Monstermen : Les Gardiens des Mondes

Chapitre 3 : Renaissance

5325 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/11/2021 16:28

Les corps sans vie de Maximilien Beaucourt et de la jeune femme inconnue, ayant été révélée plus tard comme la fille d'un comte invité à la cérémonie, furent retrouvés par les serviteurs du manoir. La vue du cadavre de Maximilien déclencha la folie de ses parents, dont la mère finit par tomber inconsciente. Comme Alcina restait introuvable, des recherches intensives eurent lieu dans tout le domaine et ses environs. Le cadavre ensanglanté d'Alcina sera finalement retrouvé, plusieurs heures après sa mort, par son père et deux serviteurs. La cause de la mort d'Alcina fut mise en évidence par le suicide en raison du poignard couvert de sang qui fut retrouvé à côté d'elle, mais pour Maximilien et la fille du comte, l'on ne sut pas vraiment ce qui avait pu se passer, car d'après le médecin qui examina les corps, la force qu'il avait fallu pour briser aussi aisément leurs cous était bien au delà de ce qu'un humain ordinaire, même très fort, pouvait faire.

Quelques jours après sa mort, Alcina fut placée dans un cercueil en chêne et enterrée dans le cimetière familial au fond du domaine, aux côtés de sa mère Elizabeth. La jeune héritière Derune étant très aimée pour sa gentillesse et son ouverture d'esprit, un grand nombre de serviteurs choisiront d'abandonner leur travail et de quitter le manoir, n'ayant pu supporter de devoir faire à une réalité aussi cruelle. Richard ayant tantôt perdu sa seule héritière mais surtout sa fille qu'il aimait plus que tout au monde, sombra peu à peu dans une mélancolie ravageuse, ne mangeant plus, ne dormant plus, et passant ses journées à végéter dans le fauteuil de son salon, à fixer les flammes de la cheminée. La terrible nouvelle du massacre se répandit comme une traînée de poudre à travers la région, puis le pays tout entier. La famille Beaucourt, anéantie par la mort de son héritier, cessa tous ces accords commerciaux avec les Derune, les considérant comme responsables. Les affaires de la famille Derune se mirent lentement à chuter et en à peine un mois, l'entreprise familiale se retrouva endettée.

Richard Derune décédera trois mois seulement après la mort d'Alcina, son chagrin étant si douloureux qu'il finit par le tuer. Il fut découvert un jour par l'un des rares serviteurs qui étaient rester à son service, dans son fauteuil, comme s'il s'était endormi et ne s'était jamais réveillé. Richard, étant le dernier de la famille Derune, fut enterré à côté de sa femme et de sa fille.

Au fil des ans, plusieurs familles riches achetèrent le manoir, mais aucune d'entre elles ne put rester plus d'un an avant de décider de partir, affirmant qu'il régnait une atmosphère morbide dans le manoir, que les jardins mouraient lentement sans explication, les animaux venant y mourir par dizaines dans d'étranges circonstances et qu'une senteur de mort empestait le domaine sans que rien puisse être fait. Finalement, ne trouvant plus d'acheteurs, le manoir fut abandonné et l'accès en fut interdit après que plusieurs petites sectes sataniques tentèrent d'en faire leur lieu de culte. Les années et les années passèrent, pendant lesquelles le manoir tomba lentement en ruines, la nature reprenant peu à peu ses droits sur le domaine Derune. En 1852, cinquante ans après la mort d'Alcina, une tempête soudaine et violente ravagea la ville de Landding, causant la mort de toute sa population en une nuit et ne laissant derrière elle qu'un champ de ruines. Situé sur les hauteurs de la falaise, le manoir et le domaine furent épargnés par le mystérieux déluge qui s'évanouit aussi vite qu'il était apparu.


