TOME 1 - Un bout de chemin ensemble

Chapitre 3

9106 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 07/08/2020 22:05

Chapitre 3

Emerys n’avait aucune idée de l’endroit où elle se trouvait. Les paysages se ressemblaient pour la plupart, la température restait plus ou moins la même et le chemin était plat. Rocailleux, certes, mais relativement plat.

Et une fois encore, elle se retrouvait attachée par les poignets derrière le cheval. Mais cette fois-ci, au lieu que la corde soit longue comme la journée précédente, elle en faisait la moitié de sa taille ce qui l’obligeait à se collée à l’arrière train de l’animal. Certainement que le Limier ne lui faisait en aucune façon confiance malgré son évidente position d’infériorité. A quel moment s’imaginait-il qu’elle allait pouvoir réussir à lui voler son poignard si la corde était plus longue ? N’avait-il pas d’assez bons réflexes ? Dans tous les cas, elle n’aurait même pas tenté le coup pour la simple et bonne raison qu’elle ne voulait pas perdre ses deux mains en représailles, ou quoi que ce soit d’autre.

Le cheval ne marchait pas très vite, ce qui permettait à Emerys de garder le rythme malgré ses côtes en effervescence. Sa peau abîmée frottait contre le tissu de sa robe en lambeaux, créant ainsi d’horribles brûlures à cause des croûtes du sang séché de son entaille profonde. Ayant perdu l’équilibre juste après avoir enjambée une branche, elle vacilla quelques instants sur ses pieds puis grimaça lorsque le mouvement lui donna une vive douleur dans son côté droit. Elle était exténuée, perdue … Tout ce qui lui restait étaient les souvenirs ignobles de ces soldats attaquant son village, pillant les habitants, violant les femmes, brûlant les maisons, la touchant …

Emerys ferma les yeux tandis qu’elle prit une profonde inspiration qu’elle retint quelques secondes avant de soupirer discrètement, laissant sortir sa douleur morale par une petite larme qui roula sur sa joue. Son cœur saignait, ses poumons criaient pour de l’air. Sa tête tournait de plus en plus alors qu’elle levait ses yeux sombres brillants de fièvre vers le ciel bleu lumineux. Les rayons chauds du soleil réchauffaient ses joues pâles ainsi que la peau de son cou, se reflétaient sur les sillons de sueur à son front. Les larmes ne devaient pas tomber, pas maintenant ni jamais. S’apitoyer sur son sort ne l’aidera pas à s’en sortir de cette situation compliquée et encore moins à combattre ses démons antérieurs.

La jeune femme en difficulté concentra toute son attention sur les deux personnages assis sur la selle du cheval déambulant devant elle. Ils ne se parlaient quasiment jamais ni même ne s’offraient des regards. La fillette Stark ne bougeait d’ailleurs presque pas, mais comment le pourrait-elle avec les deux bras du Limier l’encerclant ? Sûrement qu’elle savait que cela énervait l’homme si elle ouvrait la bouche ou si elle remuait sur son siège inconfortable à califourchon entre la selle et l’encolure, ce qui expliquerait sa rigidité.

Puis une question lui vint soudainement à l’esprit pendant qu’elle suivait sans un mot les traces que laissait le cheval dans la poussière. Comment une enfant de la grande famille des Stark, aussi Noble soit-elle, avait-elle atterrit ici avec un homme tel que le Limier ? Quelles étaient les probabilités de cette rencontre fortuite ? C’était un bien étrange duo de route … Il fallait le reconnaître. Mais c’était d’autant plus déroutant de voir un homme adulte avec une petite fille se promener comme cela au beau milieu de la nature, loin des grandes routes. Emerys sourit avec aigreur à cette pensée. Ce n’était pas censé être son problème après tout, car son seul souci actuel était de trouver un endroit décent pour pouvoir se soigner de ses blessures.

Et éventuellement éviter de se faire tuer.

Le cheval portant le nom de Stranger s’arrêta pour permettre au Chien de descendre de la selle en emportant Arya dans sa foulée. Il déposa la louve sur le sol, lui parla d’une voix basse afin que seule elle l’entende puis se dirigea vers l’arbre le plus proche pour se soulager du long trajet ennuyant. Arya se permit alors un petit coup d’œil à Emerys ainsi qu’à la tâche de sang à sa taille qui grandissait a vu d’œil, imbibant sa robe déchirée de cette couleur écarlate. La jeune femme n’avait pas l’air bien du tout. Son teint était anormalement pâle derrière les traces de saleté, ses lèvres étaient gercées par la déshydratation, des cernes se formaient sous ses yeux et son corps se tassait sous le poids de l’épuisement.

Sans un mot ni une expression notable sur son jeune visage, l’enfant se dirigea vers la rivière pour chercher un peu d’eau fraîche et pour pouvoir se laver les cheveux de toute cette crasse. Mais avant cela, elle remplit sa gourde qu’elle offrit ensuite à Emerys pour qu’elle puisse se désaltérée, ne pouvant rester de marbre devant cette maltraitance. Après des remerciements pour sa générosité, Arya revint aux bords de la rivière pour débuter son petit nettoyage.

De son côté, Sandor finit son affaire avant de revenir vers son cheval qui s’abreuvait pour entreprendre des fouilles dans l’une de ses sacoches à la recherche de quelques denrées rares comestibles. Ils en manqueront bientôt, cela allait devenir un sérieux problème d’ici quelques temps. Ils s’étaient arrêté dans une petite forêt de pin loin de la route principale où coulait une longue rivière, sur une immense plage de cailloux. La chasse pourrait être bonne dans les parages. Toutefois le mercenaire concentré dans sa tâche n’entendit pas l’approche de la femme jusqu’à ce qu’elle ne s’exprime derrière lui.

«Messire, je vous dois une dette.» Commença prudemment Emerys tout en observant la réaction du Limier lui tournant le dos. Elle vit que ses épaules se tendirent au son de sa voix mais il poursuivit ses recherches, préférant l’ignorer. Donc elle reprit la parole avec un peu moins de timidité cette fois-ci.

«Vous m’avez secourue alors que vous n’étiez pas obligé de le faire. Je ne sais pas ce que cet homme m’aurait fait si … Peu importe. Je vous en remercie, grandement, pour votre charité. Dites-moi ce que vous voulez et je vous -» Elle n’eut cependant pas le temps de finir car le Chien se retourna brusquement vers elle pour lui attraper la gorge avec sa main.

