La cour des grands

Chapitre 73 : Mitor

4354 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 27/01/2019 20:02



Mitor



Dans l'humidité et dans le noir total, le bruit du souffle rauque de Mitor donnait une ambiance plus angoissante que d'habitude à la cellule. De nouveau enfermé entre ces murs, son deuxième séjour semblait être plus horrible que le précédent. Parfois empli de tourments et parfois l'esprit semblant à une coquille vide, Mitor avait perdu la notion du temps dans cette obscurité. La torche s'était éteinte depuis deux jours et personne encore n'était venu la rallumer. Des gardes lui donnaient à manger une fois par jour, des fruits, du riz et de l'eau, pas assez pour ne pas s'endormir et se réveiller le ventre vide, avec une intense douleur aux poignets à chaque réveil. Sur ses joues, il ne savait si ce qui coulait était de la sueur ou des larmes. Non pas qu'il était profondément triste, à vrai dire, il ne savait plus ce qu'il ressentait à ce moment-là. Toutes les émotions basiques avaient disparus pour laisser place à un amas confus de pensées qui diminuait et augmentait une fois sur deux. À mi-chemin entre un silence absolu et un bruit assourdissant dans son crâne, Mitor avait perdu ses sens, enchaîné à ce mur, mouillé de sa sueur. Il ne se souvenait plus que d'une chose: Sa propre voix disant «Ne dîtes rien à Rika, s'il vous plaît». Il savait l'importance de cette phrase mais il n'en comprenait plus le sens. Il devait être ici depuis quatre jours et personne à part les gardes ne lui avaient rendu visite. Durement affaibli, une petite voix dans sa tête lui hurlait de tenir bon. Il fallait que quelqu'un intervienne ou il serait perdu à tout jamais.


Voilà alors que des voix, autres que les siennes, s'entendirent. Derrière la porte, des murmures parlaient de lui, de «l'enfant maudit enfermé dans les geôles». Mitor devait trouver ses dernières forces pour se battre. Il tenta d'appeler sa créature des ténèbres sans succès et de rester droit, presque digne. Il dessina sur son visage un regard dur et un air d'homme solide, prêt à accueillir cette personne inconnue qui allait certainement entrer dans peu de temps. Les secondes passèrent, les murmures continuèrent puis, enfin, le bruit métallique d'une clé tournée dans une serrure s'entendit. Aveuglé par une torche, Mitor ne discerna pas son visiteur. Il l'entendit enlever l'ancienne torche éteinte pour la remplacer par la nouvelle. Son visiteur ne parlait pas et il le fixait comme un touriste regarde une œuvre d'art qui lui paraît étrange. Peu à peu, la vue de Mitor retrouva de sa superbe et le visage de Karak lui apparût clairement devant lui.


-Karak…. Chuchota Mitor.


-Nous vivons une période bien sombre dans notre histoire, Mitor. Répondit Karak d'une voix sereine. Te voir dans cet état, enchaîné dans cette cellule où il fait une chaleur à crever, le montre bien.


-Ais-je bien compter? Cela fait-il bien quatre jours que je suis ici?


-Nous sommes le matin du cinquième jour pour être exact. Et aucun meurtre n'a eu lieu depuis. Ce qui ne fait que justifier, à mon grand regret, que tu es l'assassin qui nous nargue depuis tant de temps.


Karak s'assit sur le banc creusé dans le mur et continua à fixer Mitor. Ce dernier savait que son visiteur voulait une confirmation de sa culpabilité.


-Que t'as révélé Apa? Demanda-t-il.


