The Drummer

Chapitre 10

2028 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 10/11/2016 05:19

Lorsque j’entendis la poignée de la porte bouger, mes muscles se figèrent. Je n’arrivais pas à savoir pourquoi l’on était rentré dans mon espace personnel, et ma fidèle intuition ne me présageait rien de bon. J’étais donc dévêtu, entre mes vêtements, guettant avec angoisse l’apparition de l’inconnu.

Finalement, ce fut beaucoup de peur pour pas grand-chose. Il s’agissait seulement d’Anaïs, qui avait sûrement omis le fait que je n’aimais pas qu’elle rentre dans ma chambre. Mon stress disparut, au profit d’un autre sentiment plus intriguant. Je n’avais pas en face de moi la jeune fille que je connaissais. Elle avait changé d’habits au profit d’une tenue plus légère et ces joues étaient d’un pourpre étincelant. Elle s’avança à pas de chat et vint se planter à quelques centimètres de mon corps. Elle baissa alors les yeux et dit :

- Matthew… Je voulais te dire quelque chose.

Un peu surpris par la tournure des choses, je répondis instinctivement :

- Vas-y.

- Voilà, d’habitude, je n’ai pas d’excellentes relations avec les hommes… Et… Je ne vois pas exactement comment le dire…

- Le mieux, c’est que tu y ailles franco. Après tu t’expliqueras.

Elle m’attrapa alors à la taille et m’embrassa. N’ayant pas vu le coup venir, je me mis à rougir.

- J’ai toujours attendu de trouver le prince charmant. Du moment où je t’ai vu au bar, j’ai eu un coup de foudre, débita-t-elle à une vitesse rocambolesque.

Mais ces paroles n’imbibèrent pas mon esprit. En effet, je ne pensais à ce moment qu’à ce baiser inattendu et aux causes potentielles qui l’avait entraîné. Je demandai à Anaïs quelques secondes de répit, mais au lieu de trouver un ersatz de calme cérébral, mes yeux se posèrent sur le visage d’Anaïs et ne purent s’empêcher de la scruter. Deux petites larmes coulaient du coin de ses yeux. La jeune fille que j’avais devant moi me faisait invariablement penser à Elizabeth, le matin de mon départ, des années auparavant. A ce moment, un élan d’empathie monta dans mon corps, de l’empathie pour ce petit brin de femme que j’appréciais véritablement et qui me faisait pitié. Je l’invitai à venir se serrer contre moi. Sa tête reposait contre mon épaule qui s’humidifia à une vitesse rocambolesque. N’avais-je pas fait une erreur sentimentale en lui proposant ce câlin ?

 

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- Il faut que je t’avoue une chose.

- Vas-y.

- Je n’ai jamais fait l’amour.

Je me retournai et la regarda droit dans les yeux.

- Sérieux ?

Jared, sort de ce corps[1].

- Oui. A vrai dire, c’était aussi la première fois que j’embrassai. Et toi ça faisait combien de temps ?

- Ben, depuis ma séparation avec Kelly, mon activité sexuelle est réduite à néant.

C’est à ce moment qu’Anaïs ôta son soutien-gorge, qui laissa révéler de très jolis arguments. Aussitôt, elle me fit signe d’approcher et m’embrassa à nouveau. Ensuite, elle saisit mes hanches afin de m’indiquer le chemin à suivre et nous passâmes cinq minutes de jouissance comme nous en avions rarement eu.

Après l’acte, j’eus une grande sensation de répit intérieur, comme si j’avais laissé l’ensemble de mes problèmes dans le con[2] d’Anaïs. Le sentiment de vide émotionnel ne m’avait plus pénétré depuis que nous avions cessé notre relation avec Kelly.

Je me retournai vers Anaïs qui regardait vers l’extérieur. J’observai la douceur de ces épaules, la délicatesse de son dos, la finesse de son cou. Alors que mon regard restait dans un vague plaisant, Anaïs se retourna. Une larme coulait le long de sa petite joue. La minuscule goutte d’eau vint se poser délicatement sur le bord de l’oreiller, tandis qu’Anaïs ne cessait de me fixer. Après un court moment d’échange visuel qui sembla durer une éternité, elle m’embrassa tendrement.

 

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J’arrivai en dernier à l’aéroport. Je donnai à Jared et Andrew leurs passeports des airs et nous partîmes nous enregistrer. Après avoir passé le portique de sécurité et autres instruments de sûreté psychotique nationale, résultat concret de la plus célèbre fête de Ben Laden dans le domaine aérien de notre cher Oncle Sam, nous devions attendre une bonne demi-heure avant de nous envoler vers le lointain état de Washington.