«Arrêtes de t’excuser ! Je ne veux pas entendre tes remerciements à la mord moi le nœud ! Je suis un tueur, un tueur né. Je ne sauve pas les demoiselles en détresse et je n’ai aucune pitié, pour personne ! Alors garde ta salive pour d’autres conneries à débiter. Ton sort m’importe peu.» Protesta-t-il d’une voix rauque en rapprochant son visage proche du sien afin de l’intimider.

Il donna une dernière pression autour de sa gorge puis la relâcha subitement avant de se détourner d’elle pour revenir à son cheval d’un reniflement dédaigneux. Emerys était sûre et certaine d’avoir vue une lueur de culpabilité dans son regard de chien enragé après l’avoir touché ainsi. Elle se mit alors à jouer avec le nœud autour de ses poignets, les yeux baissés au sol et une sensation de picotements désagréable autour de son cou endolori. Elle aura très probablement des marques de doigts qui se formeront plus tard sur sa peau fine. Néanmoins déterminée à mettre son plan en exécution, elle finit par se racler la gorge pour attirer l’attention de Sandor.

«Dites-moi ce que vous voulez de moi, et vous l’obtiendrez. En échange vous m’emmener aux Jumeaux avec la Stark.» Emerys plissa les yeux, le cœur battant d’anticipation dans ses oreilles.

«Tu veux marchander ?» Répliqua l’homme dos à elle.

«Vous l’avez dit vous-même, mon sort vous importe peu. Je n’ai absolument nulle part où aller et je ne veux pas finir entre les mains d’un sale type. Je me contenterais de vous suivre. Je suis sûre que nous pouvons trouver un arrangement.» Répondit-elle en avalant nerveusement tandis que le timbre de sa voix sonnait étranglée.

Ce n’était certainement pas par envie qu’elle le proposait, mais elle ne voulait pas se retrouver seule dans une auberge où rôdaient les prédateurs, là où elle ne pourrait jamais en ressortir. Donc si peut-être elle lui donnait quelque chose d’intéressant en échange, il la laisserait venir avec eux jusqu’aux Jumeaux où elle pourrait éventuellement trouver du travail ? Au lieu de la vendre au premier venu ? Il n’y avait pas pire idée, hors toutes les chances étaient bonnes à prendre et certaines demandaient un sacrifice énorme. Surtout dans le désespoir. Malgré l’angoisse, elle réussit à contenir ses tremblements quand elle leva les yeux vers l’homme qui venait de se retourner, l’air plus attentif désormais.

Ce fût à cet instant-là qu’elle s’intéressa plus particulièrement au côté brûlé de son visage. En essayant d’être la plus discrète possible durant son observation, Emerys lorgna la peau fondue par les flammes. Elle se demandait dans quelles circonstances dramatiques les cicatrices avaient atterrit là. Elles s’étendaient de sa joue jusqu’à la base de son crâne, en passant par son sourcil qui avait complètement disparu sous la forte chaleur. Etaient-elles très anciennes ? Récentes ? Encore douloureuses aujourd’hui ? Son caractère de vieux chien aigri venait sans doute de ces horribles cicatrices qui parsemaient le côté droit de son visage boursoufflé. Il n’était pas repoussant, mais pas beau non plus.

Sandor posa ses mains à sa ceinture tandis qu’il épiait la jeune femme nerveuse d’une touche de malice, même si son expression montrait avant tout de l’agacement. Cependant, sa proposition alléchante n’était pas à écarter. Cela faisait si longtemps qu’il n’avait plus été en compagnie d’une femme qu’il ne se souvenait même plus à quand remontait la dernière fois. De plus qu’elle était belle et attirante, de quoi faire rêver … L’étudiant durant de longues secondes, il roula sa langue dans sa bouche alors qu’il se mit à fixer les yeux noirs craintifs d’Emerys pour finalement hocher la tête en accord.

«Il y aurait un moyen.» Sandor la regarda de haut en bas en s’arrêtant un instant sur ses cuisses avant de revenir à ses yeux et de lui hausser les sourcils.

Le cœur de la femme sauta violemment dans sa gorge aux mots qu’elle redoutait tant entendre. Une vague d’effroi la submergea, à tel point qu’elle pensait qu’elle allait s’étouffer, perdre pied et chavirer. Elle se sentait fourvoyée. Oui elle s’y attendait, mais de l’entendre de vive voix était comme un seau d’eau glacée déversé sur sa tête. Contrôlant sa respiration pour ne pas alarmer le mercenaire de son état émotionnel, Emerys déglutit difficilement pendant qu’elle se remémorait pourquoi elle faisait ça. Elle ne voulait surtout pas atterrir dans une auberge où le passage des soldats était fréquent. Un univers où les femmes n’étaient pas bien traitées, constamment rabaissées à des objets sans valeur. Un lieu où il était difficile d’en ressortir indemne …

Elle n’y survivrait pas.

Après maintes et maintes hésitations, elle se convaincue que c’était la meilleure des solutions qui se présentait à elle pour éviter le pire plus tard. Ses yeux virèrent automatiquement à l’endroit où Arya s’était agenouillée près de la rivière pour se laver le visage. L’enfant n’était vraiment pas loin … En conflit avec elle-même, elle releva ses yeux sombres vers ceux bruns de Clegane qui la toisait toujours avec ce même regard intense indéchiffrable.

Lentement, elle leva ses deux mains liées puis commença à défaire les derniers lacets du devant de sa robe avec des doigts tremblants, la peur et l’appréhension lui griffant simultanément le ventre. Il était assez difficile de travailler sur ses lacets quand ses poignets étaient aussi douloureux et si étroitement liés, sans parler de ses doigts devenus hors de contrôle sous la nervosité grandissante. Son travail était néanmoins faciliter, étant donné que sa robe était déchirée à plusieurs endroits et qu’elle tenait à peine par un morceau de tissu … S’assurant qu’Arya ne regardait pas, Emerys baissa les yeux au sol d’humiliation alors qu’elle se libérait de son vêtement.

