La cour des grands

Chapitre 50 : Mitor

4303 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/02/2018 14:18



Mitor



Cela faisait désormais si longtemps que Mitor faisait des rêves qu'il ne jouait plus les surpris lorsqu'il voyait le «faux Izzir». Car oui, c'est ainsi qu'il l'appelait désormais. Le «faux Izzir». Depuis son dernier rêve, il pouvait distinguer clairement l'Izzir de ses rêves et son véritable ami. De plus, certains rêves étant durs à vivre, une haine naissait face à cet imposteur. Ses réponses énigmatiques n'amenaient en rien Mitor à se sentir mieux. Le conseil d'Apa disant qu'il faudrait trouver une réponse dans ses rêves devenait de plus en plus dur à suivre. C'était comme une prison car, bien sûr, il n'arrivait jamais à se réveiller de son propre gré. Mitor commençait même à avoir peur de s'endormir. Il avait même fait une nuit blanche il y a quelques jours. Et parfois, il voyait une ombre le suivre. Le même genre d'ombre qui peuple son rêve et censée représenter les civils de Lys. Cette nuit-là, il s'était endormi la boule au ventre et espérait à présent avoir un rêve différent, moins intense et plus heureux. Et plus jamais ces affreux cauchemars. Malheureusement, encore une fois, c'était sur cette place du marché qu'il rouvrait les yeux. Enveloppé dans cette brume, les ombres l'entourant, la silhouette du faux Izzir. Ce paysage lui était désormais si familier qu'il pouvait en décrire les moindres détails. Sans même dire un mot, le «faux Izzir» sortait de la place et se faufilait parmi les ombres. Mitor le suivit, avec le plus grand sentiment de lassitude et d'appréhension qu'il eut jamais eu. Car il reconnut bien vite le chemin qu'Izzir prenait. Le «Loup des mer» était leur destination, encore.


Ainsi, les deux compagnons, façon de parler, atteignirent le port, sautèrent sur l'eau aussi solide que de la pierre et virent très vite l'ombre du navire marchand. Mitor ne voulait en aucun cas revoir Drusila Mortimer, cette petite fille dont il avait provoqué la mort. Ils montèrent sur le pont et entrèrent dans le bâtiment. Mitor reconnut une voix. Il ne mit pas longtemps à la reconnaître et ne fut pas étonné de voir Izzir pousser la porte de la cabine du capitaine Alfred Mortimer. Cet homme quasi-chauve d'une quarantaine d'année possédait la folie qui avait précédé son trépas. Izzir resta debout devant son bureau et Mitor se mit à ses côtés. Alfred était sur des livres de comptes. Le sourire aux lèvres, il dessinait plus des gribouillis que des chiffres estimant la valeur de ses marchandises. Il ne semblait pas avoir remarquer ses deux visiteurs jusqu'à ce que Mitor se permette de s'asseoir en face de lui. Il posa son crayon et son sourire disparu quand il aperçu le visage de son assassin.


-Tiens tiens. Dit-il d'un ton sarcastique. Mais c'est notre cher meurtrier. Comment va-t-il? Passe-t-il une bonne nuit? Savait-il que j'écrivais un livre sur les meilleurs façons de bouillir des carottes quand il m'a tué? Hein, le savait-il?


-Je l'ignorais, en effet. Répondit Mitor qui n'avait pas d'autre idée que rentrer dans son jeu. Vous étiez certainement un bon cuisinier.


-Et vous, vous êtes un extraordinaire boucher. Vous auriez fait des ravages dans les fermes du Conflans.


-Je n'ai malheureusement pas les moyens d'aller aussi loin.


-Peut-être que je peux vous prêter mon navire. Avec un peu de chance, une tempête vous emportera en plein milieu du Détroit.


Alfred disait tout cela avec une expression joviale et bon enfant. Sa voix trahissait son envie de se venger. Il se remit alors à dessiner sur ses livres de comptes. Mitor resta silencieux un temps et se tourna vers le «faux Izzir» qui regardait la scène d'un air sérieux. Quel était la suite de ce rêve? Quel affreux tour allait-il encore lui arriver? Il se leva et prit la décision de sortir de la pièce, espérant qu'en passant la porte, le rêve se terminerait. Alors, il entendit la voix d'une petite fille appeler son père. La petite Drusila arrivait alors en courant vers son père qui l'a pris dans ses bras. Mitor fixait la scène et luttait pour ne pas hurler de colère, à la fois contre lui-même et à la fois contre l'imposteur d'Izzir. Dans sa main, il vit alors apparaître sa dague, la même qu'il avait utilisé contre Alfred. Izzir se retourna alors vers lui:


-Tes sentiments changent, hein? Très bien. Tue Mortimer maintenant, Mitor. Ordonna Izzir.


