The Drummer

Chapitre 11

1958 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 01/09/2015 23:33

Je poussai la porte de l’appartement. Le salon baignait dans la lumière et un clair silence régnait. Je fus surpris de ne pas trouver Anaïs sur le canapé ; aussi allais-je chercher dans les autres pièces de l’appartement, avant de me rendre compte qu’elle était peut-être sortie.

Afin de me dévêtir de mes affaires de voyage, je m’assis sur le canapé. Alors que je délaçai mes chaussures, j’aperçus une enveloppe, avec pour seule inscription dessus mon prénom. Lorsque je l’ouvris, je découvris qu’il s’agissait d’un message d’Anaïs.

« Cher Matthew,

      Je t’ai pris au pied de la lettre. Lorsque l’on sait rencontrer, au Smokin’ Gravy Bar, tu m’as dit que j’étais folle de rester à Knoxville, qu’il n’y avait rien de bon pour moi ici. J’ai pris la tangente (c’est une expression française, je ne sais pas si je l’ai correctement traduite) et je suis parti pour New York hier soir. Je vais essayer de faire mon trou là-bas. Je ne te remercierais jamais assez pour tout ce que tu as pu me donner. Bonne chance à ton groupe, et j’espère que nos routes se recroiseront un jour.

Je t’aime.

Anaïs Le Béchec   »

A côté de son nom, une larme s’était imprimée sur le papier, une larme qui ressemblait fortement à celle qui était tombé sur l’oreiller la veille. Je lâchai le papier, me jeta au fond du canapé et mes yeux s’embrumèrent.

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Le lendemain, Jared nous réunit tous les trois afin de nous présenter l’album. Il était constitué de douze morceaux, onze signé de Jared, ainsi que le morceau que j’avais composé avec Anaïs, et qui refermait l’album. Lorsque Jared évoqua ce morceau, The Death of Poor Jane, les larmes me montèrent aux yeux.

- Tout va bien Matthew ?

- Oui, seulement un peu de fatigue.

Notre leader nous proposa de discuter du nom de l’album.

- On pourrait l’appeler Love & Rock’n’roll, proposa Andrew.

- Je ne suis pas fan de donner le nom d’un morceau à un album, répondit Jared. A la rigueur, The Death of Poor Jane est le seul qui me plaît à peu près.

- Et pourquoi pas The Fingers ? Plein de groupes font ça.

- Trop classique…

- Et pourquoi pas Hysteria ? C’est à l’image du groupe, proposai-je.

- Comme la chanson de Muse ? Tu n’as pas peur qu’on fasse direct le rapprochement avec l’autre Bellamy, me rétorqua Jared.

- Nevermind.

- Ouais mais là du coup on tombe dans la parodie de Nirvana.

- Je voulais juste dire de laisser tomber, mais si tu veux l’intégrer aux propositions…

- J’ai une idée, lança Andrew.

- Vas-y.

- Chacun dit un mot, et après on les assemble.

- Bonne idée. Matthew ?

- New York…

- Reaper.

- Knock.

- The New York Reaper Knocking.

- Ouais, bof. On refait des propositions ?

- Folk…

- Canadian.

- Fiction.

- Ça ne sonne pas trop mal : Canadian Folk Fiction.

- Ouais, ça me plaît bien.

- En plus ça fait CFF, comme Coppola Francis Ford[1].

- Normalement, c’est plutôt Kelly qui sort ce genre de réplique, Andrew.

Et nous éclatâmes de rire.

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Alors que, pour la première fois depuis de nombreuses années, je m’octroyais quelques minutes en tête à tête avec ma guitare, la sonnette tinta. Même si je n’attendais personne, j’allai quand même ouvrir. C’était Kate Kronowski. Avec le départ d’Anaïs et les derniers réglages pour l’album, j’avais complètement oublié la productrice.

- Je peux toujours loger chez vous ?

- Oui, pas de souci.

- Vous avez l'air abattu Matthew.

- Seulement un peu de fatigue.

- Votre amie n’est pas là ?

- Elle a mis les voiles il y a trois jours.

- Ah.

- Prenez la chambre du fond.

- Ça marche.

Et, pendant que mon invitée s’installait, je m’affalai sur le canapé, cherchant à retrouver d’anciennes sensations oubliées, tout en pratiquant la grille de Twice as Hard[2]. Alors que je venais de terminer le morceau, je sentis une présence derrière moi.

- Vous faites de la guitare depuis longtemps ?

Je ne l’avais pas entendu arriver. Elle était au niveau de l’encablure de la porte, l’épaule posée contre le montant. Je ne savais pas depuis combien elle m’observait. Alors que je parlais, elle s’avança vers moi.

- J’ai eu cette guitare quand j’étais enfant, et je viens de la retrouver, du coup je m’y remets un peu.