Et pendant tout ce temps, le Limier gardait son regard rivé sur le visage de la jeune femme devant lui, cherchant le moindre indice facial qui indiquerait son véritable ressenti sur ce choix des plus inattendus. Il voyait à quel point elle se retenait de frémir comme une feuille mais pourtant, elle poursuivait sans même poser de question ni même broncher. Elle était courageuse, c’était un fait. Et il avait rarement vu autant de courage chez une femme sur le point de s’offrir à lui. Malgré qu’elle ne soit pas du tout consentante sur cet arrangement, elle prenait sur elle et finit par retirer les lacets de son corsage.

Enfin, après ce qui semblait être des heures de travail, la robe en piteux état glissa hors de ses épaules pâles puis loin de sa taille pour finir sur le sol composé exclusivement de galets. La laissant complètement nue, à la vue de tous. Durant tout le processus elle garda la tête basse, la bouche fermée pour ne pas émettre de bruit tandis que son cœur tambourinait la chamade dans sa poitrine. Elle sentait le regard insistant du Chien sur elle, toutefois elle ne leva pas les yeux vers lui par peur d’y voir de la luxure.

Sandor Clegane ne bougea pas pour autant, il resta planté là à regarder le visage fermé de la femme en soumission devant lui. Dans un geste désespéré pour garder le peu de dignité qui lui restait, Emerys leva ses poignets ligotés pour couvrir sa poitrine exposée, évitant tout contact visuel avec l’homme bien plus imposant demeurant immobile et silencieux. Elle avait peur de ce qu’il allait lui faire, de ce qu’un mercenaire avec cette mauvaise réputation était capable de faire pour satisfaire ses désirs les plus sombres.

En dépit du malaise, le Limier parcourut du regard le corps pâle et meurtrit d’Emerys en s’arrêtant brièvement sur les côtes noirâtres où une immense coupure s’infectait petit à petit. Une blessure qui ressemblait à une entaille d’épée ou de lance … D’autres hématomes en cours de guérison se rependaient sur son corps féminin notamment autour de ses cuisses, ses jambes et son estomac, de quoi confirmer ce qu’il s’était imaginé la première fois qu’il l’avait vu à ce village. Les soldats Lannister comme tous les autres soldats étaient des ordures de violeurs sans une infime compassion pour les femmes qui subissaient leurs caprices.

Mais en faisant abstraction de toutes ces vilaines blessures, il pouvait parfaitement déceler la beauté ensorcelante de cette femme. L’on pouvait dire que sa beauté était à la hauteur de ses fantasmes. Eprit par elle et par l’instant présent, il leva sa main droite pour toucher du dos de ses doigts la joue d’Emerys, mais cette dernière bloqua involontairement son souffle à son approche. Sandor remarqua alors qu’elle pinçait les lèvres pour se retenir de dire quelque chose ou peut-être pour se retenir de pleurer. Dans les deux cas, elle refusait de le regarder dans les yeux, préférant s’intéresser à la rivière au loin plutôt qu’à ce qu’il faisait. Il pouvait presque entendre les battements frénétiques de son cœur et sentir son stress.

Troublé, le Chien la balaya une dernière fois du regard avant de retirer sa main loin de son joli visage, hors il croisa sans le vouloir les yeux de la femme en mauvaise posture. Ce fût là qu’il y vit du dégoût et de la peur se refléter en eux. Quelque chose qu’il avait pour habitude de voir dans le regard des gens qu’il croisait sur son chemin, mais c’était toujours plus difficile à accepter dans celui d’une femme qui suscitait son intérêt. Même les prostituées ne pouvaient s’empêcher de le regarder ainsi alors qu’elles étaient pourtant payées pour leurs services.

Comme une punition, qui se répétait sans cesse.

«Je préfère l’argent.» Siffla Sandor entre ses dents après s’être penché vers le visage anxieux d’Emerys.

La tentation avait été très forte, oui, terriblement forte. Cependant la réalité le ramena tout aussi vite sur terre donc il se détourna rapidement d’elle pour ne pas avoir à faire à un autre de ces regards rabaissant qu’il haïssait avec passion. D’un ricanement abject, il marmonna quelque chose dans sa barbe tout en reprenant ses recherches dans les sacoches de son cheval, laissant la jeune femme abasourdie revenir à ses esprits après ce moment pathétique.

Les sourcils sombres d’Emerys se nouèrent lentement, très surprise qu’il ne lui ait rien fait. C’était vraiment très étonnant venant de la part d’un homme … Mais elle ne se posa pas plus de questions. Sans attendre, elle récupéra sa robe à ses pieds pour la remettre sur son corps et couvrir sa pudeur, renouant ses lacets en quatrième vitesse. Malheureusement ses doigts refusaient d’arrêter de trembler, ce qui rendait la tâche d’autant plus difficile qu’elle ne l’était déjà. Ses pensées étaient floues. La réaction du Limier était complètement déconcertante et elle ne savait pas si elle devait se sentir reconnaissante ou au contraire, terrifiée par son refus qui pourrait lui porter préjudice.

A ce moment-là, Arya décida de réapparaître après sa rapide baignade dans la rivière. La fille frottait ses deux mains humides contre son pantalon pour les sécher tandis qu’elle marchait hâtivement sur la plage de cailloux, l’air perdue dans ses réflexions. Toutefois lorsqu’elle leva ses yeux gris vers Emerys, son expression devint perplexe par l’apparence désastreuse de cette dernière. Elle l’observa  confusément refaire ses lacets puis jeta ensuite son regard accusateur sur le Chien dos à elle, la mâchoire serrée de colère.

«Qu’est-ce que vous lui avez fait …» Ce n’était pas vraiment une question mais plutôt un reproche. Sandor tourna la tête vers la fille Stark et sans un mot, il l’attrapa sous les aisselles et l’assit sur le cheval.

«Répondez-moi.» Somma Arya en le regardant droit dans les yeux après avoir attrapée une touffe de la crinière pour ne pas perdre l’équilibre.

L’homme ne lui répondit toujours pas alors qu’il s’approchait cette fois-ci de la prisonnière pour la rattacher correctement à la selle de son cheval quand il remarqua que le nœud avait été fragilisé. Sauf que cette dernière n’était pas prête à se laisser faire par le Chien, et encore moins à coopérer. Prenant deux pas en arrière quand le Limier vint près d’elle, Emerys ne réfléchit pas à deux fois à ce qu’elle s’apprêtait à faire pour échapper à ce qui l’attendait. L’instinct de survie étant bien plus fort que la raison, elle tourna aussitôt les talons puis courut le plus vite possible vers la forêt dans l’espoir de trouver rapidement une cachette avant que l’homme ne mette la main sur elle.

