The Dark Love (& Matt le jukebox)

Chapitre 2 : Souvenirs éparpillés ooOoo Matthieu ooOoo

4031 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 20/04/2022 17:31

Souvenirs éparpillés – premier enregistrement



ooOoo Matthieu ooOoo

 

 

J’étais au collège quand j’ai pris conscience que je n’aimais pas les femmes, ou plutôt les filles.

 

Les potes étaient regroupés en cercle concentrique devant la grille, non pas penchés sur leurs téléphones perso comme d’hab, mais sur un seul écran visiblement. À vingt mètres, je les sentais déjà en train d’exulter. C’était un signe qui ne trompait pas : y avait un truc sympa à voir, probablement salace vu comment ils gloussaient connement.

 

— Y s’passe quoi ? demandai-je.

— Le frère de Yann a fait une sextape avec sa meuf et il a réussi à chopper la vidéo !

— Mate un peu ses boobs mon frère !

— Tu sais qu’il va te démonter la gueule quand il va te griller ? lui dis-je en riant à moitié.

— Rien à battre ! Après ça j’peux mourir heureux !

— Elle enlève le bas ! Elle enlève le bas !

 

J’ai pas cherché à apercevoir le truc, ça ne m’intéressait pas. Même quand on est mineur, avoir accès à de la pornographie c’est facile. La plupart des darons ne savent pas régler le contrôle parental de leurs joujoux numériques. En trois décennies, c’est une chose qui n’a pas changé. Sans parler des grands frères et des grandes sœurs, alors là c’est festival ! À treize ans, j’avais déjà vu quelques extraits de chefs d’œuvre, avec des ménagères décolorées lascives en string accueillant des plombiers tatoués. Merci Yann et sa libido prépubère… Les autres ça commençait à les travailler depuis un an ou deux, moi pas trop, pas vraiment. Mes doigts tripotaient plus de cordes de guitare et de touches de piano que ma flûte enchantée.

 

Les filles de la classe aussi ça les travaillait, mais autrement. Elles étaient plutôt dans leur période fleur bleue. Elles lisaient des shojo bien girly, où les garçons sont tous sages et mignons, même les bad-boys ténébreux ont des dégaines de gendre idéal. Le mythe de Cendrillon revisité à la sauce nippone en gros. Beaucoup rêvaient du prince charmant et, pas de bol, j’étais quasiment le seul à correspondre à la définition, avec ma belle gueule toujours affublée d’un sourire poli et énigmatique. Mon corps en pleine puberté n’était plus celui d’un petit garçon, mais pas encore tout à fait celui d’un homme. J’avais un côté androgyne, comme les héros de leurs mangas préférés, et surtout, tout le monde savais que j’étais musicien. Ça, c’était le coup de grâce pour leurs hormones en folie.

 

On était en plein cours de sciences quand ma camarade de la table de derrière m’a tapoté le dos.

 

— Eh Matt ! Un message pour toi ! chuchota-t-elle.

 

Punaise, pas encore… Pensai-je. C’était le troisième depuis le début de l’année. Je l’ai remerciée vite fait et j’ai jeté un coup d’œil aux mots rédigés sur du papier à p’tits carreaux. Mon binôme aussi, évidemment. Comme je m’y attendais, c’était une demande de rendez-vous derrière le gymnase à la fin des cours avec une fille de la classe. Autant les deux premières j’voyais à peine de qui il s’agissait, autant elle j’la calculais bien.

 

La p’tite Maddie, une brunette d’un mètre cinquante-cinq avec son soutien-gorge rembourré – j’étais pas dupe – qui cachait un tube de rouge à lèvres dans son casier. Quand elle arrivait le matin, elle en mettait un peu et avant de rentrer chez elle en fin d’après-midi, elle repassait aux toilettes pour l’enlever et éviter de se faire engueuler par sa mère. C’était une dévoreuse de livres, j’le savais car en cinquième on avait dû faire un exposé ensemble sur Jules Verne. Une fille discrète, studieuse et gentille, très agréable à vivre. Si tous mes camarades avaient été comme elle, la vie aurait été plus douce, plus calme… Plus ennuyeuse aussi sans doute.

 

Elle m’attendait appuyée contre le mur, les yeux rivés vers le sol, les mains agrippées à son manteau, elle tirait tellement dessus que je me suis dit qu’elle allait le déchirer. Elle était dans un état de stress pas possible, la pauvre… Son visage s’est embrasé quand elle m’a vu.