-Beaucoup de choses. À commencer par ton vrai nom: Mitor. Expliqua Karak. Dès que je l'ai su, j'ai fait le lien avec l'esclave de Rasar. Apa m'a bien confirmé que tu l'étais. Le jour où tu m'as vu pour la première fois, je suppose que tu ne m'as pas reconnu. Il y a fort longtemps, je suis allé chez Rasar. Tu n'avais alors que six ans. Rasar venait de t'acheter dans un marché d'esclave à Volantis. C'est aussi l'année où Lys est redevenue une cité esclavagiste. Et à cette époque, je n'avais pas encore rejoint les Partisans, voulant me tenir à l'écart de leur conflit pour le moment. Rasar a déménagé dans cette ville pour rejoindre sa sœur et nos rangs par la même occasion. Avec Vezel et Apa, nous sommes allés chez lui pour l'accueillir. Et tu étais là, habillé de ton haillon avec un collier de cuir noir autour du cou, l'habit des esclaves. Tu avais un air triste et des bleus que tu cachais maladroitement sous tes vêtements. En voyant ça, je me suis tourné vers Rasar et je lui ai dis: «Pourquoi rejoins-tu les Partisans alors que tu fais ce contre quoi ils se battent?». Il m'a répondu que tu étais sa propriété et qu'il pouvait faire ce qu'il voulait de toi. Que tu étais un gamin pleurnichard qui n'arrête pas de désobéir et que sa notion de justice méritait un minimum de violence pour que tu comprennes la leçon. Je ne t'ai pas reconnu quand tu nous as rejoins ici. Mais toujours est-il que je me demande à quel point la violence de Rasar t'a marqué pour que tu acceptes de tuer pour lui. Je sais tout de sa trahison, et désormais de la tienne. Dis-moi, Mitor. Pourquoi?


Mitor marqua un temps avant de répondre. Il tentait de se remémorer cette époque qui semblait déjà si lointaine où il était au service de son maître Rasar.


-L'espoir qu'un jour, je sois libéré. Oh oui que j'étais naïf, je le sais bien. J'aurais pu m'échapper pendant ces missions d'assassinats mais c'était Rasar dar Rika, son influence sur moi a été bien trop fort.


-Et tu as fini par le tuer. Conclut Karak.


-Non. Je ne l'ai pas tué. Il a fallu qu'un cauchemar m'y aide. Mais je ne regrette pas ce qu'il s'est passé. Il devait mourir.


-Mais tu as alors repris les meurtres après sa mort.


-Oui. Pas pour les mêmes raisons mais j'ai de nouveau tué. Répondit Mitor en fixant Karak dans les yeux.


-Dans les histoires, sais-tu comment on reconnaît le méchant? Il est le parfait opposé du héros, et la plupart du temps, ils sont amis, comme toi et moi. N'est-ce pas? Demanda Karak en se relevant et en se mettant face à Mitor au point que celui-ci pouvait sentir son souffle.


-Tu te prends donc pour un héros, Karak?


-J'estime être du bon côté.


-Je crois qu'au fond de moi, j'ai toujours détesté les soldats. Ils suivent les pires ordres sans oser contester et ils sont tellement fiers de leurs idées qu'ils sont prêts à tuer pour elles, à chaque fois que quelqu'un d'autre arrive avec une autre idée, une autre opinion. Je déteste ce que vous êtes tous. Je ne suis pas un Chasseur, ne croyez pas cela. Mais je ne suis pas non plus un Partisan, mais ça,…vous le saviez déjà. Rika est-elle au courant que je suis ici?


-Non. Apa lui a dit que tu étais en patrouille en ville.


Mitor, qui avait la tête baissée à cause de sa fatigue, fit l'effort de la relever pour fixer Karak mais il fut surpris du regard soudain triste de son ancien camarade du Cercle. Celui-ci lui demanda:


-Je ne pense pas qu'un jour je puisse comprendre ce que tu es devenu aujourd'hui. Je me fiche de savoir pourquoi tu a recommencé à tuer. Ce qui m'attriste, c'est que nous n'aurons plus jamais l'occasion de nous entraîner, combattre ensemble. Je ne pense pas te revoir un jour.


Karak toqua à la porte pour dire au garde de le laisser sortir. La porte ouverte, prêt à partir pour de bon, il se tourna une dernière fois vers Mitor.


-Adieu, mon ami. J'espère que mon chemin ne rencontrera plus le tien. Sinon, je serais obligé de te tuer.


De nouveau enfermé et seul dans cette cellule, cette fois éclairé par la torche crépitante à ses côtés, Mitor respira profondément. Cette discussion, bien que désagréable car il venait de perdre un ami, lui avait redonné de la force. Il sentait toujours une douleur brûlante dans ses poignets et il ne pouvait plus bouger ses bras fatigués.


Une torche pouvait rester longtemps allumé si elle ne subissait pas de vent ou d'eau et qu'elle était bien trempé dans l'huile. Aussi, lorsque la porte s'ouvrit de nouveau le lendemain matin, elle était toujours allumée bien que le feu soit moindre que la veille et qu'elle était définitivement en fin de vie, au point que la cellule empestait l'huile plus que l'urine. Le nouveau visiteur, en entrant, s'empressa de remplacer cette torche par la sienne et jeta la précédente loin dans le couloir. Cette fois, Mitor n'avait pas mis longtemps pour reconnaître son visiteur qui n'était nul autre qu'Apa dar Lijus, chef des Partisans. Mitor cita son nouveau titre en guise de salutation sous un ton bien provocant.