Ralentie à cause de ses poignets liés mais aussi à cause de ses blessures douloureuses, ses espérances de retrouver la liberté furent de courte durée car même pas quelques pas plus loin, le Limier plus grand et plus rapide l’empoigna. D’un grognement d’effort, il la jeta négligemment par-dessus son épaule. Elle savait à quel point c’était une terrible erreur, cependant c’était la seule chose qui lui était venu à l’esprit pour échapper à son destin en tant qu’objet de transaction.

«Lâchez-moi immédiatement ! Vous n’avez pas le droit ! Reposez-moi tout de suite à terre, vous n’êtes qu’un brigand ! Un salopard de lâche ! Je refuse de suivre quelqu’un comme vous ! Lâchez-moi espèce de grosse brute sans cervelle !» S’égosilla-t-elle tout en frappant furieusement ses poings dans le dos du mercenaire insensible à ses cris.

Sandor resserra son emprise sur les jambes d’Emerys tandis qu’il approchait de son cheval où attendait une Arya stupéfiée par l’effronterie de la femme. Elle ne pesait presque rien sur son épaule … Néanmoins il émit quand même un grognement lorsqu’il reçut une claque à la tête, fulminant intérieurement bien qu’il trouve ses insultes plutôt divertissantes à entendre. D’un gloussement amusé aux piètres tentatives de lui faire mal, le Limier utilisa sa main libre pour attacher la femme hystérique à la place qui lui était destinée. C’est à dire à l’arrière de Stranger le restant du voyage dans les bois.

«C’est ma prisonnière, je vous défend de la toucher ou de lui faire du mal !» Arya éleva la voix sur Sandor en le suivant méchamment du regard pendant qu’il grimpait sur la selle derrière elle. Elle n’avait pas peur des représailles, mais elle se raidit quand elle remarqua du sang provenant de la blessure d’Emerys sur l’épaule blindée de l’homme.

«Tu veux peut-être marcher derrière avec elle ?» Provoqua le Chien en levant son pouce en direction de la femme à l’arrière qui tirait sur la corde tout en hurlant des atrocités à son égard.

Arya déglutit puis finit par détourner les yeux pour revenir au chemin, surprise d’entendre les nombreuses insultes de cette femme qui avait été si calme jusqu’à maintenant.

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La nuit commençait doucement à tomber sur la région, la fraîcheur du soir glissant sur les joues de la louve somnolente.

Ils avaient déjà fait un bon bout de chemin tout le long de la journée et son ventre commençait à grogner de plus en plus fort au manque de nourriture. Il n’y avait rien de plus désagréable que cette sensation de faim inconsolable. Elle mangerait bien un morceau avant de faire un grand somme dans un matelas confortable aux oreillers remplis de duveteuses plumes d’oie ... Quelque chose qu’elle n’avait plus eu droit depuis un bon nombre de semaines déjà.

Sur le chemin menant à l’auberge la plus proche, aux confins des montagnes, ils croisèrent un vieillard qui tirait une charrette débordante de foin. Cet homme-là n’osa guère échanger un regard avec le Chevalier défiguré intimidant sur son cheval ni la fillette assise devant lui. En revanche, c’était une toute autre histoire pour la jeune femme malmenée à l’arrière qui suivait machinalement le rythme de l’animal au pas. Leurs regards se croisèrent brièvement. Le vieil homme s’arrêta auprès de son âne pendant qu’il contemplait cette inconnue d’une touche de curiosité mélangée à de la pitié avant de reprendre son chemin comme si de rien était.

Emerys détourna rapidement les yeux pour s’intéresser à ses poignets violacés, perturbée par la façon qu’avait cet homme de la lorgner. Elle commençait véritablement à souffrir le martyr avec ses liens, la peau sous la corde prenant une couleur jaunâtre inquiétante qui s’accentuait à chaque frottement supplémentaire. Se mordant la lèvre inférieure pour étouffer un gémissement de douleur, elle ravala son envie de se plaindre en relevant dignement la tête lorsqu’elle remarqua des torches allumées au loin.

Elle eut alors la sensation d’une pierre qui tombait dans son estomac.

L’auberge, son prochain lieu de vie si les Dieux en décidaient ainsi. Un destin tragique pour elle … Pour ne pas sombrer dans le désespoir le plus total, Emerys se mit soudainement à repenser aux soldats Lannister qu’ils avaient hélas rencontrés le jour précédent. De quoi parlaient-ils ? Que recherchait activement la Reine de Port-Réal dans tout Westeros ? Puis elle jeta un bref coup d’œil vers la forme du Chien ou plutôt, ex Chien garde du corps de Joffrey Barathéon. Une seule question, pourquoi avait-il décidé de déserter après plusieurs années de loyaux services ? Tout semblait lié maintenant qu’elle y pensait.

Elle pinça les lèvres entre elles au moment où son ventre cria famine, un rappel cruel qu’elle n’avait pas mangé correctement depuis presque deux jours consécutifs. Ce n’était pas si grave en effet, mais la soif en revanche était un tout autre problème qui ne pouvait pas être prit à la légère. Sa bouche était si sèche … Ses lèvres craquelées par le manque d’eau. Un frisson lui parcourut l’échine lorsque le vent frais se leva puis qu’il souffla sur sa peau chaude exposée et humide de sueur, les restes de sa robe ne lui suffisant malheureusement pas pour faire barrage au froid mordant de la nuit.

Il ne fallut marcher qu’un temps de plus pour que finalement l’auberge tant convoitée par le mercenaire soit bien en vue. Un petit brin d’espoir envahit Emerys en voyant qu’il n’y avait pas trop de monde à l’intérieur, que seuls deux chevaux attendaient aux râteliers. Le Limier plaça Stranger aux côtés des deux autres puis descendit en prenant Arya avec lui au cas où elle essayerait de prendre la fuite maintenant qu’ils étaient en public. Il détacha ensuite Emerys tout en gardant une prise ferme sur son épée à sa hanche, la menaçant silencieusement de ne rien tenter de stupide.