Assis sur nos fauteuils capitonnés, nous étions trois voyageurs égarés, le regard dans le vide, le sang peut-être encore rempli de ces substances illicites que l’on trouve à chaque coin de rue. Un enfant jouait devant nous avec une figurine en plastique. Devant, sa mère était au téléphone, discutant probablement avec l’une de ses amies, mais ce n’était pas cela qui attirait le plus mon regard. Ce petit être de chair était la chose la plus insouciante qu’il m’avait été donné de voir depuis fort longtemps.

Jared avait acheté un journal, Knoxville News Sentinel, ce qui, en vérité, était la première fois. Il explorait à grands coups d’œil les pages de fait divers, se disant sûrement que cela pourrait lui inspirer les paroles d’une chanson. Andrew jouait sur l’un des nombreux jeux de son portable, préférant une application abrutissante à une élévation intellectuelle. Quant à moi, je guettais au loin l’arrivée de l’avion qui nous emmènerai vers Seattle, tout en me rappelant que mes trois précédents déplacements avec ce moyen de transport correspondait à mes déménagements.

 

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Kate Kronowski nous attendait à l’entrée du bâtiment.

- Bienvenue messieurs !

Elle nous emmena ensuite dans le bureau de son oncle, au premier étage. C’était une pièce très sobre, où les quelques belles performances de production étaient accrochés sur des murs d’un blanc glacial.

L’homme qui occupait ce bureau, Oscar Kronowski, un quinquagénaire d’une maigreur surprenante. Il avait une petite moustache touffue et une paire de lunettes rondes. Il ressemblait en tout point à l’inverse du cliché du patron d’entreprise. Etrangement, il m’inspirait une empathie rare.

- Je suis ravi de faire votre connaissance, messieurs.

- Et nous de même.

- Bien. Ma nièce vous a donc fait signer un contrat avec nous. Je suis content, malgré le fait que ce soit la première fois que je n’interviens pas dans la signature d’un contrat. Il faut laisser de la liberté aux jeunes, non ? Je voulais donc vous rencontrer avant le début de votre travail.

- Je comprends, monsieur. Voici donc Andrew Davis, notre bassiste, Matthew Bellamy, notre batteur, et votre serviteur, Jared Cooper, guitariste et chanteur du groupe.

- Qui compose ?

- C’est moi, répondit Jared.

- Et je le seconde en faisant quelques chansons, rétorquais-je à mon tour.

Un léger sourire s’esquissa sur le visage de Kate lorsque ces mots sortirent de ma bouche, sans que je ne comprenne pourquoi.

- Bien messieurs. Quels sont vos inspirations musicales ?

- Un peu tout. Matthew travaille dans un magasin de disques et a une culture musicale incroyable. Quant à moi, j’apprécie les grands guitaristes, Hendrix, Slash, Page et les autres.

Pendant que Jared parlait, Oscar avait ouvert l’un des tiroirs de son bureau et en avait tiré un cadre photo.

- Vous connaissez Nirvana ?

- C’est mon groupe préféré, dis-je instinctivement.

- Vous voyez, ce groupe résume parfaitement ce que je recherche. Des scandales, des introvertis, de la musique dure à l’oreille. Du rock quoi. Vous tapez dans quels genres ?

- Garage, alternatif et grunge.

- Parfait. Ce que je veux, ce n’est pas un groupe lambda. Je veux que The Fingers soit le Nirvana des années 2010.

- Rien que ça.

Ce trait d’esprit était sorti d’un coup, mais, par chance, personne ne le nota.

Après quelques minutes encore d’une discussion plate et sans réel intérêt narratif, le rendez-vous arriva à son terme, Kate nous raccompagna jusqu’à la sortie du bâtiment. Après avoir laissé mes deux partenaires prendre quelques mètres d’avance dans les escaliers, elle vint me chuchoter à l’oreille :

- Matthew, je dois aller à Knoxville lundi prochain. Ça vous dérange si je dors chez vous ?

- Je n’y vois pas d’inconvénient. Il y a juste, actuellement, quelqu’un…

- Le canapé me suffira, me coupa-t-elle.

Lorsque nous partîmes, je ne pus m’empêcher de jeter un coup d’œil vers la maison de disques, tandis que Kate nous saluait à travers la porte vitrée de l’entrée.

 

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Le décollage d’un avion la nuit est toujours un moment intense. J’avais la chance d’être au niveau d’un hublot ; je pus ainsi contempler les innombrables lumières de Seattle, ville de notre réussite, tandis que nous volions vers de nouveaux cieux, quittant ce solide plancher des vaches qui abritaient nos malheurs depuis tant d’années.

Alors que nous accomplissions cette ascension en direction des nuages, je sentis la tête endormie d’Andrew se poser sur mon épaule, tandis qu’un ignoble ronflement sortait de ces cordes vocales.

 

[1] Et oui, rappelez-vous la répartie du guitariste dans le chapitre précédent…

[2] Avant d’être une insulte très répandue, le con désignait (et désigne toujours) le sexe de la femme.

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