The Drummer

Chapitre 9

1811 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 08/11/2016 18:15

 

Depuis quinze jours, Jared ne sortait plus du studio. Kurt lui avait laissé les clés, et il s’enfermait tous les jours entre huit et dix-huit heures pour composer. Il prenait vraiment à cœur l’opportunité que nous avions, et ne souhaitait pas rater cette chance en proposant un contenu de piètre qualité. Soucieux de sa santé physique, je décidai de passer le voir.

Lorsque je poussai la porte, je vis Kurt avachi sur le canapé.

- Salut Matthew.

- Tu sais où est Jared ?

- Dans le studio du fond.

De loin, on l’entendait frapper sur la batterie de répétition. Je m’approchai de la vitre, et, lorsque j’aperçus un moment de répit sur son visage, je toquai à la porte pour lui signaler ma présence. Aussitôt, il leva les yeux dans ma direction et me fit signe d’entrer.

- Tu t’en sors ?

- On peut dire que j’ai vu mieux. Mais on ne va pas se plaindre de ce qui nous arrive.

- D’accord, mais ce n’est pas une raison pour que tu y laisses ta peau.

- Il est quelle heure ?

- Onze heures trente. Fais un break, j’ai à boire.

Je sortis les deux bières que je venais d’acheter de mon sac à dos, les ouvrit et trinqua avec Jared.

- J’ai composé huit morceaux en plus de Love & Rock’n’roll.

- Pas mal, pas mal.

- Des nouvelles d’Andrew ?

- Aucune.

Je bus une grosse gorgée.

- J’ai peut-être un truc qui peut t’aider.

- Quoi ?

- Tu te souviens de la jeune française qui squatte chez moi en ce moment ?

- Ouais, Anaïs.

- Elle est guitariste, et on a composé un petit truc tous les deux. C’est un peu funk, ça ressemble à Float On de Modest Mouse. Un peu plus dur à la batterie.

- Tu me fais écouter ?

Je sortis de la salle afin de récupérer ma guitare, que j’avais laissée à l’entrée de la salle pendant le début des débats. Lorsque je lui demandai un ampli, je crus que Jared allait faire un AVC.

- Depuis quand tu as une guitare ?

- Je l’ai eu pour mes huit ans. Ça fait quinze  ans qu’elle traîne dans la cave.

- Sérieux ?

Il peinait à me croire, mais ce n’était pas cela qui m’apportait le plus de tristesse. Je pensais comprendre alors pourquoi l’on m’avait surnommé « The Drummer » ; les gens pensaient que jouer de la batterie était la seule chose que je pouvais exécuter correctement. Au lieu d’être affectif, ce surnom se montrait en vérité péjoratif. Tout cela m’apparaissait dans le regard empli de surprise de mon camarade, et cela me projetait violemment la vérité à la figure.

- Je ne savais pas que tu étais multi-instrumentiste.

- Ouais, et j’ai même joué devant Dianna Agron[1].

- Sérieux ?

Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. J’avais désormais devant moi un nuageux regard d’étonnement vide. J’entrepris donc alors de lui expliquer tout le concert de Burlingame en 2004. Mais, peine perdue, rien n’y faisait ; son cerveau n’était plus connecté à ses oreilles. J’essayai donc une autre approche.

- Je te fais écouter ?

- Vas-y. Mais si tu mets juste une guitare, ça va faire bizarre.

- Mais j’ai prévu le coup, lui répondis-je avec un sourire saillant sur mon visage.

Je sortis alors mon ordinateur afin de lui faire écouter en parallèle l’enregistrement de batterie que j’avais réalisé la veille.

Dès que j’eus fini de jouer son morceau, je ne pus m’empêcher de fixer son visage. Il avait un air sombre.

- Ça manque de basse.

- Je n’avais pas ça sous la main, désolé.

- Mais c’est pas mal. Faut qu’on retravaille ça.

Il éclata de rire.

- On se fait une « guitar session » ?

 

 

 

Comme d’habitude, je me baladais au Sukoyah Park, en me remémorant le formidable moment musical que je venais de partager avec Jared, tout en m’inquiétant de la relative absence d’Andrew. C’est alors que, après un bon quart d’heure de marche, je sentis mon portable vibrer, et j’eus l’immense joie de m’apercevoir que la personne à l’autre bout du fil n’était autre que notre nouveau producteur.

