La prophétie du roi déchu: Le seigneur oublié
Chapitre 23 : Invincibles
Le lendemain, les troupes reprirent la marche. Ils parvinrent aux forêts du nord, le vent était plus froid mais cela n'était pas plus mal. Les croisés étaient en tête, uniquement parce que Garak retenait les siens de les doubler, sans nul doute pour éviter un incident diplomatique. Warda admira les bois, se rappelant des souvenirs d’antan. Il était à pied, il voulait économiser le dos de Jaron, il avait pitié pour lui. Ils prirent la route principale pour arriver en royaume des vouivres. Au milieu du trajet, un croisé de l'Ordre arriva à leur niveau et s'adressa à Warda directement.
_ Démon ! Sa Grandeur Galro souhaites que vous veniez en tête du cortège !
_ Qu'il aille se faire foutre ! Répondit Warda agacé. Je vais devoir coller combien de fois la raclée pour qu'il comprenne ?
Le croisé devint nerveux à la réaction de Warda, calma sa monture et retenta avec une autre approche :
_ Garak aussi est demandé, élaboration stratégique.
L'elfe noir regarda ses camarades et soupira. Ce Galro obtenait toujours ce qu'il voulait, il était insupportable. Se rappelant de la prophétie de la nuit dernière, et surtout que c'était le seul moyen d'avoir la paix, Warda enfourcha Jaron et il partit à la course pour rejoindre les élites. Garak suivit, en trottant, lui aussi était à bout de patience. Quand l'elfe noir rejoignit le gratin de l'armée, Galro était en avant garde, scrutant les hautes montagnes leurs faisant face. Voyant le guerrier sombre, il lui fit signe d'approcher. Lorsque les deux rivaux furent côtes à côtes, Galro demanda :
_ Tu n'as rien vu cette fois-ci ?
_ Tu es encore avec ça ? Je ne suis pas devin à ce que je sache !
_ Peut être bien. Dieu semble avoir jeté son dévolu sur toi, tu as prédit une embuscade.
_ Et nous ne sommes pas tombés dedans, mais ce n'est pas la preuve que j'avais raison. Moi-même j'ignore beaucoup de choses, mais je ne crois pas au surnaturel !
_ Je te rappel que tu as volé sur mon dos, remarqua Jaron d'un air amusé. Et je suis un loup qui parle !
La stupeur frappa les paladins quand ils entendirent les mots sortir de la gueule du grand canin. Galro fut moins surpris, il se rappela de l'homme noir immortel. Ainsi le clan des chamanes comptait des survivants. Le Commandant lança un regard plein de dédains vers la bête et demanda à Warda :
_ Il est bien dressé au moins ?
_ Non, répondit l'elfe noir en caressant la croupe du loup géant qui se mit à grogner. Il ne mord pas, moi oui.
Tilbar talonna son cheval et arriva à leurs niveaux, s'interposant entre les deux hommes, il lança un regard juge vers Galro puis s'adressa à Warda.
_ Inutile de se provoquer les enfants ! Nous avons plus important à faire. Dis moi, démon, que sais-tu de Dieu ?
Warda réfléchit et se souvint vaguement de ses parents qui lui en parlèrent vite fait. À leurs yeux, l'Église était d'avantage une menace que réellement une institution à suivre. Pour Warda, ce nom n'était que synonyme de malheurs. Il haussa les épaules et répondit sincèrement :
_ Il fait brûler des gens, et il n'aime pas les elfes comme moi.
_ Je vois, reprit Tilbar presque amusé. Pas étonnant que tu ne puisse pas nous blairer. La vision de notre religion que tu as est daté, dorénavant notre foi a beaucoup évolué, grâce à Galro. Dieu et le Cœur sont liés (il montra les deux entités avec deux mains qu'il unit en refermant l'une sur l'autre). Nous, mortels, obéissons à la volonté du tout Puissant. Par conséquent, nous obéissons au Cœur. D'après les saintes écritures, nous sommes Dieu et Dieu est nous. Dieu a le pouvoir suprême sur notre monde, mais ses actions nous sont invisibles, car nous sommes piégés dans les changements qu'il apporte. Si Dieu décide de transformer le monde, de notre point de vue, le monde aura toujours été ainsi, ça nous paraîtra normal. Quand Dieu réécrit les Lois de la réalité, nous appelons ça un miracle !
_ Donc Dieu peut tout changer ? D'un claquement de doigt ?
_ C'est ça ! Reprit Tilbar.
_ Alors pourquoi il ne détruit pas notre malédiction ? Demanda Warda.
Cette question laissa le Septième sans voix, il se mit à méditer longuement. Galro intervint.