D’un regard scrutateur significatif, il la poussa brusquement vers l’entrée de l’auberge tout en rouspétant qu’elle devait se dépêcher. Dès lors qu’ils passèrent la porte de ce lieu atypique, un homme assez âgé sans aucun doute le propriétaire de la maison les accueilli d’un large sourire chaleureux. Mais son sourire se dissipa quelque peu lorsqu’il posa les yeux sur la face brûlée reconnaissable entre mille de Sandor Clegane, connaissant que trop bien le mercenaire redoutable des Lannister.

«Bien le bonsoir, chers amis. Je vous en prie, prenez place ! Nous proposons de la nourriture chaude et des chambres confortables pour ce soir, si vous le souhaitez.» S’exclama vivement le vieillard en faisant une courte référence tout en tendant un bras vers les tables encore disponibles de son auberge. Ce n’était bien-sûr que par pure politesse, car il ne voulait pas d’un homme comme lui dans les parages.

Sandor acquiesça lentement néanmoins il vit l’étincelle de nervosité dans le regard de l’aubergiste un peu trop souriant à son goût. Il n’était pas dupe. Partout où il mettait les pieds, les gens avaient peur de ce qu’il pourrait faire par contrariété ou des dégâts qu’il risquait de causer rien que par sa présence déplaisante. C’était un constat assez amusant en effet. Tout en gardant sa main droite sur l’épaule d’Arya, il se dirigea vers une table de libre au fond qui n’était pas trop loin de la cheminée mais pas trop proche non plus, mettant de la distance avec les quatre hommes ivres de l’autre côté de la pièce. Ils ne s’attendaient vraiment pas à trouver autant de monde ici.

Arya s’installa calmement sur le banc en bois clair, toutefois avec hésitation, à gauche du Chien. Elle observa consciencieusement ce dernier puis tourna ensuite la tête vers les hommes riant aux éclats qui ne les avaient toujours pas remarqués. Heureusement d’ailleurs parce qu’ils n’avaient pas l’air commodes du tout. Elle déglutit face à ces hommes qui pourraient potentiellement être dangereux pour sa couverture ou pour celle du Limier, tous deux recherchés par les Sept Royaumes. Emerys, quant à elle, ne s’avança pas mais préféra se mettre contre le mur à l’ombre des lumières du foyer pour examiner craintivement chaque homme susceptible de lui causer du tort.

«Vous sentez-vous bien, Madame ?» Demanda gentiment le vieillard qui regarda sa robe maculée de sang. Les mains nouées devant lui, il leva les sourcils quand la jeune femme baissa les yeux sur elle-même avant de poser une main sur ses côtes droites.

«Je suis blessée. Ce n’est pas très beau à voir, j’ai besoin de soins rapidement. Savez-vous où je pourrais trouver un guérisseur dans le coin ?» S’enquit-elle d’un sourire maladroit. Ce dernier la regarda longuement pendant quelques instants tandis qu’il songeait à sa requête, se grattant le haut du crâne chauve.

«Eh bien, il y en a un, mais il est à deux jours de marches d’ici … Au petit village de Siou. Il se trouve entre les collines, à la lisière des Eyrié. C’est un beau petit village spécialisé dans la guérison.» Répondit-il d’un hochement de tête méditatif.

«Deux jours de marche ?» Emerys avala difficilement. C’était trop loin, elle ne pourra jamais s’y rendre à pieds dans cet état-là. Elle hocha poliment la tête à l’homme qui lui avait donné de précieuses informations puis alla s’adosser contre l’une des poutres en bois. Les yeux au sol, elle se sentait complètement abattue.

«Et pour vous, Messire et Demoiselle ?» S’empressa de demander l’aubergiste aux deux nouveaux clients à table. Les mains posées sur son tablier, il offrit un sourire forcé à Sandor et Arya.

«Une bière, de l’eau et deux poulardes.» Lui répondit le Chien sans sourciller une seule fois, histoire de bien le mettre mal à l’aise. Ce qui eut l’effet escompté car l’homme âgé repartit immédiatement dans ses cuisines pour chercher sa commande, ne voulant pas tester la patience de sa clientèle dangereuse.

Arya de son côté continua de dévisager les hommes se saoulant à la table voisine, celle qui se trouvait la plus proche du feu de la grande cheminée en pierres noires. Les flammes rougeoyantes dansaient sur le vieux plancher fissuré. Des ombres et des formes prenaient vie aux rythmes des paroles insensées des ivrognes parlant de femmes, de bagarres et d’autres obscénités qu’elle aurait préféré ne jamais entendre. D’une petite grimace répugnée, elle passa à Emerys qui restait contre la poutre proche de l’entrée, les bras serrés autour de sa taille et l’une de ses mains contre ses côtes.

«Voilà pour vous !» L’aubergiste revint avec la boisson et la nourriture sur un grand plateau qu’il déposa face aux deux voyageurs. Sandor ne prit pas la peine de dire quoi que ce soit, il était déjà en train de consommer goulûment sa bière qu’il avait tant désirée depuis deux jours.

La louve à ses côtés ne toucha pas à sa nourriture qui avait pourtant l’air très appétissante. Elle était bien trop occupée à jeter des regards noirs à un homme saoul qui venait de se lever de la table voisine avec une cruche de vin à la main. Titubant tout le chemin jusqu’à la femme aux cheveux d’argent en retrait, il se positionna à côté d’elle pour lui susurrer des mots à l’oreille, un sourire crapuleux à ses lèvres. Elle n’avait aucun mal à s’imaginer toutes les choses rebutantes qu’il devait être en train de lui dire … Mais étonnamment, l’expression plate d’Emerys ne changea pas ni son regard évasif impénétrable.

«Mange.» Exigea le Limier à sa gauche.

Arya l’ignora, ne pouvant décoller son regard ténébreux de l’homme qui baladait maintenant ses mains sur le corps d’Emerys sans aucune autorisation. La femme en question semblait mal à l’aise hors elle ne disait absolument rien, naturellement pétrifiée par la peur. Que pouvait-elle faire ou dire de toute façon ? Elle était vouée à elle-même. Les femmes étaient destinées à subir ce genre d’attouchement sans jamais se rebeller au risque d’en payer le prix fort. Mais Arya fera l’exception à la règle une fois qu’elle aura récupérer son épée.