-De quoi?! S'exclama Mitor. Jamais!


-Tue-le devant sa fille et ton rêve prendra fin! Tous tes rêves prendront fin. N'est-ce pas ce que tu veux?


Mitor serrait le manche de la dague à s'en faire mal. Drusila le fixait tout en pleurant à chaudes larmes. Alfred, lui, protégeait sa fille de ses mains avec une expression folle, à mi-chemin entre la colère et la joie. Mitor ferma les yeux et lâcha la dague. Celle-ci tomba dans un bruit métallique et Mitor ne sentit plus rien. Il comprit avant même qu'il n'ouvre les yeux que son rêve était terminé. Couché dans le noir, il avait une impression d'inachevé. Que venait-il de se passer? Pourquoi le «faux Izzir» avait tout à coup changé de comportement? Mitor était fatigué, il en avait marre et il devina que ce réveil n'allait pas le mettre de bonne humeur pour la suite. Il s'habilla et sortit de sa chambre. Le garde près de sa porte dormait et Mitor se rendit vite compte que le soleil ne pointait même pas à l'horizon. Il prit le chemin de la Salle des Torturées et monta les escaliers menant à l’Œil de la Liberté, ce trou énorme creusé dans la falaise. Il regarda si personne ne se trouvait sur le balcon, surtout Rika en réalité, et se mit debout face au vide et à l'étendue marine. Un petit air frais venait lui souffler au visage, ce qu'il trouva assez agréable, et se laissa bercer par le bruit des vagues. Les éléments réussirent à le calmer et à lui permettre de faire le vide dans sa tête. Il s'assit alors, les jambes suspendus dans le vide. En temps normal, il aurait certainement eu peur du vide mais pour une raison inconnue, il était plutôt content de se retrouver là.


Cependant, il tenta de faire le tri dans ce qui venait de se passer ainsi que son aventure au sein des Partisans. Il avait en effet choisi de les rejoindre finalement il y a une semaine. C'était sa discussion avec Rika et son envie de se racheter auprès d'elle qui lui avait poussé à faire ce choix. Mais en vérité, il ne se sentait pas réellement comme un véritable Partisan. Outre son passé où il assassinait les membres de ce groupe, il n'adhérait pas non plus à leurs idées. Ou du moins, il n'arrivait pas à se décider si cette idéologie était meilleure que celle des Chasseurs. De plus, il avait l'impression de vivre dans une prison et qu'on le forçait à faire des choix. Il avait toujours un garde devant sa porte, ce qui le gênait un peu même si la raison de sa présence était un ordre d'Apa pour le calmer lors de ses terreurs nocturnes. Apa avait insisté pour qu'il rejoigne les Partisans, allant même jusqu'à tenter de l'acheter. Il lui avait prêter un livre où il comprit vite que ses pages reflétaient l'idéologie des Partisans. C'était pour se racheter auprès de Rika qu'il avait fini par accepter de choisir son camp. Il avait beau ne plus être esclave, il avait toujours l'impression qu'on lui donnait des limites. De plus, il n'était pas sorti du QG depuis plus d'un mois, lorsqu'il y était entré par effraction pour assassiner Apa. Sans compter ses rêves où il n'arrive jamais à s'échapper. Mitor regarda les étoiles, plus libres que lui, et les fixa longuement. Parfois, il aimerait bien être à leur place. Loin du monde des humains et sans personne pour les déranger. Mais il était humain, malgré lui, et malheureusement.


