refuse d'abandonner le monde. 

Morgane serra la mâchoire. Elle et Merlin comprirent que ce refus serait définitif. Sachant ce qui venait ensuite, les Sorciers fermèrent les yeux, pour ne pas observer la lumière mortelle que la téléportation d'un Dieu irradiait. Merlin soupira. Un bâton apparut dans ses mains, et il tourna le visage vers Morgane.

- Dans ce cas, nous n'attendons plus personne. Hécate t'a-t-elle fait douter ?

- Non, affirma la Sorcière, ferme.

Alors, sans plus attendre, Merlin abattit son bâton sur le sol.

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Scandinavie

Hécate apparut aux côté de la dernière armée contre les ténèbres. Une armée de légende composée d'Ether, son neveu, de trois héroïnes qu'on appelait les Trois Grandes, d'un démon du Pays des Merveilles, et du coven d'Hécate. Ou presque. Hécate s'attendait à retrouver son coven, mais les Sorcières gisaient toutes au sol.

Ether tenait dans ses bras la jeune Gretel, qui respirait encore, non sans difficulté cependant, serrant la mâchoire sous la douleur. Hécate se précipita à son chevet.

- Les ténèbres ont recruté l'armée de la Reine des Glaces, expliqua Ether sinistrement. Elle est plus puissante que jamais grâce à elles. Kay et Gerda l'ont maîtrisé au début mais elle a eu raison d'eux en premier. Je suis désolé pour ton coven, ma tante...

Hécate prit la main de Gretel dans la sienne, tremblante. - Ne t'excuse pas. Ce sont les Humains. Ils nous tournent le dos, ma magie est moins puissante maintenant qu'ils me refusent à leur culte. Mes sorcières ont dû souffrir de ma faiblesse. 

Elle se pencha davantage sur Gretel, et murmura quelques mots alors que des larmes brouillaient sa vue. - Je suis désolée...

Le démon des Merveilles regarda sa montre d'un air préoccupé. - Je crains que nous sommes en retard. Nous étions la dernière barrière, mais nous ne pouvons plus rien contre eux. L'armée de la Reine des Glaces n'était qu'un obstacle pour nous ralentir. Il va absorber toute l'énergie des Célestes...

Ether releva les yeux, dans un frisson. On lui avait toujours dit qu'il sauverait le monde lorsqu'il en aurait besoin. Il ne pouvait pas le permettre. Il laissa Gretel dans les bras d'Hécate et se leva. 

- Nous avons encore une solution. Merlin m'a donné sa prophétie, je dois croire qu'elle se réalisera même si nous en perdons nos âmes.

Gretel tourna difficilement la tête vers Ether en comprenant ce qu'il voulait dire. - Nous crois-tu vraiment capable d'en revenir si nous prenons ce chemin ? 

Ether baissa les yeux au sol un instant. - Je ne sais pas. Je l'espère.

Il claqua des doigts, envoyant chacun de ses alliés sur leurs terres d'origine. Il retira ensuite tous les soldats qui empêchaient l'Armée des Glaces de briser le miroir. Et lorsque ses éclats recouvrirent le ciel de la Scandinavie, et bientôt de toutes les terres Célestes, les ténèbres disparurent enfin. 

Mais avec les ténèbres, les terres entières s'éteignirent avec elles.