Monstermen : Les Gardiens des Mondes

Chapitre 4 : Nouvelle Destinée

5262 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 12/11/2021 10:34

_ Comment ... Comment connaissez-vous mon nom? Comment pouvez-vous savoir qui je suis?

La jeune comtesse vampire se montra plus que méfiante et gardait une certaine distance avec cet étrange et monstrueux guerrier qui était venu à sa rencontre, et qui, avec une certaine admiration dans son regard démoniaque, regardait le vieux temple complètement effondré, auquel Alcina avait donné le coup de grâce dans le but de détruire le golem de pierre qui avait tenté de la tuer. Dans ses paumes, Alcina avait concentrée une nouvelle onde télékinétique, prête à l'utiliser au moindre geste du monstre. Ce dernier, qui s'était présenté sous le nom de Lordran, eut un petit rire fermé et tourna ses yeux rouges dans les siens.

_ Je le sais tout simplement parce que j'y étais... Le jour où tout a basculé pour vous. La trahison de votre bien-aimé, la souffrance de votre coeur et de votre âme, l’odeur du sang qui coule lorsque la lame perça votre délicate chair. Tout cela je l’ai senti et vu.

Elle vit dans son regard perçant, brillant comme une flamme ardente, comme s'il lisait dans son esprit, qu'il disait la plus stricte vérité. Alcina fut déconcertée, mais resta encore plus distante, même si la créature ne montrait aucun signe hostile à son égard.

_ Vous n'avez nul besoin d'être sur la défensive, Alcina. Je n'ai aucune intention de vous faire du mal, exprima t-il sans faux semblant.

_ Après ce que je viens de vivre, permettez-moi d'en douter fortement, fut la réponse froide que donna la comtesse, lui faisant comprendre qu'elle ne le laisserait pas s'approcher aussi facilement.

_ Et pourtant... Vous avez à l'instant prouvée que vous possédiez une grande force et une véritable volonté de vivre en vous, et que vous valiez donc la peine et tout le temps que j'ai passé à vous attendre, dit-il en désignant le temple effondré et le golem détruit.

Alcina était perplexe, mais devina rapidement ce qu'il voulait dire par là.

_ Vous voulez dire que ... Cette statue vivante était un test?!

Lordran hocha la tête sans chercher à se cacher de ses intentions. Cette révélation ne fit qu’accentuer la grande méfiance de la comtesse, qui ressentit également de la colère d’avoir été ainsi mise en danger, tout cela dans le seul but d’évaluer sa force et sa volonté. À l’instant, elle se sentit l’envie de déchaîner sa télékinésie sur cette créature et lui faire comprendre qu’on ne jouait pas avec elle sans en subir les conséquences. Mais elle se retint, son esprit lui conseillant la prudence et lui faisant percevoir que ce Lordran possédait lui-même une grande puissance et qu’elle avait peu de chance de faire le poids contre lui dans un face à face.

Le guerrier monstrueux se dirigea d’un pas nonchalant vers les ruines du temple, examinant d’un regard neutre les restes du golem.

_ Ce golem était une de mes créations que j'ai décidé d'utiliser afin d'évaluer la valeur du premier qui serait digne de devenir l'un des nouveaux seigneurs des trônes de Laponie, ou en l'occurrence la dame en ce qui vous concerne, dit-il en se tournant vers elle.

Alcina était encore plus perdue qu'avant, d'abord furieuse d'avoir été testée à son encontre et de manière aussi brutale, mais aussi, elle se montra confuse par les propos de Lordran.

_ Quels trônes ? Quels seigneurs ?... Je... Je ne comprends rien...