«Ne m’oblige pas à te forcer à manger !» Avertit Sandor en détournant les yeux de sa propre assiette. Il remarqua le regard intense en émotions que donnait Arya à Emerys ainsi que sa respiration fébrile mais avant qu’il ne puisse faire un commentaire, elle finit par détourner les yeux et prendre une petite bouchée de sa nourriture.

«Que vient faire le Chien des Lannister dans un endroit pareil ? C’est qui elle ?» Un inconnu basané vêtu d’une tunique violette s’assit face au Limier, un verre de vin à la main. L’homme aux cheveux courts bruns tournoya lentement son breuvage entre ses doigts puis donna un signe de tête à la jeune fille qui le fusillait du regard sous ses mèches de cheveux sombres.

«Comme tout le monde, boire et manger. Et les Lannister, je les emmerde !» Répondit le Chien agacé en avalant une gorgée de sa bière, ne prêtant pas attention à la deuxième partie de sa question.

«La chance te sourit, je ne fais pas de politique.» L’homme en face de lui sourit grandement.

Il n’avait aucun problème avec l’ancien Chien du Roi et n’allait certainement pas en chercher dans un lieu de détente comme celui-ci. Toutefois, il avait remarqué son entrée tout à l’heure avec la belle jeune femme à la chevelure particulière ainsi qu’avec cette fillette qui avait manifestement un caractère bien trempé. Un mercenaire comme lui accompagné par deux femmes, ça ne courrait pas les rues, il y avait de quoi se poser une multitude de questions. Il joua avec sa mâchoire alors qu’il prenait ses aises sur le banc et tout en passant ses doigts dans ses cheveux gras, il reprit la parole.

«Je dirige un bordel très réputé dans les villes libres d’Essos. A Volantis. Je voyage de temps en temps, à la recherche d’exotisme. Le monde regorge de délicatesse.» Poursuivit-il d’un rire doux, haussant les sourcils lorsqu’il eut toute l’attention du Limier. Il prit une gorgée de son vin puis se pencha pour regarder par-dessus son épaule à Emerys ; «je sais reconnaître une femme avec beaucoup de potentiel. Elle a du charme. C’est une beauté très rare, une représentation divine ... Ses courbes sont séduisantes et harmonieuses à la fois, de quoi faire plaisir à un bon nombre de mes clients aux goûts exigeants. J’aime la douceur que dégage cette créature. Quoique, sa poitrine manque un peu de volume et les hommes aiment avoir de quoi s’amuser, sinon quel intérêt ?»

«Combien tu proposes ?» Sandor croisa les bras sur sa large poitrine, voulant aller droit au but car il était là pour faire du profit avant tout. La lèvre du marchant se retroussa dans un sourire malsain.

«Quoi ?! Non, vous ne pouvez pas faire ça !» S’indigna aussitôt Arya, les yeux écarquillés. La bouche ouverte sous le choc, elle s’obstina à regarder le Limier flegmatique qui continuait ses négociations avec cet homme.

«Quatre-vingt dragons d’Or pour la femme et trente pour la gamine. Je monte à cinquante si elle est encore vierge.» Offrit ce dernier sans aucune hésitation en plaçant ses deux mains à plat sur la surface lisse de la table.

«La petite n’est pas à vendre, et j’en veux cent pour elle !» Grogna le Chien en pointant son index vers Emerys sous l’emprise de l’ivrogne de tout à l’heure.

«Elle n’en vaux pas plus de quatre-vingt. Comme je te l’ai dit, elle n’est pas parfaite, sa poitrine manque un peu de taille. Les hommes aiment avoir beaucoup de matière en main, mon ami. Et en plus, elle est en mauvaise état, ce qui ne m’étonne pas quand je te vois. Tu ne trouveras pas de meilleure offre pour une femme comme elle.» L’homme aux yeux noisette et au sourire malhonnête se pencha sur la table pour hausser un sourcil à Sandor en pleine réflexion sur sa proposition. Au manque de réaction, il posa une bourse de pièces devant lui.

«Elle n’est pas à vendre pour un bordel-» S’énerva Arya, mais le Limier la devança en récupérant la bourse.

«Ne m’appelle pas mon ami ! Elle est à toi, prends-là. Nous, on se tire de cet endroit rempli de vermines.» Sandor finit sa bière d’une traite puis se leva du banc en récupérant son épée et la louve abasourdie par son choix. Furieuse, elle essaya de sortir de son emprise mais la main du Chien se resserra automatiquement autour de son biceps.

«Un plaisir de faire affaire avec le Limier ! Si tu changes d’avis pour la gamine, tu sais où me trouver.» S’enchanta l’homme en levant sa coupe vers le mercenaire balafré pour trinquer en son honneur. Il jeta quatre cerfs d’argent sur la table pour payer le repas et la boisson de celui-ci.

Arya commença à discuter à l’encontre de cette décision hâtive jusqu’à ce que Sandor ne lui donne une rude secousse pour qu’elle se taise. La fillette lui griffait méchamment le bras pour se défaire de lui, se tortillant dans sa poigne de fer tout en lui jetant des regards ahuris et haineux. Pourtant il ne céda pas face à ses caprices de gamine. Il l’entraîna rapidement avec lui vers la sortie de l’auberge sans un dernier regard en arrière. C’était ce qui avait été convenu avec elle lorsqu’ils avaient rencontré cette inconnue, donc elle finira par s’y faire et accepter que dans la vie il fallait faire des sacrifices.

Il monta avec elle sur Stranger puis reprit la route qui menait aux Jumeaux.

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Arya bouillonnait intérieurement de rage. Elle se retenait de toutes ses forces de ne pas griffer jusqu’au sang le visage de son ravisseur sans aucune once de compassion en lui. Il avait cruellement vendu Emerys … A cet homme vicieux qui ne recherchait que de la marchandise, de la viande fraîche pour ses clients jamais rassasiés en quête de nouveauté ! Elle n’était pas stupide, elle savait pertinemment ce qui allait advenir de cette pauvre femme.

