Rhaegar le Dernier Dragon

Chapitre 10 : La Belle et le Limier

2960 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/11/2016 00:43

Assis dans la paille, Sandor Clegane caressait l’encolure de la jument en lui murmurant des paroles réconfortantes. Elle se leva difficilement ; il l’imita.

— Elle doit rester immobile, lui rappela Tom le palefrenier.

L’assistant de Tom, était également présent pour aider la jument à mettre bas.

— Brave fille, chuchota le Limier. Tout va bien se passer. Ce n’est pas ton premier, hein, Soyeuse ? Tu nous as déjà donné trois superbes étalons.

Abandonnant la tête de l’animal, il flatta ses flancs et se rapprocha de Tom. Le travail avait commencé depuis de longues heures et l’épuisement guettait la pauvre bête. Le Limier savait qu’il était rare qu’une naissance prenne tant de temps. Dans la majorité des cas, la jument mettait bas sans la moindre complication.

Soyeuse avait toujours connu des délivrances rapides, et ses trois poulains avaient vu le jour en parfaite santé. Mais, cette fois-ci, elle avait été couverte par un étalon dornien. l’Aïeul, un monstre de plus de dix-sept paumes au garrot.

Lâchant un nouveau gémissement de douleur, elle s’allongea. Écartant Tom, Sandor enfonça délicatement l’avant-bras dans le vagin dilaté, à la recherche de la poche d’eau.

— Saloperie ! Il arrive ! s’exclama-t-il. Je sens ses pieds.

— Par l’avant ou par le siège ? demanda nerveusement le palefrenier.

Les deux hommes savaient pertinemment que le poulain avait toutes les chances d’être mort-né s’il se présentait mal.

— J’en sais foutre rien, mais il bouge. Attends ! J’ai trouvé sa tête. Putain, elle est énorme !

Clegane fit une grimace en essayant d’attraper la jambe, mais il secoua la tête et se tourna vers Tom.

— Va me chercher de la graisse, ordonna-t-il. J’ai bien peur que le poulain ne soit en train de la déchirer de l’intérieur.

Ce dernier courut jusqu’au bâtiment principal, revenant quelques minutes plus tard avec un bloc de saindoux que l’on utilisait généralement pour enduire les sabots afin qu’ils ne risquent pas de se fissurer ou, pire, de se fendre.

— Pas celle-là, ducon, trancha Clegane après l’avoir sentie. Elle est presque moisie. Trouve-moi plutôt de l’huile d’olive, et vite.

— Oui, maître.

Il revint avec une grande amphore dans laquelle le Limier plongea les mains avant de lubrifier les parois vaginales de la jument. Cette dernière poussa et la poche amniotique se rapprocha de la sortie.

— C’est ça, ma belle, l’encouragea Sandor. Tu y es presque.

Quelques minutes plus tard, la membrane semi-translucide apparut. Les pattes avant du poulain étaient tout juste visibles au travers.

— Dois-je l’aider, maître ? demanda Tom.

— Pas encore. Laisse-lui le temps ; elle sait comment s’y prendre.

La jument hennit et la poche sortit un peu plus… puis s’immobilisa brusquement. Du sang jaillit sur la paille. Soyeuse transpirait abondamment et, voyant sa détresse, Sandor l’assista en tirant doucement les jambes du poulain. La membrane risquait de se déchirer d’un instant à l’autre, et il était vital que la tête du nouveau-né se trouve à l’air libre lorsque cela se produirait, sans quoi il suffoquerait. Tom vint se poster devant la tête de la jument et l’encouragea d’une voix douce.

Sur un nouveau spasme, la poche se dégagea et tomba par terre. Sans perdre de temps, Clegane dégagea la bouche et les naseaux du poulain, qu’il essuya ensuite à l’aide de paille fraîche. C’était un mâle d’un noir de jais, le sosie parfait de son père jusque dans la tache blanche en forme d’étoile qui ornait son front. Il releva la tête et fut pris d’un long frisson.

— Hum ! exulta Tom. C’est un fils, Soyeuse. Un vrai cheval de roi ! Et sa taille ! Je n’ai jamais vu de poulain aussi grand !

Au bout de quelques minutes, la jument resta couchée. Bien qu’épuisée, Soyeuse se releva, le poulain tenta de se mettre debout aussi et Sandor l’aida, après quoi il le conduisit jusqu’à sa mère, après deux ou trois tentatives infructueuses, le nouveau-né se mit à téter.

— Je te baptise l’Etranger, déclara Sandor avec un demi-sourire. Je ferai de toi le plus grand baiseur de pouliches des Sept Couronnes.

— La jument a perdu beaucoup de sang, maître, lui dit un Tom inquiet. Peut-être ne survivra-t-elle pas ?

— Reste avec elle. Si elle saigne encore dans deux heures, viens me trouver dans le pré ouest.

Sandor Clegane poussa un soupir, puis observa les hommes qui nettoyaient le premier pré, Les palefreniers du prince Rhaegar n’appréciaient guère cette besogne, mais elle permettait de limiter les infections parasitaires dont souffraient parfois les chevaux. En se nourrissant, les animaux avalaient les larves de vers nichées dans l’herbe. Ces dernières se développaient dans leur estomac et pondaient des œufs, qui se retrouvaient dans leurs déjections. Si l’on n’intervenait pas, un pré pouvait se retrouver contaminé, ce qui se traduisait par des malformations et des décès chez les jeunes poulains. Sandor l’avait appris deux ans plus tôt, de la bouche d’un marchand de chevaux dornien. Depuis, les prés étaient nettoyés tous les jours. 

