La prophétie du roi déchu: Le seigneur oublié
Chapitre 24 : Mauvais présage
La route fut longue, encore une fois, même les orques s'avouèrent vaincus, il fallait se reposer. Cette terre n'était pas hospitalière comme les contrées d'Étale ou la forêt luxuriante de Guiogne. Le froid était mordant, Ushhar commença à allumer un feu, mais Dourgen l'interrompit.
_ J'ai froid ! S'exclama l'Éclad. Laisse moi juste me réchauffer !
_ Il faut rationner le bois, nous ne sommes pas prêts d'en retrouver de sitôt.
La ville de Shalis était encore à quelques heures de marche, mais la nuit fut trop noire. Le Commandant guettait la montagne, certains qu'elle les guettait aussi. Fradel vint à ses côtés, tenant une tasse chaude.
_ Il faut boire, dit-il. Nous allons avoir besoin de forces pour franchir ce nouveau col.
Sans le calculer, Galro saisit le thé. Si l'Éclad avait raison, il était fort probable que cette boisson soit amenée à disparaître, tout comme l'histoire de cette nation. Encore une lourde perte, Kaös avait la manie de détruire les choses les plus belles. Fradel s'éloigna, il se percuta maladroitement contre un homme immense, et reconnut Warda.
_ Que faites-vous ici ? Vous n'avez pas été sollicité !
_ Écarte-toi !
Le guerrier sombre poussa le paladin phénix et se fraya un chemin jusqu'au sommet du monticule. Son ancien ennemi fixait les sommets.
_ Tu crois qu'ils nous attendent ? Demanda l'homme d'église.
_ C'est probable.
_ Tu es enfin décidé à t'allier à moi ? Demanda Galro en souriant à l'elfe.
_ C'est un bien grand mot, je dirais plutôt que j'ai besoin de tes hommes pour sauver la Guiogne.
Galro aspira une quantité de boisson chaude, il était nerveux. Le guerrier sombre décela le doute dans l'esprit de son camarade et lui demanda :
_ Il est vrai que tu as eu des visions sur le mont de Léondia ?
_ C'est quelque chose que j'ai du mal à avouer, mais oui, j'ai rêvé. J'ai enfin compris, ton père m'a tracé un chemin.
_ Mon père ? Raon ?
_ Non ! Interrompit Galro. L'Ombre, Raldir. Il m'a choisi.
_ Comment tu le sais ? Demanda Warda inquiet.
Galro se tourna vers lui, il lui sourit et révéla son secret.
_ Après notre combat, il m'a remit le saint livre des Quatre chevaliers fondateurs. Ainsi que le Talisman. Il m'a octroyé la vision dans le noir. Quand la nuit dernière je lui ai demandé la raison, il a été vague. Pour lui, la cause ne détermine pas les conséquences. Il m'a parlé d'une rivière du temps, que seuls les poissons les plus forts peuvent remonter. J'ignore le sens de ses paroles, mais pour moi, elles sont lourdes. Puis il a faillit me tuer.
_ Ce n'était qu'un rêve, affirma Warda. Tes bondieuseries te font perdre les pédales !
_ Je sais ce que j'ai vu ! Rétorqua Galro, puis il reprit un ton plus calme. D'une manière ou d'une autre, il a su que nous nous allierons, aussi je ne te demanderai plus de me rejoindre, car c'est déjà écrit. Le temps n'est pas linéaire, le futur n'est pas encore et le passé n'est plus, mais nous pouvons changer les deux. Tu l'as vu de tes propres yeux l'étendu de nos capacités quand nous joignons nos forces.
Warda ne répondit pas, il se contenta de monter à son niveau et expliqua :
_ Je ne suis pas là pour entendre tes sermons. J'ai vu mes parents.
_ Quand ? S'inquiéta Galro.
_ Quand, dure à dire, mais où, ça je peux te le dire.
Il pointa le Mont Cuivre face à eux, la cité de Shalis. Galro plissa les yeux, mais n'y vit qu'un blizzard.
_ Tu es certains ?
_ Une embuscade nous attend là-bas, j'en ai l'intime conviction.
Les deux hommes scrutèrent la montagne silencieusement, le vent faisait claquer les fanions, le camp s'apprêtait à dormir. Un paladin s'approcha et appela Galro :
_ Votre Sainteté Galro, vous devriez aller vous coucher, la tempête se lève !
_ Un instant, je vous rejoins bientôt.
Le chevalier s'éloigna, profitant de la confidentialité, Galro s'approcha de manière à ce que seul Warda entende.
_ Si tes parents réapparaissent, viens me réveiller, je viens avec toi !
_ Tu es sûr de toi ? S'inquiéta Warda. On a faillit tous les deux y rester la dernière fois.
Galro tapota sur l'épaule de Warda et s'éloigna.
_ Ce n'est qu'un rêve, tu l'as dis toi-même, au pire nous nous réveillerons.
Ignorant si Galro était un inconscient, ou un suicidaire, Warda le regarda rejoindre sa tente au loin. Il retourna auprès des orques.
Au loin, un prédateur guettait, il attendait le moment propice.
Au milieu des couvertures, Warda avait du mal à dormir. Il était abrité derrière un rocher, mais le froid le transit tout de même, la tempête hurlait. Semblable à une bête féroce, le vent menaçait l'armée, l'ombre de la montagne les dominait. Un guetteur l'éclaira de sa lumière, un croisé, lorsqu'il vit l'elfe noir tendre une main pour se protéger de la lueur de la lanterne, le garde dit :
_ On a du mal à dormir, princesse ?
_ Va te faire ! Lui répondit Warda avec véhémence.
Le guerrier de l'Église s'éloigna, laissant seul Warda à ses pensées. La vision de ses parents le hantait, il était certains qu'un nouveau présage l'attendait. Puis, il se rendit compte que sa vessie était pleine. Il s'éloigna de quelque pas, se mit face à la montagne et commença à défaire sa ceinture de tissu. Mais... Une silhouette massive l'épiait. Un colosse.