Octobre 1902


Le manoir Derune, ainsi que l'ancienne ville portuaire de Landding, n'étaient plus depuis longtemps que l'ombre de ce qu'ils avaient été. Alors qu'autrefois se dressait une cité prospère et florissante, une ville fantôme se tenait désormais au bord de la mer et bordée par les collines endormies, dominée par le manoir en ruine dominant lui-même la vallée, devenue froide et désolée.

Au fil des années, la nature avait repris ses droits sur le domaine, recouvrant le cimetière de racines et autres plantes envahissantes qui avaient fragilisé et éventré la plupart des tombes, faisant émerger squelettes et autres restes putréfiés à l'air libre. Un silence de mort régnait sur le domaine... Ou presque.

L'une des tombes éventrées laissa entendre un très léger bruit de frottement, comme si quelque chose essayait d'en sortir. Une main émergea soudainement de la tombe, suivie d'un corps. Se réveillant comme du plus abominable des cauchemars, l'air perdu et la respiration haletante, Alcina s'extirpa de sa tombe, rampant très difficilement et s'agenouillant sur la terre humide du cimetière. Comment... Comment pouvait-elle être ici ? Tout était flou dans son esprit. Les yeux ronds et regardant autour d'elle, elle ne comprenait rien à ce qui se passait et en penchant la tête, put voir son reflet dans une flaque d'eau. Ce qu'elle contempla la fit presque hurler de peur.

Sa peau était devenue d'une pâleur morbide et ses cheveux noirs étaient poussiéreux et sales. Ses yeux autrefois bruns ressemblaient à ceux des chats et ses iris d'un rouge sang profond. Ses oreilles étaient devenues légèrement pointues à leurs extrémités, et ses canines étaient devenues acérées, comme celles d'un vampire. Les ongles de ses mains étaient devenus noirs et taillés comme des sortes de griffes. Elle portait toujours sa robe de mariée, qui avec le temps avait été dévorée et n'était plus qu'un amas de lambeaux vieux et sales.

Elle remarqua aussi la longue cicatrice sur sa poitrine, causée par la lame du poignard quand elle...

Pétrifiée, Alcina se souvenait de tout, les images d'un passé désormais lointain éclatant dans son esprit meurtri... Son enfance innocente et heureuse avec son père ... Sa rencontre avec Maximilien dans ce parc à Paris ... Le jour du mariage et ... Sa propre mort ... La douleur de la lame lui perçant la chair et le coeur ... Tout lui revint en mémoire. Sentant une douleur passée revenir dans son cœur putréfié, Alcina versa des larmes et laissa éclater son désespoir en un cri qui résonna dans toute la vallée. En pleurs, Alcina était horrifiée de voir ce qu'elle était devenue, et aussi ce qu'il était advenu du domaine de sa famille lorsqu'elle leva le regard dessus. Le manoir, autrefois majestueux, n'était plus qu'un tas de décombres vide et abandonné à la merci du temps et des éléments.

En voulant se lever, très difficilement, le regard d'Alcina fut attiré par deux tombes érigées à côté de la sienne. C'est avec encore plus de souffrance qu'elle regarda impuissante les tombes de Richard et Elizabeth Derune, ses parents, comme sa propre tombe : ici repose Alcina Derune, 1779 - 1802, fille aimante et aimée.

Ses jambes ayant encore du mal à la porter pour l'instant, Alcina rampa dans la terre humide jusqu'aux tombes de ses parents et, les larmes aux yeux, ne put que rester à genoux devant elles, les mains et les lèvres tremblantes.

_ Mère ... Père ... Je suis ... tellement désolée...

Sa gorge était plus que douloureuse. Elle ne pouvait plus parler tant la douleur était si grande. Était-ce sa punition pour avoir commis deux meurtres et avoir commis le pêché de s'être donné elle-même la mort? Le Tout-Puissant lui-même l'avait-il condamné à une errance éternelle en tant que morte-vivante? Que pouvait-il être autre qu'un châtiment divin.