 

— T’es venu ! couina-t-elle.

— Paraît que c’est pas poli de refuser une invitation, répliquai-je avec un grand sourire sympathique. Ça va Maddie ?

 

Question banale, et tout le monde se fout de la réponse en vrai, c’est juste pour entamer la conversation quand on n’sait pas quoi dire, ou quand on n’en a rien à carrer de la personne en face de soi, mais qu’on fait semblant d’être aimable. Dans mon cas, c’était surtout pour l’encourager à parler, parce que je savais très bien ce qu’elle voulait me demander, et je savais qu’elle allait galérer comme pas possible.

 

— Ah-eub oui oui… Et… Et toi ? bégayait-elle.

— Impec ! Tu voulais me dire quelque chose ?

— Euh… Oui… Euh… Je… Est-ce que… Est-ce que…

 

J’ai patienté, c’était long.

 

— Est-ce que tu veux sortir avec moi ?

— Désolé Maddie, t’es cool mais j’suis pas intéressé.

 

J’espérais ne pas avoir répondu trop vite, c’était mon défaut souvent. Toujours sympa, mais j’prenais pas de gant. Elle était si rouge, j’ai cru qu’elle allait se transformer en tomate sous mes yeux. À peine j’avais dit non à Maddie, que toutes ses copines étaient déjà au courant, de fait, une heure plus tard, tous les garçons de ma classe l’étaient aussi.

 

— T’as dit non à Maddie ?!? s’égosillait Yann dans mes oreilles. T’es con ou quoi ? Ses nichons sont déjà plus gros qu’ceux d’la prof de maths !

— Oui, et ? Reviens sur terre vieux : on est au collège, elle ne risque pas de me faire un strip comme les filles chaudes de ta région sur internet… Qui sont la plupart du temps des mecs de pays du tiers-monde à l’affut de ta carte bancaire.

— Ah ah ! T’es énorme Matt !

 

Le pote de Yann a frappé dans ma main. J’me souviens même pas de son nom. Il ne disait pas grand-chose d’intéressant en général, il se contentait de ricaner à chacune de mes blagues et à celles de Yann.

 

J’ai compris assez jeune que j’étais malin, plus malin que la moyenne en tout cas. J’ai une bonne mémoire, un bon instinct, je sens les choses et je suis doué pour élaborer des stratégies, dans tout un tas de domaines. Grâce à ce p’tit talent, je me suis fait pas mal de copains tout au long de ma vie. Échanges de bons procédés, intelligence sociale, manipulation… Des concepts que j’ai assimilés inconsciemment très vite, aujourd’hui je peux poser des mots dessus.

 

Sur le plan scolaire, j’étais un excellent élève en primaire, puis au collège, j’me suis un peu relâché. Tout ça me gavait. J’faisais le minimum vital pour que les profs me foutent la paix et je passais tout mon temps libre à m’exercer à la guitare en mâtant des tutos. J’avais passé six ans au solfège à jouer du piano. J’étais loin d’être un virtuose, mais je maitrisais, et j’avais un don pour l’improvisation, ça agaçait ma prof de musique d’ailleurs. Le piano exige trop de méthode, trop de rigueur. La guitare c’est plus facile, et elle confère un sentiment de liberté que j’kiffais grave. Je le kiffe toujours d’ailleurs.

 

La musique, je voulais en faire mon métier. J’ai décidé à onze ans que j’allais consacrer ma vie à ça. Mes parents faisaient un peu la gueule, normal. Comme je le disais : j’étais malin, alors j’avais pas la naïveté de croire que ça serait facile ou que j’arriverais forcément à atteindre mon but. Mais le reste ne m’intéressait pas, c’était ma seule passion et j’étais bien décidé à tout donner pour ce rêve.

 

En plus des cours extra-scolaires et de mes entrainements en autodidacte, je faisais partie du club de musique du collège. Ça me bouffait toutes les récrés, les heures de perm, une partie de ma pause dej et je restais facilement une heure de plus le soir avant de rentrer chez moi. C’est comme ça que je me suis mis à voir des trucs… Des trucs que les autres voulaient cacher. Ils attendaient qu’il n’y ait plus personne dans les parages et puis voilà, ils faisaient leurs trucs.