_ Qui est là ? Demanda Warda.
L'homme dans l'ombre disparu, plongeant dans le blizzard. Sa marque, elle s'agitait. Comprenant que c'était peut être une nouvelle vision, il alla furtivement à la tente de Galro. De nombreux gardes surveillaient ses alentours, mais Warda, lui, avait appris durant des années à être discret, il du assommer un ou deux croisés, mais il n'eut aucun remord. Au moins, ils allaient dormir. Il entra dans la tente du Commandeur, celui-ci semblait être prit d'un sommeil agité. Hésitant, Warda l'extrait de son rêve en le secouant.
_ Galro ! Galro !
L'homme instinctivement se jeta sur une arme et la plaça sur la gorge de l'elfe noir. Il s'arrêta au dernier moment, en sueur malgré le froid. Il écarta la lame lentement et mit ses mains en l'air en signe d'apaisement.
_ Je devrais perdre l'habitude de porter des armes au lit, dit Galro en riant doucement. La dernière fois que c'est arrivé, j'ai faillit éviscérer mon meilleur ami.
_ Ravi de l'entendre, répondit Warda d'un ton sarcastique. Bon, lève toi ! J'ai l'intime conviction que nous allons avoir de nouvelles révélations.
_ Bien ! Allons taper la causette avec le Tout-puissant.
Les deux hommes se faufilèrent dehors, esquivant les gardes, il ne fallait pas éveiller les soupçons. Si on venait à savoir que Galro développait des capacités surnaturelles liées à Warda, cela pourrait le compromettre. Armés, en armure, face au Mont Cuivre, les deux hommes se tinrent côtes à côtes. Le blizzard soufflait face à eux, givrant leurs poils.
_ J'ai en marre des montagnes, s'exclama Galro.
_ Et moi donc. En avant râleur !
Les deux hommes dégainèrent les armes, ils ne voulaient pas se laisser surprendre. L'elfe noir posa le plat de sa lame contre son épaule, Galro se saisit d'une torche à la lumière vacillante, épée à la main. Ils entrèrent dans le pays des songes.
D'abord d'infinis ténèbres, épaisses, si opaques que même Galro ne put rien distinguer malgré ses Calénaclidials. La neige les fouettaient, le froid était un poignard. Plus ils avançaient, moins ils pouvaient distinguer quoique ce soit.
_ Qui c'était cette fois-ci ? Demanda Galro à l'intention de l'elfe noir. Ton père ? Ta mère ?
_ Je l'ignore, je pense aucun des deux. Il était trop grand.
Les questions se bousculèrent dans sa tête, mais Galro décida que ne pas assaillir son frère d'armes de questions serait une meilleure idée. Après tout, la logique n'avait plus sa place dans ce royaume. À la lueur de la torche du croisé, un reflet apparut. Blanc, immaculé, rond et légèrement fissuré. Lorsque Galro brandit sa torche, ils aperçurent un crâne humain, orné de plumes de corbeaux.
_ Quelle est encore cette diablerie ? Questionna Galro. Ton père était cannibale ?
_ Non, répondit Warda. Ce n'est pas lui, je sais où je l'ai déjà vu.
Un totem effrayant, planté sur deux bouts de bois entrecroisés. Les souvenirs jaillirent, le mont de Léondia.
_ Merci... dit Warda en contemplant le trophée morbide.
_ Merci de quoi ? C'est un bout de cadavre !
_ Silence ! Merci... C'était un ami, de brève durée certes, mais il m'a beaucoup aidé.
Des bruits de pas dans la neige résonnèrent derrière eux, un être massif les suivait. Apeuré, Galro éclaira dans sa direction, un immense fauve à la fourrure blanche sortit des ténèbres. Un Ssaros.
_ Je savais que c'était toi ! S'exclama Warda alors que Galro reculait à cette vision d'horreur.
_ C'est lui Merci ? Tu as pactisé avec ces bêtes sauvages ? Comment as tu fait ?
_ Je lui ai sauvé la vie, et lui a sauvé la mienne.
Warda s'éloigna de Galro pour venir à la rencontre du géant sauvage. Le chevalier religieux craignait le pire, mais l'elfe noir avança, sûr de lui. Le grand félin plaça une main sur son torse :
_ Merci.
Il la plaça ensuite sur le torse de Warda qui se mit à pleurer de joie.
_ Warda.
_ Oui, s'exclama l'elfe noir joyeux. C'est ça mon grand, ravi de te revoir.
L'elfe noir enlaça le fauve qui lui rendit le câlin. Sous le regard subjugué de Galro, le gardien de la montagne s'adressa à son ancienne connaissance.
_ Moi amour, moi montrer chemin. Moi montrer ton chemin. Toi suivre moi.
Il lâcha le guerrier sombre, et se dirigea vers le seigneur des paladins. Le chevalier fut hésitant, mais lorsqu'il vit le géant des neiges le contourner, cela le rassura, le colosse entra dans les ténèbres.
_ Attend ! S'écria Galro qui voulut le suivre.
Les deux compagnons partirent à la suite de Merci, mais le silencieux homme-félin les distança malgré sa marche lente. Comme si la notion d'espace et de temps était altérée. Warda se rapprocha du noble, son visage était faiblement éclairé par la torche.
_ Comment t'as pu le perdre ? Demanda en colère Warda. Nous tenions une piste.
_ Attends !
Ils avancèrent et trouvèrent une traîné de sang dans le blanc manteau de la montagne. Inquiet, Warda s'élança en avant.
_ Merci ! Merci attend nous !
Pris dans l'élan de Warda, Galro n'eut d'autres choix que de courir aussi pour ne pas se faire semer.