Le vent froid amena tout à coup avec lui ce qui ressemblait à un vieux journal humide, ballotté par les courants ascendants depuis des jours sûrement et venant le déposer sur les genoux de la jeune morte-vivante. Alcina posa vaguement un regard à la page principale, et la date qu'elle lut la fit haleter. 17 octobre .... 1902 ?!

Alcina n'en revenait pas et écrasa le journal dans ses mains. Un siècle s'était écoulé?! Non, elle ne pouvait y croire. Lacérant et déchirant le journal en milliers de morceaux, elle hurla de nouveau sans que personne ne puisse l'entendre, se laissant envahir par la cruelle réalité qui venait de lui sauter aux yeux. Le seigneur avait-il été si révolté par son acte qu'il décida de faire d'elle un exemple? Après de longues minutes, levant les yeux vers le ciel nuageux d’où commença à tomber une pluie glaçante, la jeune comtesse qui n'avait plus aucun cri à pousser, plus même l'envie de réfléchir, sembla se résigner à son triste sort.

_ Si tel doit être mon châtiment, seigneur, qu'il en soit ainsi, soupira t-elle avec tristesse.

Depuis les branchages d'un arbre à proximité du cimetière, une discrète présence s'était faite silencieuse et avait observé la résurrection de la jeune femme. Le corbeau, de son oeil rouge affûté, la regarda lentement s'éloigner du cimetière pour regagner le manoir en ruines, et dans un petit croassement rauque, s'envola sous la pluie.


Septembre 2009


Au cours des nombreuses décennies qui virent évoluer le monde, Alcina demeura entièrement seule et isolée dans son immense manoir délabré, se nourrissant exclusivement du sang de petits animaux qu'elle parvenait à attraper. Tout ce temps, par le biais de vieux journaux amenés par les vents, elle parvint plus ou moins à se tenir informée des évènements du monde qui continuait de tourner sans elle désormais. Plusieurs fois, elle dut user de ses pouvoirs afin de terroriser et faire partir des curieux qui essayaient de venir explorer son domaine, mais une fois, au cours de la Deuxième Guerre Mondiale, lorsque qu'une troupe de soldats nazis tenta de transformer ce vieux manoir en cachette d'armes, Alcina, courroucée, laissa s'exprimer pour la première fois son nouvel instinct de tueuse prédatrice. Les uns après les autres, elle massacra les soldats sans la moindre difficulté et sans montrer aucune clémence. Ainsi goûta t-elle pour la première fois au sang humain et se forgea peu à peu un dégoût profond pour l’espèce à laquelle elle appartenait dans sa première vie.

Le domaine Derune se vit très vite accordé une grande réputation de lieu hanté, beaucoup affirmant qu'un véritable démon y vivrait et viderait de leur sang tout ceux qui osent en franchir les limites. Plusieurs équipes de chercheurs en paranormal tentèrent de s'y aventurer dans l'espoir d'y récolter de précieuses images et informations, mais tous revinrent complètement traumatisés, incapables d'expliquer ce qu'ils avaient vu et tout leur équipement vidéo ayant été détruit.

Aujourd'hui, l'halloween de l'année 2009 était proche. Le temps semblait déjà se prêter au jeu, car depuis de longues semaines régnait une météo grise et pluvieuse, un océan de nuages noirs masquant le ciel.

Encore une énième journée maussade pour celle qui fut à jamais maudite pour le destin. Dans le lugubre grand salon, assise dans le fauteuil de son défunt père et faisant face à quelques bûches brûlant dans la cheminée, Alcina restait morose comme à son habitude. Habillée d'une très élégante et riche robe noire victorienne, fermée par une ceinture écarlate et un jabot de dentelle gris pendant de son cou, la comtesse vampire observait la danse lancinante des flammes dans la grande bouche de marbre. Partout sur le sol du salon étaient dispersés les cadavres d'animaux comme des souris, rats, lapins, chevreuils, tous ratatinés et vidés entièrement de leur sang.