 

Ce jour-là, à dix-huit heures, j’étais sur le point de sortir du bahut quand je me suis rappelé que j’avais oublié mon manuel d’histoire dans la salle de musique. Je me suis mis à pester tout seul et j’ai fait demi-tour : la salle de musique était à l’autre bout du bâtiment et au premier étage.

 

Il y avait un coin que tout le monde connaissait. C’était paradoxal : le renfoncement étroit sous l’escalier à l’angle du couloir était un coin discret, mais tout le monde savait qu’il faisait partie du top cinq des meilleurs endroits pour se rouler une pelle, alors la discrétion était relative, fallait prendre un ticket pour y aller normalement. La cage d’escalier était sombre à cette heure en hiver et y avait plus âme qui vive au collège, ce qui rendait le coin bisous numéro trois vraiment discret pour une fois. Il n’empêche que quand je suis passé à côté, j’ai bien senti qu’il y avait quelqu’un.

 

Machinalement, j’ai jeté un coup d’œil, on le faisait tous. C’était comme ça qu’on choppait les potins les plus scabreux. Je suis resté figé devant cette scène, je ne la comprenais pas vraiment. C’était la première fois que je voyais deux garçons qui s’embrassaient en vrai, surtout aussi jeunes. Ce n’était pas du cinéma, ce n’était pas un clip de musique, c’était la vraie vie. J’en ai eu le frisson. Ça m’a pris sous les clavicules, de droite à gauche, comme un éclair qui m’a traversé. J’ai pas réussi à bouger, j’étais planté là, comme un couillon, à les regarder pendant presque une minute, j’ai même pas grillé que c’était complètement impoli d’ma part. J’ai émergé quand eux m’ont remarqué. J’ai bien vu qu’ils étaient surpris, un peu flippés aussi, et leurs quatre yeux braqués sur moi m’ont fait flipper à mon tour.

 

— Désolé…

 

Après avoir baragouiné mon p’tit mot d’excuse, j’ai filé aussi sec. Je tremblais, j’ai cru que j’étais troublé, mais c’était pire que ça. J’étais excité, littéralement excité. J’osais pas regarder sous ma ceinture, mais je savais que c’était là. Mes parties avaient réagi, et même bien réagi. J’ai toujours eu beaucoup de self-control, je pense que les rares personnes qui m’ont croisé dans le couloir n’ont absolument pas capté que j’étais dans tous mes états, pourtant cette sensation, quarante ans plus tard, je m’en souviens encore tellement elle était forte… J’avais vu le truc le plus bandant de toute ma jeune vie.

 

— Eh ! Euh… Matthieu c’est ça ?

 

Je me suis retourné pour voir qui m’avait interpellé, j’avais déjà deviné de toute façon, c’était l’un des deux mecs cachés sous l’escalier. Il m’avait suivi, couru après pour être exact, car j’avais sacrément détalé pour m’éloigner de lui et de son petit copain. À la lumière du couloir, je l’ai reconnu. Il était dans une autre classe de quatrième, mais il faisait partie de mon club de musique. J’ai pris un air détendu et mon ton le plus cordial.

 

— Ouais, et toi c’est Cyril je crois ?

— Ouais…

 

Il a toussoté, embarrassé. Cyril n’était pas très beau comme garçon. Si je manquais de modestie, je dirais qu’il était mon exact opposé. Il avait toujours l’air renfrogné, quand moi je gardais ma mine joviale. J’étais svelte, presque maigre, lui il était enrobé. J’avais encore les cheveux clairs à l’époque, lui il était brun comme s’il avait plongé sa tête dans un seau de charbon. Mes petits yeux ronds noisette pétillaient – dixit les articles sur les groupes de musique en vogue dans les magazines people – quand les siens, plissés, se complaisaient dans les ténèbres.

 

Je ne le connaissais pas bien encore, mon opinion sur lui a totalement changé depuis, mais au collège j’le trouvais vraiment pas avenant. En fait, j’ai connu des portes de prisons plus sympathiques que Cyril, ça m’empêchait pas de lui causer gentiment. Il a rassemblé tout son courage et le peu d’amabilité qu’il avait pour me demander :

 

— Ce serait bien que tu ne parles pas de… Ce que tu as vu. Je suis sérieux.

— Oui, j’ai bien compris. J’te promets que je ne dirai rien. T’as pas à t’en faire.

 

Et je lui ai souri. Je connais la puissance de mon sourire, il met en confiance n’importe qui, j’ai un capital sympathie de ouf. Il avait l’air un peu rassuré, mais juste un peu. Cyril est super méfiant par nature.