_ Warda attend moi ! Nous ne savons pas ce qu'il y a là-bas !
Ils entrèrent là où il fait le plus noir. La lueur de la flamme n'éclairait presque plus. Le sang était chaud, plus important. Puis, aux pieds de Warda, une vision d'horreur. Le guerrier sombre s'écroula, en hurlant de chagrin, il saisit le corps de Merci, sans vie. Une blessure sanglante affligeait sa poitrine. Galro leva les yeux vers l'obscurité, il distingua un reflet argenté, une lame ornée d'une rose. Deux yeux verts malveillant le narguaient dans le noir. Un prédateur.
_ Warda, nous ne devrions pas rester là !
L'elfe noir ne l'écoutait pas, il serra fort son ami des montagnes dans ses bras. Le fauve était inerte, il était mort. Les yeux assassins disparurent dans l'obscurité.
_ Warda, nous devrions partir ! Insista Galro en attrapant par l'épaule son camarade.
Emporté, impuissant Warda suivi le croisé, ils rebroussèrent chemin. Mais une douleur apparut, sa jambe, elle se mettait à saigner. L'elfe se stoppa net, saisissant sa blessure. Il ne pouvait plus se lever, il du se mettre à genoux et se mit à gémir de douleur. C'était semblable à une gueule carnassière qui se refermait dessus, une mâchoire d'acier.
Galro scruta les ténèbres, il entendit quelqu'un siffler. C'était familier, il se rappelait de cet air. Il activa sa Dyaladuil et hurla à l'encontre de l'ombre :
_ Mayirr ! Montre toi, Long-couteau !
Aucune réponse. Juste ce sifflement, changeant d'origine à chaque fois. Là où Galro avait la garde baissée, il entendit des bruits de pas. Il se retourna, personne !
_ Tu peux te lever ? Demanda le seigneur de l'Ordre.
_ Je ne crois pas, répondit Warda. C'est atroce !
Sa jambe le faisait horriblement souffrir, du sang coulait abondamment. Alors que Galro se pencha pour aider l'elfe, il sentit un coup de dague se planter dans son épaule. Il trancha derrière lui, mais il n'y avait que du vide. Seul un ricanement le nargua depuis les ténèbres. Ils étaient vulnérables.
_ Mayirr ! Hurla Galro de rage.
Le sifflement reprit, un être sournois les épiait. Se sentant menacé, sans réfléchir, Galro rengaina son épée saisit Warda sous son épaule et le força à marcher. L'elfe noir abandonna Algazalm, mais il n'avait plus la force de la porter. Les deux compères se mirent à courir dans l'obscurité.
_ Tu te rappelles de notre entraînement ? Demanda Galro.
_ Oui, tu m'as tué à plusieurs reprises !
_ Justement, si tu vois quelque chose, transmet le moi !
_ Comment ? Je ne sais même pas comment ça marche !
_ Fais le ! C'est tout !
Les deux hommes marchaient péniblement dans le blizzard, ils traversaient une ville Sintraënnienne, c'était Shalis. Des statues de bêtes mythologiques se dressaient sur leur chemin, une arche rouge ornée de rubans blanc les accueillait. L'entrée d'un temple. Galro y pénétra, mais son allié interrompit :
_ Et si c'était un piège ?
_ Nous sommes déjà tombés dedans, en route !
Des rires, ceux de Long-couteau, résonnaient. Ces derniers se muèrent, pour devenir bestiaux, sauvages, le rire d'une hyène. Pris dans son élan, Galro rentra dans l'édifice, une statue de dragon serpentin leur faisait face, une main levée vers le ciel, la seconde inclinée vers le bas. Ses traits étaient surréalistes, il portait une longue barbe et des bois de cerf. Une œuvre Sintraënnienne.
_ Où allons nous ? Demanda Warda inquiet.
Galro réfléchit brièvement, et prit une direction au hasard :
_ Par là, ça devrait aller !
Ils déambulèrent dans d'obscures couloirs, le sifflement insistant de Long-couteau se rapprochait. Alors que Galro se pencha pour poser Warda à bout de souffle. Il inspecta la blessure, la prise de la mâchoire invisible se renforçait.
_ Quelle est encore cette sorcellerie ? Demanda Galro impuissant.
_ Je l'ignore, répondit Warda qui poussa une horrible grimace tant la douleur était intense. J'ai l'impression de me faire manger !
Une sensation saisit les deux guerriers, une attaque ! Galro se retourna instantanément, saisit le bras et aperçut Long-couteau à quelques centimètres de son visage. Ses yeux avaient changé de couleur, ils étaient noirs avec un iris d'or, une pupille reptilienne la fendait. Il lui sourit avec une gueule ornées de crocs noirs, luisants.
_ Vous ne m'avez pas oublié, messire...
L'homme encapuchonné s'arracha de la prise du chevalier blanc et disparu dans les ténèbres, seul son rire résonnait dans les méandres des couloirs.
_ Ça a marché ! Se réjouit Galro. Tu penses pouvoir le recommencer ?
Warda tentait de se compresser la jambe, en vain, mais ne put que admirer le résultat de leur union mystique.
_ Je peux tenter.
_ Ne bouge pas, je me charge de cette vermine ! Prend cette dague !
Galro donna sa miséricorde et sa torche à l'elfe noir. C'était une maigre défense, mais ça valait mieux que rien.
_ Essayons de reproduire ce que nous parvenions à faire lors de l’entraînement, d'accord ?
_ Faisons ça ! Répondit Warda en tenant fermement son arme de fortune.
_ Très bien !