Un vif couinement brisa le silence pesant et attira l'attention d'Alcina vers un rat noir qui venait de se faufiler hors de l'une des fissures du mur à proximité et reniflait le sol à la recherche de quelque nourriture. D'un simple regard, Alcina attira le rongeur jusque dans sa main avec sa télékinésie, et plongea ses crocs dans son corps, le vidant en à peine quelques secondes avant de le jeter derrière pour rejoindre les autres cadavres.

_ Immonde, siffla Alcina entre ses dents, essuyant le mince filet de sang qui avait coulé de sa lèvre.

En effet, le sang de rat n'était pas le plus fameux et très loin d'être nourrissant. Depuis sa transformation en vampire, Alcina avait tout fait pour ne se nourrir que de sang d'animaux qu'elle pouvait saisir, sachant que si elle s'en prenait à des humains, le taux grandissant de morts finirait par attirer l'attention sur elle.

Mais si ce jour était bien plus morne que les autres la raison en était des plus simples pour la belle et ténébreuse comtesse. Ce jour sonnait un nouvel anniversaire de la mort de sa mère. Comme à son accoutumée ce jour-là, un châle noir couvrant ses épaules, Alcina se rendit au cimetière familial pour se recueillir quelques instants devant les tombes de ses parents, priant pour leur salut et espérant qu’ils pourraient un jour lui pardonner pour ce qu’elle avait fait.

_ Mère. Père. Que puis-je ajouter ? Deux siècles ont maintenant passés et désormais je ne reconnais plus ce monde dans lequel je suis pourtant née. L’humanité est devenue si… Je n’ai même pas de mots pour le décrire. Je ne ressens plus que du mépris pour ces humains et de voir ce qu’ils ont fait. J’ai été condamnée à la vie éternelle, dans un monde auquel je ne ressens plus aucun attachement. À côté de cela, les flammes ardentes des fosses de l’enfer me paraîtrait presque douces.

Un croassement soudain la coupa dans ses pensées et la fit se retourner. Juché sur l'une des pierres tombales, un corbeau aux yeux rouges se tenait, impassible, et semblait observer la jeune femme revenue d'entre les morts. Alcina crut avoir rêvé en le voyant, et bien que cela paraisse impossible... oui... C'était le même corbeau qu'elle avait sauvé sur son balcon il y maintenant deux siècles. Comment se faisait-il qu'il était encore là?

Alcina se leva sans un geste brusque et voulut se rapprocher de l'oiseau noir. Quand elle fut assez proche, le corbeau s'envola et se dirigea vers le nord. Mais après quelques secondes, remarquant qu'elle ne le suivait pas et qu'elle le regardait juste partir, le corbeau se retourna et vint dessiner des cercles dans les airs au dessus d'Alcina, poussa plusieurs croassements. Elle l'observa attentivement.

_ Qu'est-ce que tu me veux ? demanda-t-elle, n'attendant pas de réponse d'un oiseau, aussi étrange soit-il.

Le corbeau se posa sur le sol et avec son bec, ramassa quelques brindilles de bois pour former, sous l'œil confus d'Alcina, une flèche pointant vers le nord. Autrefois, Alcina aurait pu croire à une folie naissante dans son esprit si elle-même n'était pas revenue de la mort sous la forme d'un vampire.

_ Tu veux ..... que je te suive?

Et plus étonnant, le corbeau sembla hocher la tête et s'est envolé vers le nord. Plus qu'intriguée et ne voyant pas ce qu'elle pourrait faire d'autre, Alcina, après quelques secondes d'hésitation et un dernier regard sur le manoir, décida de suivre le corbeau et quitta le cimetière, laissant derrière elle l'endroit où elle était née, décédée, et ressuscitée.