Elle essaya de réfléchir, de trouver une solution rationnelle à tout ce qui lui arrivait, mais n'en retira qu'un terrible mal de tête. Tout se mélangeait dans son esprit, formant un brouillard compact et chaotique. Encore une fois, pourquoi irait-elle faire confiance à la parole d'un être non-humain qui venait en plus de mettre sa vie en danger? Grâce à son esprit et ses capacités, elle put lire dans les yeux et les pensées de ce guerrier monstrueux, et devina à son sourire en coin qu'il savait ce qu'elle faisait et qu'il la laissait faire, lui faisant comprendre qu'il disait la pure vérité depuis le début. Lordran comprenait sa confusion et sa détresse et lui tendit sa main griffue, sans aucun geste agressif de sa part.

_ Si vous me le permettez, je vous expliquerai tout. Venez avec moi.

Alcina recula un peu, très hésitante à cette proposition. Ce monstre, Lordran, bien que semblant honnête, n'avait pas hésité à la tester en envoyant un golem pour la tuer. Elle pensa d'abord fortement à lui dire d'aller se faire voir, mais elle réfléchit. Perdue dans cet endroit dont elle ne savait rien, et ne voulant pas avoir à errer seule avec toutes ces créatures qui pouvaient rôder, elle se dit qu'après tout, il n'y avait vraiment pas d'autres solutions. De plus, l'existence de ces soit-disant trônes et seigneurs titillaient sa curiosité naturelle.

_ Je suppose que je n'ai pas le choix? demanda-t-elle d'un ton plutôt froid.

Lordran sourit légèrement.

_ Vous avez toujours le choix, Alcina... Il ne tient plus qu'à vous de faire le bon.

Elle soupira et tendit sa main à la sienne.

_ Je vous suis.

Le monstre sourit à nouveau, satisfait de cette réponse, et l'escorta hors de la cour du monastère. En descendant les marches de pierre, Alicna put découvrir un nouveau paysage plus ouvert et recouvert d'une épaisse couche de neige. Au loin, un lac gelé s'étendait sur plusieurs kilomètres, entouré d'une grande forêt de pins, et encore plus loin, de grandes montagnes enneigées s'élevaient et apparaissaient comme une rangée d'énormes dents de pierre. Les yeux d'Alcina brillèrent d'admiration devant la majesté de ce paysage surréaliste.

_ Lady Alcina, bienvenue en Laponie, terre et patrie des monstres et des légendes, dit Lordran en marchant devant elle.

Alcina ne répondit pas, regardant toujours autour d'elle. Elle avait bien sûr lu des choses sur la Laponie durant ses études, mais se douta que cette Laponie dans laquelle elle se trouvait en cet instant n'était pas celle de son monde. Une dimension parallèle? L'idée même d'une telle chose lui retourna le cerveau, mais après tout ce qu'elle venait de voir jusqu'à présent, rien ne paraissait être impossible.

L'attention de la comtesse se tourna ensuite vers le pied des marches, où attendait ce qui ressemblait à une sorte de grand traîneau de métal gris et noir, et tiré par un attelage très particulier.

Alcina fut surprise de constater que les quatre rennes attelés au traîneau avaient un aspect cadavérique, et leurs yeux jaunes brillaient d'un éclat surnaturel. Les quatre animaux jetaient des regards neutres sur la comtesse, reniflant l'air et grattant la neige de leurs sabots à la recherche de quelques pousses d'herbe ayant survécu au gel. Un hululement perçant résonna soudain dans l'air, faisant lever les yeux d'Alcina qui aperçut une magnifique chouette de Laponie aussi blanche que la plus pure des neiges et aux yeux bleus descendre du ciel et venir se poser sur l'épaule de Lordran, qui lui caressa doucement le haut de la tête, ce que l'oiseau apprécia. Alcina observa avec une certaine perplexité ce que le monstre remarqua.

_ Lady Alcina, je vous présente mes animaux gardiens, ou mes vieux amis comme je les appelle. Ils appartenaient jadis à mon mentor Balgur quand il m'a trouvé et adopté. Peu avant sa mort, il me les confia et depuis je prends soin d'eux, comme ils ont pris soin de moi.

