Rhaegar le Dernier Dragon

Chapitre 9 : L’espion du prince

5500 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/11/2016 07:30

Horatio était un homme traqué. Du reste, il l’avait toujours été, et ce pendant la plus grande partie de sa vie. Une enfance dans les ruelles de Braavos conduit soit à une maturité rapide, soit à une mort précoce – car là-bas, la survie est un jeu sans merci où ne gagnent que les forts et les malins. Horatio avait été un enfant malingre, mais il avait l’esprit vif et rusé comme celui d’un rat. Ce talent naturel avait fait de lui à terme l’un des voleurs les plus ingénieux des cités libres. Et lorsque le jeune homme avait été enfin capturé, il avait su fausser compagnie à la potence qui l’attendait grâce à une évasion sans précédent, hors des cachots braaviens. Jamais plus la garde ne réussit à le prendre au piège, et sa chance incroyable faisait l’admiration de ses pairs.

Néanmoins, il y en avait quelques-uns – très peu – qui savaient qu’il était en réalité l’un des espions les plus capables des Sept Couronnes. Car Rhaegar Targaryen avait reconnu en lui une intelligence qui pouvait lui rendre de grands services. C’était son prince en personne qui avait arrangé l’évasion d’Horatio, une fois qu’il s’était assuré sa loyauté, et les vols fabuleux qui avaient rendu le voleur presque légendaire parmi la pègre braavienne n’étaient que le salaire clandestin de diverses informations précieuses.

Seuls de vagues soupçons avaient poussé Rhaegar à dépêcher son espion sur Tyrosh. Surtout après son dernier rapport. Quelque chose se préparait et le prince soupçonnait un complot qui s’ourdissait hors de vue. Et Horatio trouva la confirmation des soupçons de son maître.

Une rumeur avait couru pendant quelques mois à travers les taudis et les bouges du front de mer où rôdait l’informateur princier. Il existait un port, du moins des hommes le chuchotaient, qui promettait richesse et sécurité à toute crapule, sans considération de ses crimes, en retour de sa coopération et de son obéissance dans une entreprise secrète. Où se trouvait exactement ce port, ou ce qu’on attendait d’eux une fois arrivés là-bas, personne ne le disait. On racontait qu’un cerveau montait un immense réseau de contrebande, ou qu’une bande de pirates nouvellement formée recrutait des marins, ou qu’un des seigneurs des îles cherchait à mettre sur pied une armée privée – les folles hypothèses abondaient. 

Horatio décida qu’il devait se rendre à la Tour-Sanglante. La cour le connaissait sous l’identité d’Horatio le riche marchand de Volantis, tous les nobles l’estimaient pour ses riches cadeaux et les histoires qu’il leur relatait. Mais avant, il devait vérifier ce qui était arrivé aux autres agents qu’il avait laissés sur place. Il paraissait incroyable que tout son réseau de renseignement eût été totalement anéanti, mais tel était le cas, d’après ce qu’il découvrit. Autant faire tout le travail de terrain lui-même.

Les préparatifs de la rébellion étaient bien avancés, constata-t-il en traversant la ville. Il y avait partout des hommes en armes, et des douzaines de forges vomissaient armements et armures. Des rangées de soldats s’entraînaient dans plusieurs prés à l’extérieur des fortifications, et Horatio avait déjà appris l’existence d’un certain nombre de camps militaires plus à l’intérieur des terres. Les rebelles devaient envisager de frapper bientôt : l’ampleur de l’opération avait désormais atteint un stade où il était évident qu’un complot d’importance majeure était en cours. L’isolation forcée et d’habiles mensonges ne pouvaient pas tout camoufler. Horatio allait devoir contacter Rhaegar sans tarder.

Le port était rempli de navires, et des centaines d’ouvriers œuvraient à en construire de nouveaux et à rénover les anciens. Il remarqua quelques constructions insolites au bout d’un quai et décida de risquer un coup d’œil de plus près. Grignotant des pommes plutôt vertes qu’il avait prélevées à un camelot peu méfiant, Horatio se dirigea vers elles.

