Ange déchu
Chapitre 1 : Comme un ange qu'on évite
1548 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 30/09/2025 09:16
Les gens qui disent aimer la solitude n’ont probablement jamais été vraiment seuls. Pas seuls comme moi.
Ils ne connaissent pas l’exclusion, celle qui s’infiltre dans chaque regard, dans chaque silence gêné. Ils n’ont jamais senti les regards fuyants, ni ce vide glacé qu’on porte même au milieu d’une foule.
Ces gens-là ont sûrement des amis qui les soutiennent quand les jours deviennent sombres. Des voix qui répondent au téléphone. Des bras dans lesquels se réfugier. Des gens pour les toucher, pour leur rappeler qu’ils sont vivants.
Moi… je n’ai rien de tout ça. Et je crois que je ne l’aurai jamais.
Certains prétendent m’aimer, mais je vois bien comment ils se comportent. Ils évitent de trop s’approcher. Ils ne me frôlent jamais, détournent les yeux quand je tousse, et si je saigne, ils reculent sans réfléchir.
Ceux qui daignent s’approcher de moi le font plus par pitié, mais ils ne restent jamais longtemps...
Pour le sport, je reste sur le banc. Interdite de participation. Trop fragile. Trop malade. Ou juste trop effrayante...
Alors je regarde les autres courir, rire, tomber, se relever. Et je les envie. J’aimerais être eux, juste être à leur place.
Parfois, ils organisent des fêtes. Je n’y suis jamais conviée, mais je sais qu’elles ont lieu. Je vois les photos. Je vois les sourires. Je les entends en parler gaiement.
Même les toilettes m’ont été interdites. On m’a dit gentiment : « Ce serait mieux que tu évites. » J’ai hoché la tête. Et depuis, je me retiens. J’pouvais faire que ça, après tout...
Pourtant, le docteur n’a cessé de répéter que ma maladie n’était pas contagieuse, mais malgré ça, dans leurs gestes, je vois bien qu’ils n’y croient pas vraiment. Ils longent les murs quand je passe.
Ils ne m’appellent pas vraiment par mon prénom. Parfois, ils disent « la fille malade ». D’autres fois, juste un silence.
Pourtant, je ne suis pas dangereuse. Je ne veux de mal à personne.
Je souris. Je fais semblant de ne pas entendre. Je plaisante, parfois. J’essaie de rester vivante, au moins un peu.
Mais le soir, quand je rentre dans ce petit appartement que j’ai grâce à une assistance sociale, vide, sans bruit, je me rappelle que je suis seule. Seule dans ma vie. Seule dans ce monde.
Et parfois, je me surprends à penser… que peut-être, mourir plus vite ne serait pas si terrible.
¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤
Je ne comprendrai jamais pourquoi mes parents ont décidé, du jour au lendemain, de me changer de lycée. Sans prévenir... Mais bon, de toute façon, ils ne me disent jamais rien. C’est Jun qui me l’a annoncé comme ça. Je le revois encore débarquer dans ma chambre sans frapper avec cet espèce de sourire idiot qu’il arborait, et tout à coup s’écrier :
— Kyoshi, tu changes de lycée !
Même pas le temps de comprendre ce qui m’arrivait, ni pourquoi. Me voilà donc envoyé dans un autre lycée. Aucune possibilité de me plaindre. En plus, il est dix fois plus loin que l’ancien, du coup Jun m’y accompagne en voiture. Supporter cet abruti tout le long du trajet… tu parles d’une poisse. Je me demande vraiment comment mes parents ont pu l’engager, franchement. Jun est mon assistant personnel mais il est plus insupportable que serviable. Et puis je me demande bien pourquoi il a insisté pour venir avec moi voir la prof principale. C’est pas comme s’il avait que ça à faire... si ? Enfin bon, c’est en voyant la prof en question, une femme blonde aux yeux bruns, d’une trentaine d’années, à la poitrine énormément généreuse, que je compris. Jun n’arrêtait pas de lui lancer des regards significatifs. Ce con est tombé amoureux et se sert de moi pour draguer. Il a dû trouver de bons arguments sérieux, du genre que ce lycée était mieux classé, plus calme ou je sais pas trop quoi, pour convaincre mes parents de me changer de lycée. Quel idiot.