Il ne compta pas le temps qu'il passait sur ce balcon. Son regard était happé par le soleil levant, la lueur du petit matin remplaçant les ténèbres de la nuit. Il entendit alors du bruit dans la Salle des Torturées. C'était des membres qui s'attelaient à mettre les couverts pour le petit-déjeuner. Ces membres n'étaient jamais les mêmes. Ils étaient choisis au hasard pour que chaque membre participe au moins une fois au bon-vivre du QG. Même les membres les plus riches participaient parfois aux tâches les plus ingrates. C'était le même système pour le ménage et le rangement. Mitor n'avait pas encore été tirés au sort pour ce genre de chose, et pourtant cela ne l'embêterait pour rien au monde. Il faut dire qu'il avait l'habitude de s'employer à de tels tâches quand il était sous les ordres de Rasar. Il attendit encore un peu et partit s'asseoir à une table. Pendant ce temps, d'autres membres se réveillaient et allaient aussi manger.


En terme de nourriture, les Partisans ne manquaient de rien. Pain, fruits, lait. Apa devait forcément avoir des relations avec beaucoup d'agriculteurs et de commerçants pour s'accaparer autant de marchandises. Peu importe les défauts que pouvaient avoir la vie ici, il fallait bien avouer que Mitor n'avait jamais fréquenté d'établissement si bien servi en nourriture. Il faisait tout de même attention d'en laisser à ses camarades. Ce matin-là n'était pas comme les autres car il reçut une visite inattendue. Pendant qu'il s'engouffrait une énorme miche de pain, Rika s'installa en face de lui et il faillit s'étouffer en la voyant.


-Ah euh, bonjour Rika. Salua-t-il le plus normalement possible. Je peux faire quelque chose pour vous?


-Non, pas vraiment, Liso. Répondit Rika qui avait toujours une mine aussi affreuse et triste. Je n'avais pas envie de m'installer à la table du Cercle alors je suis venu ici. J'en ai marre que tous nos camarades me regardent comme si j'étais un fantôme.


-Je compatis.


-Apa m'a dit que vous nous aviez définitivement rejoint? Demanda-t-elle d'un ton désolé.


-Oui, en effet. Par simple envie d'occuper mes journées à vrai dire.


-Mais nous rejoindre n'offre pas des activités. Sauf si tu entends par «activité», des missions dans lesquelles le risque de mourir est important.


-J'ai l'habitude d'avoir une vie assez mouvementé.


-Comment ça?


-Et bien, j'étais esclave et éviter les coups de fouet et fuguer de la maison d'un maître me connaît. Mentit Mitor qui ne savait pas si ce qu'il venait de dire était réellement la définition d'une vie «mouvementé».


-Ah, tu étais esclave? Qui était ton maître?


-Je...J'ai oublié son nom tellement j'ai voulu l'oublier.


-Je peux comprendre. Tu es donc un vrai rebelle, n'est-ce-pas? Tu te sens libre, à présent, hein?


-Oui, on…on peut dire ça. Mentit une nouvelle fois Mitor qui eut du mal à répondre cette fois.


-C'est bien. J'aimerais que tous les esclaves aient autant de courage que toi. Il faut dire qu'ils sont peu, ceux qui osent lever les armes contre leurs oppresseurs.


-Quand on subit une trentaine de coups de fouet, difficile d'avoir la force de se relever.


-Oh, tu fais allusion à l'esclave exécuté sur la place du marché? Celui de Vezel?


Mitor ne s'attendait pas à ce que la conversation décline sur ce sujet. Il avait pensé inconsciemment à Izzir et ses trente coups de fouet qui eurent raison de lui.


-Euh oui, celui-là.


-Triste sort pour lui. Crois-le ou pas mais son maître était très gentil avec lui. Il l'appelait «fiston». Ce serait mieux si tous les maîtres agissaient comme Vezel.


-Oui, en effet.


Mitor remarquait qu'elle commençait à parler d'une voix presque perdue.


-Bon, je te laisse. Je dois aller dans ma chambre.


-Mais vous n'avez encore rien manger.


-Je n'ai pas faim.


Rika se leva et partit en direction de sa chambre. Mitor se fit alors interpeller par un membre assis non loin de lui.


-Hey toi, là-bas. Je sais pas comment tu fais mais c'est la première fois qu'elle parle à quelqu'un depuis des semaines.


-Ah oui? Je ne sais pas comment je fais moi aussi.


-S'il te plaît, tu peux faire en sorte qu'elle aille mieux? On déprime à chaque fois qu'on la croise dans les couloirs.


-Je...je vais faire de mon mieux.