Le corbeau aux yeux rouges volait dans le vent, croassant, et plusieurs dizaines de mètres plus bas, Alcina courait après lui, le regardant régulièrement pour ne pas le perdre de vue. Elle courait à travers les collines de la campagne normande, telle Alice suivant le lapin blanc jusqu'à son terrier, se demandant pourquoi elle faisait ça, mais après tout, que pouvait-elle faire d'autre ? La curiosité l'emportait sur le reste. Elle voulait absolument comprendre ce qu'était ce corbeau qui n'était pas un simple volatile.

Une légère pluie glaciale commença et Alcina se retrouva à courir sous la pluie, suivant le corbeau qui poursuivit son vol sans être dérangé par l'intempérie.

Après presque une demi-heure, le corbeau a finalement conduit la comtesse à ce qui semblait être un cercle de mégalithes perdu au milieu des collines. Les pierres mesuraient chacune plusieurs mètres de hauteur, et la surface érodée par la pluie et le temps montrait une grande et évidente ancienneté. Alcina reconnut cet endroit, l'ayant déjà visité plusieurs fois avec son père ou des amis. Nommé Gu Math Anam, signifiant « Puits des âmes » en gaélique, ce lieu datant de l'époque ou les celtes arrivèrent sur les terres de France, était réputé, dans les plus anciennes légendes, être un passage pour les âmes des défunts et menant à l'autre monde. Alcina s'approcha des mégalithes et toucha la surface de l'une d'elle avec sa paume, sentant la roche froide sur sa peau pâle. Le corbeau atterrit sur l'un des rochers et, avec des gestes de la tête et des croassements, sembla encourager la comtesse à venir au centre du cercle.

Alcina était très méfiante. Ce corbeau était-il un messager du diable, cherchant à piéger sa pauvre carcasse errante dans un piège menant tout droit en enfer pour la punir de ses péchés ? La jeune femme a refusé d'avancer.

_ Maintenant ça suffit, tu vas me dire qui tu es et qui t'envoie !

Elle menaça ouvertement l'oiseau, qui ne parut pas effrayé, mais poussa simplement un autre cri rauque.

Le vent a soudainement commencé à souffler de plus en plus fort, comme si une tempête arrivait. Dans le vent, Alcina crut entendre une voix grave et inconnue, un rire sinistre et résonnant dans l'air. Perturbée, elle vit soudainement du sang couler depuis la surface des mégalithes, formant presque des symboles de sang. La tempête s'est renforcée, et le sol au centre du cercle de pierres a commencé à trembler, puis se fissurer pour s'effondrer sur lui-même, révélant une sorte de trou béant et tournant sur lui-même dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. Alcina voulut s'éloigner, mais elle se sentit attirée par une force invisible et très puissante, impossible de résister. Le rire sinistre se fit à nouveau entendre. Le corbeau resta insensible à la détresse de la comtesse qui faisait tout pour se tenir à l'un des mégalithes.

_ Nooon! Nooon! cria Alcina, essayant désespérément de s'accrocher à l'un des mégalithes, mais rien n'y fit, elle fut emportée dans le vortex, dans lequel le corbeau plongea juste après elle.

Le trou se referma aussitôt, le sol se reformant et les pierres cessant de saigner, comme si de rien n'était.


**********


Alcina se sentait plus que mal. Elle pouvait vaguement sentir un sol dur, comme de la pierre, sous elle. Ouvrant difficilement les yeux, le regard un peu trouble, elle se redressa. Une fois sa vue revenue à la normale, elle constata qu'elle n'était plus dans les collines de la Normandie, ni dans le cercle de mégalithes. Ce qu'elle voyait autour d'elle n'avait aucun sens pour elle. Elle était assise sur un sol de vieilles dalles de pierre, dans ce qui semblait être autrefois un grand cimetière couvert de givre et de neige, mais qui ne ressemblait en rien à celui du domaine de sa famille. Ce cimetière était des plus sinistres, la majorité des tombes étant vides ou ayant été éventrées, renversées ou détruites par les grands arbres racornis sans feuilles qui y avaient poussé. Certains arbres semblaient montrer des visages hurlants sur leur écorce, ce qui ajoutait à l'atmosphère lugubre. Il y avait une odeur et un silence de mort dans cet endroit, et le ciel était aussi étrange, couvert de nuages ​​noirs mais montrant une légère teinte rougeâtre.

