The Drummer

Chapitre 6

1466 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 06/08/2015 23:51

Tout les samedis soirs, la communauté rock de Knoxville se donnait rendez-vous dans un petit bar branché de la vieille ville, pour l’une des jam sessions dont seul Eddie, le patron, en avait le secret. Blues, folk, rock : si vous vouliez vous faire connaître dans Knoxville, le Smokin’ Gravy Bar était un lieu incontournable.

Ce samedi-là, Jared nous avait dégotté une heure de scène, entre Flip Until Hysteria¸ un groupe de punk-rock, et Anaïs Le Béchec, une jeune bluesgirl de Paris, comme le disait l’affiche.

Flip Until Hysteria ne m’intéressait que très peu. Musicalement, il ressemblait à une pâle copie moderne des Stooges[1], dont les titres étaient régulièrement repris sur scène. D’ailleurs, Phil, leur chanteur, apparaissait toujours torse nu, en hommage à Iggy Pop[2], selon ses dires.

Autant vous dire que je ne voyais aucun intérêt personnel à les regarder jouer. Aussi, pendant que Jared et Andrew s’étaient lancés dans les pogos[3], je me dirigeais vers le comptoir, étonnement vide. Ce n’est qu’après qu’Eddie eut prit ma commande que je me rendis compte que je n’étais pas seul ; un petit brin de femme sirotait une bière quelques mètres plus loin. Instantanément, je compris qui elle était. Elle jeta un regard dans ma direction, elle se dirigea vers moi.

- Anaïs Le Béchec.

- Matthew Bellamy.

Pendant une demi-heure, nous discutions de nos carrières respectives. Elle était saxophoniste, pianiste, guitariste et également chanteuse. Tombé dans la musique toute petite, elle avait sillonnée la France avec son père qui avait fait une petite carrière d’accompagnement et lui avait ensuite transmis le flambeau. Elle venait d’arriver aux Etats-Unis, afin de se faire un nom et trouver le succès.

- J’ai vu Inside Llewyn Davis[4], et je me suis dit que faire de la musique comme ça, dans les bars, c’était ce qui me ressemblait. Alors j’ai pris mes instruments, j’ai sauté dans un avion, et je suis venu ici.

- Oh, tu sais, Knoxville n’est sûrement pas le meilleur endroit pour ça.

Elle parut intriguée par ma réponse. Je m’accoudai au bar afin d’observer la scène. Pendant ce temps-là, elle ne m’avait lâché du regard.

- Qu’est-ce que tu veux dire ?

- Oh, rien. Tu vois, déjà, ici, c’est une ville plutôt rock. Pour la folk, le mieux, c’est New York. Et puis les producteurs ne viennent pas nous chercher ici. On est condamné à pourrir avec notre musique dans ce lieu sombre et éloigné.

Je me tournai vers elle.

- Si je peux te donner un conseil : ça fait cinq ans que je joue dans ce trou. Prends ta guitare et ton saxo, monte dans le premier bus pour New York. Le Tennessee, c’est le cimetière des musiciens qui ont de l’espoir.

Un lourd silence s’installa. On aurait dit des personnages de cinéma. La jeune étrangère pleine d’espoir. Le vieil expérimenté pessimiste. Tout les deux accoudés à un bar, observant un peuple qui les ignore et qu’ils détestent. Comme s’ils étaient sortis tout droit d’un bon film des Coen.

- Je vous offre un autre verre ?

¤¤¤

- Bordel, Matthew, tu viens, on joue dans dix minutes !

- Ouais, j’arrive Jared.

- Putain mais t’es bourré !

- Ouais, c’est plus rock’n’roll.

Je n’avais pris que deux bières et un peu de whisky, et je peinais à marcher droit. Je vis le désespoir s’installer seconde après seconde dans les yeux de mes deux compères, voyant leurs espoirs musicaux réduits à néant par mon état déplorable. Ils  me prirent par les bras et m’emmenèrent loin du bar. Anaïs me regardait partir, silencieuse, tenant dans le creux de sa main droite le bout de papier sur lequel je lui avais écrit mon adresse.

     Arrivés derrière le bar, les deux gars me balancèrent par terre, avant de m’envoyer un saut d’eau à la tête.

- Ça va te réveiller.

- J’espère bien.

- Tu as dix minutes pour te sécher, rassembler tes affaires et monter sur scène pour jouer.

- Ça marche.

- Tu n’as pas intérêt à tout faire foirer.

- Comptez sur moi.

Andrew me balança mes baguettes et une serviette, puis les deux gars rentrèrent finir le concert de nos camarades punk.

Il devait faire dans les trois ou quatre degrés dehors. Le choc thermique m’avait remis la tête à l’endroit instantanément. La ruelle était sombre. J’apercevais au loin un des lampadaires de la rue, qui brillait d’une lumière faiblarde. Un flocon de neige vint se poser sur le bout de mon nez. De la neige un vingt novembre dans le Tennessee, voilà quelque chose qui n’était pas banal.

Rapidement, la ruelle devint blanche. Un homme passa devant celle-ci et regarda à l’intérieur. Il m’aperçut et me fixa. Il portait un grand imperméable gris. Lorsqu’il entendit la porte en fer du Smokin’ Gravy Bar, il reprit sa marche, comme si de rien était.

- Vous y allez, me dit Anaïs.

- Merci.

- Bonne chance.

On ouvrait avec Blue Orchid des Whites Stripes. Punk-rock contre garage, les spectateurs ne verraient pas la différence. Du moins, c’est ce qu’avait pensé Jared.

Les deux concerts s’enchaîneraient parfaitement. Durant cette heure, nous jouîmes nos classiques, entrecalés entre quelques compositions bancales : Purple Haze[5], All Apologies[6], Can’t Stop[7], Day Tripper[8] et notre désormais classique Plug in Baby ; en effet, mes deux camarades trouvaient amusants de jouer un morceau de Muse, afin de faire écho entre mon patronyme et celui du leader du groupe britannique. Pour ce concert, Jared avait gardé le meilleur pour la fin : sa composition, qui possédait désormais un nom : Love & Rock’n’roll.

Ce morceau, contrairement à nos contraintes, reçut un excellente accueil auprès de l’audience. C’est ainsi que, sous un tonnerre d’applaudissements, nous descendîmes de scène. J’eus juste le temps d’annoncer Anaïs avant de me faire happer par le public.

Jared nous proposa de boire un coup pour fêter notre réussite scénique. Juste après avoir commandé, je sentis une présence derrière nous.

- Chouette concert les gars. Bravo.

On entendait les premières notes d’Hang me, Oh Hang Me[9] résonner dans la salle. Je crus que j’allais faire une attaque.

- Je me présente. Kate Kronowski.

 

[1] Groupe de garage rock américain du début des années 70.

[2] Chanteur des Stooges.

[3] Style de danse où tout le monde saute de façon désordonnée et en se bousculant, en rythme avec la musique.

[4] Film de Joel et Ethan Coen, parlant de Llewyn Davis, un chanteur folk dans les années 60.

[5] Morceau de Jimi Hendrix.

[6] Morceau de Nirvana.

[7] Morceau des Red Hot Chilli Peppers.

[8] Morceau des Beatles.

[9] Morceau issu d’Inside Llewyn Davis, interprété par Oscar Isaac.

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