Il contempla les ouvrages avec perplexité. Les ouvriers édifiaient nombre de catapultes gigantesques, des armes d’une taille parfois employée pour le siège de villes. Ils installaient ces onagres sur d’énormes barges – des vaisseaux patauds équipés de longues rangées d’avirons pour leur propulsion. Horatio fronça les sourcils. Une fois achevés, ces lourds vaisseaux tiendraient à peine la mer. Pas question, certainement, d’atteindre Port-Réal à la rame avec eux ; si on envisageait de les utiliser pour assiéger une ville, il aurait été plus pratique de transporter les lourdes catapultes en pièces détachées dans la cale de ses vaisseaux de guerre et de les remonter une fois débarquées.

Comme il se faisait tard. Horatio décida qu’il ferait mieux de s’apprêter au banquet que l’eunuque avait organisé en l’honneur de ses généraux. Des cavaliers approchèrent dans sa direction. Horatio recula pour leur laisser le passage et fut surpris de reconnaître Eumolpos de Ghis sur l’un des chevaux. Il avait déjà appris la trahison du ghisacri, qui occupait un rang élevé dans l’armée rebelle. Se déplaçant avec prudence, l’espion resta dans l’ombre d’un auvent d’échoppe. Il avait déjà vu Eumolpos  en de nombreuses occasions aux alentours du Volantis mais, par chance, ce dernier ne le connaissait pas.

Sur l’un des autres chevaux se trouvait un homme aux cheveux sombres d’apparence assez coriace. Il portait un pantalon de cuir noir et une bure marron, ainsi que des protège-bras à gros clous d’argent. De larges bandes de muscles saillaient sur ses bras et son torse, tandis que le vent faisait voler sa bure. Horatio ne le reconnut pas. Mais un coup d’œil à ses yeux glacés suffit pour qu’il détourne le regard.

Les cavaliers s’arrêtèrent à quelques mètres de lui, et l’espion tendit l’oreille pour suivre leur conversation, tout en considérant nonchalamment l’étalage de fruits de l’échoppe qui lui faisait face.

— Ça semble avancer aussi vite que possible, en tout cas, était en train de dire Eumolpos. Je ne comprends toujours pas comment ça va nous être utile. Je veux dire, quelle sorte de précision peut-on obtenir sur une cible, dès qu’on se trouve à plus de cinq cents mètres ?  

— Elles rempliront la tâche pour laquelle elles sont conçues, assura l’homme aux yeux de glace. Il est vrai que leur usage est plutôt restreint – mais elles sont dévastatrices quand on peut effectivement les employer. De plus, les catapultes sont essentielles dans tout siège, nous aurions donc dû en construire, tôt ou tard. Et si seulement nous pouvons trouver du temps pour les entraîner correctement, leurs servants peuvent être extrêmement précis, avec ces engins. Avec une boule de feu, inutile de viser très juste, du moment qu’on atteint une cible où elle peut s’écraser.

— Fossovoie n’a toujours pas accepté l’idée de servir sous vos ordres, observa Eumolpos.

— Je sais, mais il a son utilité… pour le moment. Nous devrions le rejoindre pour aller voir ce qu’il fabrique, avant que la nuit tombe. Il devrait avoir une opinion sur le comportement de son groupe au cours des manœuvres de combat naval d’aujourd’hui.

Pendant qu’ils quittaient les lieux, Horatio sélectionna une grappe de raisins et la paya. Le marchand le surveillait de trop près, cette fois-ci. Il s’éloigna le plus naturellement possible en crachant les pépins.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Le soir venu, Milo organisa une grande fête en l’honneur de ses nouveaux alliés. Toute la noblesse y était conviée et tous savaient qu’une invitation de Milo équivalait à un ordre. Ils s’apprêtèrent donc à participer, à contrecœur, à la cérémonie de bienvenue et au somptueux banquet qui lui succéderait. L’eunuque avait accompli des miracles pour disposer les lits et les tables des invités de façon à éviter des contacts qui entraîneraient inévitablement des affrontements ou des bagarres. Les chefs mercenaires et les nobles étaient presque tous placés d’un côté ou de l’autre : quand le vin coulerait à flots, ils risquaient de s’échauffer à cause d’une phrase ou d’un geste mal interprété.