-Tes sarcasmes ne me font rien, Mitor. Répondit Apa avec un sourire étrangement tendre. Mais je suis ravi que tu en sois encore capable. Six jours que tu es ici. Cela prouve à quel point tu es solide. Bien plus que tes anciens semblables, les esclaves.


-Ils ne sont pas anciens. Rétorqua Mitor, perdant son ton sarcastique. Ce sont toujours mes semblables, Apa. Je suis toujours un esclave.


-Nous sommes tous l'esclave de quelqu'un ou de quelque chose. On ne s'en rend juste pas tout le temps compte.


-Et tu es l'esclave de qui ou de quoi, Apa?


Apa s'étonna de la question, sembla réfléchir et répondit finalement:


-Je ne sais pas. Esclave de mes responsabilités de chef des Partisans, peut-être.


-Quel maître pitoyable cela fait. Recommença à provoquer Mitor en souriant.


-Fais attention Mitor, je n'aurais aucun remord si je venais à t'exécuter.


-Et pourquoi suis-je toujours en vie? Pourquoi me garder là, me nourrir, occuper une de vos cellules?


-J'ai besoin de te poser quelques questions.


-Et il t'a fallu six jours pour te décider? Par tous les Dieux, Apa, que tu es lent.


Le ton presque arrogant de Mitor avait bien pour but d'agacer Apa. Et ce dernier l'avait bien compris. Il ne voulait pas rentrer dans son jeu et fit comme si de rien n'était.


-Es-tu un Chasseur? Demanda-t-il.


-Tu n'as pas parlé à Karak? Non. Répondit Mitor d'un air plus sérieux. Et je ne suis pas un Partisan, non plus.


-Dis-moi, Mitor, que feras-tu lors de la bataille qui approche si je te libère?


-Hormis Rika, je tuerais tout le monde. Un génocide impartial entre Partisan et Chasseur. Voilà ce que je compte faire si je ne suis pas dans ma cellule lorsque viendra le grand jour.


Apa resta silencieux. Il tentait de garder une expression impassible mais il ne pouvait cacher complètement sa surprise face à cette réponse inattendue. Il resta donc crédule quelques secondes. Mitor, lui, n'avait plus la moindre envie de jouer avec Apa avec de l'arrogance. Pour lui, il était temps que les choses changent. Et cela commençait par révéler la vérité sur ses intentions, celles que Drusila lui avait donné il y a maintenant plus d'un mois. C'était risqué. Apa serait capable de le tuer pour l'empêcher de nuire. Après un moment, Apa reprit ses esprits, prêt à continuer la conversation.


-Et bien, Mitor, j'avoue que je ne m'attendais pas à cela. C'est stupide comme idée mais tu es encore jeune si tu penses que tu peux tuer tous les soldats d'une guerre.


-Il faut dire que vous allez bien m'aider en vous entre-tuant.


-Regardes-toi, Mitor. Que tu ne sois plus de notre côté est une chose mais que tu sois tant avide de sang, si cruel, avec aussi peu d'émotion....Je me demande si tu es vraiment guéri de ta folie. Et voilà que maintenant, je te vois t'allier avec le Maître de la Lumière. Je ne juge pas ta foi mais j'ai toujours détesté les prêtres rouges. Et cette ombre qui te suis, par le Dieu Multiface, pourquoi cette chose est-elle là? Mitor, que se passe-t-il?


Ce fut au tour de Mitor d'être déstabilisé. Il y a peu de temps, en effet, il n'avait pas autant d'envie sanguinaire. Toutes ces choses qui lui arrivait avec cette guerre, Drusila, ses anciens rêves et son lien indéfectible avec le dieu R'hllor faisaient de son esprit un fouillis dans lequel il était facile de se perdre. Durant ce silence, Mitor serrait les poings et les dents. Il devait mettre fin à tout ça. Pour une fois dans sa vie, il voulait tout oublier pour recommencer sa vie à zéro. Et peu à peu, il sentait sa colère venir. Il finit par répondre:


-Je ne le fais pas par plaisir, Apa. Je ne veux pas tuer tout le monde parce que j'en ai envie. L'idéologie des Chasseurs est de supprimer les notions de riches et de pauvres pour pouvoir repartir à zéro. Je vais faire la même chose avec vos deux camps.