_ Peut être pour vous punir d'être mauvais.
_ Alors il a qu'à nous rendre bons, ce serait facile pour lui, personne ne s'en rendrait compte !
Ce blasphème laissa les deux croisés pensifs. Mais le Commandant reprit le dialogue, il avait une requête.
_ Tu as un don, il est clair ! Dieu t'as accordé un présent, à nous de l'exploiter.
_ Je ne suis pas à exploiter, rétorqua Warda en colère. Jaron, retournons à l'arrière !
_ Attendez ! Interpella Junar alors que la croisade traversait une vallée. Regardez !
Aux alentours, un village en ruines. Des cadavres de sentinelles frontalières à moitié dévorées gisaient au sol. Des huttes étaient encore fumantes, des débris de bois et de pierres couvraient le sol. Un véritable carnage. Galro descendit de sa monture et inspecta le sol. Une énorme trace de patte griffue marquait la boue de sa présence, cinq doigts finissant par des coussinets. On aurait pu accuser des animaux, mais Galro se souvint de ses leçons de paladins, c'étaient des monstres de l'Obscure.
_ Des Gnolls ! S'exclama-t-il.
_ Des Gnolls ? Demanda Warda en descendant de Jaron.
_ Des barbares sauvages, des humanoïdes. Bien qu'ils ne soient pas directement ses rejetons, les Gnolls sont des fidèles des ténèbres. Leur culture est basée sur la violence et la force, ce qui est en parfaite adéquation avec les idées du Grand Dément. Généralement une tribu pour comprendre entre dix ou vingt individus, cela peut nuire à des voyageurs isolés mais un convoie armé est apte à les repousser. Mais de là à s'attaquer à un village entier, cela m'étonne. Ils sont peureux généralement, dès que le vent tourne ils changent de cap.
Galro regarda les ruines autour de lui, la garnison devait comprendre une centaine de soldats. Une telle prise était mauvais signe, pas un cadavre de ces monstres. Ils avaient clairement l'avantage.
_ Tu voulais une preuve ? Demanda Galro en tapotant l'épaule de l'elfe tout en rejoignant sa monture. La voilà !
Warda tourna une dernière fois les yeux vers le village décomposé, il ignorait s'il était satisfait mais il était dorénavant clair qu'il avait sauvé Garak et sa tribu. Il scruta le lointain, en quête des deux silhouettes de ses parents, persuadé qu'ils jailliraient de nouveau de nulle part, mais personne.
Les sauveurs de la Guiogne continuèrent la marche à un rythme soutenu. Les osts de Galro traversaient dorénavant la frontière avec Sintraë, ils avaient envie d'en découdre avec les légions de l'Arbre noir. Warda n'avait toujours pas de pressentiment, par chance, Galro l'avait laissé partir. « Un peu de répis ! » Pensa t-il alors que son camarade Ushhar accordait son instrument. Les nuages noirs menaçaient les pics rocheux, ils firent halte dans la région de Shalis. La neige couvrait les environs, l'Éclad du se couvrir d'avantage, lui qui venait des régions arides. Garak ordonna à ses orques de guetter les alentours, depuis que Warda lui avait parlé des Gnolls, le meneur des peaux grises n'était guère rassuré.
Et une nouvelle fois, au plus grand désespoir de l'elfe noir, un croisé lui vint.
_ Sa Gran...
_ Oui oui oui, je sais. Guidez-moi et finissons en !
Sans autre cérémonie, Warda suivi le soldat de l'Église qui l'amena à Galro, celui-ci était en armure, deux épées en bois à la main. Tilbar regardais la scène à distance, aux côtés de Fradel. Le paladin phénix s'adressa à son supérieur direct en lui posant une question :
_ Vous allez vraiment le laisser faire ?
_ Yep.
_ Sa Grandeur peut se faire tuer, vous avez conscience ?
_ Yep.
_ Pourquoi ?
_ C'est sa plus grande leçon, répondit le borgne avec un air satisfait. N'intervenez pas, ça va être marrant !
Warda fit face à Galro, ils étaient au centre d'un cercle de pierres, et exaspéré, l'elfe noir finit par dire :
_ Que désires-tu cette fois-ci ? Me faire donner la patte ?
Galro lui lança l'une des armes en bois, et lui déclara :
_ Je vais t'apprendre à te battre !
Surpris, et amusé, Warda éclata de rires. Il se courba de douleur, tant le ridicule de la scène le frappait. Il avait mal aux côtes, puis en voyant l'intensité du regard de Galro, il comprit qu'il ne plaisantait pas.