Galro dégaina son épée, et il fit émaner son pouvoir antique. Une aura bleutée les entouraient, la foudre crépitait à l'intérieur de la lame. Galro s'avança, abandonnant Warda. Si seulement l'elfe noir maîtrisait la magie, ils auraient pu rester en contact télépathique, mais ce n'était pas le cas. Il entra dans le domaine des entités malveillantes. Tandis que le Commandant Suprême progressait dans un long couloir, il aperçut des pots funéraires déposés aux pieds de tableaux. Un bol de riz et deux baguettes plantées décoraient le comptoir, le portrait des défunts le toisaient. Des nobles, ou des personnalités importantes de Shalis. Son instinct ne lui dictait rien. La voix de Mayirr résonna en écho dans les couloirs :
_ Vous m'avez humiliés, vous m'avez traîné plus bas que terre, tout ça pour quoi ?
Des bruits de pas retentirent. Galro se retourna et envoya une décharge électrique dans le mobilier, le bois éclata et retomba sous forme de braises. Le fracas du tonnerre fit trembler le monument. Galro se mit en garde, prêt à réceptionner la prochaine attaque.
_ Non seulement vous m'avez arnaqué, reprit la voix de Long-couteau, mais en plus vous avez fait copain copain avec mon assassin. MINABLE !
De nouveaux, des pas. Galro frappa de la foudre divine une rangée de meubles, l'éclair déchira les archives, réduisit en centre les parchemins de rituels sacrés. Son cœur battait à tout rompre, il sentait le sang dégouliner de son épaule.
_ N'ai pas peur, voulut se rassurer Galro. Ce n'est qu'un rêve, nous ne risquons rien.
_ C'est ce que tu crois !
Une dague lui trancha la gorge. Une dague fut attrapée au dernier moment par Galro qui jeta par-dessus son épaule l'assassin. Le noble meneur spirituel tenta de le frapper de sa lame sacrée, mais le vaurien se mit à ramper tel un insecte en marche à arrière, rigolant comme un tordu. Une nouvelle fois, il disparu.
_ Tu n'es pas Long-couteau ! S'exclama Galro face aux ténèbres.
Le rire de hyène du fantôme résonna, et lui répondit en ces termes :
_ Tout comme ce Ssaros, je ne suis que le reflet que tu souhaites voir.
Galro réfléchit, cette entité ne se dévoilait que sous une apparence métaphorique. Il saisit alors la nature de son adversaire. Ce n'était pas Mayirr, c'était quelque chose de grand, quelque chose de monstrueux.
_ Es-tu le menteur dont le père de Warda a parlé ? Demanda Galro.
Bien plus que pour avoir une réponse, cette provocation avait pour objectif de localiser sa cible. Il marcha au hasard, et monta un escalier. La voix qui devint grognante de l'homme parla à nouveau :
_ Si je suis un menteur, me croirais tu si je te disais la vérité ?
Un éclat de rire sadique, un éclat de rire de hyène. Sur cette réplique, Galro tenta de le localiser, mais la voix venait de partout. Non, elle était dans sa tête. Ce n'était pas un humain, plus une entité. Il pressentit l'assaut, il para un coup de la dague ornée d'une rose. Le tueur avait une gueule hérissées de crocs, il était difforme, bossu, couvert de poils. Il était plus proche du lycan que de l'homme. Il bondit dans les ténèbres, esquivant un coup d'épée de Galro. Sa nouvelle capacité de prémonition l'aidait beaucoup, mais il devait mettre un terme rapidement au combat.
Warda tenta de garder son calme, mais la blessure s'ouvrait de plus en plus. Quelque chose lui mâchait la jambe. Une silhouette s'avança, l'elfe noir brandit une torche dans sa direction. Il aperçu une femme. Une noble, blonde, yeux et robe bleus. Elle lui rappelait quelqu'un.
_ Que fais-tu là ? Demanda Warda. C'est dangereux ici ! Va-t-en !
La femme ne répondit pas, elle se contenta d'avancer depuis l'obscurité. Warda vit du sang couler de son visage. La jeune femme demanda :
_ Tu cherches à te voiler la face, tu prétend servir le bien, mais tu ne fais que répondre à tes plus bas instincts !
Un craquement retentit, son visage se déforma. Elle avait le crâne enfoncé, un œil sortait de son orbite. Un chevalier à la moustache en M vint à ses côtés, son visage balafré.
_ Tu as la mémoire courte, démon !
Un jeune chevalier, portant fièrement un tabard du cerf vint depuis le côté opposé, il avait un bras en moins. Le chevalier à la moustache s'adressa à l'elfe noir.
_ Est-ce que tes souvenirs refont surface ?
Warda épia les trois individus, il fut choqué. Ils étaient de retour d'entre les morts. La forêt ! Quand il avait fait s'évader les chamanes. Ses victimes... Une dizaine de personnes arrivèrent de toutes parts, toutes atrocement mutilées, un homme avait une branche qui lui sortait de l'estomac.
_ Les morts n'oublient jamais ! S'écria la femme, furieuse. Regarde ce que tu as fait à mon visage ! Mon si beau visage !
Sa tête éclata en morceaux, répandant la matière cérébrale sur les murs et le sol, ses os se rompirent un à un. Warda se rappela, il était sous l'emprise de la malédiction ce jour là. Il sentit un tambour... résonner dans ses tympans.
_ Tu es incontrôlable ! Vociféra le Duc, de sa gorge coulait du sang. Tu es démoniaque ! Tu n'es qu'une bête !
La frénésie gagnait peu à peu l'elfe noir ses marques brillaient d'une aura incandescente. La folie allait l'emporter.
_ C'est exactement ça ce que tu es, reprit le comte. Laisse toi envahir par la fureur, laisse la malédiction te montrer qui TU es !
_ Arrêtez ! Supplia Warda qui sentit ses yeux sortir de ses orbites. Ne me forcez pas à faire ça !
Les murmures des fantômes étaient une véritable cacophonie, la soif de sang grandissait. Un tambour, son rythme cardiaque, accélérait, il avait mal au crâne, une pulsion sauvage l'envahit. Puis vint Mayirr, l'assassin, la dernière victime de Warda sous l'emprise de la malédiction. Il souriait de dents difformes.
