The Drummer

Chapitre 5

1832 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 28/07/2015 23:12

Cela faisait deux semaines que je n’avais plus eu de nouvelles des hautes sphères qui étaient apparues subitement dans ma vie. Deux semaines sans véritable action, deux semaines de lente dépression moribonde, à en faire pâlir plus d’un.

     Andrew et Jared avaient prévu une répétition dans l’après-midi, histoire de préparer nos prochains concerts en ville, à la fin du mois. Ils m’avaient donnés rendez-vous à quinze heures au studio pour un moment strictement rock’n’roll. Tout du moins, je l’espérais. Cela ne me plaisait guère de devoir retourner une énième fois au studio ; en effet, mes deux compères augmentaient considérablement le nombre de répétitions ces derniers temps, au détriment de nos autres activités. Est-ce que le projet de Jared se mettait en place ?

     J’avais choisi de ne pas leur parler de la proposition de Kate Kronowski ; ce qui me bloquait le plus dans mes relations avec eux était certainement leur manque de maturité. Aussi, afin d’éviter de les voir s’emballer, j’avais choisi de garder cela pour moi. Par simple mesure de sécurité.

     J’avais décidé d’aller profiter de la douceur des berges du Tennessee avant de rejoindre mes deux comparses, le grand air ne pouvant que m’amener l’inspiration musicale. Aussi sortais-je de chez moi vers treize heures et partit en direction du Sekoyah Park.

     J’appréciais ces petits moments de solitude. Certains pratiquaient le yoga afin de trouver la paix intérieure ; je préférais les balades au grand air. C’était l’unique moyen que j’avais trouvé pour calmer cette colère, cette rage qui rongeait mon corps depuis mon adolescence. Une espèce de douleur permanente détruisait cet organisme jour après jour, sans que je ne puisse la contrôler. Quand je sentais ce regain de violence monter en moi, je sortais me promener. C’était la seule façon d’apaiser mon esprit.

Je me demandais parfois si ma cause, la raison qui justifierai ma présence sur ce foutu caillou, n’était pas d’épancher cette colère afin de changer la face du globe, c’est-à-dire la société dans laquelle nous vivions. Cela expliquait peut-être le fait que je me sois tourné vers la musique. A moins que celle-ci ne soit encore qu’un modeste moyen d’apaisement.

     Arrivé sur les berges, je sortis de mon véhicule, et parti dans la direction de la vieille ville, ce qui constituait mon chemin de promenade favori.

Seulement quelques mètres après avoir mis le pied dehors, alors que je venais juste de poser mes écouteurs dans mes oreilles, j’aperçus Kelly.

     Kelly Moore, vingt-cinq ans, vouait une haine envers moi depuis maintenant quelques mois. En effet, cette belle rousse au nez pointu et aux yeux verts n’était autre que mon ex-petite amie, et, après quelques vingt-sept mois de relation, nous nous étions séparés, dans la sueur, le sang et les larmes, ce qui l’avait blessée profondément. Depuis, nous nous étions soigneusement concentrés à nous éviter.

     Elle fit semblant de ne pas m’avoir vu. Pourtant, je savais que ces yeux n’avaient pas pu s’empêcher de se poser sur moi ne serait-ce qu’une modeste fraction de seconde.

     Bientôt fut le moment où je me retrouvais à sa hauteur. Avant que je n’eus pu ouvrir la bouche, elle fit le premier pas.

- Qu’est-ce que tu fais là ?

Je m’arrêtai dans mon élan et me tourna vers elle.

- Je me promène, et toi ?

- Moi aussi.

Un silence gêné s’installa entre nous.

- Sinon, quoi de neuf ? Le groupe tourne toujours ?

- Ouais, on était à Londres il y a trois semaines. Et toi ?

- Pas grand-chose…

- Tu as retrouvé quelqu’un ?

Elle me regarda dans les yeux. Je sentais que ma question n’était pas la bienvenue. Je puis lire tout le désespoir de ce petit brin de femme dans la tendre larme qui glissait le long de son petit nez fin. Je l’aperçus glisser le long de de l’aile de son pic, comme l’aurait suggéré ce cher Rostand[1]. Elle vient se poser délicatement sur la pointe du nez, avant de tomber brutalement contre le sol. Instinctivement, je percevais qu’elle n’était pas dans son état normal.

