Divalis : l'éveil

Chapitre 1 : Âme errante

2230 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 31/01/2022 20:18


La pluie s’écoule le long de ma fourrure dorée qui a, depuis longtemps, perdu de son éclat. Je suis épuisée de marcher, mes pattes sont lourdes et douloureuses, mais j’ai appris à ignorer leurs plaintes. Mon corps vacille et je lutte pour ne pas m’endormir. Quand je ferme les yeux, je vois cette maison aux prises des flammes, ainsi que ces corps mutilés. Meurtrière. Alors, je secoue la tête pour chasser ces images et je continue d'avancer.

Le vent siffle et s’engouffre dans mon pelage à m’en donner des frissons glacials, malgré la chaleur saisonnière. J’ai beau me dire que je ne vais nulle part, ce n’est pas tout à fait vrai. Même si j’en ignore la raison, quelque chose m’attire au loin… Je n’en peux plus…

Combien de lunes sont passées ? Cela doit faire quelques hivers que je voyage en espérant trouver une réponse à ce que je suis. Un assassin. Aucune espèce inscrite dans les livres ne me correspond. Je suis peut-être simplement maudite ? Après tout, ce que j’ai fait est grave.

Quand je vois mon reflet dans l’eau, je ne semble pas différente des autres cryptides. Je suis maigre parce que je ne me nourris pas correctement, mais en soi, je n’ai pas une apparence repoussante. Pas de crocs démesurés, pas de colonne déformée, pas de griffes démoniaques. Par ailleurs, j'ai une tête qui rappelle vaguement celle d’un loup, des oreilles pointues un peu plus longues que celle du canidé, des narines serpentiformes à la place de la truffe. J’ai des yeux vert menthe et je suis pourvue d’une crinière hérissée de couleur crème sur le haut du crâne et sur mon cou. Je dirais que je ressemble à un mixte entre un canidé et un reptile. Mes pattes avant sont longues, fines et fortes et elles comptent cinq doigts, avec des griffes semi-rétractables. Mon bassin est plus haut que mes épaules et mes pattes arrière sont plus massives et reptiliennes que celles de devant. Ma queue est longue et garnie d’une crinière hirsute de la même couleur que celle de mon encolure qui s’étend presque jusque-là fin de ma queue et le bout possède un plumeau comme les lions.

En soi, je ne trouve pas que mon apparence se prête à celle d’une bête maudite. Peut-être qu’il y a des détails qui m’échappent ? J’ai envie de dormir, mais je dois continuer, il m’attend… Qui ça ? L’air que j’inhale est lourd, mes poumons me brûlent, mes oreilles bourdonnent et mon estomac me donne un goût acide en bouche. Relève-toi. Je suis à bout de force, je n’en peux plus, il faut que je me repose. Cette souche d’arbre me semble parfaite, je m’y allonge, m’enroule sur moi-même et m’endors…

Je sursaute et me redresse d’un coup, comme sortie d’un mauvais rêve ! Ai-je dormi longtemps ? Aucune idée. Où suis-je ? Je cligne des yeux pour sortir de mon état comateux et regarde tout autour de moi le décor qui fait mon paysage. Une large clairière se dessine autour de moi, ah oui, c’est vrai, j’ai quitté la forêt en soirée. Ainsi, je me redresse tout en m’étirant pour quitter la souche et m’aventure dans les hautes herbes… Longues pattes oui, mais quand on fait la taille d’un chien de berger, ce n’est franchement pas utile !

Le vent est chaud et le soleil donne aujourd’hui aussi, mais ce qui attire mon attention pour l’instant, c’est le clapotis de l’eau que j’entends non loin de moi. Je m’y hâte tout en me glissant entre les touffes d’herbe et tombe les pattes, les premières, dans un petit ruisseau qui se fraie un chemin parmi les roseaux. L’eau n’est pas fraîche, quand bien même, c’est bon d’en boire. Je jette un œil autour de moi, il y a une femelle orignal et son petit à quelques mètres de moi, il vaut mieux faire profil bas, si je ne veux pas finir en carpette.