_ Mais ... Où suis-je, bon sang?! soupira Alcina en se mettant sur ses pieds.

Inquiète et perdue, la jeune comtesse décide de sortir d'ici et prit une direction, sans trop savoir où elle allait. Des bruits inquiétants pouvaient être entendus, et parfois Alcina avait l'impression de percevoir du coin de l'œil des formes furtives se déplaçant derrière des tombes. Où était-elle? Au purgatoire, ou dans n'importe quel lieu infernal où les âmes attendent d'être jugées et jetées aux flammes de l'enfer?

Alcina aperçut plusieurs autres corbeaux plus loin, ces derniers n'ayant cependant pas les yeux rouges, et dévorant les restes décomposés d'un cadavre à moitié sorti de sa tombe. Alcina déglutit et continua son chemin.

Au détour d'un des chemins du cimetière, Alcina s'arrêta brusquement. A plusieurs mètres devant elle, se tenait ce qui ressemblait à une personne, vêtue d'un vieux manteau en lambeaux. La personne était debout, lui tournant le dos, et ne semblait pas avoir remarqué sa présence. Méfiante, Alcina avança de plusieurs pas discrets, sauf un, qui laissa entendre le son du craquement d'une branche morte sur laquelle elle venait de marcher sans la voir. La personne leva légèrement la tête et se retourna vers Alcina. La comtesse ouvrit des yeux remplis de consternation.

La personne n'en était plus vraiment une, arborant un visage rongé par la putréfaction, des dents noircies et des pieds et des mains émaciés. Des vers gesticulaient dans sa mâchoire sale et il émit des grognements inhumains et brutaux à la vue de la comtesse. Un liquide noir et collant coulait de ses narines, de ses yeux, de sa bouche et de sa peau pourrie.

_ Mon dieu, soupira-t-elle d'horreur et recula de plusieurs pas.

La créature poussa un rugissement bestial et se précipita vers Alcina comme un animal enragé.

La comtesse tenta de se protéger, et dans un réflexe tendit la main, déclenchant une vague télékinétique qui frappa la créature en pleine poitrine et la projeta en arrière violemment. Aclina était étonnée de voir à quel point son pouvoir semblait avoir grandi. Bien que ses jambes aient été brisées et que la moitié de son torse ait été déchiquetée dans le choc, la créature rampa durement vers Alcina sans montrer la moindre expression de souffrance. Une de ses jambes s'était décrochée, mais le monstre n'y fit pas beaucoup attention. Dégoûtée, Alcina décida d'achever cette chose répugnante et utilisa sa télékinésie pour lui arracher la tête et la jeter plus loin. Privé de tête, le corps s'immobilisa, tandis qu'un liquide noir coulait sur le sol.

_ Mais bon sang, quel est ce lieu de cauchemar? se demanda Alcina alors qu'elle continuait son chemin, et maintenant plus inquiète de savoir que cet endroit était potentiellement habité par d'autres créatures.

Après plusieurs minutes qui lui semblèrent une éternité, Alcina arriva enfin à ce qui semblait être la sortie du cimetière, un grand espace ouvert ressemblant à un temple en ruine. Elle traversa ce qui devait être autrefois l'un des bâtiments du temple et arriva peu après dans une sorte de grande cour rectangulaire composée de dalles de pierre, et heureusement elle ne rencontra pas d'autres créatures. Au milieu de cette cour se tenait, à genoux, une sorte de grande statue mesurant trois mètres et ayant l'apparence d'un guerrier en armure, tenant à la main une énorme lance. Les détails de cette statue impressionnèrent beaucoup Alcina, mais elle n'eut pas le temps d'admirer l'ouvrage et se dirigea vers les grandes portes derrière. Alcina saisit les poignées, mais découvrit avec étonnement que les portes semblaient fermées depuis l'extérieur, par de lourdes chaînes. Bon sang! elle pensa. Je suis coincée.

