The Drummer

Chapitre 2

1319 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 28/07/2015 18:37

     Le jour du grand départ avait sonné. Le bagagiste, qui était rentré quelques secondes plus tôt, attrapa ma valise. Chambre 217. Kensington Hotel.

Loin du luxe et des parjures, j’avais choisi de loger durant mon séjour londonien dans ce petit hôtel miteux, a contrario de mes deux compagnons de route, ayant préférés suivre leurs instincts d’hommes modernes et de loger dans l’un des nombreux hôtels chics qui peuplent cette ville. Je m’étais donc retrouvé ici, rongé jusqu’à la moelle par un ennui mortel durant une longue semaine. Andrew et Jared avaient choisi de passer leur temps à pavaner dans les rues londoniennes ; le recueillement intérieur avait été de mise pour ma part.

     Avant que ma tête me perde une nouvelle fois, je me saisis de mon vieux calepin en cuir brodé noir, l’ouvrit et inscrivit, sur la quarante-troisième page, les mots suivants :

« Demander à Jared et Andrew pourquoi on est resté à Londres une semaine »

     En effet, le temps m’était précieux, et perdre une semaine pour un modeste concert de seconde zone me faisait psychologiquement sortir de mes gonds.

     L’homme de chambre restait planter sur mon perron, les yeux bloqués vers l’horizon.

- Qu’est-ce que vous foutez encore là ?

Un philosophe du Wisconsin dont j’avais oublié le nom avait dit un jour que chacun découvrait, chaque jour, une nouvelle facette de sa personnalité. Visiblement, aujourd’hui, je me découvrais un côté hautain jusque-là insoupçonné. Ou plutôt, supposais-je, était-ce l’infâme café que l’on m’avait servi au petit déjeuner qui me montait au cerveau.

- Je souhaitais seulement informer monsieur que mademoiselle Kate Kronowski l’attends en bas.

Avant que je n’eus pu lui demander qui était cette personne, il avait claqué la porte et détalé vers l’ascenseur le plus proche.

Je pris quelques secondes afin de m’observer dans la glace. Mon vieux t-shirt à l’effigie d’un quelconque groupe américain oublié était en train de rendre l’âme, mon caleçon fétiche avait des relents de merlan frit et mes instances capillaires souffraient d’un sérieux manque d’hygiène depuis trois jours. Je contemplais, au travers de mes cernes luisantes, mon désarroi physique. Ce laisser-aller confirmait le lent décalage qui s’effectuait entre moi et le monde extérieur. Les loups solitaires avaient fait leur temps. Il fallait que j’admette l’évidence. Aussi décidais-je de faire un brin de toilette à cette entrevue, histoire de me remettre à flots après ce voyage jusqu’au bout de l’enfer psychologique.

Après avoir choisi des habits décents et redonner un peu de jeunesse à mon visage sale, je claquai la porte de ma chambre et prit la direction du rez-de-chaussée, afin de faire la connaissance de cette femme au nom sentant la vodka. Plutôt que de prendre l’ascenseur, mon esprit sportif me fit choisir les escaliers. Arrivé au rez-de-chaussée, je poussai une porte battante et observa la pièce.

Ce fut comme une apparition.        

Elle était devant le comptoir, et discutait avec le patron. Ses longs cheveux bruns couvraient majestueusement le col de son chemisier d’un beige majestueux, qui se finissait sur un modeste jean slim, qui laissait agréablement transparaître les délicates courbes de ces formes.

Sans vérifier si mes joues avaient pris une teinte pourprée, je m’avançai vers elle. Lorsqu’elle m’entendit arriver, elle se retourna et mon regard se noya dans ses yeux d’un vert profond. Absorbé par cet océan de paix et de beauté, je ne pus remarquer le joli nez pointu et les fines lèvres délicieuses qui ornaient ce visage si doux.

Je sortis de mes rêveries sentimentales lorsque je m’aperçus qu’elle me tendait, avec un grand sourire, sa dextre[1], afin que nous puissions nous serrer la main.

- Kate Kronowski.

- Matthew Bellamy.

Le patron avait un petit sourire sur le visage. Sûrement avait-il remarqué le peu d’émotion que je laissais transparaître par mégarde.

- J’aurais souhaité discuter avec vous.

- Je n’y vois aucun inconvénient.

Elle se dirigea vers les deux fauteuils en vieux cuir présent dans le hall, me tendit un fauteuil et s’assit devant moi.

- Que puis-je faire pour vous ?

- Je vous ai vu joué samedi au Wimbledon Pub.

- Ah.

Comment avais-je pu ne pas la voir ?

- Vous avez l’air surpris.

- A vrai dire, c’est la première fois qu’une fan vient me voir dans mon hôtel.

- Je suis honorée d’être la première.

Nous nous échangèrent un sourire.

- Voyez-vous, j’ai un oncle qui travaille chez Sub Pop[2].

- Ah.

- Vous connaissez ?

-Oui, répondis-je en esquissant un léger rictus.

- Bien. Il m’a demandé de venir regarder ce qui se faisait en matière de rock en Angleterre actuellement.

- Je vous arrête tout de suite : nous sommes américains.

Elle me regarda, ébahie.

- On vient de Knoxville. Je suis né à Scottsdale.

- Pourtant votre nom sonne très anglais.

- C’est que mon père est né à Reading.

Un silence odieux s’installa. Je choisis de le rompre afin de mettre au malaise naissant entre nous deux.

- Votre oncle travaille donc chez Sub Pop.

- Exact.

- Et vous faites une tournée des bars sur Londres.

- Oui. Je dois trouver un groupe de rock pour le faire signer.

- Je suppose que vous avez pensé à nous.

- C’est exact. Normalement je devais trouver un groupe anglais, mais ça sera plus simple si vous êtes américain.

Elle semblait mal à l’aise depuis quelques minutes. Je détournais les yeux discrètement et je m’aperçus que le patron était resté en position depuis le début, feignant d’observer la discussion, tout en profitant assez vulgairement des courbures de Kate.

Elle prit une feuille de papier dans le dossier en cuir marron qu’elle avait glissé son sac, écrit quelques mots et me tendit le papier.

« Cette homme ne m’inspire pas confiance. Peut-on continuer cette discussion dehors ? »

D’un bref mouvement de tête, j’acquiesçai.

 

[1] Main droite.

[2] Label de musique indépendant dont le siège est situé à Seattle.

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