The Drummer

Chapitre 3

1113 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 08/11/2016 18:15

- Merci beaucoup d’avoir accepté de sortir.

Nous étions maintenant à quelques encablures de l’hôtel.

- Voyez-vous, j’ai toujours eu à subir les voyeurs. Certaines femmes peuvent prendre du plaisir à se faire observer à longueur de temps. Personnellement, cela me met mal à l’aise.

- Je comprends.

- Merci.

Un sombre silence nous suivit pendant quelques mètres. Comme disait Fermín Romero de Torres[1], l’attente est la rouille de l’âme, et je souhaitais me sentir jeune encore quelques années de plus. Aussi décidais-je de prendre les devants.

- Si vous m’expliquiez votre projet.

- Comme vous le souhaitez. En gros, si votre groupe accepte de signer, Sub Pop s’engagera à vous permettre d’enregistrer un album, s’occupera de le diffuser à travers les Etats-Unis, et plus si possible, et organisera une tournée. Vous auriez bien entendu accès au studio que vous choisirez.

- Comme le Robert Lang[2], ou les studio Abbey Road[3] ?

- Si vous le souhaitez. On vous fournira évidemment une équipe, avec un producteur, un ingénieur son qui s’occupera de l’enregistrement et du mixage, ainsi qu’un directeur artistique pour la réalisation de la pochette de l’album.

- Voilà un programme bien chargé.

- C’est exact. Qu’en pensez-vous ?

Je m’arrêtai dans mon élan. Kate, surprise, se retourna vers moi.

- Ecoutez, Kate, vous êtes une personne adorable. Mais le fait est que je suis d’un pragmatisme dépréciatif à toute épreuve, et j’estime que je dois vous dire que je suis de base réticent à ce genre d’idée.

- C’est-à-dire ?

- Et bien, voyez-vous, je pense que nous, et je parle de Jared, Andrew et moi, ne sommes pas prêt à devenir des rockstars.

- Ecoutez monsieur Bellamy. Je comprends tout à fait votre point de vue. Maintenant, et je vous le dis en toute impunité, ce genre d’occasion ne se représentera pas deux fois.

- Je sais, mais je ne pense pas que ce soit le moment idéal.

- Mais je ne vous demande pas une réponse immédiate, monsieur Bellamy. De toute façon, il me faut l’accord de tous les membres du groupe.

- Je comprends.

- Vous avez quel âge, monsieur Bellamy ?

Cette question me déconcerta, tant par sa place dans ce discours que par son côté privé, et je sentais que je perdais progressivement pied dans cette argumentation.

- Vingt-six ans, et vous ?

- Vingt-sept, merci. Et où étudiez-vous monsieur Bellamy ?

- Il y a bien longtemps que j’étudie plus. Je travaille au Lost & Found Records, sur North Broadway, Knoxville.

- Bien. Vous comptez vendre des disques toute votre vie, ou vous préférez prendre votre envol et vivre une vie meilleure ? Vous êtes jeune, vous pouvez profiter de la vie !

- C’est que…

Je la regardais droit dans les yeux. Je me trouvais au bord du précipice. J’étais hésitant quand elle était ferme sur ses positions. Pour la première fois de ma vie, j’allais me déclarer vaincu.

- Je n’avais pas vu les choses sous cet angle.

Sans savoir pourquoi, nous avons éclaté de rire. Rictus nerveux ou simple échange amical, nous n’aurons jamais la réponse. Oubliant cette discussion, nous nous dirigeâmes vers un pub, afin de continuer à discuter. Pendant ce moment, nous purent nous exposer à cœur ouvert sur des tranches de nos vies tout en sirotant un verre au Flat White.

Contre les apparences, malgré ce grand sourire que j’arborais sur mon visage, je n’arrivais point à digérer mon échec. Rancunier et tenace, je ne savais accepter une défaite, aussi cuisante soit elle. Je ne pouvais donc m’empêcher de me questionner intérieurement afin de savoir comment avais-je pu en arriver là. Etait-ce cette beauté angélique qui m’avait fait choir ?

Ce fut un coup de téléphone qui me sortit de mes rêveries. En effet, pris par les évènements, je n’avais pas remarqué que le temps tournait. Ainsi, Jared et Andrew étaient déjà arrivés à Heathrow[4], pendant que je pavanais dans les rues londoniennes avec une femme dont je ne soupçonnais même pas l’existence deux heures auparavant. Revenu à la réalité de la situation, je me rendis compte qu’il était grand temps de partir. Aussi pris-je congé de Kate et filait à corps perdu et à toute vitesse vers mon hôtel.

Après avoir récupéré ma batterie et ma valise, je sautai donc dans un taxi direction l’aéroport. Le chauffeur, un certain James Myles-Harrison, semblait, par bonheur, connaître les raccourcis du poumon londonien. Je pouvais au moins me rassurer.

Lorsque le taxi bifurqua pour prendre Londsdale Road, le conducteur ouvrit enfin la bouche.

- Vous allez bien monsieur ?

- Parfaitement bien, pourquoi ?

- Parce que, en toute honnêteté, vous avez une tête de dépressif, comme si l’on venait de vous éloigner de votre petite amie.

Je fis comme si je n’avais pas entendu sa remarque, attendant dans un silence religieux l’arrivée à l’aéroport, tout en réfléchissant à tout ce que ce voyage londonien allait changer dans ma vie.

 

[1] Personnage du roman L’Ombre du Vent de Carlos Ruiz Zafón.

[2] Célèbre studio d’enregistrement de Seattle.

[3] Studio d’enregistrement de Londres, célèbre grâce à l’album éponyme des Beatles.

[4] Aéroport international de Londres.

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