Le parfum du mensonge
Les rues autour du salon forment un labyrinthe crasseux. Les enseignes clignotent comme des mirages hallucinés. Derrière chaque rideau de perles ou de PVC, des deals se font, des filles pleurent, et les ombres prennent des notes.
Je bifurque dans une ruelle plus sombre. Là, à l'abri des regards, je déplie le papier froissé. Petit, humide, griffonné à la hâte :
« Je connais la vérité que tu cherches. Si tu veux tout savoir, libère-moi de ma prison. »
Bon sang...
J'ai pas besoin de plus pour comprendre que je suis tombée dans un nid de serpents. Et que la jolie masseuse aux mains tremblantes vit en cage.
Pas pour longtemps.
Je m'adosse au mur d'un commerce crasseux, le papier toujours en main, la tête bourdonnante. Voilà un plan comme je les adore : aucune info, un compte à rebours invisible, et un château de Yakuza à infiltrer.
Le vrai problème, c'est pas la prison. C'est la mama. Elle m'a vue. Et à mon avis, elle a déjà prévenu les vautours. Ce quartier, c'est pas Disneyland. C'est un terrier de hyènes, et j'ai débarqué comme une touriste avec un badge collé en pleine gueule.
Je lève les yeux vers le ciel gris, bas, menaçant. Il me faut un plan.
Cette fille… elle sait quelque chose. Sur la disparition. Sur cette affaire qui pue le sang et les faux sourires. Si elle m'a écrit ça, c'est qu'elle veut parler. Mais pas à n'importe qui. À moi.
Je fais le tour du quartier. Rien d'accueillant. Des ruelles trop calmes, des rideaux qui frémissent, des regards qui me suivent. Un seul faux pas et c'est pas le coma, c'est la crémation.
Mais j'ai pas peur. Ni de la mort, ni de la morsure du dragon rouge.
Je rebrousse chemin. Pour aujourd'hui. Demain… même heure, même lieu.
Mais j'ai besoin de réfléchir. Et pour ça, il me faut un endroit où la fumée et l'alcool masquent l'odeur de la peur.
Un peu plus loin, je trouve un bar. Minuscule. Mal éclairé. Une enseigne clignotante qui menace de s'éteindre depuis le siècle dernier. Parfait pour disparaître dans la crasse.
Je pousse la porte d'un coup d'épaule. L'odeur me percute : sueur, tabac froid, et désespoir à prix doux. Impeccable.
Je me laisse tomber au comptoir.
— Un verre. Le plus fort que t'as. J'ai pas la nuit.
Le barman — type au crâne aussi brillant que son avenir est sombre — hoche la tête et s'exécute sans un mot.
Mes yeux scannent la pièce. Quelque chose cloche. Trop calme. Trop… suspendu. Des conversations basses. Des chuchotements qui se figent dès que je bouge.
Il revient avec mon verre. Je le laisse là. Je sors la photo de la fille disparue, la glisse sur le zinc.
— Tu l'as déjà vue ?
Il jette un œil, secoue la tête. Trop vite.
Mensonge.
Je range la photo. Il file à l'arrière. Moins d'une minute plus tard, je le vois chuchoter à une silhouette dans l'ombre.
Et dans mon dos, les murmures deviennent pesants. Des regards. Des gestes. L'atmosphère vire.
Je prends mon verre, le porte à mes lèvres. L'odeur me heurte. Trop douce. Trop sucrée. Trop… trafiquée.
— Merde…
Un bruit de bottes dans le couloir. Lentes. Décidées.
Je repose le verre, me lève à moitié.
Trop tard.
— Tiens donc, lance une voix derrière moi. J'ignorais que ce bar était devenu un repaire de fouineuses.
Je me retourne lentement.
Trois types. Le premier me tient en joue, sourire gras.
— T'es pas d'ici, hein ? Et t'aurais mieux fait de pas foutre ton nez dans nos affaires.
Je souris. Rien de plus dangereux qu'un sourire calme.
— Et sinon quoi ? Vous allez me—
Pas le temps de finir.
Je lève le bras, chope celui du type le plus proche, le tire vers moi et le frappe en plein ventre. Il lâche son flingue. Mauvais réflexe.
Je le choppe, me retourne, tire sur le deuxième avant qu'il ait le temps de viser. Touché. Le troisième me fonce dessus.
Je le laisse venir. Je pivote, frappe sous la mâchoire, puis dans le genou. Il s'écroule.
Je m'apprête à l'achever quand…
Une lame froide se pose contre ma gorge.
Je me fige.
Une main me désarme.
— OK… OK, c'est bon. Je vous suis, dis-je en levant les mains.
Le mec dans mon dos sourit. Un rictus de prédateur persuadé d'avoir capturé sa proie.
Il ignore une chose.
Je ne me rends jamais sans plan B.