_ Rien ne sert de résister, abandonne toi à la folie !
Il saisit sa dague brillante, lécha une perle de sang sur la pointe de son couteau orné. Il conclut en disant :
_ Merci... de rien !
Ce fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase. La colère le dévora, il se laissa subjuguer par une absolue haine. Il se leva, ignorant la douleur, et se jeta frénétiquement sur tous les spectres. De sa dague, il trancha et massacra toutes ses victimes. Il ne se contrôlait plus, il était en pleine frénésie de meurtre. Il était un avatar du sang. Il hurla de rage.
Au loin, Galro entendit les cris de Warda. Il semblait être en plein carnage. Le chef des croisés hésita à voler à son secours, mais se sentit observé. Il s'adressa aux ténèbres :
_ Que lui as tu fais ?
_ Tu pensais qu'accompagner un elfe noir était sans risque ? Bien naïf es tu.
Des rires caustiques éclatèrent en échos, venant de partout à la fois. Le maître de l'Église se mit en garde, prêt à recevoir la prochaine attaque. La voix venu des ombres s'adressa de nouveau à lui :
_ De tous les alliés que tu as, tu as choisi le pire d'entre-eux.
Le bruit de combat s'intensifiait, Galro le sentait, Warda était en danger.
_ Rompt ton maléfice sur le champ ! Ordonna Galro.
_ Ce n'est que le fardeau de son âme qui l'a coulé, répondit Long-couteau qui prit le timbre d'un animal. Il n'est pas assez fort pour faire face à ses propres échecs, tout comme toi !
Des bougies s'allumèrent, Galro se tourna et vit quatre portraits. Le premier, un chevalier blanc décapité. Un paladin phénix.
_ OUBLIÉ !
La toile se déchira et une gerbe de sang en jaillit. Le second représentait Nardel.
_ MUTILÉ !
Un fouet invisible arracha des pans du tableau, de l'hémoglobine jaillit. Le troisième, Ilada. Elle portait une armure couverte de lames affûtée, son regard était haineux.
_ ASSASSINÉE !
Sa poitrine éclata sous une effusion morbide de matière. Le quatrième tableau, celui qui frappa le plus Galro, un enfant inconnu. Il avait des cheveux blancs, des oreilles pointues et des yeux rouges, mais sa peau était blanche. Bien qu'un air familier le frappa, Galro ne put l'identifier. Ému, le chevalier de l'église s'en approcha, mais au moment de poser sa main dessus, le dernier portrait fut aspiré dans le néant, et la voix sauvage de Mayirr retentit :
_ ABANDONNÉ ! Tous ces crimes tu les as commis ! TOUS !
La culpabilité rongea le cœur du Prophète qui tomba à genoux. Il réalisa enfin, à quel point lui-même était monstrueux. La disparition de cet enfant le bouleversa au-dessus de tout, lui qui était pourtant un simple inconnu. Le chef des croisés se posa cette question pour la première fois de sa vie : est-ce qu'il était aussi ignoble que ces révélations lui montrèrent. Il avait plus de mal à ceux qu'il aime qu'à ses ennemis. Ilada était son jouet, Nardel son esclave, son père avait probablement honte de lui, et cet enfant... qui était-il ? La bataille se rapprochait, une bête féroce luttait contre la multitude, elle était déchaînée. Galro ressentit la peur, son adrénaline grimpait en flèche, il savait quand est-ce qu'il avait déjà éprouvé cette émotion. Sur le mont de Léondia, face à Warda.
_ Il te prendra tout ! Lui annonça Mayirr. Absolument TOUT !
Le monstre grimpait difficilement les escaliers, clopinant, mais sa silhouette massive envahit le champ de vision de Galro. L'elfe noir. Il avait un regard fou, un sourire carnassier, il était couvert de sang de la tête aux pieds, ses glyphes brillaient en rouge. Il grognait bestialement. Galro se rappela de son premier vrai combat, lors de la fête du printemps elfique. Il était dans le même état. Il tenta une approche pour raisonner son allié :
_ Warda, c'est moi, Galro ! Je suis avec toi !
Aucune réponse, si ce n'est un grognement sauvage. L'elfe noir s'approcha en boitant, la dague à la main. Sentant le danger, Galro compris que le pouvoir conféré par l'elfe noir lui fut privé. Il n'avait plus de prescience. Sans Warda, il était démuni. Pire encore, l'élu de Dieu était dorénavant un adversaire redoutable. Galro mit une main en avant alors qu'il reculait.
_ Doucement ! Je ne te ferais pas de mal.
L'elfe lui hurla dessus et tenta de l'attraper, l'humain eut juste le réflexe de s'éloigner encore de quelque pas, il comprit que parler ne servait à rien.
_ Alors ? Demanda la voix du Menteur. Je croyais que tu voulais te venger ? Tu n'as pas oublié ?
L'ancien paladin trébucha sur une jarre en terre cuite, il était dorénavant à terre, il faisait face à un véritable monstre. Boitillant, Warda arriva à son niveau et lui bondit dessus. Galro roula sur le côté et s'engagea dans un nouveau couloir. Il entendait les rugissements de l'elfe sur ses talons, celui-ci rampait à vive allure. Instinctivement, il ouvrit une porte et s'enferma dans un kagura-den*, pensant pouvoir s'échapper. Il en oublia un instant son vrai ennemi.
Kagura-den : Salle de danse rituelle dans les temples shintoïstes.