Le premier venu, était Xhobar Qhoqua, l’actuel capitaine général de la Compagnie Dorée, et ancien prince des îles d'Été. Un homme noir de peau, au cou épais bien protégé par des trapèzes gonflés. Milo lui sourit et lui fit signe de s’assoir non loin de lui. Le second était Liomond Lashare, dit le Seigneur des batailles, capitaine mercenaire réputé, et chef des Aiglons Sanguinaires. Ce dernier salua Milo froidement et prit place en face de Xhobar, qui le toisa avec mépris.

Au même moment, une silhouette stupéfiante faisait son entrée. Qhoqua et Lashare se levèrent d’un bond en reconnaissant la Vieille Mère. La reine des pirates et maîtresse absolue des îles du Basilic était très crainte, et très redoutée, au point que le prince d'Été, et le Seigneur des Batailles la saluèrent avec un respect presque royal.

Spectacle des plus étranges ! se dit Milo. Cette vieille femme inspirait la crainte plus par sa cruauté que par sa difformité. On racontait qu’elle avait été capturée par des assassins à la solde de Tywin Lannister, et ligotée sur un cheval qui l’aurait traînée sur des kilomètres de sols caillouteux.

Sa chair n’était qu’une masse informe de tissus tordus où par endroits, la pâleur de l’os luisait sous les plages de tissu cicatriciel. Des moignons de côtes déchiquetées crevaient ses flancs, où la chair avait été arrachée durant un raid. Une jambe était amputée juste au-dessous du genou, arrachée ou trop mutilée pour être sauvée. Sur son autre jambe, son pied n’était plus guère qu’un moignon aplati, en dessous de la cheville.

Mais le pire de tout était son visage. Il avait dû traîner sur le sol après quelle eut perdu connaissance. De longues mèches de cheveux noirs et soyeux poussaient sur les rares endroits de son cuir chevelu qui étaient plus que de simples plaques de tissu cicatriciel. La plus grande partie de la chair de son visage avait été raclée par les frottements, ses oreilles réduites à l’état de bouillie cartilagineuse, et son nez n’était plus qu’un trou béant. A tout cela, il fallait ajouter les lacérations terrifiantes de ses joues, la fente informe d’une bouche couvrant mal les vestiges de dents cassées, et un œil atrocement vitreux. Le second était presque pire encore… parce qu’il était intact. Dans cette hideuse parodie de visage humain, seul ce sombre rescapé était encore beau – aussi somptueux qu’un onyx luisant noyé dans une pile d’asticots.

La Vieille Mère faisait partie des Neuf durant la dernière rébellion Feunoyr, elle  n’aurait pas dû être en vie ; à l’évidence, aucune forme humaine n’aurait dû pouvoir survivre à tant de mutilation. Et pourtant, elle vivait. Et la vénéneuse force de vengeance qui, on ne savait comment, la conservait vivante flamboyait comme une démence dans son œil unique –œil qui regardait droit dans ceux de Milo, sans frémir.

— Soyez la bienvenue ! déclara Milo avec gravité.

La vielle femme dessina ce qui aurait pu être un sourire, et opina du chef. Au moignon au-dessous de son genou droit était attachée une bizarre jambe en bois sculpté. Sertie de gemmes de grand prix et ornée d’étranges sculptures, elle ressemblait à une patte de démon sortie d’un cauchemar de drogué. Bien que la tâche fût difficile et requît le secours d’une canne afin de clopiner sur la moindre distance, la Vieille Mère, ainsi équipée, parvint à marcher jusqu'à son siège en compagnie de son garde du corps.

Horatio, qui en apparence sirotait tranquillement son vin, tremblait en fait de peur. Milo avait réussi à gagner à sa cause les trois plus grands chefs de guerre d’Essos. Sans oublier qu’il venait de découvrir une information terrible. La Vieille Mère que tout le monde croyait morte était en vie. Les autres prirent place entre Lashare et Qhoqua, mais personne n’osa regarder la reine des pirates. D’ailleurs cette dernière agrippa la main d’un jeune serviteur blond qui lui apportait un verre de vin.

— Ah, mais tu es un régal pour mes vieux yeux, mon mignon, dit-elle.

Elle se tourna vers Milo.

— Je le veux ce soir dans mon lit.

— Je vous l’offre comme esclave personnel, acquiesça l’eunuque d’une voix douce. « Comme ça je découvrirai ce que tu manigances. » 

— Petit futé, répliqua la Vieille Mère plus amusée que jamais.