Dès que Mitor eut fini de déjeuner, il retourna lui aussi dans sa chambre. Il essaya de se changer les idées en lisant quelques pages du livre du mestre Raynal mais rien n'y faisait. Une question lui trottait dans la tête. Comment rendre plus joyeuse Rika? Cette question restait sans réponse. Il est difficile de rendre la joie de vivre a une personne qui a tout perdu. Alors, une heure plus tard, quelqu'un toqua à la porte. Il ouvrit et vit Rika sur le seuil.


-Karak, toi et moi sommes convoqués par Apa dans son bureau, Liso. Dit-elle avec un semblant de sourire. Je viens te chercher.


-Très bien, j'arrive.


Mitor partit avec Rika en direction du bureau d'Apa. La raison de cette convocation leur était à tous les deux inconnue. Cela faisait quelques jours que Mitor n'avait pas été voir Apa. Il n'en avait pas tellement envie d'ailleurs. Il préférait bien plus contempler le paysage à travers l'Œil plutôt que de rester assis à son bureau en train de raconter ses rêves et ses doutes. Arrivé devant la porte, Karak les attendait. Membre du cercle, il portait une tenue d'aspect assez coûteuse de couleur émeraude. Sa barbiche noir le faisait ressembler à un aristocrate ou à un banquier. Pour une raison qu'il ignorait, Mitor avait l'impression qu'il était quelqu'un de bon et d'attachant. Lorsqu'il les vit arriver, Karak lâcha un sourire et ouvrit la porte.


Apa était encore une fois assis derrière son bureau avec plein de parchemins barbants. Quand ses trois invités entrèrent, il se leva et se plaça devant son bureau. Les invités se placèrent côte à côte comme dans un petit rassemblement militaire.


-Heureux que vous ayez répondu à mon appel. Se réjouit Apa.


-Qu'est-ce que c'est, ces histoires, Apa? Demanda Karak. Cela fait des semaines que tu restes silencieux.


-Je me préparais, voilà tout.


-Te préparer à quoi? Questionna Rika.


-Mes amis, je pense qu'il est temps que les choses bougent. Répondit Apa d'une voix forte. Notre guerre va se retrouver quelque peu chamboulé dans les jours qui viennent. J'ai découvert comment les Chasseurs de Lys réussissaient à se financer. Sachez que c'est tout simplement par la production du vin. C'est pourquoi je vous demande, à vous trois, de partir demain soir au port et anéantir leur cargaison.


-De quoi?! S'exclama Karak. Êtes-vous fous?! Rika n'est pas apte à se battre et celui-là (il montra Mitor du doigt) est trop jeune et vient à peine de nous rejoindre!


-Je peux me battre, Karak! Rétorqua Rika. Je pense être prête. Mais je suis d'accord pour Liso. Il n'a pas à participer à cela!


-Si, Rika. S'exclama Mitor. Ça fait des semaines que je ne suis pas sorti de ce QG. C'est l'occasion.


-Mais tu ne sais pas te battre! Tu risques de perdre la vie! Objecta Rika qui avait un regard à la limite de pleurer.


-Il sait se battre, Rika. Répondit calmement Apa. Je l'ai entraîné moi-même.


-Comment cela? S'intrigua Karak. Pourquoi entraînez-vous cette enfant? Il n'a pourtant rien de spécial. Et vous ne nous l'avez pas dit non plus. Pourquoi?


-Cela, mon ami, je le garde pour moi. Continua de mentir Apa. Et je défends Liso d'en parler. Dit-il en fixant Mitor. Emmenez-le à la salle d'entraînement si vous voulez et jaugez-le. Vous verrez qu'il a sa place dans votre équipe.


-Tu te sers de lui comme d'une arme? Tu veux faire de lui un membre du Cercle? S'offusqua Rika. Depuis quelques temps, je sens que tu caches trop ton jeu mais là, tu as atteint un point que je ne t'aurais jamais cru capable.


Rika s'en alla en claquant la porte et laissa un long silence en partant.


-Et comment tenez-vous toutes ces informations? Le vin et l'heure où sera livré la cargaison? Demanda Karak pour changer de sujet.


-J'ai mes sources, Karak. Répondit Apa en regardant Mitor, qui comprit tout de suite à qui il faisait référence.


-Rika a donc raison. Se dépita Karak. Tu caches trop ton jeu envers nous. Viens, toi! Ordonna-t-il à Mitor. Liso, c'est ça? Viens avec moi à la salle d'entraînement. J'ai besoin de savoir ce que tu vaux avant de partir.


