Si ces murs pouvaient parler

Chapitre 6 : Chapitre 6 sur 6

Chapitre final

1087 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 30/12/2021 18:54

Je suis sûre de ne m’être réveillée que peu de temps après. Pourtant le calme était pesant dans cette maison vide. Il n’y avait plus de corps dans la cuisine ni de sang dans le patio. La cave était presque vide, les coffres forts enlevés, les corps disparus. Ne restaient que un ou deux meubles vides et du noir partout. En parcourant la maison et en l'appelant, je sentais la colère monter. Il m’avait endormie pour disparaître, le salaud !

Par la fenêtre, une grosse masse bougea. Je l’ouvris en hâte.

Joël déplaçait à bout de bras la table sculptée de la cave comme si elle était en carton.

Il la déposa sur un tas au milieu du gravier où se trouvaient les autres meubles disparus, et sûrement, hum... des gens. Je fis le tour et traversai le jardin. Le temps que je m’approche, Joël avait de nouveau pris sa position de Jésus sur la croix.

Et il ne chanta qu’un seul mot.

Sans l’écho de la cave, la musique s’envola dans l’air. Et le tas trembla, devint blanc, puis disparut sans laisser de traces.

Devant nous se trouvait le gravier, et derrière, les arbres, natures, calmes, comme si rien de tout ça n’était arrivé. Je pris le bras de Joël pour le tirer vers la maison.

- Tu as assez travaillé, à ton tour de te reposer. Je vais nous préparer quelque chose.

La maison de ma jeunesse était de retour. Ses modifications étaient minimes, en fait. J’y retrouvais maints détails que je connaissais. Je me retrouvais dans ma cuisine comme si elle n’avait jamais changé. Tout était déplacé, toute la vaisselle remplacée, mais ils étaient dans mes meubles, et j'allumais mes plaques... Oui, j’étais de retour chez moi, cette fois.

Il dévora avec appétit ma tarte aux pommes. Nous fîmes chacun un tour dans une salle de bain. J’appelai mes enfants qui étaient étonnés comme jamais d’apprendre que j’avais récupéré la maison... sans aucune difficulté. Et qu’elle était déjà disponible pour les prochaines vacances. Encore une victoire de maman !

Puis dans l’après-midi, après le café, Joël se leva d’un air décidé, et prit les escaliers. Il revint dans le salon avec son grand sac, bien rempli.

- Tu vas reprendre le train ?

Il fit oui.

- Ce serait plus simple en volant, non ?

Il haussa les épaules.

- Et tu vas faire le tour de chaque village, parcourir chaque rue existante, raser chaque maison, pour en déceler les traces démoniaques et les exorciser ?

Il prit un peu de temps pour répondre. Puis il fit oui, tout simplement.

- Je t’emmène à la gare. Dis-je en secouant les clefs que j'avais trouvé. Je crois qu’il y a une décapotable dans le garage qui nous attend.

Le retour ne prit qu’un instant. Et il allait falloir que je me débarrasse discrètement de ces trois voitures de luxe. Elles avaient été payées en monnaie criminelle, pas en sacrifices, du coup elles n’avaient pas disparu. Bah, j’avais le temps. Sur la place et le quai de la gare, il y avait un peu plus de monde que la veille. J’étais rassurée en voyant cette petite agitation quotidienne, de constater que le village vivait encore un peu.

- Dis mon petit Joël, tu peux pas me faire redevenir jeune fille quelques heures de plus ? Juste le temps que je fasse un tour...

Les yeux pétillants, il s’élança dans un grand rire silencieux, puis me prit dans ses bras. Il monta dans le train, et disparut à jamais.


Le jardin avait besoin de quelques coupes. Le salon principal devait être re-ordonné. La télé descendue à la cave. Il y avait de quoi faire. En quelques semaines, ma maison de vacances idéale avait pris forme, et ma progéniture put m'y rejoindre et y passer du temps.

Nous n’eûmes jamais de visite impromptue de quelque mafia avec un corps dans un coffre. Heureusement ! J’imagine que ce service était aussi connu par une formule magique, et qu’il avait disparu comme le reste.

Quelque mois plus tard, les roses avaient éclos sur la tonnelle. Ça ne recouvrait pas encore grand-chose, mais c’était un début. C’est la réflexion que j’exposai à ma fille en prenant le petit déjeuner dehors. Douce quiétude en famille. N’était-ce pas ce qui compte vraiment ?

- Nan, c’est nul, y’a pas la télé ! Répondit le petit dernier, qui s’enfuit en courant, rouge de rage.

- C’est l’argument principal, dit ma fille, en étendant les  bras, respirant un grand bol d’air à la rose.



Merci à tous d’avoir lu cette histoire. J’espère qu’elle vous a plu. Je ne vous demande pas d’y croire, je n’ai aucune preuve.

Mais l’explication officielle, d’un accident de chaudière dans la cave pour expliquer toute cette suie, est trop banale pour moi. Tout comme la disparition des anciens habitants, non résolue. Ah, disait le vieux commissaire, la plupart des disparitions restent irrésolues. Mais moi, du haut de mes huit ans, je le voyais bien, son air satisfait et revanchard sur son visage, lui qui clairement les avait toujours suspectés, mais n’avait jamais rien pu prouver.

Les histoires de mamie variaient avec l’âge, devenant de plus en plus incohérentes, certes. Mais entre celle où le GIGN débarque, celle où il y avait douze kilos de coke dans la cave, celle où une secte de cinquante personnes occupait la maison, celle où le vagabond était la première victime et qu’elle avait réussi à s’en sortir in extremis en mettant le feu à la cave... Il fallait bien en choisir une. Je pense avoir retranscrit la version à laquelle mamie tenait le plus.

Me concernant, je compte bien croiser un jour l’ange Joël rasant un mur à la recherche de forces obscures, ou aidant une vieille personne à traverser la rue. Oh, les divinités, je n'y crois pas plus que vous. Je pense juste que lui est là, et qu’inlassablement, il continue sa mission protectrice.



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