 

Il m’a gardé à l’œil pendant des semaines. J’ai fait pareil, c’était plus fort que moi. J’ai fini par connaître l’identité du type avec lui : il s’appelait Théo et il était dans sa classe. Ils trainaient rarement ensemble en journée. En revanche, ils restaient tous les deux tard presque tous les jours et ils partaient au même moment le soir. J’étais persuadé qu’ils allaient se planquer quelque part en ville pour se bécoter quinze minutes avant de rentrer chez eux.

 

Il ne se passait pas une journée sans que je repense à leur baiser. Le pire c’était le soir, tout seul dans mon lit au moment de m’endormir, et la java continuait dans mes sous-vêtements. Je ne le contrôlais pas. De temps en temps, après avoir trempé mes mouchoirs, je pensais aussi à Maddie, elle était autrement plus mimi que Cyril, objectivement parlant. On dit que la beauté c’est subjectif, mais il y a des limites… Des limites qui dépassent les orientations de chacun. Sauf que la jolie Maddie, comme toutes les autres filles du collège et d’ailleurs, me laissaient froid, alors que Cyril le boloss, j’arrivais à lui trouver du charme, surtout quand je l’observais au club.


Il avait une dextérité particulière, qui s'entendait plus qu'elle ne se voyait. Il était nerveux quand il jouait en solo devant les autres, il passait en mode robot. C'était dommage, mais même comme ça, il faisait peu d'erreurs sur ses accords. J'me souviens qu'il maitrisait déjà le slap à treize ans. Il avait toujours tendance à essayer d'imiter le style de Flea, avec plus ou moins de succès, mais c'était mignon de le voir essayer.

 

En songeant à Maddie, je revoyais aussi sa bibliothèque. À côté des romans de Jules Verne, il y avait une petite collection de mangas parmi lesquels quelques yaoï. J’en avais jamais ouvert un de ma vie, c’était à peine si je connaissais l’intrigue de One Piece déjà… J’avais l’âme en vrac, j’dormais presque plus. Un soir après les cours, j’ai foncé à la librairie. Je ne peux pas dire que j’ai pris le premier bouquin qui me tombait sous la main. J’ai dû me taper tout le rayon, en rasant les murs, pour en trouver un suffisamment explicite que le caissier me laisserait acheter. La plupart faisait littérature pour fillettes – sans aucun intérêt pour moi – et dès qu’il y avait du nude, c’était interdit aux moins de seize ans. J’ai essayé de le lire chez moi. Oh bordel ce que c’était cucul… Érotique, mais cucul. Et j’avais un gros doute sur le réalisme du truc. Comme pour les vidéos, ce n’étaient rien que des dessins, je ne ressentais pas du tout le même émoi qu’avec Cyril et Théo. J’ai refermé le livre, blasé. Je n’allais pas trouver les réponses à mes questions dans ce torchon. C’est avec Cyril que je devais parler.

 

J’ai profité du cours de musique pour l’aborder discrètement. Je le sentais tendu et farouche, prêt à bondir comme une bête sauvage planquée dans les hautes herbes. J’ai souri, comme toujours.

 

— Je voudrais te parler en privé. Tu veux bien m’accompagner au parc ce soir ?

 

Il a froncé les sourcils avant d’acquiescer d’un léger hochement de tête. Le parc en question était celui de l’orchestre départemental. J’aimais bien cet endroit, j’y allais de temps en temps pour assister à des concerts avec mes parents, mais surtout je n’avais jamais rencontré qui que ce soit du bahut là-bas. Or, il ne fallait pas que quelqu’un surprenne notre conversation.

 

— Alors ? Tu voulais quoi ? me demanda Cyril avec sa voix mal-aimable au pied d’un gros chêne.

 

J’ai failli me dégonfler quand il a commencé à m’aboyer dessus, lui il n’avait pas envie de causer. Malgré tout, je savais que c’était pas un gars à embrouille, je sentais que j’pouvais lui faire confiance et j’ai écouté mon instinct.

 

— Désolé pour la question indiscrète : quand et comment t’as su que tu préférais les mecs aux nanas ?

 

Il m’a dévisagé de la tête aux pieds avec son regard noir. Il a dû penser que je me mêlais de ses affaires privées.

 

— C’est quoi cette question ? finit-il par répliquer.

— J’crois que je suis comme toi et Théo.