_ Tu … veux … m'apprendre à moi ? À me battre ? Je te rappel que j'ai déjà faillit te tuer, des chevaliers comme toi j'en mange tous les jours au petit déjeuner !
_ Ta mémoire est altérée, répondit agacé Galro. C'est toi qui a faillit mourir en haut de cette montagne, j'ai gagné ce duel !
_ Tu veux rire ? Je t'ai quasiment tranché en deux !
_ Et je t'ai planté dans tes organes vitaux !
Galro tenta de retrouver son calme, et reprit plus doucement.
_ Je dois admettre que tu es fort, c'est indéniable, mais tu te bat comme un sauvage. Tu balance ton énorme épée au hasard en espérant toucher quelque chose, et ce n'est que grâce à ta force herculéenne que tu remportes tes combats. Mais le jour où tu feras face à un vrai adversaire à ta taille, tu ne vaudras rien.
Warda se remémora de son combat face à Galaran, il avait été complètement dominé. Il est vrai que face à un humain, voir un elfe, il avait un net avantage, mais contre un elfe noir plus fort que lui, il était démuni. Il ne voulait plus jamais connaître la sensation d'impuissance. Il ramassa l'épée au sol et fit face à Galro. Le poids de cette arme était ridicule, il avait l'impression de ne rien tenir.
_ Bien, finit par dire Warda, par quoi commençons nous ?
Galro s'approcha de quelques pas, l'air menaçant, il toisa le guerrier sombre et lui posa cette question :
_ Pourquoi tu te bats ?
Tilbar rigola, Fradel lui tremblait à l'idée que son maître provoquait un elfe noir, d'autant plus LE tueur de paladins. Warda haussa des épaules et répondit honnêtement :
_ Pour survivre.
Tilbar éclata de rire, Galro ne s'attendait pas à cette réponse. Il pensait pouvoir apprendre quelque chose à Warda, il ne s'imaginait pas une seconde que l'elfe noir connaissait déjà la réponse. Il fit la moue et dû s'avouer vaincu pour ce premier round.
_ C'est... bien ! Tu as raison, nous nous battons pour survivre, c'est un bon début. Passons aux choses sérieuses !
Galro montra de la pointe de sa lame l'arme de Warda, et lui dit :
_ Montre ta garde !
Warda se rappela des leçons de Carnassus, et opta pour une pose souple, agile, réactive. Il plia ses jambes, prêt à bondir, tenant d'une main sa garde, de l'autre sa lame. Bien que non conventionnelle, Galro du admettre intérieurement que ce n'était pas mauvais, mais il s'écria :
_ Quelle est cette garde de sauvage ? Tu te prend pour un félin ? Voici une vraie garde !
Le champion de Dieu leva son épée au niveau de sa tête, la pointe menaçante, prête à s'abattre sa la tête de son adversaire. Warda ne put s'empêcher de rire.
_ Tu es raide comme un piquet ! Comment veux tu te mouvoir comme ça ?
Offusqué, Galro s'élança sur Warda et frappa vers son crâne. D'un geste vif, l'elfe bondit et roula sur le sol, puis envoya son épée contre le flanc de Galro. Instinctivement, le maître des paladins bloqua, dévia la lame et tenta une riposte, mais la main puissante de son adversaire le saisit par le bras et l'envoya valser au-dessus de lui. Lorsque l'homme retomba au sol, il sentit le choc contre ses côtes, il avait le souffle coupé momentanément. Il se retourna, et entendit les applaudissements de Tilbar.
_ Continue comme ça mon garçon ! Encouragea son ancien professeur.
Énervé, Galro se releva de la neige, s'épousseta son armure et ramassa son arme d’entraînement. Bien qu'il se sentit vexé, il dut admettre :
_ Finalement ce n'est pas une mauvaise garde. Qui te l'as enseigné ?
_ Un ami que tu as tué, répondit Warda avec rancœur.
_ Ah...
Galro se souvint des loups, l'homme noir aux tatouages blancs. Il se sentit d'un coup mal à l'aise. Il ajusta son col et se contenta de prononcer :
_ Il t'as enseigné de bonnes bases.
_ Meeerci... du compliment j'imagine.
Voulant éviter d'avantage de malaise, Galro demanda à Warda :
_ Connais-tu les attaques de base ?
L'elfe noir haussa les épaules et ne répondit que par un mouvement latéral de la tête. Face à cette réaction, Galro saisit son arme et effectua une première attaque :
_ Ceci est l'attaque Droite. Tu dois viser le niveau des épaules, avec son tranchant, et tu dois attendre ta cible avec la pointe.