Une ombre jaillit derrière lui, seul un reflet d'argent le trahit, Galro le stoppa au dernier moment, la lame effleurait son visage. Face à lui, ce n'était plus un homme, mais un animal furieux, un prédateur de l'Obscure. Il avait la gueule d'une hyène, son faciès bestial grossier rappelait les caractéristiques d'un charognard. Il était massif, musclé, de son dos jaillissaient des cornes tordues, sa tunique était laminée. Ses mains, ou ses pattes devrais-je dire, étaient garnis de griffes affûtées comme des dagues. Ses yeux reptiliens à l'iris d'or le fixaient, un regard affamé.
_ Je t'ai démasqué, déclara triomphalement Galro saisissant la nature de son ennemi. Tu es un sorcier Gnoll, un démoniste !
Malgré la révélation, le monstre le projeta sans calculer ses paroles, l'envoyer valser contre les instruments aux bords de la piste de danse. Le serviteur des ténèbres joua avec son arme, alors que le chevalier de la lumière se relevait.
_ Tu es perspicace, avoua le Gnoll. Mais terriblement naïf, tu es sans marque, sans pouvoir, sans ressort.
_ J'ai la punition divine, déclara Galro en brandissant Grandal dans sa direction.
Il invoqua le pouvoir de la dyaladuil et envoya un éclair sur le sorcier. Mais celui-ci leva sa main et la foudre s'écrasa contre sa paume. Sous le regard hagard de Galro, confus que son arme légendaire se révèle si inefficace, le mangeur de cadavres s'avança, lentement, savourant son triomphe.
_ Tu n'as toujours pas compris que tu n'es pas dans la réalité ? Sombre crétin, tu n'as aucun pouvoir ici ! Dans ce royaume, seul moi dicte les règles !
Il claqua des doigts, et subitement, l'épée sacrée de l'Ordre fut réduite en poussière. Sentant son impuissance totale, Galro éprouva seulement une absolue terreur. Il tituba en arrière et se mit à courir dans les jardins. La voix lointaine de la hyène rieuse résonna :
_ Dans ce royaume, tu n'es RIEN ! RIEN !
Désespéré, le général des armées de l'Ordre courut au hasard, pénétrant dans différentes pièces. Il craignait toutes les ombres, chacune d'elle pouvait cacher le Démoniste. Il arriva devant un autel, un présentoir en bois abritant une relique, un doigt squelettique enfermé dans une boite finement ouvragée en verre. Il portait une bague en argent orné d'un dragon. Le rire diabolique du nécromancien Gnoll parvint à ses oreilles.
_ Vas-y, attrape la.
Galro voulut briser la vitrine, mais il se retint. Il n'était pas dans le vrai monde, ici les lois de l'univers n'étaient pas les mêmes. C'était un leurre. Il se retourna et regarda de là où il était venu.
_ Tu l'as souillé, n'est-ce pas ? Tu as profané ce temple Sintraënnien !
La silhouette massive et bossue du Gnoll bloquait la sortie. Il ne cherchait plus à se cacher, sa proie n'avait plus aucune issue. Le démon s'approcha, lentement, faisant luire sa dague ornée d'une rose dans le noir.
_ Tu as échoué ! Tu n'aurais jamais dû le suivre, les marques sont une bénédiction, certes, mais encore faut-il savoir s'en servir... L'elfe noir a beaucoup de ténèbres en lui, il s'est laissé engouffrer par ses propres regrets. Sa malédiction, voilà son point faible !
Des grognements sauvages se rapprochaient, quelqu'un semblait traîner des pieds derrière le sorcier noir. Ce dernier s'écarta, Warda faisait face à Galro, dague à la main, ses marques irradiaient de maléfices. Aveuglé par la rage, l'elfe noir progressa sans remarquer le démoniste, celui-ci ne fit que glousser de rire à son passage.
_ De tous les alliés que tu as, il a fallut que tu choisisses le pire d'entre-eux. Et maintenant, vous allez tous les deux mourir, ici !
Il jeta sa dague à la rose aux pieds de Galro. La bête humanoïde rit, l'homme savait à quel jeu il jouait.
_ Je refuse ! Déclara catégoriquement le noble chevalier. Nous nous entre-tuerons pas !
_ Bien... Alors meurs seul, ça fera toujours un de moins !
Dans sa frénésie, Warda lui sauta dessus, Galro se décala sur le côté et le frappa dans la jambe meurtrie. Le guerrier sombre s'écrasa sur le piédestal, faisant tomber la relique. Le verre se brisa en mille éclats scintillants. Toujours dans son élan, l'elfe ténébreux s'élança, frappant au hasard, à chaque fois Galro parvint à le parer ou l'esquiver, à chaque fois de justesse. Sous le regard amusé de la hyène, les deux vaillants héros s'affrontaient. Le démoniste commenta :
_ Il a fallut que la pleureuse et mon abruti de frère jettent leurs dévolu sur ce misérable Espoir. Une marque peut déjà être un fardeau pour ceux qui ne suivent pas la discipline de leur dieu, mais deux, c'est juste de la folie ! Ce n'est qu'une question de temps pour que sa santé mentale soit anéantie, sans même évoquer la malédiction inhérente à son espèce ! Ils l'ont purement et simplement condamné en lui accordant ce don, ils me l'ont servit sur un plateau d'argent !
De justesse, Galro interposa sa main qui fut transpercée par le poignard, empêchant d'atteindre son visage. Il était couvert de sang. L'elfe noir était bien plus fort que lui, et la rage lui décuplait sa puissance. Alors qu'ils tombaient à terre, la lame de la miséricorde s'approchait dangereusement de son œil.
_ Vous avez... Échoués !
Galro sentit ses forces le quitter, il relâcha sa poigne quand soudain... Ils furent tous les deux happés dans les ténèbres.
Le Gnoll regarda la lame plantée dans le sol, il la poussa du pied.
_ Ce n'est que partie remise, dit-il en riant.
Un liquide chaud sur son visage, Galro ouvrit les yeux. Il était couché au sol, le regard vague, il entendait des hommes lutter, des cris inhumains. Il sortit de sa léthargie quand Tilbar le secoua :
_ Réveilles-toi bon sang ! Qu'est-ce qui s'est passé ?