Très étrange, pensa Alcina. Quatre rennes zombies et un hibou de Laponie, ayant pris soin d'un enfant monstre humanoïde ? Cela ressemblait au début d'un de ces contes étranges écrits par un esprit dérangé. D'un autre côté, Alcina se sentit presque soulagée de voir que ce guerrier monstrueux accordait une grande valeur à la famille, considérant ces animaux spéciaux comme des proches. Elle-même qui de son vivant prônait la valeur de la famille, ne pouvait que comprendre.

Ouvrant la petite porte de son traîneau, Lordran s'écarta et d'un geste de la main, invita Alcina à monter.

_ Madame, si vous voulez vous asseoir...

Plutôt galant, pour un monstre, pensa-t-elle dans sa tête, mais elle ne fit aucune manière et prit place dans le traîneau. C'est ce moment que choisit le corbeau aux yeux rouges pour réapparaître et venir se poser sur l'épaule d'Alcina.

_ On dirait qu'il vous aime beaucoup depuis que vous lui avez sauvé la vie, ricana Lordran sur un ton plaisantin.

Alcina ne répondit pas, jetant un oeil un peu dur envers l'oiseau noir qui l'avait fait tant tourner en bourrique depuis le début.

Lordran s'assied à côté d'elle et prit les rênes dans ses mains griffues. Le monstre les claqua alors d'un coup sec, et les rennes commencèrent à galoper à grande vitesse, ce qui surprit Alcina, à travers les landes enneigées, en direction de la forêt de pins.

Glissant dans la neige, le traîneau filait le long de la pente enneigée à une allure rapide, les rennes semblant inarrêtables et courant à une allure furieuse. Le hibou de Laponie, tel une flèche blanche, suivait depuis airs mais sans s'éloigner du traîneau. Ayant resserrer ses mains sur la rambarde du traîneau et s’agrippant nerveusement, Alcina ne se sentit cependant pas ébranlée par la vitesse du traîneau, à son grand étonnement. Lordran, à côté d'elle, était concentré sur le guidage du traîneau et semblait le diriger à la perfection, évitant tous les obstacles qui pouvaient se présenter et montrant que ce n'était pas sa première course.

Malgré la situation, Alcina se sentait moins menacée, et presque rassurée par la présence de Lordran à ses côtés. Profitant de sa position assise, elle contempla à nouveau les paysages glacés, magnifiques et terrifiants de cette Laponie, une terre qu'elle n'aurait jamais imaginé voir un jour, même dans ses rêves les plus fous. Un bruit animal puissant et lointain attira son attention, et ce qu'elle vit à l'horizon la stupéfia encore plus. Marchant sur les rives du lac gelé en contrebas, arriva un groupe d'une dizaine de créatures massives et poilues qu'Alcina reconnut comme étant des mammouths, des animaux supposés éteints depuis des millénaires. Les pachydermes préhistoriques marchaient lentement, se dirigeant vers le nord, sûrement en quête de nourriture. Une fois de plus, Alcina resta bouche bée et regarda les grandes créatures de l'âge de pierre s'éloigner peu à peu, sous les magnifiques aurores boréales qui venaient de se lever et danser dans l'immensité du ciel nocturne. La route du traîneau croisa aussi celle de nombreuses ruines éparpillées dans les vastes landes, dont certaines se présentaient comme ayant été des forteresses, des temples, et d'autres comme de simples villages, plus ou moins anciens. Apparemment, la Laponie avait vue de nombreux royaumes se fonder et disparaître au cours de son existence.