Galro s'avança et effectua le mouvement au ralentit de manière à atteindre l'épaule. Après la démonstration, le maître invita son élève à faire de même. Le guerrier sombre frappa si fort et si vite que la lame de bois de Galro explosa lorsqu'il tenta de bloquer. Il fut projeté en arrière et roula au sol, lorsqu'il se releva il hurla :
_ Tu es malade ! T'as faillit me tuer !
_ Je croyais que c'était le but d'un combat, se moqua Warda en posant son arme sur son épaule.
Le maître de l'Ordre saisit une nouvelle épée qu'un écuyer lui apporta, et lança un regard noir à son élève. Tilbar pouffait de rires.
_ Bien, reprenons. À ton tour, doucement. DOUCEMENT !
Warda effectua l'attaque au ralentit, touchant délicatement l'épaule de Galro, qui poussa un soupir de soulagement.
_ Voilà, c'était Droite. Maintenant Gauche.
_ Tu vas vraiment me faire faire toutes les attaques de base ? Demanda l'elfe impatient. Je pensais que tu m'apprendrais à me battre.
Se sentant acculé, Galro se résigna à brûler des étapes. Il recula de quelques pas, baissa la pointe de son épée, releva la garde de manière à incliner l'épée vers le bas , ajustant ses mains au-dessus de sa tête.
_ Bien, puisque MÔSSIEUR Warda sait mieux se battre que tout le monde, faisons un duel d'exercice. Ne te retiens pas, je compte bien t'humilier !
_ Si te botter le cul te fais tant plaisir ! Répondit Warda en roulant ses épaules.
Les deux adversaires se faisaient face à face, en garde, prêts à se bondir dessus. Fradel demanda à Tilbar :
_ Nous allons bien intervenir si les choses tournent mal, n'est-ce pas ?
Tilbar croisa les bras, son œil fixait attentivement la scène. Il avait un sourire satisfait. Fradel redemanda :
_ Nous allons intervenir si les choses tournent mal, n'est ce pas ?
Toujours pas de réponse. Les deux combattants se faisaient face, Warda bondit le premier. Il sauta de la distance qui les séparaient et lança son premier assaut. Galro dévia sa lame et se mit à tournoyer sur les même, effectuant des rotations millimétrées avec une vivacité féline. Warda tenta de l'attaquer alors qu'il tournait le dos, mais la lame de Galro s'interposa de nouveau, déviant une nouvelle fois le coup. Frappant sur la droite, Warda fut surpris de voir Galro de nouveau habilement le bloquer, le repousser et esquiver ses assauts répétés. Au moment où Warda s'attendait le moins, Galro se faufila, déviant un nouveau coup de justesse, et porta un coup sur ses hanche... Et porta un coup sur ses hanches que l'elfe bloqua.
S'interrompant, les deux hommes se firent face à face et reculèrent.
_ Je t'ai touché ! Affirma Galro.
_ Visiblement non.
_ Je t'ai touché, j'ai sentit ma lame t'atteindre !
Sans plus réfléchir que ça à la situation, Warda frappa sur le crâne de Galro qui se fendit. Warda frappa sur l'épée de Galro qui dévia l'attaque. Celui-ci en profita pour faire un croche-patte et faire tomber Warda. Et faire rouler Warda sur lui-même qui se releva instantanément. Les deux combattants se regardèrent stupéfait.
_ Tu m'as tué ! S'agaça Galro. Je t'ai vu me tuer !
_ Pourtant tu continu de gémir !
Galro s'élança, Warda le bloqua et fit valser Galro au-dessus de lui. Et Galro se rattrapa au cou de Warda avec son épée, lui tenant la gorge. Et Galro fut saisit par Warda qui le balança au loin. Et Galro atterrit sur ses jambes... La confusion était totale. Ils se regardèrent, tous deux surpris. Fradel interrompit en s'écrian :
_ Vous pouvez vous expliquer ? Nous n'y comprenons rien !
Galro sourit, il se leva d'un air triomphale et déclara :
_ Tu ne peux plus me vaincre, je connais tous tes mouvements !
_ Mon œil ! C'est moi qui lit en toi comme dans un livre ouvert.
Les deux guerriers se ruèrent dessus, ils s'esquivèrent et dévièrent toutes les attaques, contrant le contre du contre du contre du contre... cela donnait mal à la tête, mais étrangement, les deux duellistes se sentaient invincibles. À maintes reprises ils s'entre-tuèrent, se fracassèrent, se brisèrent les os, mais par miracle, ils étaient également indemnes, prévoyant toujours l'attaque de l'autre pour empêcher les événements de se dérouler. Il était strictement impossible de prendre l'avantage l'un sur l'autre. Quand ils en eurent assez, Galro reprit son souffle et dit d'un air triomphale :
_ Je le savais, nous sommes touchés par la grâce de Dieu !