Les bruits d'une bataille, les formes devinrent plus net. Le chef des croisés se leva, il avait mal au crâne, et à la main. Il vit à la lueur d'une flamme, il avait sa miséricorde plantée dedans. Il réalisa alors que, à quelque mètres de lui, Warda était déchaîné, ses marques rouges brillaient d'une rare intensité. Plusieurs croisés tentaient de le maîtriser, mais il était en pleine furie, il les projeta à coups de poings, brisant les os de certains d'entre-eux. Il était inarrêtable. Tilbar l'aida à se relever, et sortit la dague de la main de son maître. La douleur fut atroce, mais au moins, c'était fini.
_ Nous devons faire quelque chose pour Warda, s'écria Tilbar. Nous allons devoir engager les grands moyens !
Encore traumatisé de son cauchemar, Galro regarda en direction de l'elfe noir. Puis, en posant sa main, il sentit un bout de tissu. Quand il le révéla à la lueur de la torche, il vit un chevalier de chiffon. Il avait déjà vu Warda avec ce jouet à ses côtés. Il avait une signification.
_ Je m'en charge, déclara Galro. Dites aux hommes de s'écarter.
_ Quoi ? S'étrangla Tilbar. Vous avez perdu la tête, il est sous l'emprise de la rage elfe noire, il est ingérable ! Il faut le tuer avant qu'il ne fasse d'avantage de victimes !
_ Non Tilbar ! Je m'en charge ! C'est un ordre !
Désespéré, mais s'y résignant, Tilbar donna un accolade à son ancien élève et lui dit :
_ Bien votre Grandeur, vos souhaits sont des ordres.
Tilbar se leva, et ordonna aux gardes de s'écarter. Surpris, mais quelque part soulagés, les croisés reculèrent, pointes des hallebardes en avant, toujours intimidés par la bête en furie qu'était Warda. Galro, encore déboussolé, s'avança, la poupée de chiffon en main.
_ Warda ! Cria Galro. Nous avons été vaincus, mais nous avons une seconde chance. Tu dois retrouver tes esprits.
L'elfe noir tourna son regard vers lui, il captivait toute son attention. Il avait du sang sur les mains, il avait déjà du probablement tué plusieurs hommes.
_ Tu es sous l'emprise d'un maléfice ! Continua le guerrier de la lumière. Mais je sais qui tu es, tu n'es pas un monstre. Tu n'es pas... un démon.
Warda sembla momentanément se calmer, il eut une mine ému, mais ses glyphes se mirent à le brûler, et il hurla de rage. Il commença à charger, mais Galro brandit le jouet.
_ Regarde ! Fit Galro. Ceci est la preuve qu'il y a du bon en toi ! Tu as sauvé des vies, innombrables ! Tous ces gens, ils ont survécu, grâce à toi !
Un bouleversement d'émotions sembla troubler Warda, il se saisit la tête endolorie, ses tympans résonnaient, un tambour de guerre frappait en lui. Il fit quelques pas en sa direction, titubant. Sentant qu'il tenait une piste, Galro tenta d'exorciser la colère en montrant le bout de chiffon.
_ Tu les as guidé, à travers le désert ! Tu as donné ton sang à un enfant ! Tu as accepté de te faire enfermer dans mes geôles, tout ça pour sauver de parfaits inconnus ! J'ai du mal à accepter cette vérité, car elle me blesse, mais c'est vrai, Warda... Tu es meilleur que moi.
L'elfe noir tomba à genoux, se tenant le crâne, tentant de contenir sa fureur. Ses glyphes perdaient en intensité. Alors que Galro s'approchait, il remarqua l'immense épée à ses pieds. « Pourvu qu'il ne la remarque pas » se dit-il. Il se risqua à saisir le guerrier sombre par les épaules, effectuant un contact direct. Dorénavant, il lui faisait face, il le saisit des deux mains la tête, il sentait la détresse dans ses yeux. Il posa son front sur le sien.
_ Reste avec moi, Warda. Reste avec moi.
Une larme coula des yeux rouge du sombre elfe. Lui même affecté par ses propres paroles, Galro reprit, lui-même avait les yeux rougis par l'émotion.
_ Sur cette montagne, à la mine d'Alès, tu te rappel, après notre duel ? Nous regardions le ciel étoilé, et tu m'as dit que tu voulait choisir ton destin. Tu refusais obstinément de me tuer, de mettre un terme à ma quête de vengeance. Nous nous sommes fait un serment, je ne l'oublierai jamais. Tu m'as donné une leçon, un criminel a deux choix : subir un châtiment, ou trouver la rédemption. Je ne sais pas toujours comment te faire repentir, mais tu es le seul, je dis bien le SEUL, capable d'éteindre les flammes de sa propre colère. Même moi... je n'y suis toujours pas arrivé.
Galro rit sur ses dernières paroles, face à son propre misérabilisme. Ils fermèrent les yeux, sentant la présence de l'un et de l'autre.
_ Warda, je dois me confesser... Je ne suis qu'un égoïste. Je ne suis qu'un lâche, je suis un traître. Je fais d'avantage de dégâts que toi à tout ce que j'aime alors que je ne porte même pas ta malédiction. Je suis bien plus un monstre que toi, je blesse continuellement mes semblables, non pas par l'épée, mais par mes mots, par mes choix. Tu es fort, Warda, car malgré ton handicap, tu es bien plus humain que je ne le serai jamais.
Il s'écarta, donnant la peluche aux mains de l'elfe maudit. Lorsqu'il la saisit, l'elfe noir ressentit une émotion si forte qu'il s'effondra en larmes, ses marques redevinrent presque noir. Il saisit le bout de chiffon, l'approcha de son visage, le huma, séchant ses larmes dessus. Alors que la tension retombait, un croisé s'approcha furtivement et tenta d'enlever l'énorme épée aux pieds de Galro. Lorsqu'il la saisit et que le reflet de la torche aveugla momentanément Warda, Galro hurla:
_ Reculez !