Un vent froid se leva à nouveau et le rire sinistre, le même que dans les cercles mégalithiques, se fit entendre à l'horizon, surprenant Alcina. Puis un bruit sourd et étrange se fit entendre derrière elle. Se retournant, elle constata, encore une fois avec surprise, que la statue commençait à bouger. Debout sur ses pieds et secouant le sol à chaque pas, la statue guerrière géante ramassa sa lance et se tourna vers la comtesse. Les yeux vides de la statue se mirent à briller d'une lueur rouge inquiétante.

Sans prévenir ni même prononcer un mot, la statue bondit vers Alcina. La comtesse, d'abord surprise, bondit, évitant de justesse le coup de lance dévastateur, qui fit exploser les dalles sur lesquelles elle se tenait. Alcina avait roulé sur le côté, à moitié aveuglée par la poussière de l'impact, alors que la statue se tournait vers elle, impassible et déterminée à la tuer.

_ Attends, je ne t'ai rien fait... Que...

Elle n'eut pas le temps de finir sa phrase et dut éviter un nouveau coup qui l'aurait décapitée si elle n'avait pas été assez rapide. La statue vivante semblait ignorer complètement les paroles de la comtesse et essayait de la découper ou de l'empaler.

Alcina se retrouva à courir dans la cour, poursuivie par le monstrueux golem, et évitant, parfois de vive justesse, ses coups puissants. Malheureusement, Alcina ne réussit pas à éviter le coup de pied que la statue lui infligea, après avoir réussi à esquiver un coup de lance latéral. Alcina fut projetée en arrière et son dos heurta l'un des piliers encore debout de la cour. Bien qu'étant un mort-vivant, elle pouvait encore ressentir un peu la douleur et se leva avec difficulté. La voyant à terre, la statue se mit à courir vers elle, pour lui infliger le coup de grâce.

Mais Alcina fut bien décidée à ne pas se laisser tuer sans résistance. Concentrant son pouvoir, elle souleva plusieurs dalles de pierre par télékinésie, et les projeta vers le golem, qui fut touché à la tête et au corps par les projectiles de pierre, et bien que les dégâts aient été minimes sur lui, il fut arrêté dans sa course et détruit plusieurs projectiles avec sa lance. Profitant de cette diversion, Alcina usa de son pouvoir pour soulever les restes d'un vieux pilier brisé depuis longtemps. Aveuglé par les dalles qui pleuvaient sur lui, le golem n'a pu éviter le pilier qui le heurta à pleine vitesse dans la poitrine et le repoussa de plusieurs mètres en arrière. Mais cela ne suffisait pas, le golem écartant le pilier de son corps et se remit sur ses pieds. Cette chose est vraiment coriace, pensa Alcina, se demandant si elle parviendrait à le battre.

La statue jeta alors sa lance de toutes ses forces vers Alcina. L'arme allant trop vite, elle n'aurait pas le temps de l'éviter et finirait empaler. Sentant la peur grandir en elle, Alcina vit, avec grand étonnement, tout son corps devenir transparent comme un fantôme, la lance traversant son corps devenu immatériel. La lance heurta le mur derrière Alcina, qui redevint aussitôt palpable. Comment avait-elle pu faire ça ? Elle s'étonna elle-même... Était-ce la peur qui avait éveillé ce nouveau pouvoir en elle ? Aucune idée, mais cela lui avait sauvé la vie, pour ainsi dire.