_ N'importe quoi ! C'est toi qui est ensorcelé, avec toutes tes balivernes !
_ Je comprend...
Galro regarda sa main, il sentait qu'il tenait quelque chose. Sans crier garde, il lança son épée en direction de Warda qui la rattrapa au vol. Cette sensation, il comprit.
_ Nous sommes liés, s'écria-t-il comme s'il eut une révélation.
_ Comment ça ? Demanda Warda.
_ Ce qui t'arrive à toi arrive à moi, ce qui vas t'arriver je le vois, et toi tu vois ce que je vois. Nous pouvons anticiper le futur de l'un et de l'autre.
_ Quoi ?
En guise de démonstration, Galro eut une terrible idée. Il pointa ses deux paladins phénix et demanda aux croisés de leurs donner des épées d’entraînement.
_ Vous avez perdu la tête votre grandeur ! S'offusqua Fradel. Vous n'y songez pas ?!
_ Arrêtes de faire ta femmelette, dit Tilbar en s'avançant. J'aime bien les défis.
Les deux hommes firent face au duo improbable, Warda regarda inquiet l'ancien Prophète. Il était sûr de lui.
_ Vous deux contre nous deux, déclara Galro.
_ Contre un elfe noir ? Demanda Fradel. Vous voulez nous tuer ?
_ Ayez confiance ! Warda, tu sais quoi faire.
L'elfe noir se sentit mal à l'aise, mais fut contraint d'accepter. Les deux groupes se mirent en position, prêt à combattre. Le signal fut donné par un croisé, le combat commença. Alors que Tilbar surpris Warda, l'elfe noir réagit au quart de seconde et Galro s'interposa, donnant une ouverture contre Fradel qui attaquait dans le dos du démon. L'elfe noir plaqua le paladin phénix, et comme s'il le savait déjà, il reçut l'épée de Galro dans les mains qui lui avait lancé sans l'avertir. Fradel se vit poser sur son cou une lame de bois, et toujours en parfaite synchronisation, Galro laissa Tilbar s'engouffrer dans sa garde, le moment que choisis Warda pour l'immobiliser tandis qu'il jeta l'épée à son partenaire, qui menaça à son tour l'ancien général. Après avoir triomphé, Galro explosa de joie :
_ Nous sommes invincibles ! Warda, nous sommes invincibles !
_ Que m'as tu fais ? Demanda Warda toujours confus. Je savais clairement tes intentions, je voyais quand ta garde baissais et quand tu volais à mon secours.
_ Nous sommes des élus divins, conclut le saint meneur.
Galro eut un sourire malicieux en voyant la multitude de croisés de l'Ordre. Warda interrompit en le saisissant par l'épaule.
_ J'ai vu ce que tu comptais faire, ce sera sans moi.
_ Comment ça ? Nous commençons tout juste à nous amuser !
_ Je retourne auprès des miens, déclara l'elfe qui jeta l'épée au sol. Nous avons déjà vu de quoi nous étions capables, économisons nos forces.
Alors que Warda tourna le dos, Galro se jeta sur lui mais fut esquivé avec aisance. Ce dernier se releva et se montra retord à laisser l'assassin de son père partir.
_ Tu ne comprend pas, Dieu nous a lié ! C'est un miracle ! Nous devons rester unis, soit à mes côtés ! Ensemble, rien ne peut nous arrêter !
_ Non ! Répondit fermement Warda qui reprit sa marche.
Galro tenta de le rattraper, mais Tilbar s'interposa, il raisonna son apprenti :
_ Laisse tomber, il a besoin de se ressourcer. Tu lui demande beaucoup, donne lui de la marge.
Déçu, Galro laissa toutefois le guerrier sombre regagner les rangs. Mais il avait maintenant la certitude que le destin leurs réservaient de grandes choses. Il avait besoin de Warda, et même si ce dernier le refusait, Warda avait besoin de Galro. Les deux ennemis du passé devaient joindre leurs forces, il fallait au moins ça pour vaincre Kaös.
Quand Warda rejoignit les orques, Ushhar était une nouvelle fois à la cuisine. Il élaborait des galettes fourrées couvertes de feuilles de brique. Voyant son ami, l'Éclad l'invita à venir proche.
_ Il désirait quoi cette fois-ci ? Demanda le nomade.
_ Dur de savoir, il s'est monté la tête. Il est convaincu qu'il a besoin de moi.
_ Et c'est vrai, répondit Garak en se joignant à eux. Nous avons tous besoin de toi.
_ Vous ne comprenez pas, il nous est arrivé quelque chose. Quand il m'a touché...