- Fender Mustang, micros Seymour Duncan, Fiesta Red. Je parierais pour un achat au début des années 90.

- C’est une guitare de 1991, en effet.

- Très bel instrument. Kurt avait la même.

Ses dernières paroles me mettaient mal à l’aise. Le regard de Kate se décolla de l’instrument pour venir se poser dans le blanc de mes yeux.

- Vous avez fini l’album ?

- Oui. Douze morceaux.

- Quel nom avez-vous choisi ?

- Canadian Folk Fiction.

Elle laissa paraître des signes d’étonnement.

- Qu’est-ce qu’il signifie ?

- Rien. Absolument rien. On n’a simplement donné chacun un mot qui nous passait par la tête.

- C’est la première fois que j’entends ça.

- Vous vouliez de l’original ; vous en avez.

Un silence lourd s’installa.

- Vous comptez enregistrer où ?

- On s’était dit que notre studio local irait parfaitement.

- Impossible. C’est trop petit.

- Je ne vois pas où est le problème.

- En tant que productrice du groupe, je tiens à vous signaler que ce studio n’est pas approprié à l’enregistrement d’un album.

- On peut enregistrer un album dans n’importe quel studio du monde.

- Cela dépend de la qualité de son que vous souhaitez avoir.

- Vous venez d’arriver, comment pouvez-vous savoir qu’il ne sera potentiellement pas assez grand ?

- Parce que j’y suis passé avant de venir ici.

Elle avait prévu le coup.

- Lorsque nous nous sommes rencontrés à Londres, vous m’avez parlé d’Abbey Road ou de Robert Lang. Qu’en pensez-vous ?

- Je n’en pense rien. Notre choix était de rester ici. Il faut que j’en parle avec les autres.

- Pas de souci. On attend votre réponse.

 

¤¤¤

- Elle ne veut pas qu’on enregistre ici.

Andrew et Jared prirent des mines graves. Cela contrariait nos plans.

A l’origine, nous souhaitions faire un album made in Knoxville, histoire de faire profiter les autres artistes de la ville de notre éventuelle aura médiatique. Cependant, la question de l’enregistrement freinait notre idée ; d’autant plus que, si nous leur tenions tête, nous risquions de perdre le contrat. Et comme la chance ne se représente deux fois…

- Elle propose quoi ?

- Le Robert Lang ou Abbey Road.

- C’est quand même deux belles solutions de rechange.

Andrew avait raison. Il fallait nous rendre à l’évidence ; les Kronowski voulaient viser haut. Très haut. Trop haut, peut-être.

- Comment ça va, financièrement, Sub Pop, en ce moment ?

- Je ne sais pas trop… Apparemment, c’est correct, mais ce n’est pas aussi fanfaron que dans les années 90.

- Attends, tu ne veux pas dire qu’on se serait fait embobiner ?

- Non, je ne pense pas… Tu as bien vu à Seattle… Mais je pense qu’ils veulent embellir l’apparence pour qu’on se fasse racheter par une grosse maison de disques et pour qu’ils touchent le pactole.

- C’est possible. Mais on y trouvera aussi notre compte, le moment venu.

- Mais la chute pourra être aussi brutale que l’ascension.

- Au pire, arrêtez de supposer, et vivez l’instant présent, rétorqua Andrew.

Nous le fixâmes, surpris.

- Non mais sérieux, vous vivez que pour la situation du groupe dans plusieurs années. Calmez-vous les gars, et profitez.

Après cela, Jared et moi n’osions plus rien dire.

- On a la chance de jouer au Robert Lang ou à Abbey Road, ou même dans un autre grand studio ! Et vous voulez vraiment enregistrer dans ce trou paumé ?

Andrew avait raison. Oublié le projet made in Knoxville, profitons de l’occasion. Nous procédâmes alors à un vote. Jared vota pour le Robert Lang, Andrew pour Abbey Road. Pour ma part, j’avais choisi Electric Lady Studios[3] ; en effet, le principal avantage de ce studio était qu’il se situait à New York ; ainsi, j’avais peut-être une chance de revoir Anaïs.

Après avoir longuement débattu, excluant le Robert Lang pour son pedigree un peu plus faible que les deux autres, nous choisîmes Electric Lady Studios, pour le simple fait que New York était beaucoup plus proche de Knoxville que Londres.

Ainsi, le cœur lourd d’angoisse, je rentrais chez moi, espérant trouver là-bas Kate pour pouvoir lui expliquer notre décision.

 

[1] Je tiens à préciser que Coppola est le nom de famille du réalisateur mondialement connu, notamment pour ses films Le Parrain et Apocalypse Now (entre autres).

[2] Chanson des Black Crowes.

[3] Studio d’enregistrement fondé par Jimi Hendrix.

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