La dernière âme

Chapitre 19 : Jour de deuil

2308 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 11/07/2025 10:14

Springtrap jeta un regard dédaigneux aux cinq cadavres devant lui, couverts de mouches, alors qu'il se réveillait d'un nouveau jour sans prison. La femme avait le crâne fracassé, les yeux à moitié sortis de son crâne. Son mari, couché contre elle, tenait encore son ventre ouvert. Derrière eux, deux fillettes étaient transpercées de nombreux coups de couteau rageurs, devant un chien à la tête écrasée sous une armoire. Le robot ne se souvenait plus vraiment de ce qui était arrivé. Après ce qui s'était passé à la pizzeria, il avait perdu le contrôle. Il s'était réfugié dans la première maison ouverte qu'il avait trouvé et il se souvenait avoir laissé parler la colère et la rage, sans réfléchir.


Des tâches de sang frais s'étaient ajoutées à celles presque sèches des victimes du musée. Quand s'arrêterait sa folie ? Il voulait se sentir coupable, il voulait changer, pour Elizabeth, mais il n'y arrivait pas. La haine, la noirceur était trop ancrée en lui. La Marionnette avait raison, il allait frapper sa propre fille ! De son vivant, obsédé à l'idée de la revoir, cette simple idée ne lui aurait jamais effleuré l'esprit. Et maintenant, que lui restait-il ? Elle ne lui ferait plus jamais confiance, les autres allaient sûrement tout lui dire. Elle lui tournerait le dos, elle aussi, comme Henry, comme Michael, sa femme, Georges et tous ceux qui avaient croisé sa route. Il était seul désormais.


Il essaya de se redresser, sa jambe émit un claquement métallique sinistre. Circus Baby l'avait abîmé en le repoussant et il craignait que les dégâts soient importants. Il se pencha vers l'avant pour avoir un meilleur aperçu : une de ses rotules était déboîtée par l'arrière. Il reconnaissait bien là le travail d'Henry : tous ses robots avaient des faiblesses au niveau des jambes qu'il avait essayé de réparer tout au long dans son ancienne vie de technicien. Il boita jusqu'à un canapé, plus loin dans la pièce et se laissa tomber dessus. Il souleva sa jambe et la relâcha sur la table basse en verre qui se fissura immédiatement sous le poids important.


Comment la réemboîter sans l'abîmer davantage ? Il regarda ses mains. Plusieurs morceaux de doigts manquaient, manier un tournevis s'avérerait compliqué. Tant pis pour la manière douce. Il serra son poing et frappa de toutes ses forces dans son genou. La jambe se décrocha sous la partie visée et son pied traversa la table basse dans un bruit de verre cassé. Super. Il regarda son moignon robotique, désespéré. Et maintenant ?


Il jeta un regard autour de lui. Il devait bien y avoir une boîte à outils quelque part dans cette maison. La situation ne l'arrangeait pas. Chaque minute passée ici était une perte de temps. Les enfants n'avaient pas encore retrouvé sa trace mais ce n'était qu'une question d'heures. Ils ne s'arrêteraient pas de le chercher tant qu'il ne serait pas sous contrôle. Il se redressa dans un grincement métallique et sautilla vers le salon, sa jambe dans les bras. A chaque saut, le carrelage se fissurait sous son pied métallique. Par chance, il n'avait cependant pas à se soucier de perdre l'équilibre ou d'être à bout de souffle : plus de cerveau, plus de poumons, et des contrepoids dans son bassin encore en excellent état de fonctionnement. Il erra dans les différentes pièces, les fouillant méticuleusement à chaque fois. Il avait trouvé un pistolet, dans un des tiroirs de la chambre des parents, qu'il avait soigneusement caché dans son ventre entre deux ressorts pour éviter qu'il ne se tire lui-même dessus. Il n'était pas certain que ses gros doigts puissent atteindre la gâchette, mais ça pourrait toujours servir pour intimider un potentiel ennemi. Vivant, pour le coup. Tirer sur un fantôme n'avait absolument aucun effet, surprenamment.


Il toucha le jackpot dans les toilettes. Sur l'étagère qui surplombait la cuvette blanche se trouvait une grosse boîte à outils rouge. Springtrap s'en saisit sans tarder, détruisant la planche de bois au passage. Quelle idée d'accrocher un poids aussi lourd au-dessus des toilettes : les hommes n'avaient aucun instinct de survie ! Mourir sur le trône devrait être classé assez haut sur l'échelle de l'humiliation. Il regagna la cuisine avec sa trouvaille.