- Non, malheureusement.

Je ne savais quoi répondre devant la tristesse de cette femme, par peur de prolonger ou d’aggraver son malheur actuel.

- On pourrait se voir un jour, non ? Comme avant.

- Et si on se faisait un resto, un midi ? Tu en penses quoi ?

- Ça me tenterai bien. Tu as toujours mon numéro ?

- Oui, t’inquiète.

Et après une bise claquée, nous nous séparèrent.

Je fis quelques mètres avant d’entendre un grand « connard ». Je me retournai et je ne vis personne. Elle n’était déjà plus là, ses pas s’étant perdus dans l’ombre du vent.

 

¤¤¤

 

Je poussai la porte de Daystar Productions quand j’aperçus Jared et Andrew posés sur le canapé de l’entrée en compagnie de Kurt, le patron des lieux.

- Dis donc, tu as le sens de la précision des horaires toi, me lança comme une furie Jared, sans toutefois quitter des yeux l’écran de télévision.

- Pourquoi, il est quelle heure ?

- Quinze heures quarante, répondit Kurt.

- Le rendez-vous était il y a plus d’une demi-heure, renchérit Andrew.

- Je sais. Mais j’ai croisé Kelly.

Jared dédaigna décoller les yeux de l’écran, pour les poser sur moi avec un regard furibond, un regard de défi à mon égard devant mon insolence. Je sentais la colère, que j’avais cherché à apaiser précédemment, remonter en moi.

- Ecoute mec, on n’est pas responsables du fait que la rupture avec Kelly ait été dure. Mais bordel, ça ne t’empêche pas de nous respecter un peu et d’arriver à l’heure aux répet’, merde !

Je le fixai droit dans les yeux pendant quelques secondes, regard qu’il me renvoyait. Ces deux paires de globes oculaires respiraient la colère. J’étais à deux doigts d’exploser.

Dans l’espoir de me calmer, je choisis d’aller directement en salle de répétition, sans m’arrêter m’abrutir avec mes bourreaux. Malgré tout, afin de conforter mon désespoir envers la jeunesse de cette ville, je me tournai vers l’écran afin de voir ce qu’ils visualisaient.

- Vous regardez quoi ?

- Usual Suspects, me répondit Andrew.

Je fis deux pas et me retournas à nouveau.

- Au fait, Keyser Söze, c’est Kevin Spacey.

J’eus droit alors un flot d’insultes. La vengeance est un plat qui ne se mange pas toujours froid.

 

¤¤¤

 

La répétition venait de toucher à sa fin. Après une heure et demie d’effort rock’n’roll, nous avions décidés de nous arrêter pour aujourd’hui.

Alors qu’Andrew et moi sortions de la salle, Jared nous demanda si nous pouvions rester un peu. Il alluma son ordinateur afin de nous faire écouter quelque chose.

- Bon, j’ai un peu travaillé ma maquette de la dernière fois. J’ai amélioré le solo de la guitare, et j’ai diversifié la batterie pour Matthew, en rajoutant un peu de crash et de ride[2].

- Ça marche. Tu as les paroles avec ?

Il me tendit un bout de papier, et me fixa avec un regard qui puait la jouissance égoïste.

- Pour l’instant, je n’ai que le refrain.

Je vis griffonner sur le morceau de feuille les quatre lignes suivantes :

Je lis dans tes yeux ce désespoir

Qui rend ton cœur si noir

Mais n’oublie jamais cette chose sensée :

Le rock et l’amour m’ont sauvés.

Surpris de voir autant de poésie dans la plume de Jared, je ne me concentrai pas sur le début du morceau de notre compositeur.

Je n’avais pas vraiment écouté la maquette du guitariste ; pourtant, un violent coup sur la cymbale crash me sortit des rêveries amenées par le bout de papier. Je passai les trois minutes suivantes dans un état de jouissance cérébrale. Durant ces trois minutes, ma vision du monde extérieur, des autres et de moi-même changea radicalement.

Oui, Jared avait composé une perle. Oui, The Fingers tenait enfin SON morceau. Oui, on était maintenant prêt à accepter la proposition de Kronowski.

 

[1] Référence à Cyrano de Bergerac.

[2] Cymbales d’une batterie.

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