Ange déchu
Je n’étais pas une super personne. Loin de là. Juste l’ordure parmi les ordures. Il faut que je finisse rapidement cette histoire. Je le drague, l’embrasse, me mets 30 000 yens dans les poches, et après je l’ignorerai comme tous les autres. Pas à cause de sa maladie, juste parce que je passe mon temps à ignorer les gens, c’est tout.
Durant les cours de l’après-midi, je m’assis encore à côté d'elle, mais le cœur n’y était pas. Pourquoi est-ce que ça me dérangeait autant qu'Hanae me prenne pour un mec bien ? Au contraire, cela voulait dire que ma séduction avançait et que bientôt elle serait prise au piège de ses sentiments envers moi.
Soudain, elle m’envoya un papier.
« Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal ? »
J’hochai négativement la tête.
« Pourtant tu as l’air contrarié… »
Je lui répondis :
« C’est rien. »
Son regard sembla me demander si j’en étais sûr. J’acquiesçai. Je n’étais pas du tout contrarié. Mon plan se déroulait à merveille. Bon, j'ai fait, je ne sais pourquoi, quelques bourdes, comme refuser d’entrer en contact avec elle quand je le pouvais, ou encore m’enfuir quand elle m’a dit que j’étais une super personne. Mais à partir de maintenant, je ne me laisserai plus surprendre.
Le soir, je mis au point quelques méthodes de drague, mais j'avais beau fouiller, rien ne me venait à l'esprit. Que dalle. Pas parce que j’étais à court d’idées, mais parce que chaque fois qu’un plan intéressant me venait en tête, je revoyais le sourire innocent d'Hanae.
Je secouai la tête.
— Putaiiiinn !
C’est ce moment que choisit Jun pour s’introduire dans ma chambre.
— Ça n'a pas l'air d'aller fort, toi.
Je lui lançai un regard noir.
— Oh ! Je vois que tu es de mauvaise humeur. Raconte donc tout à tonton Jun, quels sont tes malheurs ?
Je restai silencieux.
— Ah ! Je sais ! Tu es amoureux et tu veux que je te donne des conseils pour cueillir la fleur d’une jolie donzelle.
Je lui balançai un livre sur la tête.
— Dégage, pervers, je ne suis pas amoureux.
— Dommage, on aurait pu avoir des discussions très intéressantes sur nos amours.
Je soupirai, fatigué par la bêtise de ce grand benêt. Puis il sembla se souvenir de la véritable raison de son intrusion dans ma chambre.
— Tiens, tu pourras donner ça à Asako s’il te plaît…
Je regardai l'emballage dans sa main.
— Je me suis dit qu'un petit cadeau lui ferait sûrement plaisir.
— Pas envie d’emmerder tout seul ?
— Allez, tu peux bien faire ça pour moi, s’il te plaît…
Je voyais bien que tant que je refuserais, il m’ennuierait. Alors je pris le cadeau de ses mains et le mis dans mon sac.
— Merci Kyoshi, on peut toujours compter sur toi.
— C’est ça, maintenant dehors !
— Oui, oui, je te laisse.
Il commença à partir, mais avant de refermer la porte, il lança :
— Sûr que t’es pas amoureux ?
Je lui balançai cette fois-ci un gros dictionnaire, mais il referma la porte aussitôt.
Je déchirai la feuille où j’avais écrit des techniques de drague toutes plus minables les unes que les autres. Je me couchai dans mon lit, calant ma tête sous mon oreiller. Le sourire d'Hanae apparut dans mes pensées, en même temps que la phrase de mon tuteur : « Sûr que t’es pas amoureux ». Je poussai un grognement. Non, je n’étais pas amoureux, c’était tout simplement débile et complètement impossible.
Le lendemain matin, en allant au lycée, j’avais un mal de crâne à me taper la tête contre un mur. Il fallait avouer que je n’avais pas beaucoup dormi… Pas du tout, même. Tout ça à cause de Jun. J'avais passé toute la nuit à me tourner et me retourner en pensant à Hanae. Il faut que je me débarrasse vite de ce pari, sinon je vais vraiment péter les plombs. Dire que je pensais m’amuser, maintenant tout ceci me paraît plus une corvée qu’autre chose. Mais je détestais perdre, et c’était l’unique raison pour laquelle je continuai de m’asseoir à côté d'elle. En plus, je dois donner le cadeau à ma prof, franchement comme si j'avais que ça à faire. Y a des jours où on ferait mieux de rester couché.
Hanae me demanda dans un murmure si ça allait. Je lui jetai un regard froid. Elle n’insista pas, voyant que je n’étais pas d’humeur, et me laissa tranquille pendant les deux premières heures de cours.
À la pause, allant nous asseoir sur un banc que personne n’approchait, elle réitéra sa question :
— Quelque chose ne va pas, Kyoshi ?
— Nnh.
— Tu as mal dormi ?
— Mouais…
— Il y a autre chose ?
— J’ai un problème.
— Oh ? Lequel ?