Les deux hommes le regardèrent attentivement, choqués, et Warda demanda en voyant leurs réactions :
_ Quoi ? Pourquoi vous faites ces têtes ?
Ushhar fut le premier à prendre la parole.
_ C'est rare, mais il arrive que les hommes se désintéressent des femmes pour... tu vois... d'autres hommes.
_ C'est tordu ! Rétorqua Warda furieux. Il y a juste un courant, un phénomène nous a tous les deux atteint. Je n'ai pas trop envie d'en parler, mais, nous avons vu mes parents...
Garak eut une expression de surprise. Il se gratta le menton et demanda :
_ Ils ne sont pas morts ?
_ Justement, reprit Warda, ce n'étaient pas eux. Ils portaient leurs visages, mais... c'étaient des entités, ils nous ont fait quelque chose. Et maintenant, Galro et moi pouvons voir l'avenir de l'un et de l'autre, nous avons tenté de nous entre-tuer tout à l'heure, mais impossible, nous voyons et savons ce que l'autre allait faire.
_ C'est une grande force, dit Ushhar en retournant ses galettes au fond de sa poêle. En joignant vos pouvoirs, vous pouvez vaincre n'importe qui !
_ Voilà que tu te met à parler comme lui ! S'énerva l'elfe. J'ai certes une dette envers lui, mais je refuse de le servir. Il a tué la plupart des gens que j'aimais. Il incarne tout ce que je hais le plus !
L'Éclad sentait bien la colère de son ami, mais il retourna une dernière fois les galettes avant de lui dire :
_ Tu n'as pas besoin de faire la paix avec tes amis, c'est avec tes ennemis que tu dois la faire. Quand tu accepteras de te délivrer de ta douleur, tu avanceras.
Bien que Warda le respecte, il n'était pas de la même opinion que lui, il s'écarta et commença à lustrer son épée. S'imaginer combattre en tandem avec Galro, un maudit croisé de l'Ordre, le répugnait. Pourquoi est-ce que ce « Dieu » se moquait ainsi de lui ? Qu'avait-il fait pour devoir pactiser avec sa Némésis ? Combattre les hordes des ténèbres était assez difficile sans ajouter ce fardeau supplémentaire.
À vrai dire, Warda était ignorant de ce qu'était ce fameux Obscur. Qui étaient le Grand Ennemi ? Il avait entendu parler dans les rangs des hommes de la crainte envers le Grand Dragon Noir, un seigneur du mal tout puissant. Il se rappela du rugissement dans la maison de ses parents, la troisième entité dans sa marque. Il se tourna vers Gartërn et lui posa la question :
_ Qui est le Dieu Noir ?
_ Ahh... Le gobelin hésita à répondre, il était en train d'appliquer du poison sur ses flèches. C'est un long débat mon ami. On l'appelle aussi l'Archi Némésis, le Grand Dément, le Fléau du Sud. Il a trompé les ancêtres de Garak, il leur a promis la puissance, ils n'ont eut que la soumission. Il n'est pas tangible, il est plusieurs, il est un.
Ces paroles résonnèrent étrangement pour Warda, il avait déjà entendu pareil paroles.
_ Il est le mal à l'état pure, reprit le chétif gobelin. Il est le seigneur des ombres, chacune de nos émotions négatives le nourrissent. Colère, chagrin, peur, soif de meurtre... Quand tu es amené à verser beaucoup de sang, et à y prendre du plaisir, tu es aligné sur ses convictions. Son but n'est pas la vénération, ni même le culte, il n'a soif que de mort. Son ultime dessein est la destruction ni plus ni moins que de Natal toute entière. Kaös le nommes t-on. Le souverain de la Guerre. Le continent a subi maintes attaques, bien avant ta naissance. Le royaume des os est l'une de ses cicatrices, le royaume qui y prospérait y fut rasé. Même les suzerains le redoutent, ce n'est pas un mortel, c'est un Dieu !
Warda réfléchit un peu à ses paroles, et sa conclusion le tétanisa.
_ Penses-tu que Kaös pourrait me posséder ? J'ai tué beaucoup de croisés.
_ Je ne pense pas, répondit le gobelin. Tu n'as pas le goût du sang, tu te bat par nécessité, pas par désir. Tu n'es pas un barbare en quête du prochain massacre. Kaös prend plaisir à torturer et tailler ses victimes en pièces. La souffrance est son essence, tu as peut être son ombre qui plane au-dessus de toi, mais il ne peut te toucher.
_ Comment ça ? Je ne saisit pas !