Je m’allonge dans l’eau, la chaleur me rend fainéante, je n’ai aucune envie de continuer ma route dans l’immédiat. Toutefois, je devrais me motiver à chasser un lapin ou des chiens de prairies. Une petite proie pour commencer, mais je n’ai vraiment aucune volonté de tuer pour me nourrir. Ce qui est ironique, puisque c’est la raison pour laquelle je suis seule aujourd’hui. 

Je soupire tout en regardant le ciel, alors que ma gorge se noue et que mon cœur me fait mal, pour laisser s’échapper un sanglot retenu. Soudain, un cri strident me fait tressaillir et sortir de mes pensées. De ce fait, je me tourne en direction du son pour y apercevoir les responsables. Il est plutôt rare de croiser des cryptides. Il s’agit de coïstes, ils font partie de la famille des drakes. Ce sont de petits dragons dépourvus d’ailes, se déplaçant sur quatre pattes, trapus et de petite taille, puisqu’ils sont aussi grands que des poneys shetlands. Ils ont une petite tête carrée, avec des canines qui dépassent de leur mâchoire, ils ont des épines blanches tout le long de leur colonne vertébrale et un aiguillon sur la queue. D’après ce que j’ai pu lire, leurs épines secrètent une substance qui provoque de fortes douleurs. C’est leur moyen de défense. Ce sont des créatures qui se nourrissent des rongeurs et de poissons. Ils sont nomades et il est rare qu’ils cherchent à s’attaquer à d’autres espèces, que ce soit les humains, les cryptides ou les animaux. Petite particularité de cette espèce, c’est que leurs écailles peuvent avoir toutes les couleurs existantes et l’iris est toujours de la couleur opposée à celle du corps.

Ils viennent se désaltérer à la rivière, bien sûr, ils m’ont vu et me regardent d’un œil curieux, mais ne s’approchent pas plus que cela de moi. Cela doit faire la deuxième fois que je les croise. Ils se déplacent en fonction des saisons, ils peinent avec le froid. Il doit y en avoir une quarantaine. Comme je suis allongée, je les distingue à peine, mais j’entends un petit protester plus que les autres. Ils n’ont pas l’air tendres entre eux en tout cas… Les voilà qui reprennent leurs marches et disparaissent parmi les hautes herbes.

Mon ventre fait un bruit du tonnerre, j’ai l’impression qu’il essaie de me parler… Bon d’accord, assurément, les quelques pauvres fruits que j’ai pu trouver ne sont absolument pas suffisants pour me nourrir. Trouver des poissons dans les trente centimètres de pelouse mouillée, j’en doute fortement. Des tritons ou des grenouilles ? Berk, j’ai déjà tenté d’avaler un crapaud, je ne ferais l’erreur qu’une seule fois ! Parfois, je déniche des nids d’oiseaux qui couvent au sol, comme les oies sauvages ou les tétras. Tenterais-je ma chance ?

      Je me redresse, l’idée de quelques œufs me met l’eau à la bouche. Je hume l’air, puis esquisse un sourire ironique… Je ne sais toujours pas suivre une piste. Bon, en longeant le ruisseau, je tomberai bien sur un nid. Ainsi, je me dirige là où se sont arrêtés les coïstes, puisque l’eau s’écoule de ce côté. Je marche en restant sur l’herbe immergée, tandis que mon regard est attiré par une masse bleue cachée parmi les touffes grasses.

Je me fige instantanément devant le bébé coïste et tourne aussitôt la tête en direction de son clan, mais pas moyen de les distinguer dans la masse herbeuse. Est-il vivant ? Je m’en approche pour vérifier ce fait et la petite créature en lève sur le champ les yeux, vers moi. Elle est toute bleue, ses yeux y compris. Elle ne bouge pas, elle me regarde juste… Elle a une morsure au niveau de la cuisse. Je m’assieds ennuyée… Je ne pense pas qu’elle ait été oubliée. Si c’était le cas, elle appellerait et les parents devraient revenir la chercher, je pense qu’elle a été chassée à cause de la couleur de ses yeux. Je remarque, maintenant que je les vois de près, qu’elle a comme une trace de griffe à l’œil noir, mais cela est naturel.