Les marques regagnèrent en puissance, Warda déchira le chevalier de chiffon et frappa violemment le soldat. Il ramassa Algazalm, la brandit en direction de Galro, frappa avec la lame incurvée derrière le pommeau... Et un homme reçu le coup de plein fouet. Galro tomba à la renverse, sentit un liquide lui gicler dessus. Il s'inspecta, il n'avait rien. Mais vit au-dessus de lui quelques secondes plus tard un Éclad avec la lame en travers du corps. Sur le coup, Warda perdit l'effet de la malédiction, ses glyphes redevinrent noir charbon, et arracha son épée de la blessure d'Ushhar.
_ USHHAR !
Le vieil homme tomba, mais fut rattrapé de justesse par Warda. Le nomade le fixait avec des yeux doux. Du sang sortait de sa bouche. Il approcha la main du front de Warda, et délicatement, lui donna une petite tape.
_ Ne pleure pas... Ce n'est pas ta faute...
_ Je suis désolé Ushhar ! Se mit à sangloter Warda. Je ne sais pas ce qu'il m'a prit. Je ne voulais pas !
Le voyageur caressa tendrement le visage de l'elfe, et dit sobrement :
_ Ne laisse pas la rancœur te dévorer... Au moins je suis aux côtés d'un ami... Ne te laisse pas guider par le goût du sang... Prend le goût des épices...
Sur ces derniers mots, Ushhar abandonna son dernier soupir. Warda tenta de le secouer, en vain, alors il pleura la mort de son camarade.
Tous les croisés autour de la scène partagèrent le deuil, les orques de la tribu de Garak saisirent le corps, l'emmenant en leur sein. Warda les suivi, le plus affligé, il avait encore son sang sur lui. Ils lui firent une sépulture en déposant des pierres, un totem fut érigé dessus. Son turban avait été enroulé autour du bâton, claquant dans la vent.
Le lendemain, Galro en personne vint réveiller les orques, mais Warda lui n'avait pas dormi de la nuit. Il ne commenta pas, il était suffisamment endeuillé comme ça. Garak s'approcha du meneur humain et lui dit :
_ Tu as assez fait de mal, donne nous un moment.
_ Je sais ce que j'ai fait, répondit Galro avec les yeux humide mais l'expression plein de colère. Ne remue pas le couteau dans la plaie !
Le chef orque s'écarta, le croisé s'approcha lentement de Warda qui broyait du noir. Il posa un genoux à terre, inspira profondément et dit :
_ Je suis désolé pour hier soir.
L'elfe noir ne répondit pas. Il enfonça sa tête entre ses bras, couvert de honte. L'ancien paladin s'assit à côté de lui, il était lui aussi rongé.
_ Je n'aurais jamais dû insister, continua Galro. Ça nous a fait du mal, à tous les deux. J'ai été idiot. Nous ne maîtrisons pas ce don que tu as, c'est un lourd fardeau que tu portes. Je suis désolé pour l'Éclad...
Sur ces mots, Warda lui sauta dessus, une main le plaquant, l'autre se serrant en forme de poings. Son regard était plein de haine et de larmes.
_ Il s'appelait Ushhar ! Ushhar ! Et c'est moi qui l'ai tué !
Il finit par lâcher prise, il s'écarta de Galro, regardant dans le lointain. Le doute l'envahissait, mais le seigneur de la croisade se leva et reprit :
_ Ce n'est pas toi qui l'as tué, et tu le sais !
Furieux, mais se contenant, Warda tourna la tête. Il était encore accablé de chagrin.
_ C'est ma main qui l'a occis, je suis le seul à en porter le fardeau !
_ C'est faux, répondit Galro. C'est le démoniste, il a usé de ta malédiction pour te retourner contre nous. Mais tu sais quoi, ce petit voyage n'a pas été inutile... Nous savons où il se cache maintenant.
Ces paroles intriguèrent Warda, il lui fit face et demanda :
_ Où ?
_ À Shalis, dans le temple. Nous savons qu'il va tenter de nous piéger là-bas.
_ Tu veux contourner la ville ?
Galro rit et envoya valser une pierre à ses pieds. Il regarda l'elfe avec des yeux malicieux.
_ Vraiment ? Nous avons une occasion en or, nous avons un avantage, nous pouvons les écraser. Nous savons qu'ils sont là-bas.
_ Que compte-tu faire ? S'enquit Warda.
Galro vit la sépulture de l'Éclad. Il s'approcha et y déposa une pierre, marqué du sang de sa main encore blessée.
_ Venger sa mort.
L'elfe noir croisa les bras, il n'était pas convaincu.
_ Ce n'était pas sa philosophie. Il m'avait dit que la vengeance est une tradition Étalen, je ne veux pas salir sa mémoire.
_ Certes ce n'est pas sa coutume, reprit Galro, mais c'est la mienne. Et au moins...
Il montra son fourreau, Grandal à sa ceinture.
_ Nous aurons tout notre pouvoir cette fois-ci. De plus... Nos rapports mentionnaient une absence de créatures néfastes dans nos régions, elles doivent être recrutées par le seigneur des ténèbres. Tuer ces Gnolls permettraient de délivrer Sintraë. Tu en pense quoi ?
Warda fixa la pierre tâchée. Il disait vrai, ces Gnolls n'étaient pas qu'une nuisance pour eux, ils étaient un véritable fléau à ne pas prendre à la légère. Leur éradication permettrait de sauver de nombreuses vies humaines. Il s'approcha de Galro qui lui tendait la main blessée, et la saisit. Warda s'écria :
_ Partons en chasse !