N'ayant plus de lance en main, la statue géante surgit avec une rapidité surprenante pour sa taille et asséna un coup à la comtesse, qui étant trop déconcertée par ce qu'elle venait de faire, ne put éviter le coup de poing qui la projeta contre un autre pilier. Souffrant beaucoup, Alcina toussa et cracha un peu de sang. Malgré sa vision floue, elle pouvait voir la statue ramasser sa lance et se préparer à venir vers elle pour l'achever. Se relevant avec beaucoup de difficulté, Alcina aurait pu s'avouer vaincue, mais ce pouvoir nouvellement découvert lui donna une idée, très risquée mais qui pouvait marcher.

Alcina se releva et fit face à la statue qui se mit à courir vers elle. Elle l'imita, et sans avertissement, redevint transparente et plongea droit dans le corps du golem, qui se stoppa net. Constatant que la comtesse était à l'intérieur de son corps, il chercha à la tuer en empalant son propre corps. Le golem s'infligea de lourds dégâts avec son arme, essayant de toucher Alcina, sans succès. Une fois que le golem fut trop gravement endommagé, la comtesse s'extirpa de son corps de pierre et redevint tangible. Le golem la revoyant, s'avança vers elle encore plus lentement, son corps et ses membres étant très endommagés par les coups qu'il s'était infligé lui-même. Heureusement, cette chose n'était qu'une marionnette sans cerveau. Encore une fois, Alcina utilisa sa télékinésie pour jeter un autre pilier sur le golem, qui fut repoussé dans les ruines du temple. Puis, utilisant plus de concentration jusqu'à en avoir mal à la tête, Alcina fit s'effondrer le reste du bâtiment sur le golem, qui fut écrasé par des tonnes de débris tombant sur lui, le réduisant en morceaux.

Constatant enfin la destruction de son adversaire, Alcina soupira de soulagement et de fatigue, se remettant assez mal des coups qu'elle avait reçue et de l'énergie déployée dans l'usage de ses pouvoirs.

Un croassement familier lui fit lever la tête et elle revit le corbeau aux yeux rouges, se reposant sur un pilier et la regardant dans les yeux.

_ Toi! souffla t-elle en reconnaissant ce maudit oiseau.

Mais les portes de la cour du vieux temple s'ouvrirent subitement, à l'étonnement d'Alcina qui se retourna. Une grande forme sombre se tenait derrière les portes, et une fois qu'elles s'ouvrirent, entra nonchalamment dans la cour vers Alcina, qui put voir, partagée entre la crainte et la fascination, l'apparition du nouveau venu.

Il mesurait près de deux mètres, avec un corps trapu dans une armure métallique d'apparence féroce et paraissant presque intégré à sa chair. Il marchait avec de grandes bottes en métal hérissées de pointes. Ses mains étaient griffues et portaient des mitaines noires. Une longue cape noire flottait dans son dos. Sa ceinture en cuir était ornée d'un visage hurlant. Il était habillé comme un guerrier démoniaque venu du plus profond des enfers, mais c'était son visage qui marqua le plus Alcina. Il avait l'air presque humain, une peau grise-écarlate, un visage démoniaque avec de petites cornes, de longs cheveux noirs sous un grand casque arborant des cornes recourbées et un bouc noir sur le menton. Ses yeux rouges montraient une force et une férocité extraordinaires, comme si le diable lui-même vous observait. Dominant Alcina d'une tête et demie, il s'avança et s'arrêta à quelques mètres devant elle, observant avec intérêt la jeune comtesse. Méfiante cependant, Alcina lui fit face, prête à se défendre à nouveau.

_ N'avance pas! Qui es-tu ?!

Le monstre montra un petit sourire carnassier et sembla presque admirer la détermination d'Alcina à lui faire ainsi face. Il parla d'une voix grave, profonde et puissante.

_ Mon nom est Lordran, et je sais qui vous êtes ... Lady Alcina Derune.





Laisser un commentaire ?