Que faire ? Je trouve cela triste qu’elle soit laissée en arrière pour quelque chose d’aussi bête, mais c’est un bébé, je ne saurais pas m’en occuper ? En plus, je ne peux pas la prendre avec moi, elle serait en danger… Ce sera aussi le cas, en restant seule. Elle fait la taille d’un renardeau, elle se ferait facilement emporter par un busard. Sans compter que je ne suis pas de son espèce, elle ne voudra peut-être pas me suivre ? Je sursaute et reste bête alors que doucement, elle est venue se glisser entre mes pattes… Visiblement, je ne lui fais pas peur.

Zut, je ne peux décidément plus la laisser là ! Je pourrais chercher après un refuge. Les coïstes font partie des cryptides les plus appréciés des humains et, au pire, ils peuvent contacter la fondation ? C’est le mieux que je puisse faire pour elle.

Je me redresse et avance de quelques pas, paniquée, elle se hâte sous mes pattes. Cela ne va pas être pratique pour se déplacer. Elle tente de me suivre, mais ce n’est pas facile pour elle. J’hésite un instant, puis la saisit entre mes crocs et reprends ma marche. Cependant, j’ai toujours faim, ce qui me fait saliver… Désolée, petite.

L’herbe cède progressivement sa place aux arbres et aux sapins, finit la plaine, bonjour la forêt. Je pose la petite à terre. La pauvre est couverte de bave. Son ventre se manifeste lui aussi, elle se rue alors dans les ronces et la fougère, faisant détaler les campagnols qui s’y pensaient à l’abri. Elle a été si vite que je suis restée figée sur place ! Elle s’en sort mieux que moi…

Elle me suit sans faire d’histoire, mais je trouve cela bizarre qu’elle ne joue pas et elle ne produit aucun son. Je suppose que c’est le choc de l’abandon ? Nous nous sommes arrêtées près d’une rivière où, depuis quelques instants, je scrute ce reflet que je continue à ne pas reconnaître. La petite est contre moi, je trouve cela étrange, mais je ne la repousse pas pour autant. Les poissons chassent les insectes à la surface de l’eau, ce qui semble follement l’intriguer.

 

— Poisson !

 

Il me faut quelques secondes pour remarquer qu’elle vient de parler. Surprise, je descends mon regard sur elle, qui me fixe tout en agitant la queue. Je grimace alors, pensant comprendre sa demande.

 

— Tu veux un poisson ?

— Oui !

 

Elle se relève avec enthousiasme tout en tapotant ses pattes sur le sol et je déglutis tout en gardant des yeux ronds :

 

— Je ne sais pas pêcher…

 

Elle baisse les oreilles et s’assied en regardant les truites nager. J’en fais de même, mon cœur s’affolant… Je n’aime pas attraper les poissons, c’est vaseux, gluant, c’est… Je viens de sauter à l’eau ! Je suis trempée, ça oui, mais je n’ai aucune prise ! Au moins, cela l’amuse.

 

— Tu ne sais pas les attraper toi-même ? dis-je quelque peu vexée.

 

La bleue penche la tête sur le côté, ses oreilles suivant la gravité et avant que je ne puisse réagir, la voici disparue sous l’eau ! Inquiète, j’essaie de la repérer, puis me détends une fois que mes yeux la repèrent. Elle nage plus que bien ! Je la surveille tout de même le temps qu’elle parvienne à trouver l’astuce pour attraper un poisson et une fois cela de fait, elle vient le déguster à mes côtés. Mes yeux rivés sur ses écailles bleues, je m’aperçois que je ne lui ai même pas poser une question, pourtant des plus basique !

 

— Est-ce que tu as un nom ?

— Abysse.

 

Sa réponse est directe et la voici qui retourne sur sa proie… Eh bien, c'est un plaisir de faire ta connaissance, petite Abysse.


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