Mitor le suivit et jeta un regard à Apa avant de sortir. Celui-ci avait une expression impassible et il se rassit à son bureau.


Il n'avait pas souvenir d'une quelconque salle d'entraînement au sein de ce QG. Il n'en avait pas non plus entendu parler. Il suivit donc Karak dans une zone qu'il n'avait pas encore visité et qui, pourtant, était assez peuplé. Il n'eut aucun doute que s'il l'avait appris plus tôt, il y serait déjà aller. Il y avait bien longtemps qu'il ne s'était pas entraîné et Mitor avait peur d'avoir perdu la main. Il se souvenait de certains mouvements complexes mais il ne savait pas s'il serait capable de les reproduire. Si ce n'était pas le cas, il se promit de s'entraîner le plus possible avant le lendemain soir. Cette nouvelle et première mission avait de quoi le réjouir. Il allait enfin pouvoir sortir et arpenter de nouveau, et dans le monde réel, les rues de Lys. Cette mission où le risque de mourir ne pouvait être négligeable ne l'effrayait pas. Il allait de nouveau tuer mais cela le réjouissait plus que ça ne le dégoûtait. Il lui semblait que ses prochaines cibles seraient des vies négligeables à ôter. C'était une guerre et cela, Mitor en avait pleinement conscience. Contrairement à ce que pensaient Karak et Rika, bien qu'il les comprenait au fond, ce n'était plus un enfant. Un enfant ne saurait pas prendre en compte les enjeux d'une guerre. Un enfant n'aurait pas la capacité de se faufiler, duper et tuer une cible précise. Un enfant ne pourrait pas subir autant de chose que Mitor subissait déjà dans son esprit et s'en relever. Dans son attitude et son regard, Mitor voyait que Karak se doutait qu'il n'était pas un enfant lambda. Celui-ci était effectivement triste qu'un enfant aussi jeune les accompagne dans une dangereuse mission mais il était aussi curieux. Ainsi, il demanda en chemin:


-Sais-tu réellement pourquoi Apa t'as choisi comme apprenti? C'est la première fois qu'il fait ça et je vais pas te mentir. Je suis inquiet. Il se trame quelque chose et je n'aime pas ça.


-Je comprends mais honnêtement, je n'en sais rien. Répondit Mitor qui ne voulait rien révéler pour l'instant. Apa a toujours été très secret avec moi.


-D'accord. Répondit Karak qui ne paraissait pas très convaincu de la réponse. Après tout, Apa t'as défendu de dire quoi que ce soit. Tu sais, Rika t'aime beaucoup. Je le vois lorsque que vous parlez ensemble. Peut-être que je me trompe, et ça va te paraître possiblement saugrenu, mais je crois que tu représentes pour elle l'enfant qu'elle a perdu. Tu es au courant de son histoire, non?


-Oui, en effet mais, vous pensez vraiment que je suis comme Drusila pour elle? Demanda Mitor qui n'avait jamais médité sur cette hypothèse.


-Ce n'est qu'une supposition mais c'est possible.


Karak et Mitor arrivèrent enfin dans un vaste couloir qui débouchait sur une grande salle. Au centre de la pièce, le sol était surélevé et formait un carré gigantesque. Dans les coins de la pièce, il y avait des épées, des arcs et beaucoup d'autres armes différentes entreposées sur des râteliers. Des armures de cuir étaient rangées dans des coffres et des cibles en paille étaient posées les unes à côté des autres. Certains membres étaient ici et là, s'entraînant avec diverses armes. La salle entière était éclairée par des torches mais un petit trou dans le mur laissait passer une minuscule partie de la lumière du jour. Karak dit à Mitor de prendre une épée et de le rejoindre au centre du carré. Parmi les membres qui s'entraînaient, certains levaient le regard vers eux. Karak était réputé chez les Partisans et le voir entraîner un nouveau était assez particulier. Aussi, certains stoppèrent leur entraînement pour voir celui de Karak et Mitor, ce qui mettait un peu la pression à ce dernier. Mitor prit donc une épée et se plaça devant Karak. Celui-ci avait également pris une épée. Même si les lames étaient émoussées, elles pouvaient toujours faire mal et Mitor se préparait à éviter le premier coup de Karak. À son grand étonnement, son reflex pour éviter le coup était plus rapide qu'il ne l'avait prévu. Tout à coup, il reprit confiance en lui et contre-attaqua. Karak était également très fort et rapide, même plus que Mitor, ce qui ne surprit pas celui-ci. Étant plus expérimenté, il était normal qu'il batte Mitor à plate couture. Cependant, Karak comprit vite que son adversaire avait lui aussi un minimum d'expérience et il fut surpris par quelques uns de ses mouvements. Le combat fut terminé lorsque Karak réussit à désarmer Mitor.