Alors que le traîneau glissait sur la neige, et profitant de ce moment de répit, Alcina prit quelques instants pour fermer les yeux et faire le point sur sa situation la plus insolite. Elle était morte après s'être poignardée en plein coeur, était revenue sous la forme d'un vampire et avait passée deux siècles dans la solitude, et maintenant se retrouvait littéralement dans un autre monde aux côtés d'un guerrier non-humain. Elle essayait de comprendre..... Pourquoi avait-elle été ramenée? Pourquoi tout cela lui arrivait-il à elle? Pour elle, ce ne pouvait être qu'un coup du hasard, il y avait forcément une raison, mais laquelle? Dans son adolescence, elle avait lu beaucoup de livres sur les mystères occultes et les théories de la vie après la mort, mais cela semblait beaucoup plus complexe en réalité. Depuis sa résurrection, elle avait ressentie quelque chose dans son cœur meurtri... Un vide, mais aussi une timide chaleur, comme une petite flamme qui ne pouvait grandir... Très étrange…

L'arrêt soudain du traîneau la fit sortir de ses pensées et ouvrir les yeux. Lordran lâcha les rênes et bondit hors du traîneau avant de venir ouvrir à la jeune comtesse. Elle regarda autour d'elle, pour voir qu'ils étaient finalement descendus des hauteurs pour atteindre la lisière de la forêt de pins, elle-même longée par une formation rocheuse dans laquelle s'était formée avec le temps une espèce de caverne.

_ Pourquoi nous arrêtons nous ici? demanda Alcina qui donna sa main à Lordran pour l'aider à descendre.

_ Une tempête vient sur nous, je le sens. Ce serait beaucoup trop dangereux de continuer ainsi. Nous allons faire halte dans cette caverne et attendre que ça se calme.

En effet, bien qu'étant bien moins affectée par le froid en raison de sa nouvelle nature, Alcina sentait le vent se renforcer de secondes en secondes, et voyait que les animaux de Lordran paraissaient nerveux. N'étant qu'une touriste dans ce nouveau monde, elle décida de se fier à l'instinct de Lordran.

Le guerrier monstre amena son traîneau et ses animaux jusqu'à la caverne ou ils seraient à l'abri. Alcina y entra également, se mettant à l'abri du vent et venant s'asseoir sur un rocher assez plat. Le corbeau perché sur son épaule vint se poser au sol et commença à fouiller sous les petits cailloux, en recherche de quelques insectes à picorer.

Pendant ce temps, Lordran était parti ramasser plusieurs choses dehors et revint les bras chargés. Des touffes d'herbes sauvages qui avaient pu résister au froid et qu'il donna à ses rennes qui les mangèrent sans attendre. Des baies, cueillies dans un buisson et qu'il posa sur un rocher pour permettre au hibou et au corbeau de venir les manger. Et pour finir, un tas de branches arrachées aux arbres de la lisière et qu'il rassembla en un tas au milieu de la caverne. Alcina l'observait faire sans oser dire un mot, et se montra admirative en voyant le monstre invoquer littéralement une flamme dans sa paume et s'en servir pour allumer un feu qui éclaira la caverne d'une lueur orangée lancinante. Dehors, le temps s'était dégradé en très peu de temps, un violent blizzard s'étant levé et amenant la visibilité à zéro.

_ Venez, approchez vous un peu du feu, vous vous sentirez mieux, dit Lordran en voyant la jeune comtesse rester isolé dans un coin de la caverne.

_ Mais, le feu n'est-il pas un élément fatal aux vampires? répondit-elle.

_ Tant que vous ne le touchez pas, tout ira bien, ria doucement Lordran sans se moquer d'elle.

Son ton amical réussit un peu à la faire sourire et elle se rapprocha, venant s'asseoir près du feu, qui effectivement, lui apporta une chaleur bienvenue. Lordran s'assied de l'autre côté, et pour passer le temps, commença à affûter les lames de sa monstrueuse double hache. Les minutes passèrent sans qu'aucun ne dire un mot.

_ Comment avez-vous fait ça? osa alors demander Alcina pour briser le silence un peu gênant qui s'était installé. Cette flamme, dans votre main...

_ Oh ça? Rien que l'un des nombreux pouvoirs dont j'ai hérité dut à ma... eh bien, ma nature un peu particulière. Je vous expliquerai en temps voulu.