Elle caressa le jeune blond un moment, puis le congédia. Le reste des invités arriva et Horatio ne remarqua rien de spécial, sauf quand l’homme qu’il avait croisé au port avec Eumolpos fit son entrée en compagnie de ce dernier. Lashare et Xhobar se raidirent, et la Vieille Mère caqueta comme une enfant. Lashare se leva d’un bond et sortit son poignard.

— Que fait-il ici ? s’écria-t-il avec hargne.

— Du calme ! répondit Milo gravement. Il est mon invité, comme vous tous ici présents.

Xhobar se leva lui aussi, et vint se placer aux cotés de Liomond.

— Cet homme est recherché, annonça le capitaine général. Braavos est prête à verser une fortune pour sa tête.

La Vieille Mère renifla froidement, puis regarda Lashare avec mépris.

— Tu le détestes parce qu’il a tenu tes Aiglons Sanguinaire en échec à Volantis, mais toi Xhobar ? Pourquoi te méfier de Reinhard ?

— J’avais entendu une rumeur, déclara Xhobar d’une voix puissante, que celui qui nous dirigerait serait l’un de nous trois… je croyais que ce serait toi bonne Mère, pour Lashare je serai le premier à reconnaître ses talents de stratège, suivre ses ordres ne m’aurait posé aucun problème, mais lui ?

— Voyons ! susurra la Vieille Mère. Je connais Reinhard depuis l’époque où il commandait ma flotte. Je peux vous assurer que c’est un chef capable, aussi stratège que Lashare et aussi bon guerrier que Maelys le Monstrueux. Moi pour ma part, je suis heureuse de la savoir avec nous.

— Merci pour votre confiance bonne Mère, dit Reinhard en inclinant la tête. Je sais que vous ne me faîtes pas confiance, mais je vous promets que je serais digne de celle-ci.

— La confiance se gagne, commenta Xhobar en reprenant sa place à table, j’ai beaucoup entendu parler de tes talents guerriers… si tu nous donnais une petite démonstration ?

— De quel genre ? s’enquit Reinhard.

— Le maniement de l’épée.

— Avec tout le respect que je vous dois, ce n’est pas possible. L’âme d’un guerrier réside en partie dans sa lame. Elle ne doit pas être dégainée sauf pour faire couler le sang – et cela, je pense, n’est pas une démonstration de talent.

— Alors bas-toi à mort, déclara Xhobar.

— J’ai peur de ne pas vous comprendre. Est-ce une plaisanterie ?

— Je ne plaisante jamais avec la guerre, Reinhard. Je veux simplement que tu nous montre ce que tu sais faire. Je le prendrais très mal, si tu refusais.

— J’espère, que vous n’allez pas interpréter mes paroles comme un refus. Je souhaite simplement que vous changiez d’avis. N’est-ce pas un mauvais présage qu’il y ait un mort à un banquet ?

— Cela dépend de qui meurt, répondit Lashare en souriant amusé.       

— Très bien, accepta finalement Reinhard en avançant au centre la pièce.

Liomond désigna son lieutenant qui se trouvait à ses côtés. Ce dernier se positionna en face de Reinhard qui n’était pas armé, mais c’était mal le connaître ! Pensa la Vieille Mère, car Jon Reinhard avait toujours une lame cachée quelque part. Les deux combattants attendirent le signal de Xhobar, ce dernier claqua des doigts.

Une seconde plus tard, le lieutenant était étendu sur le sol, mort.

Reinhard essuya la lame de son couperet et le rengaina, puis quitta le centre de la pièce.

La salle était muette. Tous les spectateurs regardaient fixement l’homme étendu à terre, dont le sang giclait à gros bouillons par sa gorge.

Même Xhobar n’avait pas vu porter le coup fatal. Il repassa l’enchaînement dans son esprit. Le lieutenant de Lashare avait donné un coup d’estoc haut, que Reinhard avait paré. Quand Xhobar réalisa ce qui s’était passé, ce fut un choc. Jon avait tué le guerrier avant de parer !

Tandis que l’épée du lieutenant fondait vers Reinhard, ce dernier était venu au contact, lui avait tranché la gorge d’un coup de taille, et la lame avait continué son parcours pour venir bloquer l’attaque.

