Ange déchu

Chapitre 7 : Un doux piège

1135 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 29/11/2025 11:38

Le vent soufflait légèrement sur ma nuque alors que, debout, les mains dans les poches, j'attendais Hanae devant l'entrée de l'aquarium municipal. Il faisait encore bon, même si quelques nuages couvraient le ciel. J’étais juste impatient que ça se termine. Plus vite je l’emmène à cette foutue sortie, plus vite je pourrais encore plus l'attirer et enfin boucler ce pari à la con.


Je me souvins du moment où je lui avais proposé cette sortie. C'était comme une tentative d'échappatoire, un plan pour accélérer les choses.


> > > — Tu fais quoi ce week-end ?

Elle releva la tête, un peu surprise par la question.


— Euh… Rien de spécial, pourquoi ?


Je détournai les yeux. Je n'aime pas vraiment sortir les week-ends, mais s'il fallait que je subisse ça pour que ça avance mieux avec ce pari, je le ferais.


— Il y a un aquarium pas très loin… C’est pas ouf, mais bon. J’me suis dit que si t’avais rien à faire…


Je laissai ma phrase en suspens.


Elle resta figée un moment, puis ses yeux s’illuminèrent.


— Un aquarium ??? Vraiment ? Avec des poissons ? Et des méduses ? Et les tunnels de verre où on passe dessous ??


Elle sautilla presque sur place, les joues roses.


— J'ai toujours rêvé d'y aller !!! C’est trop bien, c'est vraiment vrai ??


Je haussai les épaules comme si ce n’était rien.


> > >


Et maintenant, j’étais là, en train d’attendre une fille qui sautillait de joie à l’idée de voir un poisson-globe.


Putain… dans quoi je me suis embarqué ?


— Kyoshi ?


Sa voix me fit sortir de mes pensées. Je levai les yeux. Elle était juste devant moi, penchée légèrement vers l’avant, un air curieux sur le visage.


— À quoi tu penses ?


Je ne répondis pas, l’observai un instant.


Comme toujours, elle portait un pull trop large, même s'il ne faisait pas froid. Cette fois, par-dessus une longue robe bleu pâle qui flottait légèrement dans le vent.


Ses cheveux, d’habitude en bataille devant son visage, étaient retenus par une petite barrette sur le côté. Elle avait dégagé son regard.

Elle s'était apprêtée. Pour moi ?


Je détournai les yeux.


— À rien d’important. Allez, entre.


On entra. Les lumières tamisées de l'aquarium plongèrent tout dans une ambiance étrangement apaisante.


— Whaaa, c’est magnifique… on dirait un rêve.


Elle devint excitée comme une puce en s’émerveillant devant chaque poisson.


— On dirait qu’ils font un bisou ! Trop mignon celui-là !!


Elle colla son visage contre les vitres, courut d’un bassin à l'autre. Pour quelqu'un de malade, elle a vachement de l'énergie, j'ai presque du mal à la suivre. Franchement, comment on peut autant s'émerveiller ? Ce sont juste des poissons, pas des créatures magiques. On dirait une enfant le soir de Noël. Elle s'arrêtait devant chaque vitre, s'émerveillait d'un poisson jaune, riait d'une méduse à la forme bizarre, parlait à voix basse comme pour ne pas les effrayer. Moi, je continuai de la suivre, regardant tout ça en silence.


Je me suis surpris à sourire. Pas le petit sourire de façade que je sors pour me donner un air détaché. Non. Un vrai sourire. Presque… tendre.


Putain.


Je me suis redressé un peu, croisant les bras pour masquer le trouble. Pourquoi je réagissais comme ça ? C’était censé être un jeu. Une mission débile. Pas… ça.


Puis on arriva au tunnel de verre. L'eau était partout autour de nous. Les requins au-dessus, les raies sur les côtés. Elle leva les yeux, bouche entrouverte, figée, puis se retourna brusquement vers moi, les yeux brillants.


— Tu crois qu’ils nous voient ? Les poissons ?


Je haussai un sourcil.


— Pourquoi ? Tu comptes leur faire coucou ?


Elle éclata de rire. Un rire clair, pur. Pas forcé.


— J’y ai pensé, oui. Ça se trouve, y en a un qui me suit depuis tout à l’heure.


Elle leva la main vers la vitre, salua un poisson-globe qui se promenait nonchalamment.


Je secouai la tête.


— Tu leur plais peut-être. T’as un truc avec les créatures marines, maintenant.


Elle haussa les épaules, faussement fière.


— On m’appelle la sirène du quartier, t’étais pas au courant ?


Je pouffai. Une sirène ? Cette fille était n’importe quoi. Et pourtant… ça lui allait. Elle avait ce truc étrange, ce mélange entre l’innocence et la lumière. Un éclat qu’on retrouve chez les enfants. Ou chez ceux qui refusent de se laisser abîmer.


Je la suivis des yeux quand elle s’éloigna un peu dans le tunnel. Elle tournoyait lentement, levant les bras comme si elle dansait.


Et pendant une seconde… j’ai eu envie d’appuyer sur pause. Juste un instant. Geler le temps.


La voir sourire encore. Rire. Oublier le pari. Oublier pourquoi j’étais là. Oublier ce que je devais faire après.


Mais le monde n’a jamais fonctionné comme ça.


Elle revint vers moi, toujours un peu essoufflée de ses cabrioles ridicules.


— Alors, j'étais comment ? T’as aimé ?


— Quoi ?


— Le spectacle. Ma danse aquatique improvisée.


Je roulai des yeux.


— Tu viens de ruiner la réputation du tunnel. Merci, Ariel.


Elle tira la langue.


On continua la visite, un peu plus lentement. Elle parlait, moi je me contentais de l'écouter, faisant des remarques sarcastiques de temps à autre.


Quand on sortit enfin, le ciel avait changé.


Des nuages noirs.


Super.


— On dirait qu’il va pleuvoir, murmura-t-elle.


J’hochai la tête, jetant un regard rapide autour. Il y avait un abribus pas loin.


— Viens, on se pose là deux minutes, le temps que ça passe.


Mais la pluie n’attendit pas. Elle tomba d’un coup, comme un rideau qu’on lâche.


Elle poussa un cri en riant et attrapa ma main pour courir vers l’abri. Et là, pendant qu’on courait, j’ai senti sa main dans la mienne.


Fine. Chaude.


Arrivés à l'abribus, on s'arrêta, haletants, trempés jusqu'aux os.


Soudain, elle lâcha ma main, le souffle un peu court, la posant sur sa poitrine.


Je fronçai les sourcils, elle avait du mal à respirer.


— T’es dingue ou quoi ? Tu veux faire une crise ?


Elle sourit, les joues rosies, essoufflée :


— Mais... j’ai couru ! Avec toi !... C’était drôle... non ?


— Hmm


— T'as eu droit... à une sirène et à... une pluie magique... Ça valait... le coup, non ?


Puis elle se redressa tout sourire.


Je ne répondis pas. La regardant encore. Ce sourire. Ce foutu sourire. C’était peut-être ça, le vrai piège.​

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