Alcina n'était pas dupe et devinait à son ton renfermé qu'il ne voulait pas trop parler de ce sujet. Elle aurait voulue insister, mais craignait de déclencher sa colère en le poussant. N'ayant pas d'autre guide que lui, elle choisit de ne pas se mettre à dos le seul allié qu'elle avait.

Mais alors qu'elle contemplait les flammes dansantes devant elle, elle remarqua Lordran sortir une coupe du grand sac qu'il transportait avec lui dans le traîneau et la poser par terre. Il amena ensuite la paume d'une de ses mains contre le tranchant de sa hache et s'entailla volontairement, laissant un mince filet de son sang s'écouler jusque dans la coupole.

_ Mon dieu, mais qu'est-ce que vous faites? demanda Alcina circonspecte.

_ Après avoir fournie autant d'efforts, vous devez vous nourrir pour recharger votre énergie vitale. N'ayant pas de gibier sous la main, je pense que mon sang fera l'affaire pour ce soir. Tenez.

Il tendit alors la petite coupe remplie de sang à la jeune comtesse, qui grimaça un peu mais la prit tout de même. Lordran ne montrait aucune douleur et sa coupure à la main avait déjà complètement disparue comme si rien ne l'avait entaillée. Une autre de ses capacités dont il ne voulait pas parler sans doute.

Alcina regarda le sang rouge sombre dans la coupe. Elle hésita d'abord, mais l'odeur de l'hémoglobine venant flotter à ses narines, ne fit qu'éveiller au fond d'elle cette faim prédatrice contre laquelle il était impossible de lutter. Elle devait se nourrir, elle n'avait pas le choix.

Alcina porta la coupe à ses lèvres pâles et but son contenu jusqu'à la dernière goutte, le sentiment de faim s'estompant alors qu'elle sentait le liquide encore chaud et vif couler dans sa gorge, malgré le goût immonde de souffre et de fer qu'il dégageait.

_ Même après deux siècles d'existence, j'ai encore du mal à m'y faire, souffla Alcina en essuyant sa bouche. Loin de moi l'idée de vous offenser, Lordran, mais votre sang est tout simplement une horreur, bien que nourrissant je le reconnais. Je vous remercie.

_ On m'a déjà fait des remarques plus violentes, répondit le monstre avec le sourire, nullement offensé. Au contraire, je prends votre remarque comme un compliment. Au moins, je sais que vous n'essaierez pas de venir me vider de mon sang pendant mon sommeil.

Alcina n'aurait jamais cru le faire, mais la remarque de Lordran suffit à lui faire exprimer un léger gloussement, ce qu'il parut apprécier de la voir enfin se détendre un peu.

Le duo décida de se reposer quelques heures malgré le confort inexistant de la caverne, en attendant que le blizzard cesse enfin.


A son réveil, Alcina constata effectivement que la tempête s'était évanouie et que le calme était revenu à l'extérieur. La nuit et les aurores boréales dominaient toujours le ciel lorsqu'elle sortit. Peut-être ce monde était-il soumis à une nuit éternelle? Elle se le demanda. Pendant ce temps, Lordran était déjà levé et vérifiait les derniers préparatifs de son traîneau. Alcina sourit doucement en le regardant faire, le remerciant intérieurement de l'avoir laissé dormir.

Les deux monstres purent finalement reprendre la route, cette fois à travers la sombre forêt de pins.

Au cours de la première heure, rien d'autre ne se présenta qu'un défilement infini de conifères recouverts de neige et de givre, s'étendant comme une vraie mer végétale. Arrivé à un certain point, le trop grand nombre d'arbres ne permettait plus au traîneau de pouvoir continuer, ce qui obligea le duo à devoir continuer à pied, Lordran voulant absolument montrer quelque chose à Alcina.

Elle le suivit au-delà des arbres, dont la taille, le feuillage épais et la couche de neige les recouvrant masquaient sans problème la lueur des aurores boréales. Marchant dans la neige cotonneuse, Alcina ne sentait plus le froid. Elle tendit la main, laissant tomber quelques flocons doucement dans sa paume et les regarda fondre, pensivement. Le hibou de Laponie, accompagné du corbeau aux yeux rouges, s'était posé sur une branche et regardaient autour d'eux pendant que les quatre rennes passaient le temps à fouiller dans la couche de neige.