 

Pour la première fois depuis que je le connaissais, j’ai vu son regard s’adoucir et il a écarquillé les yeux. Il était surpris, soulagé pt’être aussi. Mais je crois que le plus surpris des deux c’était moi, car en quelques secondes, j’ai cru que j’avais affaire à une toute autre personne. Le coin de sa bouche s’est retroussé dans un petit rictus attendri et fraternel.

 

— Ah, c’est ça… dit-il avec une pointe d’amusement dans la voix. J’me disais bien que t’étais bizarre.

— Comment ça bizarre ?

— Tu te comportes de manière chelou avec Théo et moi, t’as pas remarqué ?

— Euh… Non, pardon. Je vous ai vexé ?

— Non, c’est juste qu’on a pensé que t’étais qu’un gros homophobe.

 

Je me suis mis à ricaner. J’étais sur le cul. Moi, Matt le charmant, Matt le diplomate, Matt le malin, j’avais réussi à déranger deux camarades sans m’en rendre compte. C’était la première fois de ma vie que je me sentais idiot, ça ne m’a pas plu. En écoutant Cyril se moquer de moi, je me suis dit que ça n’arriverait plus jamais. J’avais beaucoup d’orgueil à l’époque, même si je le cachais. Maintenant ce n’est plus le cas, du moins j’aime le croire… Cyril était enfin détendu, mais il restait sceptique.

 

— Quand tu dis « tu crois » : t’en es convaincu, tu y penses sérieusement ou t’as juste un p’tit doute parce que t’as réalisé qu’on existait ?

— Franchement ?

— Ouais.

— Depuis que je t’ai vu dans cette cage d’escalier, je meurs d’envie de t’embrasser aussi.

 

J’avais fourré mes mains dans mes poches arrière de futal. Ça m’arrivait de temps en temps quand je voulais causer de choses sérieuses et que je ressentais un peu de stress. J’ai pas détourné le regard, j’ai pas rougi, même si j’avais chaud aux oreilles. Je voulais juste qu’il comprenne que je ne lui racontais pas tout ça pour me foutre de lui.

 

Encore une fois, je peinais à reconnaitre Cyril. J’avais réussi à le perturber. Théo n’était pas laid comme garçon, mais j’étais autrement plus séduisant que lui. En plus, il était très efféminé, moi j’étais plus viril, dans ma voix et dans mes gestes. Ma puberté m’avait déjà doté d’une petite fourrure sur les avant-bras. Je ne savais pas trop ce qui plaisait à Cyril, mais mon intuition me disait qu’il se cherchait encore lui-même. De la même façon que je ne connaissais pas d’autres gays qu’eux deux, lui n’avait sans doute jamais rencontré d’autre gay que Théo.

 

De longues secondes s’écoulèrent jusqu’à ce qu’il se décide à répondre, après avoir dégluti difficilement.

 

— Tu me promets de ne pas en parler à Théo ?

 

J’ai hoché positivement la tête, en silence. Il mordillait nerveusement ses lèvres, tiraillé par la morale, et moi je n’arrivais pas à regarder autre chose. Je ne pouvais pas prendre la décision à sa place.

 

Finalement, il s’est approché et il a collé sa bouche contre la mienne. C’était mon premier baiser. Sous ma dégaine confiante, j’étais tétanisé, alors j’ai laissé faire Cyril. Il n’était pas très doué, il n’avait pas beaucoup d’expérience… Il s’est grandement amélioré par la suite. Pourtant cette maladresse me plaisait, j’aimais les petits coups de nez qu’il me mettait par accident en essayant de changer la position de sa tête, j’aimais le goût salé de ses lèvres que je savourais discrètement du bout de la langue, j’aimais sentir sa main posée sur le côté de ma joue recouverte de duvet blond. Je ne sais pas pourquoi il a arrêté, sans doute avait-il estimé que ce baiser avait duré suffisamment longtemps. Je ne pouvais m’empêcher de sourire, avec un sourire franc pour une fois. Lui par contre, je voyais bien qu’il culpabilisait.

 

— Merci beaucoup… Cyk.

— Euh… Ben de rien.

 

Il n’osait plus me regarder après ça. Je manque peut-être d’empathie, mais ses remords me paraissaient insignifiants à côté de mon immense reconnaissance. Grâce à lui, je n’avais plus le moindre doute. J’avais quatorze ans, et je savais désormais avec certitude que j’étais homosexuel.

 

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