_ Regarde autour de toi, dit le guérisseur en désignant l'armée les encerclant. Ce n'est pas le désir de bataille qui t'anime, tu veux sauver des vies. Sans toi, nous n'aurions pas pris les armes pour sauver ces peuples dont nous n'avions cure avant. N'oublie jamais, derrière tes instincts guerriers, la facette d'une autre pièce est cachée.
_ Une autre facette ? Laquelle ?
_ Tu la découvriras bien assez tôt.
La nuit tomba, mais pour Galro, elle fut loin d'être paisible. De nouveau, ce rêve...
Une chambre, la salle du rituel de sang. Les murs gris l'encerclaient. Galro chercha une sortie, il était prisonnier, il se sentait oppressé. Il regarda ses mains, il était lui-même. S'il n'était pas Lui, où Il était ? Il se tourna au hasard et vit le grand chevalier du haut des montagnes. Un homme portant une armure massive, une grande cape de ténèbres, un casque à l'effigie d'une créature carnassière, deux longs crocs encerclaient son visage invisible sous le masque de l'ombre. Le guerrier des ténèbres le toisait, puis le contourna.
_ Hé ! L'interpella Galro. Où m'amènes-tu ?
Pas de réponses. Le chevalier noir ouvrit une porte dissimulée, et descendit un escalier en colimaçon. Conscient d'être prisonnier du rêve, le seigneur de l'Ordre le rejoignit, grâce aux Calénaclidials il voyait distinctement. Ils arrivèrent à la salle du trône, immense, vide, tel un océan. Les grands vitraux brisés sur le côté dévoilaient un ciel noir, sans la moindre once de lumière. Galro s'y sentit aspiré, la sensation oppressante du noir, punition divine. Agacé d'être seulement spectateur, Galro s'y risqua :
_ Qui êtes vous à la fin ? Répondez !
_ Tu le sais, répondit le chevalier noir en se tournant lentement. Nous nous sommes déjà rencontrés.
De sa main, apparut le collier, celui qu'il lui avait offert. Galro resta circonspect. Il s'adressa de nouveau à lui, plus sûr :
_ Vous êtes l'Ombre. Vous êtes le roi déchu !
Le seigneur sombre ne répondit pas, il se contenta de ranger le collier sous les pans de sa cape. Toujours confus, Galro s'avança, bien que terrifié.
_ Vous m'avez donné tous ces cadeaux, ces visions, ces rêves. Vous m'avez choisi moi, pourquoi ?
_ La vrai raison n'est pas pourquoi, répondit l'Ombre en lui faisan face.
Galro avait l'impression de voir un titan, il était plus imposant que Warda. Il était infini, il était invincible. Il était l'Ombre qui domine le monde. Tout comme Raon dans la vieille maison dans les bois, cet homme n'était pas mortel.
_ Vous êtes un dieu ? Finit par demander Galro. Non ! Êtes-vous Dieu ?
_ Tu connais la réponse, la conséquence n'est pas lié à la cause. Il en a toujours été ainsi. Tout ce qui n'est pas arrivé s'est déjà produit. Et le passé peut encore être changé. Le temps n'est pas une suite d'événement, il est un ruisseau, seuls les poissons les plus forts peuvent remonter son courant.
_ Cela ne me répond toujours pas à ma question, s'impatienta Galro. Est-ce que vous êtes Dieu ? Oui ou non ?
Le roi noir ne répondit pas, il se mit à marcher vers la sortie. L'ancien paladin le suivi, incapable de comprendre le sens de ce rêve. Traversant le grand corridor, il aperçut des tableaux, des portraits tous déchirés. Tous sauf un, celui où l'on pouvait voir une femme elfique. Le seigneur ténébreux s'y arrêta et posa sa main au pied de la toile. Le Prophète demanda :
_ C'est votre femme ?
_ Elle l'était. Elle n'est plus, plus jamais elle ne sera.
Le croisé regarda la toile, il crut y voir un trait de famille. Il reconnut des traits, le nez et les yeux. Warda. Il se tourna vers l'Ombre.
_ Vous êtes Raldir, n'est-ce pas ?
À ce nom, le roi déchu dégaina son épée et le menaça.
_ Jamais ne prononce le nom de ce traître ! Hurla d'une voix démentielle le haut roi oublié. Il a tout ruiné ! Il a tout détruit ! Pourquoi ? Du pouvoir, toujours plus de pouvoir ! Et maintenant regarde à quoi il nous a condamné !
