The Drummer

Chapitre 7

2352 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 11/08/2015 01:32

- Pourquoi tu ne nous as rien dit ?

Cette phrase résonnait dans ma tête.

- C’est que…

Je n’arrivais pas à trouver les mots pour expliquer mes actes. La vérité les aurait profondément déçus.

- C’est que quoi ?

- C’est que ma mère a eu des problèmes de santé à ce moment-là. J’avais la tête ailleurs, et je n’y ai plus pensé.

Ce n’est pas beau de mentir, pensais-je.

- Mais comment tu as pu oublier ça !

- Je ne sais pas… Enfin la situation s’est arrangée, c’est ce qu’on pouvait espérer de mieux, non ?

Jared et Andrew se turent. Nous marchions le long de Cumberland Avenue. Malgré la signature du contrat promis par Kate chez Sub Pop, nous avions des têtes de déterrés, et nous avancions tout en fixant nos pieds.

On avait raccompagné Andrew jusqu’à son appartement, sur East Jackson Avenue. Arrivé au 721, il s’enfonça dans un long couloir fissuré, nous salua et disparu dans l’escalier. La porte se ferma devant Jared et moi.

- Bon, je te paye un coup ?

¤¤¤

Je poussai la porte de mon appartement, et j’aperçus une tête dépassé mollement du sofa.

- Déjà rentré ?

- Ouais, ne t’embête pas. Je fais que passer.

Aussitôt, Anaïs se rallongea. Alors que j’entrai dans ma chambre, elle lança à voix haute :

- Tu vas où ?

- J’ai rendez-vous avec mon ex. On mange ensemble ce midi.

- Vous avez des coutumes, vous les ricains…

La sonnette tinta son la[1] strident.

- Tu attends quelqu’un, demandai-je à Anaïs.

- Non, pourquoi ?

- Matthew, c’est moi, prononça une voix étouffée par l’épaisseur de la porte d’entrée.

Je reconnus cette voix. C’était celle de Kelly. J’étais au milieu de ma chambre, en caleçon, fixant une jeune française qui squattait mon canapé, ce qui ne constituait pas une position idéale. Il fallait que je trouve un plan rapidement.

- Merde !

C’était sorti tout seul.

- Matthew, ça va ?

- Oui Kelly, attends deux secondes, j’arrive.

Anaïs était en soutien-gorge et culotte sur mon canapé. Il fallait que je la fasse bouger en vitesse. Je lui fis un signe de la main pour lui demander de venir, la fit entrer dans ma chambre, la pria de ne pas faire de bruit, ferma la porte, jeta à toute vitesse ses affaires sous le canapé. Il ne me restait plus qu’à enfiler des affaires. Je retournai dans ma chambre, m’excusa auprès d’Anaïs pour le dérangement, enfila une chemise et un pantalon de toile et alla ouvrir à Kelly.

- Ça va ?

- Ouais et toi ?

Elle ne me répondit pas. Elle avait simplement ôté ma main posée contre le mur, et avait pénétré dans le salon. Elle scrutait la pièce. Je restais tétanisé devant cette scène.

- Ça n’a pas beaucoup changé depuis mon départ.

- Tu sais parfaitement que la décoration n’a jamais été mon fort.

- On va manger où ?

¤¤¤

Vingt minutes plus tard, nous débarquions au Brown Bag. J’avais réservé une table avec une vue sur le Tennessee. Deux musiciens reprenaient Hit the Road Jack[2] en arrière-plan.

- C’est magnifique ici.

Nous restâmes muets jusqu’à l’arrivée de l’entrée. Aucun n’avait l’envie ou l’idée pour lancer la discussion sur un sujet qui ne pourrait pas blesser l’autre. Finalement, nous nous réfugiâmes dans le seul sujet qui ne se dirigerait pas vers un potentiel conflit.

- Donc vous avez joué à Londres.

- Exact.

- Et ça a donné quoi ?

- On a réussi à se faire repérer par un producteur.

Elle me fixa, ébahie.

- Une certaine Kate Kronowski, de Sub Pop. On a signé le contrat ce matin.

- Vous avez signé chez Sub Pop ?

- Ouais.

- Attends, Sub Pop, c’est bien le label de Seattle qui a produit Nirvana ?

- Ils n’ont produit que le premier album, Bleach[3], plus exactement. Et ils ont aussi produit Mudhoney[4].

- Ils n’ont pas pour habitude de signer que des gars de Seattle ?

- Avant, ouais, mais ils se diversifient depuis quelques années.

Le serveur vint nous demander si tout se passait bien, ce qui coupa pour un moment la discussion.

- J’ai toujours cru que tu voulais signer chez Reprise Records[5] ?

- Les deux font partis du groupe Warner, on bougera peut-être.

Nous éclatâmes de rire. Nos yeux se croisèrent avec la même tendresse que dans le temps.

- Je suis content pour toi. Tu vas enfin pouvoir sortir de ce taudis qu’est Knoxville.

Je me sentais obligé de basculer la discussion vers son quotidien.

- Et toi, c’est quoi les news ?

Kelly vouait une véritable vénération au cinéma et à l’idole local, Quentin Tarantino[6]. Elle travaillait depuis maintenant trois années dans un petit cinéma situé sur Downtown West Boulevard, pour un minable boulot de projectionniste, travail que j’avais toujours dénoncé auprès d’elle. Elle n’avait cessé de me dire que cela lui permettait de visionner plein de films, et que ça l’aiderait à réaliser son rêve : travailler dans la production de films. Elle espérait un travail de scénariste ou de directrice de la photographie. Il y a un an de cela, elle avait d’ailleurs écrit un scénario, un film qui se nommait Lost in Paris, l’histoire d’une bande de mafieux qui s’étripent en plein Paris. Elle aimait la France, elle aimait Tarantino : aussi avait-elle réalisé un travail qui conciliait les deux. Elle l’avait envoyé, et personne ne l’avait accepté. Pendant ce temps-là, elle se tapait des journées de seize heures, six jours sur sept, pour la valeur d’un salaire minimum fédéral. Mais elle était heureuse, et là était l’essentiel ; aussi n’insistais-je jamais sur ce point.