J’ouvris mon sac pour lui montrer le cadeau. Elle eut une exclamation de surprise.
— Tu veux offrir un cadeau à quelqu'un ?
—... En quelque sorte.
— Ooh, c'est vraiment très gentil de ta part ! C'est pour qui ?
— Pour Mme Fumuki.
— Ooh…
— Mais t'imagine pas n'importe quoi, c’est Jun qui veut que je lui offre.
— Qui est-ce ?
— Il bosse pour mes parents. Mais bon, vu qu’ils ne sont jamais là, c’est un peu lui qui gère tout à la maison. Disons que c’est le seul adulte qui traîne encore dans ma vie.
— Oh d'accord, eh bien dans ce cas on y va alors !
— Oui… Pour que tout le monde croit que j'ai des vues sur elle, et adieu ma tranquillité. Quelle bonne idée, Hanae.
— Tu n’es vraiment pas d’humeur, toi…
— Hmm.
— Allez, donne-moi le cadeau, je veux bien le lui apporter.
— Elle va l’accepter venant de toi ?
Elle resta silencieuse.
J’ai été plutôt méchant alors qu’elle essayait juste de m’aider. Je regrettai mes paroles, mais uniquement parce que ça n’allait pas m’aider à la séduire, et pas parce que je sentais que ça l’avait blessée.
— C’est bon, oublie ce que je viens de dire, je vais y aller.
Elle acquiesça, la tête baissée, ses cheveux cachant son visage.
— Viens avec moi.
Elle secoua la tête négativement.
— Viens, je t’ai dit.
Mais elle resta assise sur le banc, les yeux baissés. Et merde, j’avais tellement bien avancé, voilà qu’à cause d’une stupidité due à ma mauvaise humeur, je venais de perdre mon avance. Je m’accroupis devant elle, replaçant les mèches de cheveux derrière son oreille, évitant bien sûr de trop la toucher, et plongeai mon regard dans ses yeux. Et une nouvelle fois, je m'y perdis.
Ce visage… putain.
Elle avait ce genre de beauté discrète, celle qu’on ne remarque pas tout de suite mais qui reste imprimée dans le crâne une fois qu’on l’a vraiment regardée. Des traits doux, un peu fatigués, marqués par la maladie sans doute, mais il y avait dans son regard une lumière. Une lumière étrange. Un mélange de solitude et d’espoir. Ses grands yeux me faisaient penser à ceux d'une enfant. D’un brun tirant vers le gris, un peu ternes parfois, ils semblaient avoir une vision si innocente du monde. Et ce sourire, merde. Quand elle souriait, aussitôt son visage s’illuminait.
Bon bref, ce n'est pas le moment de penser n’importe quoi. Je pris le cadeau du sac et le posai dans ses mains, évitant bien de le toucher.
— Emmène-le avec moi.
Elle fit un petit sourire triste.
— Tu as raison, Kyoshi, elle va le refuser si c’est moi qui le tiens.
Je lui pris le cadeau des mains.
— Les gens sont vraiment trop cons.
Puis me relevai sans aucune autre remarque, l’abandonnant sur son banc.
J’entrai sans frapper dans la salle des profs, attirant au passage les regards des profs présents. Je me dirigeai vers son bureau, posai le cadeau sur la table, puis repartis sous son regard surpris.
Je revins ensuite dans la cour, me rasseoir à côté d'Hanae qui n'avait pas bougé.
— Oh ! Princesse, t’as fini de faire la gueule ???
Elle releva la tête vers moi avec une mine boudeuse.
— C’est toi qui étais de mauvaise humeur plus tôt, j'te signale !
Je ne répondis rien.
— Kyoshi…
— Hm ?
— J'suis contente que tu sois avec moi.
Je ne le fais que pour moi, Hanae, juste pour mon profit personnel, alors s’il te plaît, arrête de me regarder avec ce visage si pur et innocent…
— Et tu sais quoi ?
Je ne savais pas, alors je restai silencieux.
— J’ai une surprise pour toi pour ce midi.
Je la regardai étonné.
Une surprise ? Pour moi ? La sonnerie retentit, ce qui ne me laissa pas le temps de m’interroger davantage. Nous retournâmes en cours, mais je n'arrivais pas à me concentrer.
Elle a une surprise pour moi… Je me demande ce que c’est.
J’ai même hâte de savoir.
Mais merde, pourquoi est-ce qu’une surprise m’intéresse autant, bordel ? Si j’ai voulu la séduire, ça devrait être moi qui lui fasse des surprises.
Mais à la place, je regardais sans cesse les minutes s’écouler sur l’horloge au fond de la classe, les trouvant trop lentes à mon goût, parce que je voulais vraiment savoir ce qu'elle me réservait.
Quand midi sonna enfin, mon cœur s’emballa.
Oh, du calme toi, je n’ai pas besoin que tu t’y mettes aussi.
Hanae me sourit avant de me demander de la suivre à notre endroit du midi.