— A la bonne heure ! s'écria la Vieille Mère, maintenant je pense que la fête peut vraiment commencer.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Reinhard prit place aux cotés de la vieille femme, et ignora les regards ahuris de l’assistance. Le message que voulait lancer Milo à Xhobar et à Lashare était clair, Jon Reinhard avait une place dans ses plans, et ils devaient l’accepter de gré ou de force. C’est alors qu’on annonça la venue des dignitaires de la cité de Qarth.

Le maître de cérémonie donna l’ordre d’emboucher les trompettes et les dignitaires Qarth firent leur entrée solennelle dans la salle du trône. La délégation était menée par le noble, Tenro Tan Turan, accompagné par le gouverneur militaire de la cité et par d’autres notables, qui le suivaient à quelques pas.

Ils étaient flanqués d’une escorte de douze Immaculés, tous choisis pour leur grande taille, et la majesté de leur port.

Le noble Tenro portait une tiare molle, une veste de bysse verte, sur laquelle se détachaient des dragons de fil d’argent, une culotte ouvragée et des babouches en cuir d’antilope. Les dignitaires aussi étaient habillés de vêtements incroyablement riches et raffinés.

Mais l’attention de l’assistance se concentrait sur les Immaculés. Ils mesuraient près de six pieds, avaient le teint olivâtre, des cheveux somptueusement coiffés et frisés au fer. Ils étaient vêtus d’une veste de samit d’or tombant jusqu’à leurs pieds, d’une tunique de bysse bleu et de culottes de la même couleur, brodées d’abeilles en or, et arboraient à l’épaule leurs arcs meurtriers à double courbure et leurs carquois de cèdre à incrustations d’ivoire et de feuilles d’argent.

Ils avançaient d’un pas cadencé en posant sur le sol les hampes de leurs lances, qui se terminaient par des pommeaux d’or en forme de grenades, et exhibaient à leur côté la plus belle arme de parade qu’on eût jamais vue : l’éblouissante akinaké, une dague en or massif rangée dans un fourreau travaillé en bosselage, où rampait une série de griffons aux yeux de rubis.

Le fourreau, également en or pur, était accroché à un cliquet fixé au ceinturon : l’arme oscillait donc librement en rythmant le pas des majestueux guerriers, que scandait aussi l’ondoiement de ce précieux métal. Une fois devant Milo, Turan s’inclina, puis s’effaça pour laisser avancer les dignitaires, qui remirent à l’eunuque des présents : une ceinture en mailles d’or piquée d’aigues-marines et d’œils-de-tigre pour la vicomtesse de Tyrosh qui n’était pas présente, une cuirasse indienne sculptée dans une carapace de tortue pour Milo.

Au terme de cette cérémonie solennelle, les Qarthiens furent invités à s’asseoir sur de confortables divans, afin de discuter du protocole d’entente qui était à l’ordre du jour.

La négociation portait sur le protectorat que Milo voulait établir sur les villes de la Baie des Serfs, tout en reconnaissant formellement la souveraineté de Qarth dans cette région. Ces derniers étaient, quant à eux, préoccupés par l’avancée de l’eunuque dans la zone des Détroits, région clef, charnière entre deux continents : Essos et Westeros.

Milo tenta d’exposer ses raisons en évitant d’alarmer ses interlocuteurs :  « Je n’ai aucun intérêt à troubler la paix dans la zone des Détroits. Mon seul but est de consolider l’hégémonie de la Triarchie entre le golfe de Douleur et la rive occidentale de la mer d’Eté, ce qui constituera, sans aucun doute, un facteur de stabilité dans cette région, voie de circulation et de commerce vitale pour tous. »

Le visage de Turan ne trahit aucune émotion, mais répondit à Milo en plantant ses yeux dans les siens.

« Les nobles marchands de Qarth souhaitent résoudre le problème de tes relations avec les cités libres. Nous avons toujours accepté leur autonomie et incité les cités de Pentos et de Braavos, qui sont nos amies, à gouverner d'une façon qui respecte leurs traditions et leur dignité. Hélas… nous parlons du Détroit, qui a toujours fait l’objet de désaccords, sinon d’âpres querelles ou de guerres ouvertes. »

Reinhard qui observait tantôt l’invité, tantôt l’eunuque, essayait de comprendre ce que les deux hommes dissimulaient derrière le paravent de leurs discours conventionnels. Turan pénétrait peu à peu dans le vif du sujet en touchant des points douloureux.