«Vous n’êtes qu’un lâche. Pourquoi vous avez fait ça ?» Marmonna Arya en serrant une poignée de crin du cheval dans son poing, les lèvres pincées. Elle ne quittait pas du regard le chemin sombre s’étendant devant eux par crainte de faire un geste irréparable.

«Traite-moi de tout ce que tu veux, petite, mais nous avions un marché. Je l’emmène à l’auberge la plus proche et je l’échange contre de l’argent. Argent qui pourra nous offrir un lit et de la bonne nourriture, avec un peu de chance. Alors vient pas te plaindre.» Révoqua Sandor d’un froncement de sourcils à l’énervement inexplicable de la louve qui pourtant était à l’origine de cette idée.

«Vous l’avez vendue à un bordel où elle sera traitée comme du bétail ! Vous savez aussi bien que moi qu’elle n’a aucune chance de s’en sortir, mais vous l’avez quand même condamnée. Je ne vous aimais pas avant, mais maintenant je vous déteste ! Ma sœur a fait le bon choix en refusant votre soi-disant aide. Dommage que je n’ai pas aussi la chance de choisir ! Vous êtes un monstre qui mérite de brûler en enfer.» Accusa violemment Arya, ce qui prit au dépourvut le Limier derrière elle.

«Je t’ai pas demandé de m’aimer ! Bordel, j’en ai rien à cirer de tes reproches et de ce que tu crois ou non ! Tu penses qu’en faisant ta petite crise enfantine, ça va changer quelque chose ? Je t’en foutrai moi … Nous sommes tous des ordures et ce n’est pas demain la veille que ça changera. Tu ferais mieux de t’y habituer.» Se défendit l’homme d’une secousse ironique de sa tête, incrédule devant tant d'impudence.

«Vous êtes le pire d’entre eux.» Critiqua Arya en enfonçant ses ongles dans l’avant-bras du Limier.

«Ce n’est pas moi qui ait coupé la tête de ton père, ni celui qui en a donné l’ordre. Tu auras de nombreux ennemis dans ta vie, mais reste éloignée des petits trous du cul comme Joffrey. Alors peut-être que tu t’en sortiras.» Sandor soupira doucement par la bouche aux souvenirs qu’accompagnait l’image de ce garçon abominable.

«Vous avez tué Micah et vendu Emerys. Vous êtes le monstre.» En conclut aussitôt Arya. Elle s’imaginait toutes les choses horribles qu’elle pourrait faire endurer au Chien avant de le tuer lentement, souhaitant voir l’agonie dans son regard inhumain tandis qu’elle lui retirait la vie.

Sans tenir compte de sa volonté d’aider la jeune fille et de son agacement, Sandor ne put lui donner tort sur ce coup-là, car il était bel et bien le fautif de ces deux accusations. Il pouvait sentir chaque muscle tendu de la gamine contre sa poitrine, chaque inspiration pénible qu’elle prenait pour essayer de calmer sa colère flamboyante. Et quelque part au fond de lui, il sentit une pointe de culpabilité qui se propageait dans son cœur à l’image terrassée de la jeune femme abandonnée à un sort pire que la mort. A force de demeurer auprès d’Arya Stark, il avait l’impression de ramollir émotionnellement …

Une seule phrase résonnait dans sa tête.

«Vous êtes le monstre.»

Sans une parole de plus, il fit tourner son cheval dans la direction inverse puis le lança au galop.

De son côté, Emerys essayait de ne pas verser de larmes mais en vain. Après que l’ex-Chien des Lannister et la fille Stark furent partis de leur côté, les hommes de la table se précipitèrent autour d’elle pour la complimenter sur sa beauté, la sollicitant pour qu’elle montre des parties de son corps normalement destinées à une seule et unique personne. Celui ou celle qui partagera sa vie, si un jour elle arrivait à prendre la fuite de sa future prison de luxure … Elle inspira violemment quand l’un deux, un peu trop saoul, serpenta l’une de ses mains sous sa robe tout en riant comme un dégénéré.

«Ne me touchez pas !» S’énerva-t-elle en giflant l’homme au visage de toutes ses forces.

Le soldat ivre ricana bêtement puis se pencha à nouveau contre elle pour recommencer son exploration interdite, vraisemblablement amusé par sa tentative de l’éloigner d’elle. C’était comme si ses gestes brusques l’excitait, qu’il cherchait volontairement à la déstabiliser pour voir de quoi elle était capable. Une femme de caractère ou une qui se laissait faire ? Emerys déglutit difficilement lorsqu’il se pencha pour planter ses lèvres sur les siennes, et sa première réaction fût de rapidement tourner la tête dans le sens opposé. Néanmoins elle ne put s’empêcher de laisser sortir un gémissement de dégoût quand elle sentit sa bouche rêche se poser sur sa clavicule, son haleine alcoolisée remontant jusqu’à son nez. Elle avait l’impression que son cœur allait éclater …

«Ne l’abîmez surtout pas. Elle n’est déjà pas en forme et un long voyage l’attend jusqu’à Volantis. Je ne sais pas ce que Clegane lui a fait, mais sa réputation de grosse brute est à la hauteur des rumeurs. Tu n’as vraiment pas eu de chance d’être tombé sur un sale type comme lui.» S’exclama l’homme qui l’avait achetée auprès du Limier en levant sa coupe de vin vers elle. Il était toujours assis sur le banc près de la cheminée à regarder ses hommes malmener sa nouvelle acquisition rare.

«Je n’appartenais pas au Limier, je ne suis pas à vous non plus ! Et je n’irais pas à Volantis avec vous. Jamais. Laissez-moi partir !» S’exaspéra Emerys en sortant de l’emprise d’un homme qui l’avait enlacée. Les poings serrés et la respiration haletante, elle plissa les yeux quand son acheteur se leva pour venir se positionner devant elle après avoir subitement perdu son petit sourire. Le silence retomba.

Puis soudainement d’un cri de colère, il jeta son poing droit dans son visage, la force du coup envoyant sa tête voler en arrière contre le mur de pierre. Des étoiles se mirent à danser devant ses yeux tandis qu’une violente douleur éclata dans son crâne, les oreilles sifflantes atrocement à sa confusion. Le sang se mit à couler de son nez ainsi qu’au coin de sa bouche à cause de sa lèvre fendue. Portant une main tremblante à sa bouche, Emerys tituba en arrière jusqu’à ce qu’elle puisse se tenir contre le mur contre lequel elle avait été propulsée, complètement déboussolée et sur le point de tomber dans les pommes.

