The Drummer

Chapitre 8

1615 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/11/2016 06:20

Les gouttes d’eau suintaient sur la vitre du salon. Je fixais l’extérieur, observant la pluie venir tomber contre le sol poussiéreux.

Nous vivions dans le Montana à cette époque ; nous étions partis de Scottsdale deux ans auparavant. Mon père avait trouvé un poste de garde forestier. En effet, il aimait les grands espaces, et le Montana était l’Etat idéal pour cela. Quant à moi, j’étais déjà formaté à la mondialisation, et une maison au milieu de nulle part n’était mon lieu de vie favori.

Je n’arrivais pas à m’intégrer dans mon nouvel environnement. Enfant introverti, je n’avais aucune relation humaine stable, et mon seul échappatoire était la lecture. Financièrement, ce n’était pas la joie pour mes parents, aussi n’avais-je que très rarement de nouveaux écrits, que je dévorais dès leur arrivée avec un appétit diabolique.

Ce jour-là, pour mon huitième anniversaire, qui fut le dernier que je partageai avec Kurt[1], je m’attendais donc à recevoir quelques pages de papier. J’espionnais mes parents depuis quelques jours, mais je n’aperçus rien qui présageait un quelconque présent. Pire encore : il était dix-sept heures, et, minute après minute, la fatalité des événements me faisait prendre conscience qu’ils avaient oubliés ce jour si spécial pour moi.

J’entendis une porte claquer. Je me retournai et ne vis personne. Je posai donc à nouveau mon regard sur la petite mare qui se formait. Alors que le désespoir me gagnait irrémédiablement, ma mère me demanda de venir dans sa chambre. D’un pas nonchalant, je me leva et pris la direction de la chambre parentale.

Je découvris dans la pièce mon père, ma mère et Elizabeth, ma meilleure amie. D’après les dires de ma mère, elle avait parcouru les mille deux cents soixante neufs miles qui séparaient notre bon vieil Arizona de ce trou paumé spécialement pour moi. Mais ce n’était pas cela qui m’intriguait le plus. Un volumineux paquet cadeau trônait au beau milieu de lit paternel. Ma mère me fit signe de m’approcher. Le carton contenait une Fender Mustang  rouge électrique de 1991 gauchère.

- On sait que Scottsdale te manque, me dit ma mère. Du coup, on t’a amené deux cadeaux de là-bas : Elizabeth et cette guitare[2].

Je sautai dans les bras de ma mère. Ce fut le meilleur anniversaire de ma vie.

 

¤¤¤

 

- Et tu as revu Elizabeth depuis, me demanda Anaïs.

- Non, voilà maintenant dix-neuf ans aujourd’hui que je n’ai plus eu de nouvelles.

- Pourquoi tu as arrêté la guitare ?

- La mort de Cobain m’a profondément bouleversée, vu que l’on m’avait toujours présenté comme étant ‘l’enfant né le même jour que le chanteur de Nirvana’. Je crois que c’est le jour du suicide que j’ai perdu foi en cet instrument. Je m’en suis peu à peu désintéressé, avant d’arrêter définitivement à l’âge de 11 ans.

- Et tu en as fait quoi ?

- Je l’ai gardé, comme un fardeau de ma persévérance. Elle traîne actuellement dans la cave. Mais je l’entretiens quand même, la nettoyant de temps en temps. Tu veux la voir ?

- Je ne serais pas contre, mais avant, j’aimerais comprendre comment tu es passé à la batterie.

- Ça, c’est une autre histoire.

 

¤¤¤

 

J’étais à l’époque à Burlingame High School en Californie. Nous étions en 2004. J’avais choisi l’AP Music Theory. Cette filière ne me plaisait pas trop ; à vrai dire, je m’étais rendu compte assez tôt que je n’étais pas fait pour les études. Mais mes parents, aussi pauvres étaient-ils, voulaient ardument que j’aie un diplôme solide.

Le seul ami que j’avais réussi à me faire, un certain Leo, était batteur dans le groupe le plus connu du campus, The Burlingame Killers. A l’occasion du spectacle de fin d’année, lui et ses acolytes devaient réaliser l’accompagnement musical. Malheureusement, Leo se cassa le poignet vingt jours auparavant, en jouant au basket.

Le lendemain de l’accident, je m’étais rendu chez lui dans l’inconnu, ne l’ayant pas aperçu de la journée. Après avoir sonné, je rencontrai sa mère sur le pas de la porte.

- Bonjour Matthew. Entre, Leo est dans sa chambre.

Il habitait une luxueuse maison californienne des années trente. Samantha, la mère, ne travaillait pas, et son seul loisir était d’entretenir un jardin d’une luxuriante beauté. Aujourd’hui encore, l’image de cette nature abondante reste gravée dans ma mémoire.

Je trouvai Leo dans son lit, le bras droit dans le plâtre.

- Et ben dis donc, tu ne t’es pas raté.

- Tu l’as dit, vieux frère !

Nous nous saluâmes.

- Comment tu as réussi à te faire ça mon cochon ?

- Le gros Edgar m’a donné une « petite » tape lors d’un shoot à trois points. J’ai voulu me rattraper, ma main n’a pas résisté.

- Franchement, tu es vraiment un champion.

Et nous rigolâmes pendant vingt minutes. Cependant, d’un coup, il devint sombre.

- Matthew, j’ai un gros service à te demander.

- Vas-y, tu sais que je ferais n’importe quoi pour toi.

- Tu sais que le spectacle est dans vingt jours.

- Oui.

- Je voudrais que tu me remplaces dans le groupe.

A cet instant, je crus que mon cerveau allait imploser sur place.

- Tu es sérieux ?

- Oui. Il n’y a qu’en toi que j’ai confiance.

- Mais je n’ai jamais touché une batterie de ma vie !

- Tu ne m’as pas dit que tu avais été guitariste ? Et puis tu es celui d’entre nous qui connaît le mieux la musique. J’ai confiance en toi.

- Enfin…

- Me suis-je déjà trompé quand je t’ai donné ma confiance ?

Je savais que la réponse à cette question est négative.

- Si tu le souhaites, tu pourras venir tous les soirs ici. J’ai ma batterie, je te coacherai.

- Mais les autres…

- Les autres me suivent. Quoi qu’il arrive.

Ainsi, j’eus le droit à un apprentissage accéléré de l’instrument. Leo avait mis tous ses espoirs en moi ; à vrai dire, il n’avait pas d’autre choix. Il se consacrait corps et âme à moi, et je lui rendais la pareille en travaillant d’arrache-pied afin de réaliser notre objectif commun.

Le soir du 20 juin 2004, je fis avec le stress le premier malaise de ma vie. Ce fut Dianna, une amie de Leo qui me récupéra. Elle était l’actrice principale du spectacle ; je n’étais qu’un vulgaire figurant mal éclairé. Pourtant, ce fut bien moi qui me trouvait dans ses bras.

Après m’avoir remis à flots, elle me souhaita bonne chance et le spectacle commença. Leo, qui avait observé la scène de loin, vint me voir.

- The show must go on[3].

Depuis ce jour, malgré mon piètre niveau musical, je m’en remis à travailler l’instrument qui m’avait dompté : j’allais devenir batteur. Et ce fut ainsi le premier d’une longue et improbable série de concerts.

 

[1] La scène se déroule le 20 février 1994, jour du 27e anniversaire de Kurt Cobain, qui se suicidera quelques semaines plus tard.

[2] Fender est en effet une marque de Scottsdale…

[3] « Le show doit continuer ». Egalement le nom d’une chanson de Queen.

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