Après avoir rempli tous les papiers, je décidai de les laisser tous les deux. Ces gamineries m’épuisaient. Je n’eus pas le temps de faire trois pas en sortant de la pièce que je me fis déjà agresser par cinq filles. Elles me trouvaient beau, comme la majorité des gens. Que j’avais l’air trop cool, elles disaient ça à cause de mon air froid et ennuyé. Les questions volaient autour de moi : comment je m’appelle, est-ce que je suis nouveau, dans quelle classe je serai... bref elles piaillaient à côté de moi, me refilant un mal de crâne, et ne me laissant aucun moyen d’échappatoire, leur gloussement stupide ameutant des tas d’autres gens. C’était comme ça partout où j’allais. J’avais beau avoir l’air méprisant, tout le monde était attiré par moi, même si je ne causais jamais, que j’étais froid, que je les ignorais. Il fallait qu’on m’aime. C’était complètement stupide, cette admiration pour moi me faisait vomir. Et tout en pensant cela, j’attendais juste que les foules se calment.
C’est là qu’elle passa dans le couloir. Elle. Cette fille qui allait changer toute ma vie sans que je le sache. Une petite brunette aux yeux clairs.
Elle salua les gens de loin, certains firent de même, et il y eut une vague de recul quand elle passa par là, la tête légèrement baissée, et partit sans me jeter le moindre regard, alors que je ne l’avais pas quittée des yeux. Je ne sais pas pourquoi, mais la scène qui venait de se dérouler devant moi me força à poser une question :
— Qui était-ce ?
— Qui était qui ? me demanda l’une des filles qui m’avait abordé.
Elle l’avait bien vue passer pourtant, non ? Elle devait comprendre de qui je parlais ? Alors pourquoi demander ?
— La brunette, là, qui vient de passer.
— Ohh... Elle.
Il y eut un silence gêné parmi les gens qui, quelques minutes plus tôt, n’arrêtaient pas de parler autour de moi. Un mec aux cheveux bruns et aux yeux clairs me répondit :
— C’était Hanae. Si tu veux un conseil, ne t’approche pas d’elle.
Les autres acquiescèrent. Je fronçai les sourcils.
— Pourquoi ?
Une autre personne ouvrit la bouche pour me répondre, mais c’est ce moment-là que choisit la sonnerie pour retentir, et les gens oublièrent cette fille pour me montrer ma classe. La Seconde 3.
Une fois arrivé dans la salle, ceux qui partageraient les cours avec moi s’installèrent. Je remarquai que la petite brunette de tout à l’heure était là aussi, dans un coin, toute seule. Personne n’avait l’air de vouloir s’asseoir à côté d’elle. Elle regardait par la fenêtre d’un air absent. Les gens n’avaient pas l’air de réellement s’en préoccuper. La prof de tout à l’heure arriva.
— Comme vous l’avez sans doute remarqué, nous avons un nouveau parmi nous : Kyoshi Yukimira. Comme tu le sais déjà, je suis ta prof principale, Asako Fumuki. Veillez bien l’accueillir.
La classe, surtout les filles, crièrent “oui !” en chœur.
— Bien, Kyoshi, est-ce que tu peux te présenter en quelques mots ?
— Kyoshi Yukimura, 16 ans.
Voilà, je trouvais que le nombre de mots était amplement suffisant. Les autres en avaient décidé autrement.
— C’est quoi ton plat préféré ?
— Rien.
— C’est quoi ton hobbie ?
— Rien.
— Tu fais quoi le week-end ?
— …
— Quel est ton style de filles ?
— …
D’autres questions arrivèrent en farandole, je répondais à presque aucune, mais elles ne semblaient pas vouloir s’arrêter. Je tournai la tête presque malgré moi vers cette Hanae. Elle n’avait pas bougé, comme si je n’existais pas, comme si le monde autour d’elle n’existait pas. Regardant juste le paysage à travers cette fenêtre.
— C’est bon, on se calme et on laisse Kyoshi respirer. Va t’asseoir.
Je regardai vite fait autour de moi : les filles qui se battaient pour que j’aille à côté d’elles, les garçons qui me disaient de venir… aucune place ne me donnait véritablement envie. Finalement, j’allai juste me poser près de la brunette. Le silence se fit instantanément, comme si j’avais fait une connerie. Même Hanae sembla le remarquer, puisqu’elle tourna la tête vers moi. Me voyant enfin, elle ouvrit grand les yeux. Doucement, elle murmura :
— Tu-tu es sûr de vouloir t’asseoir ici ?
J’acquiesçai. Elle baissa les yeux mais eut un léger sourire.
— D’accord... même si je pense que tu changeras vite d’avis.
Puis elle se retourna observer le paysage. J’haussai les épaules avec indifférence et le cours commença.