- Ça bouge un peu en ce moment.

Elle me dévisagea avec un sourire espiègle.

- Vas-y, déballe.

Comme chaque année, Kelly s’était rendu à Sacramento, en Californie, pour le festival du film français, un rendez-vous depuis ces dix-neuf ans. Là-bas, à chaque festival, elle discutait avec des personnalités du monde du cinéma afin de se tenir au courant des postes libres. Elle avait réussi à avoir, je ne sais comment, un diplôme pour la direction de photographie : elle l’avait sûrement passé avant que l’on se rencontre. Cette année, elle eut l’occasion de discuter avec Cédric Klapisch[7].

- C’est qui ?

- Ne fait pas le con ! C’est celui qui a fait The Russian Dolls[8] !

- Ah… ok.

- On a discuté un peu, j’ai pas mal parlé de photographie avec lui. J’adore son travail ; d’ailleurs je l’avais présenté pour mon projet final de diplôme.

- Ok.

- Il doit tourner le troisième volet de sa trilogie. Ça va s’appeler Chinese Puzzle[9]. Il doit commencer le tournage en mai ; mais sa directrice de la photographie vient de se désister. Du coup il doit lui trouver un remplaçant très vite… Et tu sais quoi ?

- Je sais pas, vas-y.

- Il avait l’air intéressé par mon point de vue ! Il va m’envoyer quelques extraits du scénario, pour qu’il puisse voir comment je marche ; si je lui plais, je suis pris ! C’est le début de ma carrière !

- C’est génial !

Nous passèrent le restant du repas à parler de cette opportunité professionnelle.

Après avoir payé l’addition, je proposais à Kelly de passer prendre le café à l’appartement, non sans avoir préalablement envoyé un message à Anaïs pour la prévenir de mon arrivée.

Lorsque je poussai la porte d’entrée, aucun objet ne trahissait sa présence.

- Je vois que tu vis seul.

- Toi aussi.

J’invitai Kelly à s’asseoir sur le canapé à côté de moi. Nous prolongions la discussion du restaurant, quand tout à coup, Kelly s’arrêta brusquement.

- Je peux te demander un service ?

- Vas-y.

Aussitôt, elle m’embrassa. Je me mis à rougir, totalement surpris par le geste.

- Désolé. Ça fait huit mois que je n’avais pas embrassé ; j’ai les hormones à cran.

- Je comprends. Mais là, quand même…

- Pourquoi, tu as eu des activités sexuelles toi, depuis ?

- Non, mais ce n’est pas une raison, je me contrôle… D’ailleurs, tu sais que j’ai toujours apprécié la solitude, c’est sûrement pour ça que je suis plus en couple.

Un silence de mort vint me répondre.

- Tu veux quelque chose à boire ?

- Je veux bien un thé, merci.

Je me levai donc et alla préparer deux thés dans la cuisine. A peine eu-je mis les deux tasses remplis d’eau à chauffer que résonna dans mes oreilles un cri que je ne connaissais que trop bien. Kelly déboula comme une furie dans la cuisine.

- C’est ça que tu appelles la solitude ?!

Merde. Elle tenait dans sa main gauche le soutien-gorge sale d’Anaïs.

- Attends, je vais t’expliquer…

- Ah ouais, tes explications ! Elle m’avait manqué, tes explications ! Tu n’es qu’un menteur !

- J’ai rencontré une jeune française il y a trois jours, elle avait aucun endroit pour loger, du coup je lui ai proposé de venir quelques jours ici…

- Elle est où cette pute ?

- Elle doit être sortie, je lui ai demandé de passer la journée dehors car tu étais là…

Alors que Kelly commençait à se calmer, Anaïs entra dans l’appartement. On se croyait dans un vaudeville.

- Alors tu sautes mon ex ?

- Mais pas du tout !

Kelly allait lancer une gifle à Anaïs, quand je m’interposai et arrêta la prochaine tuerie.

- Venez-vous asseoir, plutôt que de vous taper dessus ; réglons ce problème comme des êtres humains, pas comme des animaux.

 

[1] Il y a bien évidemment aucune faute d’orthographe ici, puisqu’on parle de la note…

[2] Chanson de Ray Charles.

[3] En effet, même si le nom du label apparaît sur les trois albums du groupe, Sub Pop n’a produit que Bleach. Kurt Cobain avait en effet rompu le contrat, déçu par les prestations du label, pour aller signer avec DGC Records. Cependant, Sub Pop réussit à négocier pour que son logo apparaisse sur Nevermind et In Utero.

[4] Groupe de grunge de Seattle, très proche de Nirvana.

[5] Label fondé par Frank Sinatra et Dean Martin en 1960, et qui produit moult bons artistes…

[6] Voir note 4 du chapitre IV.

[7] Réalisateur français, célèbre pour sa trilogie.

[8] Nom international du film Les Poupées Russes, deuxième volet de la trilogie de Klapisch, sorti en 2005.

[9] Chinese Puzzle, ou Casse-Tête Chinois, à bien été tourné. Cependant, tout les faits à propos du film cités ici appartiennent à la fiction.

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