Sous le casque, Galro y vit des marques commencer à s'illuminer en rouge. C'était un elfe noir, il était maudit. La lame du suzerain était énorme, sa garde en forme de crâne diabolique portait quatre cornes, deux qui suivait le prolongement de la lame, deux perpendiculaires, sa poignée était un serpent enroulé sur lui-même, tenant dans sa gueule une boule de cristal. Un pareil ouvrage était à la fois fascinant, à la fois terrifiant. Malgré l'allure de démon, Galro su qu'il avait trouvé son point faible.
_ Vous êtes le père de Warda, j'avais raison.
_ Ne te crois pas protégé car tu es dans un rêve, s'écria le roi satanique. Je peux t'atteindre de bien des manières.
Ses paroles se turent, ses marques brillaient intensément, un grognement bestiale s'échappa de sa bouche. Un filet de bave coulait, il prit une posture bestiale, prêt à bondir. Alors que l'Ombre lui bondit dessus, il fut aspiré vers les ténèbres, le rêve cessa.
_ Votre Altesse ? Demanda Tilbar alors que les trompettes sonnaient. Il faut se lever, nous reprenons la route !
Encore engourdi, Galro leva la main vers les rayons du soleil, aveuglé. Que cette aura majestueuse lui avait manqué ! Il sortit de sa couche, il était exténué. Il avait encore l'impression d'avoir échappé à la mort, de justesse.
_ Donnez moi un instant, j'ai besoin de boire un coup.
_ Bien votre Grandeur !
Le Septième quitta la tente, tandis que le chef des Croisés se saisit d'une bouteille de gnôle. Il avait besoin de cette ivresse pour ne pas perdre complètement la boule. Mais il était dorénavant sûr, le destin l'avait choisi, lui, Dieu ou pas Dieu, il était lié à Warda, il avait besoin de lui. Mais pourquoi ? Nul ne pouvait le dire.
Ils reprirent la route par les montagnes, la route était escarpée. La progression lente, il descendre des montures. Les chevaux des plaines n'étaient guère habitués à ces sentiers sinueux. Le froid gagnait en intensité avec l'altitude, la neige commençait à tomber. Les pierres étaient tranchantes comme de l'obsidienne, il fallait regarder où l'on met les pieds. Junar commença à râler :
_ Pays de fous ! Il faut être dérangé pour vivre ici !
_ Gardez votre sang froid, lui ordonna Tilbar. J'ai franchi le col de Léondia, c'était encore une autre paire de manche. Ce n'est pas la montagne qui me fait le plus peur.
Il regarda le ciel, guettant le danger. Junar scruta l'horizon à son tour et finit par demander :
_ Alors que faut-il craindre ici ? Les oiseaux ?
_ Les vouivres, répliqua Tilbar. Ces poulets de dix mètres de long sont capables de vous rôtir sur place avant de s'en faire un festin. C'est la monture favorite des nobles Sintraënniens.
_ Leurs montures ?
_ Oui, reprit le Septième. Ce ne sont pas des tendres, ils sont accoutumés à la barbarie, la violence et la rudesse de leur environnement. Chacun des Sintraënnien est un vrai dure à cuir ! Lorsqu'un homme croise un ours, l'homme fuit. Lorsqu'un ours croise un Sintraënnien, c'est l'ours qui fuit.
Warda se rappela de son voyage sur le mont de Léondia, la sensation oppressante que même la neige voulait le tuer. Mais pour lui, ce col était simple en comparaison, au moins il y avait des routes praticables. Le vent était certes froid, mais pas givrant comme furent le souffle du territoire de Merci. Ushhar quand à lui était tétanisé, il n'osait plus sortir de ses couvertures de fourrures.
_ Pays de fous ! S'exclama-t-il. Si les habitants n'étaient pas assiégés par l'Enfërs, alors ils mourraient de froid.
_ Ils sont acclimatés, affirma Garak. Ils ne sont pas comme nous, ils savent comment endurer le froid. Mais je dois admettre qu'ils détiennent un sacré terrain de chasse.
Ils gravirent une pente, et face à eux un paysage magnifique s'offrait à eux. Une immense vallée surplombée par des pics rocheux titanesques, une ville resplendissante longeait les rebords de la falaise, au loin on pouvait voir un fleuve éventrer la forêt, à l'ouest les massifs du Mont Cuivre, dont les sommets dépassaient le mont de Léondia. Le guerrier sombre resta admiratif du paysage un instant, mais la réalité le rattrapa quand un soldat le bouscula.
_ Nous avons encore de la route, dit le militaire. Restez pas au milieu !
Pressé par le temps et la foule, le guerrier sombre rejoignit ses amis. Il était impatient de découvrir la Sintraë, cet endroit l'inspirait, une nature sauvage rude, mais merveilleuse. Hélas, un noir nuage guettait, des éclairs rouges l'illuminaient, l'orage s'approchait.