- Bonjour Kate.

- Bonjour Matthew. Tout va bien sous le soleil du Tennessee ?

- C’est plutôt nuageux en ce moment, mais à part ça va.

- Très bonne pointe d’humour.

- Je vous remercie.

- Je viens de voir mon oncle. Il aimerait vous rencontrer ici, à Seattle. Dans deux jours.

- Sérieusement ? Vous savez quelle distance il y a entre Seattle et Knoxville ?

- Par la route, exactement deux mille cinq cents soixante-quatre miles entre chez vous et le bureau. Je viens de voir ça sur Google Maps.

- Comment vous voulez qu’on soit là-bas dans deux jours ?

- Je vous ai envoyé des billets d’avion. Ils arriveront dans votre boîte aux lettres demain. Départ demain à dix-sept trente-cinq.

Et elle raccrocha. Je m’empressai d’appeler les deux autres.

 

 

 

Je passai à proximité du cinéma où travaillait Kelly quand j’aperçus Anaïs. Elle était entourée de trois hommes au manteau de cuir qui n’étaient sûrement pas là pour lui réciter un poème. Je garai ma voiture sur le côté et alla à leur rencontre.

Afin de me dissuader d’approcher, l’un d’entre eux me demanda de dégager proprement. Pour seule réponse, je continuai d’avancer, tout en observant le comportement du plus dangereux d’entre eux, le plus grand, qui avait une batte de baseball. Je pris le soin de vérifier que j’avais correctement placé mon colt en sortant du véhicule. Lorsque je fus à un mètre d’eux, le gros balèze s’approcha de moi.

- Qu’est-ce que tu fais morveux ?

- Je viens t’apprendre comment on se comporte avec une jeune de femme.

Aussitôt, il me décocha une droite à la mâchoire. J’avais besoin de ce coup pour clamer la légitime défense.

Alors qui se saisissait de sa batte, je lui flanquai un uppercut dans le ventre avant de l’envoyer en trois coups au tapis. Le deuxième, qui était sorti de son état de stupéfaction, subit le même sort, tandis que le troisième ne reçut qu’un modeste coup de batte dans le crâne.

J’allai voir le chef de bande, m’abaissa à sa hauteur et lui dit :

- La prochaine fois que je vous vois traîner près d’elle, je vous flingue. Compris ?

- Compris.

J’invitai Anaïs à monter dans la voiture.

- Tu as vu la raclée que tu leur as mis ?

- Ils ont eu ce qu’ils méritaient.

- Tu vas aller au poste.

- Ecoute Anaïs, en France, tu te fais arrêter pour ça. Pas aux Etats-Unis. Ici, tu fais justice toi-même.

- Où est-ce que tu appris à faire ça ?

- J’ai été marine pendant deux ans. Là-bas, on nous apprend à se battre.

Je ne l’avais pas observé depuis le début de la discussion. Lorsque je tournis la tête, je vus assez aisément la peur qui s’esquissait sur son visage. Je démarrai le moteur et prit la direction de la maison.

Lorsque je poussai la porte, mon saignement de nez avait atteint son paroxysme. Anaïs m’invita à m’asseoir pendant qu’elle allait chercher de quoi nettoyer ma blessure. Lorsqu’elle revint, elle s’assit à côté de moi, et je pus à nouveau voir sa sérénité légendaire se dessiner sur son visage.

- Merci beaucoup pour tout à l’heure. Heureusement que tu étais là.

Elle rougissait.

- Mais c’est normal.

Lorsqu’elle eut finit de panser mes plaies, je pris la direction de ma chambre afin de retirer mes vêtements ensanglantées, tandis qu’elle alla ranger la trousse médicale. Je fermai la porte derrière moi et alla choisir la tenue la plus sérieuse que je possédais, parmi mon placard restreint par les murs et mon porte-monnaie.

Alors que je venais d’ôter mon pantalon, on ouvrit la porte.

 

[1] Lors de mes recherches sur Burlingame High School, j’ai appris que Dianna Agron avait étudié là-bas, qui plus est en 2004, ce qui correspondait parfaitement d’un point de vue temporel avec l’arrivée de Matthew…

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