Désireux de détendre l’atmosphère, Milo invita alors le maître de cérémonie à faire entrer de magnifiques jeunes gens, fort peu vêtus, qui servirent des gâteaux et du vin épicé auquel on avait ajouté de la neige des montagnes, conservée dans des jarres de la cave privée de Milo.

Les coupes d’argent étaient couvertes d’un givre léger qui donnait au métal une sorte de patine opaque et transmettait, au regard d’abord, puis à la main, une agréable sensation de fraîcheur. L’eunuque attendit que les étrangers fussent servis avant de reprendre la parole.

« Je vois bien à quoi tu fais allusion, illustre invité. Si j’avais voulu frapper Braavos et Pentos, je l’aurais déjà fait. Mais je me suis contenté d’affirmer l’autorité de la Triarchie dans les régions directement placées sous l’influence de cette dernière, et il se trouve que le Détroit en est la clé. Soyez assuré que je respecterais les possessions de Qarth si cette dernière promet de se joindre à notre grand projet. »

Turan semblait se contenter de ce que Milo leur disait. Ils comprenaient lui et ses compagnons que l’eunuque ne pouvait pas encore se permettre de se lancer dans des projets belliqueux. Et cela leur suffisait pour le moment. La Vieille Mère se pencha vers Reinhard et murmura :

— Qu’y a-t-il de vrai dans ce qu’a dit le châtré ?

— Presque rien, répondit Jon en buvant son vin épicé.

— Et donc eux aussi…

— Ils n’ont rien dit de vraiment important.

— Je vois… murmura la Vieille Mère, ils sont juste venus renifler couille-sèche avant de rentrer dans leur cité embourbée.

Reinhard la regarda un moment, puis soupira en déclarant :

— Je t’avais dis de ne pas te rendre à Port-Lannis…

— Coupons court à cette conversation, mon fils. Je ne t’avais pas écouté à l’époque et je ne referai plus cette erreur. En ce moment, j’ai des problèmes, et j’ai besoin de tes conseils.

— Parle.

— Je me prépare à occuper les îles du golfe de Douleur. Elyria et Paros seront mises à l’épreuve : il faut que je sache à quel camp elles appartiennent.

— Si tu les obliges à choisir entre Meereen et toi, elles choisiront Meereen, et tu seras contrainte d’utiliser la force.

— Meereen est sous la coupe de la Harpie, si je plonge dans la gueule du loup, je serai obligée de l’affronter avec ma flotte en rase campagne.

— Pour l’instant, je pense qu’il n’y a pas de danger. La baie des Serfs est aux prises avec des discordes, des rivalités et des jalousies si fortes qu’aucune alliance ne se conclura contre toi, selon moi. Mais si tu poursuis tes raids agressifs, tu n’obtiendras qu’un résultat : resserrer leurs liens.

— Meereen, Yunkaï, Astapor, contre la Vieille Mère ? demande-t-elle en regardant Jon d’un œil surpris.

— De même que les Sept Couronnes.

— Aerys est un vieux fou, qui le suivrait ?

— Cela ne change rien. Il y a une règle immuable : lorsqu’une puissance se fait dominante, toutes les autres se coalisent contre elle.

— Alors ils plieront tous le genou devant moi, et je mènerai à bien mes projets. Pour ça, je veux que tu commandes ma flotte noire, pour soumettre la baie des Serfs et puis… c’est dans notre intérêt commun. 

— L’intérêt coûte cher, le mot aider ne fait pas partie de mon vocabulaire.

— Tu ne changeras jamais ! s’écria-t-elle amusée. Sois sans crainte, j’ai fait de toi mon héritier, comme ça la prochaine fois Lashare et l’autre nez-cassé y réfléchiraient à deux fois avant de défier le prince des îles du Basilic.

— Alors je t’offre à mon tour Castral Roc, c’est la moindre des choses.

— Je veux Tywin Lannister vivant, demande la Vieille Mère d’une voix glaciale, c’est tout ce que je souhaite.

—Tu l’auras ! promit Reinhard 

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