Mitor pensa, à ce moment-là, qu'Apa allait continuer la conversation en essayant de le raisonner, lui disant à quel point tout ceci dépassait son entendement et que cette guerre ne pouvait se résoudre de cette manière. Mais le chef des Partisans commença soudain à sourire puis, à rire fortement au point que Mitor aurait tout sacrifié pour pouvoir se boucher les oreilles. Peu à peu, Apa se calma devant le regard incrédule de Mitor.


-Tu es vraiment devenu quelqu'un de détestable. Je vois que j'ai eu raison de lui faire confiance. Clama Apa en souriant encore.


-De quoi? De qui parles-tu? Interrogea Mitor qui comprenait de moins en moins.


-Je savais depuis le début que tu avais des doutes sur ton arrivée chez nous, Mitor. Alors, en plus de sa mission chez les Chasseurs, je lui ai demandé de te surveiller. Et voilà qu'un jour, tu as décidé de partir pour le QG des Chasseurs. J'en rigole mais cela me déçoit beaucoup. J'aurais tant voulu que tu sois réellement de notre côté. Quand elle m'a dit ce que tu avais fait, je ne te cache pas que j'étais bien attristé. Vas-y, tu peux venir! Cria-t-il soudainement.


La porte s'ouvrit soudain et un garde entra dans la cellule. Sous le casque, Mitor aperçut un visage qu'il ne connaissait pas, celui d'un jeune homme à peine plus âgé que lui. Mais il avait deviné que ce n'était pas ce visage qu'il devait voir. Le garde enleva alors son casque et enfin, retira son visage pour laisser paraître celui de Drusila.


-Je crois que je n'ai pas besoin de faire les présentations. Ricana Apa.


En voyant le petit sourire en coin que Drusila arborait, Mitor baissa la tête, se traitant d'imbécile. Il était désormais clair pour lui que Drusila l'avait mené en bateau depuis le début. Il repensa aux mots d'Apa lui disant que mettre fin à une guerre en tuant tout le monde était stupide. Il avait des doutes depuis quelques temps mais une partie de lui avait toujours continué de croire que Drusila était de son côté, qu'elle l'aiderait à stopper cette guerre. Mitor maudit alors sa naïveté. Puis, la colère monta de nouveau.


-Tout cela me saoule. Commença-t-il à avouer. J'en ai marre de tout ça. Cette histoire, cette guerre stupide, ces foutus Dieux, vous ne faîtes partie que d'un engrenage déjà voué à l'échec. Vous n'êtes même pas sur une seule page de l'Histoire des Hommes et vous comptez tout changer? Vous n'êtes rien, vous êtes l'esclave d'un destin que vous pensez prémédité. Vous vous laisser avoir. J'ai presque envie de rire aussi fortement qu'Apa quand je vois à quel point vous êtes inutiles pour ce monde. Vous ne comprenez pas? Les Partisans sont voués à l'échec. Les Chasseurs sont voués à l'échec. Votre Dieu Multiface et R'hllor sont voués à l'échec. Tout cela va disparaître un jour et vous ne serez plus qu'un vestige oublié de l'histoire telle la cité de Valyria attaquée par son fléau. Vous avez compris maintenant? VOUS N'ÊTES RIEN! Arrêtez de vous sentir supérieur, vous ne valez pas mieux que moi. Vous croyez que vous pouvez faire de moi votre marionnette?! Vous pensez valoir quelque chose mais ce n'est pas pour rien que tous les Hommes doivent mourir! Vous avez peur, en fait. Vous êtes effrayés par l'idée d'être inutile. Valar Dohaeris. Tous les Hommes doivent servir. Mais vous, vous ne servez rien hormis votre pitoyable ego! Le néant nous attend tous alors cessez de vous battre inutilement! Car sachez-le, mes chers amis, la nuit est sombre et pleine de terreur et le feu aura raison de vous!