Alcina continua de suivre Lordran sur plusieurs mètres, jusqu'à ce qu'il s'arrête devant ce qui ressemblait à une sorte de grande arche rocheuse, usée par le temps et marquée d'étranges symboles à sa surface impossible à identifier.

_ Qu'est-ce que c'est? demanda la comtesse perplexe.

_ Les monstres d'antan appelaient ça une arche dimensionnelle." expliqua Lordran. Autrefois, cela permettait aux monstres de voyager dans d'autres dimensions, ou même dans le temps. Mais aujourd'hui, la plupart de ces artefacts sont désormais endormis, leur magie s'étant définitivement éteinte.

Le monstre parlait, touchant le rocher de sa main griffue. Alcina haussa un sourcil et croisa les bras.

_ Et pourquoi me montrer ça ?

Lordran se retourna vers elle, et elle constata qu'il était très sérieux.

_ Il y a très longtemps, les démons de l'enfer ont attaqué la Laponie, ils ont tué, pillé et violé. Je suis né d'un de ces viols, ma mère était une elfe nommée Illyel, et mon père n'était ni plus ni moins que le chef des démons, le roi Olgoroth. En tant qu'hybride né, j'avais hérité des forces et des pouvoirs des deux créatures, et je me suis enfui dans les profondeurs des terres gelées pour échapper à mon destin. Après avoir erré pendant des semaines sans manger ni boire, j'étais retrouvé, à moitié mort, par Balgur et ses animaux, qui prirent alors soin de moi. Durant ma jeunesse, j'apprenais à maîtriser ces pouvoirs dont j'avais hérité. Galvanisé par la haine et la vengeance, je me suis entraîné à un seul but qui était de tuer les démons. Des années plus tard, je défiais mon père dans un duel à mort, et je parvint à le tuer en lui coupant la tête avec sa propre hache, celle que désormais je porte. Les démons finirent par être vaincus, et dans l'espoir de rassembler les miens, je me proclamais seigneur de Laponie, un titre qui n'avait pas été porté depuis des temps immémoriaux.

Alcina avait écouté et montrait une admiration sincère pour l'histoire plutôt tragique de Lordran, mais elle n'était pas satisfaite pour autant.

_ Croyez bien que je suis désolé pour ce que vous avez vécu, mais vous n'avez pas répondu à ma question… Pourquoi m'avoir amené ici pour me montrer ceci? Qu'attendez vous de moi ?

_ Vous souvenez-vous de cette créature mort-vivante qui vous a attaqué dans le cimetière peu après votre arrivée ? déclara t-il sans détour.

Alcina fut surprise sur l'instant. Comment pouvait-il savoir pour ça ?

_ Mais, comment ...?

Elle n'eut pas l'occasion de finir sa phrase car Lordran la coupa pour poursuivre son explication.

_ Depuis plusieurs années maintenant, j'observe des phénomènes inquiétants en Laponie, qui se produisent de plus en plus souvent ... Une force invisible et très puissante semble se répandre, les forêts et les lacs meurent, les monstres se font de plus en plus rares, et des légions de morts sortent de leurs tombes et attaquent tout ce qui bouge... J'ai d'abord soupçonné un possible retour des démons, mais après enquête, j'ai découvert que c'était autre chose. Quelque chose de bien plus ancien, mais oublié et impossible à identifier. Je me bats depuis, essayant de repousser cette malédiction qui ronge mon monde, mais j'en suis venu à l'évidence : je ne peux plus me battre seul. La raison pour laquelle je vous ai amené ici, Alcina, c'est parce que j'ai besoin de votre aide.