Rapidement elle reçut un autre coup dans le visage, puis un autre … Cette fois-ci dans l’estomac. Elle ne voyait plus que des formes floues autour d’elle et entendait à peine les rires des hommes qui s’intensifiaient à chaque coup de son acquéreur. La douleur était intense, explosive. Décidément, cet homme ne supportait pas qu’une femme lui tienne tête devant ses compagnons de route … Même après avoir prié à ces derniers de ne pas l’abîmer. Quelle ironie.

C’était peut-être la fin. Une fois que ces hommes répugnants en auront fini avec son supplice, il ne restera plus grand-chose d’elle ... De plus, son corps ne s’étant toujours pas remis de l’attaque des soldats Lannister, il était dorénavant certain qu’elle mourra au cours des prochaines heures si elle ne trouvait pas un guérisseur dans les plus brefs délais. Mais était-ce réellement ce qu’elle voulait ? Avait-elle encore la force de se battre ? Qu’avait-elle en ce monde qui pourrait lui procurer cette détermination de vivre ? Rien du tout, car elle était seule et inlassablement perdue.

Emerys inspira bruyamment quand elle s’effondra au sol en position fœtal pour protéger ses organes vitaux des frappes répétitives, les mains étreignant férocement le tissu sale recouvrant sa blessure aux côtes rouverte. La plaie saignait abondamment, tâchait le sol de ses gouttes rubis. Les larmes ne pouvant plus être retenues se déversèrent sur ses joues rouges alors que l’épuisement et la souffrance s’abattirent sans relâche sur son corps battu. Elle pouvait sentir les mains se balader sur ses bras et ses cheveux, le long de ses jambes et ses hanches, mais son regard vide de tout espoir était fixé sur la porte en diagonale de sa position.

«On devrait la donner à bouffer aux chiens dehors !»

Une autre larme silencieuse roula sur sa joue suivit par un hoquet. Aux chiens, un si grand manque de respect ... Combien de femmes étaient mortes dans ces conditions épouvantables ? Emerys n’osait même pas y penser. Ses paupières tombaient de plus en plus au gré de son affaiblissement, meurtrie jusqu’au plus profond de son âme. De terribles vagues de douleur passaient dans l’intégralité de son corps prit par de violentes secousses tandis que son cœur tonitruait dans sa poitrine, sur le point de rompre. La tête au sol, Emerys eut juste encore le temps de voir la porte de l’auberge s’ouvrir avec fracas avant de sombrer dans l’inconscience.

«Clegane ! Espèce d’ordure !» Hurla brusquement l’homme qui avait fait le marché avec le Chien en question en se relevant du corps de la jeune femme à terre. Il attrapa l’épée que l’un de ses hommes sur le côté lui lança.

«J’ai changé d’avis, Je reprends ma monnaie d’échange !» Sandor balança son épée dans celle du marchand clandestin prêt à se battre avec son redoutable adversaire.

Cependant il ne rivalisait pas avec la force colossale du Limier bien mieux entraîné après des années de pratique dans la garde Royale. Il n’avait aucune chance. Au prochain coup, la lame trancha son bras puis se logea ensuite dans son ventre, le figeant dans un cri silencieux où le sang coulait démesurément sur le sol en bois. L’homme tomba raide mort aux pieds des autres ivrognes incapables d’engager un combat après toutes ces nombreuses coupes de vin partagées. Choqués mais gardant une part de lucidité en sachant qu’ils ne pourront rien faire contre le Chien belliqueux, ils prirent la fuite par la porte arrière sous les yeux effrayés de l’aubergiste caché sous une table.

Un carnage très inattendu pour Arya Stark.

Elle ne pensait pas que le Limier serait capable de faire cela, après leur petite querelle verbale de tout à l’heure et encore moins pour quelqu’un d’autre que lui. Pour une personne qui soi-disant n’avait aucune importance ... Stupéfaite par ce revirement de situation, les bras de la louve tombèrent à ses côtés, la bouche béate face au corps ensanglanté sur le plancher appartenant à Emerys. Un sentiment de malaise étreignit sa poitrine. Voulant s’approcher d’elle pour lui venir en aide, ses pas s’arrêtèrent lorsque Sandor la dépassa pour se pencher au-dessus de la femme qu’il récupéra dans ses bras afin de l’emmener à l’extérieur.

Arya suivit la trace de l’homme dans le plus grand des silences. Elle ne pouvait décrocher son regard de la jeune femme évanouie pendante mollement dans les bras forts du Chien, du sang plein le visage. Elle était révoltée mais surtout sidérée par son geste, vouant à la fois une rancœur profonde à l’homme mais aussi de la reconnaissance d’avoir finalement prit la décision de faire demi-tour pour chercher Emerys. Elle n’arrivait pas à le comprendre ni à voir le personnage derrière cette facette d’indifférence.

Mais qui était-il vraiment à la fin ?

Elle l’observa attentivement tandis que ce mercenaire impitoyable installait Emerys sur le dos d’un cheval blanc aux râteliers de l’auberge dans le but de le voler. Rassurant l’animal de quelques tapes sur l’encolure, il s’assura qu’elle ne glisse pas de la selle pendant le trajet en utilisant une corde pour la maintenir dans une bonne position. Etant inconsciente, c’était risqué de voyager de la sorte, mais ils n’avaient guère le choix s’ils voulaient partir de cet endroit qui sera bientôt peuplé de gardes.

Il attrapa ensuite les rênes du nouvel animal dans sa main droite puis grimpa sur son propre cheval en positionnant une Arya incrédule devant lui, intérieurement comblé de lui avoir cloué le bec à cette petite emmerdeuse de première. Dire qu’elle avait été surprise par son changement brusque d’avis serait un euphémisme ! Peut-être qu’il regrettera son choix plus tard, mais en attendant c’était la meilleure des récompenses pour lui. Sandor sourit malgré lui alors qu’il lançait les deux animaux au galop au travers de la forêt sombre et peu recommandable à cette heure-ci.

Maintenant, elle avait toutes les preuves qu’il faisait des efforts incommensurables.

A suivre …

Merci pour la lecture. Ce fût une fin assez dure …

VP


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