Soudain, la torche s'éteignit subitement, plongeant la cellule dans une quasi-obscurité. La seule source de lumière qui existait était celle des torches du couloir, bien trop loin pour voir ce qui se passait devant Mitor. Celui-ci ne pouvait que sentir. Alors, il entendit comme des centaines de murmures s'élever dans l'atmosphère. Drusila n'émettait aucun bruit mais Apa n'arrêtait pas de se demander ce qu'il se passait. Un vent chaud et glaçant à la fois s'empara de la cellule. Mitor tenta de discerner ce qui se passait devant lui en plissant les yeux. La seule chose qu'il put voir était une ombre apparaître derrière Apa et Drusila. Apa s'écarta en voyant la chose si près de lui. Mitor entendit une lame s'enfoncer dans un corps d'humain suivi d'un cri étouffé. Il vit soudain une autre ombre apparaître derrière sa créature. Et là encore, il entendit une lame s'enfoncer dans quelque chose suivi cette fois d'un cri horriblement aigu. Comme si la scène n'était pas assez étrange, la torche de la cellule se ralluma toute seule. Mitor était effrayé par ce qu'il voyait devant lui. Le corps de Drusila était à terre et à ses côtés, son ombre qui continuait à pousser son cri qui ne ressemblait en rien à un hurlement d'humain. Mitor vit une lame argentée plantée dans le cœur de la créature qui se dissipa soudain, ainsi que ses cris. En disparaissant, l'ombre révéla la silhouette de celui tenant la lame argenté. C'était de nouveau un garde qui avait un visage de nouveau inconnu. Celui-ci rangea sa lame argentée et se baissa sur le corps de Drusila. Lorsqu'il se releva, le garde avait le visage de la fille de Rika.


-Voilà au moins un Dieu auquel je t'ai libéré, Mitor. Annonça Drusila. Ton esprit est-il un peu moins bordélique, maintenant?


Mitor n'en croyait pas ses yeux. S'il avait bien compris ce qu'il venait de se passer, il n'avait plus de créature à son service, désormais. Apa aussi était sous le choc mais comprenant également la scène qui venait de se jouer à ses côtés, il sourit de nouveau. Son visage était désormais décoré d'une expression de soulagement.


-Voilà une bonne chose de faîte. Déclara-t-il. Tu as raison, Mitor, tous les Hommes doivent mourir et servir. Et nous ne servons à rien et toi non plus. C'est le principe d'une guerre qui se déroule dans l'ombre. Ses soldats, ses commandants, ses événements, n'apparaîtront jamais sur les livres d'histoires….


Mitor n'écoutait plus. Cette créature devait l'aider à s'émanciper de toute cette histoire et désormais, elle n'était plus. Jamais il n'aurait pensé être si dépité par la perte de cette ombre qui lui faisait pourtant peur lorsqu'elle était présente. La disparition de cette ombre signifiait quelque chose pour lui qui l'attristait, comme s'il venait de deviner qu'il serait pris au piège toute sa vie. Il souffla plusieurs fois avant de tenter de se recentrer sur les deux personnes en face de lui. Apa continuait de parler.


-…Tu m'as dit que tu voulais tous nous tuer, Chasseurs et Partisans, mais je sais bien que c'est faux. Même si c'était vrai, tu ne le pourrais pas. Mais c'est faux. C'est incroyable la force de persuasion qu'a eu Rasar sur toi et ce, même après sa mort. Tu l'as tué et pourtant, tu continues à perpétrer son travail. Tu tues des Partisans pour nous affaiblir avant la grande bataille. Mais je n'arrive vraiment pas à deviner pourquoi tu as tué Rasar. Il n'était pas du genre à se sacrifier pour organiser un autre plan stupide, il me semble. Confirme-le, moi, Mitor. Rasar avait-il un plan? Pourquoi tu l'as tué?


-De quoi vous parlez, là? Je n'ai pas trop suivi mais j'ai dis la vérité.


-Cesse de mentir, Mitor. Tu oublies que Drusila t'as vu aller chez les Chasseurs.


-Je suis allé chez les Chasseurs en cachette, je les ai infiltrés. Répondit Mitor qui ne comprenait qu'à moitié pourquoi Apa ne le croyait pas.


-Mensonge! Tu savais avant tout le monde que les Chasseurs allaient attaquer notre QG à Qohor! Et pourtant, tu as eu l'audace de ne pas nous prévenir. Lorsque Drusila t'a attrapé, elle t'a révélé qui elle était. Tu te sentais coupable de sa mort pendant si longtemps mais tu t'es pourtant défié d'elle au point que tu ne lui a pas révélé ce qui allait se passer. Tu me détestait peut-être déjà à ce moment-là et dès qu'elle t'a dit qu'elle travaillait pour moi, tu as alors décidé de ne rien lui dire, de la trahir elle aussi!