_ Besoin de mon aide ? Mais... Mais que voulez-vous que je fasse contre une telle chose ?... Je n'ai rien d'une combattante et encore moins d'un héros, dit-elle, bouleversée par ce qu'elle venait d'entendre. Un seigneur des monstres en personne lui demandait de l'aide, à elle, une fille de noble famille victime d'une punition divine. Quelle histoire de fou, pensa-t-elle.

_ Inutile de le nier, Alcina. Vous avez prouver que vous étiez digne de me rejoindre, mais nous aurons besoin de plus d'alliés si nous voulons espérer sauver ce monde, et l'existence en elle-même, de ce fléau grandissant.

_ Mais pourquoi moi? Je n'ai rien à voir avec tout ça! Je ne suis qu'une maudite âme errante! Je ne sais même pas quel est mon but maintenant! dit-elle, les larmes commençant à apparaître dans ses yeux et coulant sur ses joues blanches.

Elle tomba à genoux dans la neige, en pleurant, sous les yeux du seigneur de Laponie, qui fit quelques pas et vint s'agenouiller à côté d'elle, posant doucement sa main sur son épaule pour la soutenir.

_ Je sais ce que vous avez enduré, Alcina. Votre cœur souffre d'un vide profond et meurtri, comme le mien autrefois.

_ Et je ne pourrais jamais combler ce vide maintenant." gémit-elle. Je n'ai plus personne et j'ai été trahie par le seul homme que j'aimais!

_ Et si cet homme, ce Maximilien Beaucourt, n'avait jamais été le bon? suggéra alors le monstre.

La comtesse le regarda.

_ Que voulez-vous dire ?

_ Les sentiments et le destin sont parmi les choses les plus complexes que la vie ait jamais créées. Maximilien et vous n'avez peut-être jamais été destinés à être ensemble, et tout cela vous est arrivé parce qu'il était écrit ainsi depuis le commencement. Cela expliquerait pourquoi vous êtes revenue : c'est ici et maintenant que commence votre véritable destinée.

Alcina avait du mal à croire ce qu'il disait. Tout était déjà écrit depuis le début ? Maximilien n'aurait jamais été l'homme qui vivrait avec elle jusqu'à la fin ? Existait-t-il dans cet univers de telles forces capables de décider à l'avance du destin de chacun ? Tout semblait fou et impossible, mais après tout ce qu'elle avait vu jusqu'ici, l'impossibilité n'était plus qu'un mot.

_ Si ce que vous dites est vrai... Dans ce cas, où est celui que je cherche vraiment ? Qui pourrait un jour réparer le vide de mon coeur?

_ Il existe un nombre infini de mondes et de dimensions, toute liées les unes aux autres dans une immense toile, chacun ignorant l'existence des autres... Peut-être cette âme est-elle là, quelque part, attendant votre venue... Voici ma proposition, Alcina : aidez-moi à rassembler des alliés pour combattre le fléau, et je jure sur mon honneur de seigneur et sur ma vie de vous aider à trouver celui qui pourrait réparer votre cœur et combler ce vide qui vous fait tant souffrir.

La comtesse essuya les larmes de ses joues et pensant que quelque part il pourrait y avoir quelqu'un qui pourrait l'aimer pour ce qu'elle est, l'espoir revint un peu dans son cœur.

_ J'accepte.

Elle serra la main de Lordran, qui lui sourit, heureux de voir qu'elle lui faisait confiance. Soudain, l'attitude du guerrier changea brusquement. Il regarda autour de lui, ses yeux s'assombrissant et émettant un grognement féroce, comme s'il avait ressenti un danger.

_ Lordran...? demanda Alcina en le remarquant.

Il l'interrompit d'un geste de la main et tendit la main vers l'arche rocheuse. Les symboles gravés dessus brillaient d'une lumière rougeâtre, et au centre se matérialisa comme une sorte de tourbillon sombre et rapide. Un vortex.

_ Il n'y a plus de temps à perdre, grogna Lordran en attirant à sa main sa hache métallique à double lame.