La boîte ne contenait que des outils rudimentaires, mais il réussit à bricoler un peu sa jambe pour qu'elle tienne en place. Il profita de la petite soudeuse pour rafistoler quelques parties sensibles de son costume. Si cela pouvait lui permettre de tenir quelques années de plus, il ne cracherait pas dessus. Trouver un nouveau réceptacle deviendrait bientôt un besoin vital, mais il n'avait pas encore envie d'y penser. Les seuls costumes qui restaient se trouvaient, semblait-il, dans la pizzeria de sa fille. L'idée même de s'habiller en "Freddy" dans le futur le fit frissonner de dégoût. Cette saloperie d'ours l'avait tellement chassé qu'il se sentirait épié rien qu'en portant le costume. Il acheva sa maintenance en graissant ses articulations, afin de rendre les grincements de sa carcasse métallique moins audibles. Il allait devoir être discret désormais. Enfin, pensa t-il en jetant un regard aux cadavres, autant que possible.


Sur le comptoir de la cuisine, un petit briquet attira son attention. Il pourrait brouiller les pistes en mettant le feu aux cadavres... Mais au risque d'alerter ses bourreaux sur sa position. Absorbé par son dilemme, il ne vit pas la forme titanesque d'un ours jaune qui se formait derrière lui, de plus en plus nette. Golden Freddy apparut silencieusement. Son regard buta immédiatement sur les cadavres.


"Le garage ! s'exclama Springtrap, il y a sûrement une voiture !"


Fier de son idée, il se retourna avant de bondir en arrière, sous le regard inquisiteur de l'ours. Apeuré, le lapin chercha immédiatement à fuir vers la fenêtre, mais l'ombre dorée lui barra la route immédiatement.


"Comment tu as su que j'étais ici ?! cracha le meurtrier. Je... J'ai masqué mes traces !"


L'ours resta muet, le visage dur et implacable. Il pointa les cadavres d'un geste accusateur, sec, agressif.


Combien encore ? Combien en faudra t-il encore pour que tu te lasses de tuer ?


"C'est de votre faute, répondit le lapin. Si vous ne m'aviez pas arraché Elizabeth, si..."


Comment oses-tu lui demander de tuer pour toi ? Elle te fait confiance, et toi, tu détruis tout. Nous ne t'avons pas arraché Elizabeth, tu l'as montée contre toi tout seul, William. Tu allais la frapper !


"Je ne l'aurais jamais fait ! hurla t-il en faisant un pas en avant. Tu le sais comme moi, Georges, tu sais que je ne l'aurais jamais fait. Je veux l'aider... Je veux qu'elle soit libérée !"


Elle le sera, comme nous tous, quand tu arrêteras de te comporter en enfant capricieux. C'est toi qui nous retient ici. Si tu étais mort comme ça avait été prévu au départ, nous serions tous en train de célébrer notre victoire dans l'Autre Monde. Mais tu es toujours là, à gâcher la vie d'innocents, de familles qui ne se relèveront jamais de leur perte. Tu veux que je te rappelle ce que ça fait, William ?


"Non ! Non, s'il te plaît, pas encore !"


Les murs de la maison se fendirent brutalement avant de tomber, un à un. Ils ouvraient sur l'obscurité, sur cette noirceur qu'il ne connaissait que trop bien. Elle précédait chacune de ses séances de torture, et suivait celles qui s'achevaient par sa mort, jusqu'au lendemain matin. Golden Freddy, maître de l'illusion, avait changé de forme : il se tenait désormais devant lui sous la forme d'un petit garçon brun. Son visage était couvert de sang et son crâne irrégulier à l'endroit où la mâchoire de Fredbear, des années plus tôt, s'était claquée sans pitié.


"Georges, s'il te plaît, supplia William. Ne fais pas ça"


Il regarda ses mains, elles avaient repris forme humaine. Il était à nouveau William Afton, habillé dans son costume violet taché de sang. Des points rouges trop réguliers tapissaient ses bras : la trace des springlocks qui lui avaient ôtés la vie, comme un rappel à sa condition. Il avait déjà vécu la scène que s'apprêtait à lui montrer l'ours des dizaines de fois, il savait déjà ce qui allait se passer.


Devant lui, sur une scène de bois, Circus Baby saluait les enfants qui allaient et venaient devant elle. William, le William du passé, se trouvait un peu plus loin, occupé à réparer Funtime Freddy. Sa mâchoire avait encore sauté. Il en avait marre. Derrière, Henry se moquait gentiment de lui. Personne ne regardait. Personne.


"Non, non, je t'en supplie ! Georges !"