Apa, en même temps qu'il parlait, approchait de plus en plus de Mitor au point que celui-ci sentait ses postillons lui arriver sur le visage.


-Stop, Apa! Cria Mitor. Tu es fou, bon sang! Tu n'as rien suivi à ce que Drusila t'a dit ou quoi?! Je n'ai été en relation avec aucun Chasseur et je n'y suis resté que peu de temps car Drusila m'a attrapé! C'est elle qui m'a prévenu pour….


Mais Mitor s'arrêta en plein milieu de sa phrase. Lentement, il se tourna vers Drusila, qui semblait ne répandre aucune émotion sur son visage. Mitor, tout à coup, finit par comprendre et ne put s'empêcher de rire quelques secondes, un rire bien moins assourdissant que celui d'Apa. C'était aussi un rire de soulagement, au point que Mitor jura également pendant son rire. Il s'arrêta alors et fixa le regard perplexe d'Apa. Il s'approcha du mieux qu'il put du chef des Partisans et lui révéla tout bas d'un ton fier:


-Tu t'es fait avoir, Apa dar Lijus.


Les yeux d'Apa s'écarquillèrent. Mitor ne sut jamais si c'était dû à son incompréhension ou s'il avait saisit la vérité à ce moment-là. Alors, presque comme une libération longtemps désirée, Mitor vit l'emprise qu'avait Apa sur lui s'évaporer comme un mirage lointain. Le chef des Partisans hurla de douleur et baissa les yeux sur le poignard d'une lame argentée planté dans son ventre. Apa n'eut pas le temps de se retourner qu'il était déjà tombé au sol. Il était couché sur le dos et il regarda d'effroi le visage cruellement souriant de Drusila et celui de Mitor qui ne pouvait lui aussi cacher sa surprise.


-Comme l'a dit Mitor, cette guerre sera terminée et aucun des deux camps ne survivra, pas même vous. Confia Drusila.


-Le Dieu…Le Dieu Multiface n'intervient jamais dans les conflits des Hommes! Que...que cela signifie-t-il?! Demanda Apa, du sang commençant à couler hors de sa bouche.


-Vous connaissez nos méthodes. Quelqu'un a prié pour détruire cette guerre. Et voilà que nous arrivons au nom de notre Dieu.


-Qui a…prié?


-Cela ne vous regarde plus, vous êtes déjà mort.


-Mais je suis…ton maître!


-Le Dieu Multiface est mon maître.


Apa convulsa de plus en plus et il sentit soudain la lame de Drusila s'extirper de son ventre et se coller à sa joue.


-Gloire…aux Partisans!


Ainsi furent les derniers mots d'Apa dar Lijus, chef des Partisans, adepte du Dieu Multiface et faux ami de Mitor. La lame coupant son cou lui a empêché de continuer. Drusila sortit de sous la tunique d'Apa des clés et s'en servit pour libérer Mitor de ses chaînes. Secoué par les événements et fatigué, il tomba au sol dès que ses poignets brûlants furent libérés. Drusila l'aida à se relever et Mitor ne put s'empêcher de la serrer dans ses bras.


-Merci. Lui chuchota-t-il.


Drusila resta quelques secondes dans les bras de Mitor avant de s'en extirper de force.


-Sors d'ici et reste devant la porte, je te rejoins.


Mitor sortit donc enfin de sa cellule tandis que Drusila ferma la porte derrière elle. Comme un énorme poids qui venait de s'en aller, Mitor poussa un profond soupir. Une minute plus tard, la porte se rouvrit. Apa sortit de la cellule et referma la porte derrière lui. Il se tourna vers Mitor avec une expression autoritaire très bien copiée du Apa original et lui révéla la suite des événements.


-Je vais te cacher dans son bureau. Reprends des forces et reposes-toi. La dernière bataille de cette guerre arrive bientôt, les Chasseurs attaqueront dans deux jours.


Sous la lumière des torches crépitantes du couloir des geôles, Mitor et Drusila se mirent en marche. La millénaire partie d'échecs venait de voir ses règles bafouées par leur arrivée sur l'échiquier. Elle allait bientôt se terminer pour de bon.

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