Ne comprenant pas pourquoi au début, Alcina finit par le voir. Au milieu de l'obscurité des arbres, venant de plusieurs directions, des silhouettes de morts-vivants se précipitaient vers eux en poussant des grognements monstrueux et gutturaux. Le même liquide noir visqueux s'écoulait de ces cadavres animés, témoignant de ce fameux fléau dont parlait Lordran et qui ressuscitait les morts.

Lordran prit quelque chose à sa ceinture et le lança à Alcina qui le rattrapa dans ses mains. Un petit artefact plat et métallique ressemblant à une tête cornue et deux fragments de rubis en guise d'yeux.

_ Trouvez des alliés, Alcina... Dans le vortex, maintenant ! indiqua Lordran d'une voix plus forte, puis d'un bond rapide et surnaturel, se précipita sur les créatures.

Il décapita la première créature d'un violent coup de hache, puis frappa le sol avec son pied, déclenchant une puissante onde de choc qui fractura le sol et propulsa deux autres morts-vivants contre des arbres. L'un des zombies lui bondit dessus par derrière, tentant de le poignarder dans la nuque avec une vieille lame rouillée, mais Lordran le saisit par la tête et le jeta violemment au sol, avant de lui écraser le crâne sous sa botte. Le guerrier monstrueux poussa un rugissement puissant et féroce qui résonna à travers la forêt. Il tendit sa main griffue vers trois zombies, invoquant une projection de flammes ardentes qui les engloutis et les réduisit en quelques secondes à l'état de tas de cendres fumantes. Alcina avait regarder tout cela, impressionnée par la force de ce monstre. Mais alors qu'il continuait de repousser les créatures mortes-vivantes, d'autres apparurent, comme des fantômes, émergeant de l'obscurité des bois ou rampant hors du sol enneigé. Tout autour, la forêt semblait devenir de plus en plus sombre, et une atmosphère macabre se fit sentir.

_ Qu'est-ce que vous attendez, Alcina ?! Allez-y ! Lordran rugit tout en poursuivant son combat, tailladant et frappant les zombies un par un autour de lui.

Les quatre rennes vinrent au secours de leur maître, chargeant et frappant les zombies avec leurs ramures, tandis que la chouette de Laponie et le corbeau aux yeux rouges arrachaient les yeux de l'un d'eux avec leurs becs. Alcina obéit et courut vers le vortex, voyant que certains zombies avaient tourné leur attention vers elle et se précipitait dans sa direction, leurs ongles et leurs crocs prêts à la déchiqueter. Bien qu'hésitante, Alcina bondit à l'intérieur du vortex sombre, qui se referma aussitôt derrière elle avant que les morts ne puissent l'atteindre. Voyant cela, Lordran sourit de toutes ses dents acérées, et rugissant à nouveau, continua son combat.

Cependant, l'atmosphère devint de plus en plus noire et inquiétante, à tel point que les animaux de Lordran commencèrent à reculer, effrayés par quelque chose dans l'air. Le seigneur monstre pouvait le sentir aussi, depuis les profondeurs des bois, et se rapprochant progressivement de sa position. Un vent glacial se leva, les pins tremblèrent et crépitèrent, et l'obscurité grandit devant ses yeux. Du fond de cette obscurité malsaine résonnait un rugissement inhumain, lourd et faisant trembler le sol, l'air, les os et même le sang dans les veines. Confiant au début, l'attitude de Lordran se changea en une profonde inquiétude, comme s'il venait de voir quelque chose dont la seule pensée le plongeait dans la crainte.

_ Non... Ça ne peut pas être ... Fuyez ! ordonna t-il dare dare à ses animaux, ce qu'ils firent avec lui, courant le plus vite possible pour s'éloigner de cette vague de ténèbres engloutissant peu à peu la forêt derrière eux et laissant entendre ces rugissements lointains et désincarnés...

Un son qui, pour Lordran, annonçait la venue de quelque chose de très ancien, mais encore plus malfaisant et dangereux que l’entièreté des légions de l'enfer.




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