Une fois sur le toit, elle sortit de son sac un gigantesque bento et me le tendit.
— TADAAAAM ! Voilà mon cadeau !!!
Je regardai ce qu’elle me montrait sans comprendre.
— Tu ne manges jamais le midi, et tu trouves toujours que la nourriture que j’ai est mauvaise, alors j’ai décidé de te cuisiner un truc super bon rien que pour toi !!
Vu mon manque de réaction, elle secoua le bento devant moi. Je finis par le prendre et ouvrir la boîte. À l’intérieur se trouvaient des boulettes de riz, des saucisses coupées en poulpes et d’autres choses toutes aussi appétissantes.
Je pris délicatement un onigiri et le portai à ma bouche. Ce n’était rien que du riz, mais ça me semblait être la meilleure chose au monde. Parce que quelqu’un l’avait préparé pour moi. Parce qu'elle l’avait préparé pour moi…
— Alors ? Alors ? Alors ? Tu aimes ?
J’acquiesçai lentement. Elle hurla de joie.
— YOUPI !!! Ça fait une semaine que je m’entraîne parce que je n'ai vraiment pas l'habitude de cuisiner. Quand j'étais petite, c'est mon père qui cuisinait, moi je le regardais juste. J'ai essayé de me rappeler ce qu'il faisait et en même temps suivre les instructions dans un ancien livre de cuisine. Je suis super contente que ça te plaise !
Je continuai de manger, l’écoutant d’une oreille. C’était vraiment bon. J’oubliai totalement la véritable raison de ma présence ici, et continuai de déguster la nourriture. Bien sûr, Jun me prépare tout le temps le repas, mais… c’était tellement différent...
Je levai les yeux vers Hanae qui s'était arrêtée de parler et me regarda en souriant, les étoiles plein les yeux.
Je baissai les miens, un peu gêné.
— Merci…
Que m’arrive-t-il ? Pourquoi est-ce que je la remerciais ? Moi qui normalement devais tout faire pour que ça soit elle au contraire qui me remercie...
Je dois me reprendre, je fais vraiment n’importe quoi depuis ce matin. C’est sûrement dû à ma nuit blanche, sûrement dû à ma mauvaise humeur.
Tout en réfléchissant, je continuai de manger. Hanae, de son côté, avait pris un de ses plats tout préparé et mangeait toute joyeuse.
— Pourquoi tu ne t’es pas cuisiné quelque chose ?
— Parce que j’ai fait ça pour toi toute la nuit, et après je n’avais plus le temps de faire quelque chose pour moi, mais ce n'est pas grave, t'inquiète.
Je lui fis un signe de la main pour qu’elle s’approche, je pris une de mes boulettes de riz et la mis dans sa bouche.
— Tiens, profite.
Elle porta sa main à sa bouche en rougissant.
— Merchi !!
Je lui proposai qu’on mange ensemble le bento, de toute façon elle en avait fait trop pour une seule personne. Elle accepta. Et nous voilà autour de la boîte à planter nos baguettes dans la nourriture. Finalement, il ne resta plus qu’une saucisse, nos baguettes se plantèrent en même temps dedans, un combat féroce de baguette débuta. Pas que j’avais spécialement envie d’avoir cette saucisse… Juste que c’était… amusant. Vraiment. Beaucoup plus drôle que d’essayer de la séduire. Et puis son rire résonnait dans l’air. Ses yeux brillaient de joie. Pourquoi est-ce que mon cœur battait aussi vite dans ma poitrine ? Elle profita de ce moment d’inattention que j’eus, trop occupé à l’observer, pour piquer le dernier poulpe. Mais au lieu de le porter à sa bouche, il l’emmena dans la mienne. Sous la surprise, je l’avalai de travers et m’étranglais. Après avoir toussé comme un grand malade, je levai mon visage vers elle :
— Qu’est-ce que tu fais ??
— Bahh, après tout, ce bento était pour toi, tu méritais bien d’avoir la dernière saucisse.
J’eus un regard un peu froid, vexé de m’être fait avoir. Hanae, elle, n’y fit pas attention, se contentant de me sourire.
Sourire qu'elle perdit quelques secondes, se rendant compte de ce qu’elle venait de faire.
— Ah euh désolé… Euh… Enfin, d’avoir mis mes baguettes dans ta bouche… Je n'aurai pas dû, pardon.
Comprenant immédiatement ce qu’elle sous-entendait, mon visage se durcit.
— Ne te préoccupe pas de ça.
— Mais…
— Hanae, ne te préoccupe pas de ça !
Elle n’insista pas puis me sourit timidement.
— Merci Kyoshi.
C’est ça, de rien. Que quelqu’un m’achève tout de suite. Quoi que non, la séduction avançait bien finalement. Je peux être fier de moi, dans pas longtemps elle me tombera sûrement dans les bras. Alors là, je la laisserai retourner à sa vie solitaire, tandis que je m’isolerai des gens…
Pourtant ça me faisait un peu bizarre de me dire ça...