Soudain, une petite fille aux cheveux blonds s'avança près de la scène dans une robe d'un rose éclatant, accordé au nœud soigneusement attaché dans ses cheveux. Elle regarda vers son père, pour s'assurer qu'il ne la voyait pas. Elle n'avait pas le droit de s'approcher des Animatroniques, elle le savait. Mais l'autorité, lorsqu'on a dix ans, c'est un concept très flou. Circus Baby continuait de danser et chanter, sans se soucier d'elle. Il y avait encore des enfants dans la pièce. Cinq. Puis trois. Puis quatre. Puis deux. Et Elizabeth se retrouva seule, face à elle.


Circus Baby se pencha légèrement en avant et lui tendit la main, pour l'aider à monter sur la scène. Elle ne se méfia pas. Circus Baby avait été conçue pour elle de toute manière, que pouvait-il lui arriver ?


"Georges ! hurla la voix de William, de plus en plus effrayée. Non ! Je ne veux pas ! Je ne veux pas la voir, se mit-il à pleurer de détresse."


La petite fille sourit à Circus Baby.


"Papa ne veut pas que je vienne te voir, tu sais. Mais tu es si belle ! Et si brillante ! Il s'inquiète souvent pour rien !"


Le ventre de l'Animatronique s'ouvrit et une pince en sortit. Elle tenait une énorme glace à la vanille. La petite fille sourit franchement. Elle tendit les mains pour s'en saisir. La pince lâcha la glace et agrippa la fillette par la taille. Elle fut brusquement tirée vers l'intérieur de l'Animatronique. Elle cria, longtemps. William lâcha tout ce qu'il était en train de faire pour courir vers l'Animatronique. Il esssaya d'ouvrir son ventre, à coups de marteau. Bientôt, du sang se mit à couler des mécanismes du robot, qui s'agitait, comme possédé, court-circuité. Quand il parvint enfin à ouvrir le torse du robot, il ne restait qu'une bouillie d'os, de cheveux et de sang. Elle avait été broyée par l'endosquelette du robot fou.


William poussa un cri déchirant, qui alerta les clients du restaurant. Henry les dispersa, avant de s'approcher de lui. Il ne pleurait pas. Il ne paraissait même pas choqué par ce qui venait de se produire. Il attrapa le père de la fillette et le tira en arrière.


"On va en parler dans le bureau, viens. On ne peut pas rester là."


Il dut le tirer de force, l'homme continua de hurler jusqu'à ce que la porte du bureau se referme sur lui. Le fantôme de l'homme qu'il était à ce moment-là avait le visage ravagé de larmes. Son regard n'arrivait pas à se détourner du sang qui s'écoulait du robot. Une flaque de plus en plus grande se formait. Elle n'était plus, elle ne serait jamais plus la même. À côté de lui, Georges restait impassible, le regard tourné vers lui.


On peut parler calmement, maintenant ?


Springtrap hocha la tête. Le décor disparut pour le ramener dans sa prison robotique, dans son vieux costume. Il était couché sur le dos, comme frappé d'une attaque. Golden Freddy se tenait au-dessus de lui, le visage toujours aussi calme.


Nous ne te l'avons pas arrachée, reprit l'ours. Elle tient toujours à toi, elle pense que tu peux changer. Je n'y crois pas. La Marionnette, non plus. Il ne tient qu'à toi de nous prouver le contraire. Tu sais qui est la fillette que tu traques ?


"Non."


Elle se nomme Violet. Une jolie petite brune au regard pétillant. Elle gardera un traumatisme de ce que tu as fait toute sa vie. Et tu ne sais pas la meilleure ? Elle se nomme Violet Afton. C'est ta petite-petite fille.


Le lapin se redressa.


"Tu mens."


Pourquoi mentirais-je ?


"Pourquoi me le dirais-tu ?"


Parce que tout va dépendre d'elle à l'avenir. Puisque les prisons mentales sont insuffisantes pour te retenir, j'ai décidé de te mettre à l'épreuve. Si tu veux être libre, si tu veux qu'on te laisse partir, alors tu dois te faire pardonner. Je ne parle pas de mots, ni de manipulation. Je veux qu'elle t'aime pour ce que tu es, en connaissant la vérité. Tout ne tient qu'à toi.


"Je dois juste faire en sorte qu'elle m'aime ?"


Oh, crois-moi, ce ne sera pas aussi simple que ce que tu crois. Je dois y aller, mais tu sais ce que tu as à faire. Comme je suis joueur, je ne dirais rien de notre réunion aux autres. Je ne les empêcherais pas de te chercher, mais je ne dirais rien. C'est notre projet, à toi et moi. Je saurais convaincre la Marionnette si tu réussis.


L'ours disparut aussi vite qu'il était arrivé. Ébranlé, Springtrap resta immobile quelques instants. Méritait-il seulement le pardon ?


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