-Tu es fort pour ton âge, c'est vrai. Avoua-t-il. Apa avait peut-être raison. Tu nous seras utile demain soir. Mais je veux savoir quelque chose avant. As-tu déjà tué?


-Non. Mentit Mitor.


-Alors reste en retrait lors de la mission. La première fois que l'on tue n'est jamais un bon moment à passer.


-Non, je...je peux me battre.


-Nous verrons, Liso. En attendant, continue de t'entraîner.


Karak sortit alors de la salle. Les membres spectateurs retournaient à leurs occupations. Mitor fixa le trou dans le mur où la lumière du jour passait. Il allait enfin sortir de ce QG. Il représentait peut-être l'enfant perdu de Rika. Il remarqua qu'il détestait de plus en plus Apa. Et il devait faire ses preuves auprès de Karak. Mais quelle vie! Mitor suivit les conseils de Karak et commença par s'entraîner avec un mannequin de paille.


Durant les trois heures qu'il passa dans la salle d'entraînement, il apprit à aimer cette pièce. Il avait pratiqué toutes les activités possibles, de l'arc à l'épée en passant par la dague et les grosses haches à deux mains, qu'il avait d'ailleurs du mal à porter. Il s'était même fait quelques compagnons parmi les membres qui lui apprenaient certains mouvements et certaines postures qu'il ne connaissait pas jusqu'alors. Il eut même l'occasion d'apprendre à des néophytes. Bizarrement, cette salle eut pour effet de lui faire retrouver une certaine liberté qui ne lui déplaisait pas. Il partit ensuite manger et avait envie de faire une sieste pour ensuite retourner s'entraîner. Contrairement au fait de dormir, la sieste ne lui apportait aucun cauchemar, ce dont il se réjouissait. Ayant cependant du mal à trouver le sommeil, il continua de lire son livre «Les cités esclavagistes: Le dernier des anciens fléaux de l'histoire» par le mestre Raynal. Ce livre lui avait apporté, outre de la culture, une véritable opinion sur la situation des esclaves. Le continent de Westeros ne connaissait plus l'esclavage grâce à un roi qui l'avait aboli mais les cités libres, elles, avaient souvent gagnés leur statut dans le sang. L'empire valyrien avait en effet aidé nombre de cités à devenir libre en donnant des armes aux esclaves ou en éliminant lui-même les gouvernants. Mitor en avait marre que la liberté se paye toujours par le sang. Il n'arrêtait pas de sortir cette phrase: «Et si on remplaçait révolution par évolution?». Il voulait que chacun puisse comprendre par soi-même, en d'autre terme, comment pouvoir gagner sa liberté sans devoir utiliser les vices humains, à savoir le meurtre et le goût prononcé pour la mort, donc, pour lui, évoluer la dignité humaine. Il fallait quelqu'un qui puisse faire comprendre aux autres qu'ils n'ont qu'à réfléchir et se remettre en question pour changer les choses. Et si Lys pouvait en devenir l'exemple? Elle montrerait aux autres cités esclavagistes qu'il est possible d'évoluer. Mais qui pourrait enclencher cette engrenage? Mitor eut un court instant l'idée qu'il pourrait être cette personne mais il ne la prit pas au sérieux. Comment pourrait-il faire ça? Il était certainement très mauvais pour faire un discours devant un peuple entier. Pourtant, lorsqu'il réussit enfin à s'assoupir, il s'imaginait sur un imposant piédestal devant une foule immense où riches et pauvres se mélangeaient et qui l'écoutaient d'une oreille attentive. Dans les yeux de ses interlocuteurs, Mitor entendait des cris hurlant le même mot: «Évolution». C'était son premier rêve depuis bien longtemps.


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