Dans les premiers temps, les cavaliers de Peyredragon s’étaient montrés plus que réticents. Dresseurs de cheveux depuis toujours, ils n’aimaient guère cette tâche qu’ils jugeaient dégradante. Mais quand ils avaient constaté que le nombre d’animaux malades diminuait en effet de manière tangible, ils s’étaient mis au travail avec acharnement. Bizarrement, cela avait rendu Clegane plus populaire auprès d’eux. Jusque-là, ils avaient rechigné à obéir à un homme qui ne montait à cheval que pour guerroyer. Mais les talents du Limier se révélaient dès qu’il s’agissait d’élever les animaux, ou encore de les soigner. Ces hardis dresseurs de chevaux  en vinrent donc tout naturellement à le respecter, et même à apprécier sa nature irascible.

Il se rendit au manège équestre, où les jeunes chevaux apprenaient à répondre au moindre signal de leur cavalier, que ce dernier souhaite les faire tourner à gauche ou à droite, les lancer au pas de charge, ou encore les faire s’arrêter brusquement pour pouvoir utiliser son arc.

Clegane aperçut une femme accoudée à la barrière de l’enclos. Elle portait une longue robe verte maintenue à la taille par une grosse ceinture avec des fils d’or. Ses longs cheveux cuivrés lui tombaient sur les épaules, à l’exception d’un chignon sur le haut du crâne. Elle observait les chevaux émerveillée et semblait attirée par une jument alezane qui trottait à quelques pas a l’écart du troupeau.

Le Limier s’approcha et s’accouda à ses côtés. La jeune femme ne l’avait pas aperçu tout de suite, tant elle était absorbée par la jument.

— C’est la plus calme de toutes, déclara Clegane d’une voix abrupte.

L’agressivité de sa voix la désarma ; elle leva vers le nouvel arrivant des yeux inquiets.  

— Je ne voulais pas vous brusquer, que faites vous ici toute seule ?

— Vous parlez plus facilement aux chevaux qu’aux femmes, avait-elle répliqué amusée.

Sandor était devenu rouge pivoine.

— Je… m’excuse pour mon… manque de… courtoisie… Je n’ai jamais été… à l’aise en compagnie des… femmes. Surtout… de belles…

Sur les lèvres discrètement maquillées de la beauté susdite, un sourire indulgent fleurit mais à peine.

— Vous voulez un poney ? ajouta-t-il d’un ton toujours un peu revêche.

— Peut-être. Pourquoi cette jument est isolée des autres ?

Sandor regarda l’alezane puis répondit d’une voix assurée.

— Disons qu’elle est un peu capricieuse. J’ai recommandé de l’isoler du troupeau pour qu’elle se calme.

— Bonne idée, approuva-t-elle. Vous devriez aussi savoir que les chefs de harde sont toujours des femelles et qu’elles disciplinent les poulains turbulents en les éloignant du refuge de la clique.

— Je sais cela, tout seul, le poulain prendrait peur, car les prédateurs se jettent sur les jeunes isolés.

— Et plus tard, la jument permettra à la bête récalcitrante de rejoindre le troupeau. Une fois réprimandé, il restera pour toujours obéissant.

Malgré lui, le Limier fut désarmé par son sourire éclatant.

— Je m’appelle Ashara Dayne.

— Sandor Clegane.

Elle ouvrit les yeux, puis le regarda en penchant la tête de côté, comme si elle scrutait son âme.

— On dit beaucoup de choses sur vous.

— Je sais, dit-il en détournant les yeux.

Etrangement, elle n’était pas du tout effrayée, le regardant même sans frémir ou ciller, et pourtant l’Etranger savait combien de femmes l’avaient contemplé avec frayeur, y compris les putains avec lesquelles il couchait.

Sandor avait la moitié gauche du visage complètement brûlée, ce qui lui donnait un aspect effrayant. Le feu avait calciné l'oreille, qui était désormais réduite à un trou béant, l’œil avait mieux résisté mais s’était retrouvé enchâssé dans un amas de cicatrices et de chairs noirâtres. Ces dernières étaient lisses et dures à certains endroits, creusées de cratères et sillonnées de fissures à d'autres.

Au bas de la mâchoire s'apercevait l'os dénudé. Son côté droit était décharné et présentait une pommette aiguë, un œil gris, un sourcil épais ainsi qu'un nez épaté et crochu. Il rabattait ses cheveux longs sur la gauche, car aucun cheveu ne poussait sur cette moitié de son crâne. Ses cicatrices calcinées lui tordaient un côté de la bouche lorsqu'il parlait. Serala était la seule femme capable de le regarder dans les yeux sans frémir, et le Limier n’imaginait pas retrouver une autre femme de ce genre : une dure à cuire ! Ashara Dayne était la sœur de l’Epée du Matin, et à ce titre elle en présentait toutes les caractéristiques. Pas comme Serala, mais tout de même !

— Je suis ravie de faire votre connaissance, ser Clegane, ajouta-t-elle en lui souriant. Aimeriez-vous vous promener quelques instants au soleil ?

A pas lents, ils déambulèrent d’abord dans les jardins, puis plus loin dans la Cité Basse. Clegane était peu loquace, mais le silence entre eux était comme naturel. Ils finirent par s’asseoir sur un banc en pierre, près d’un puits. D’un coup d’œil par-dessus son épaule, Ashara vit que deux hommes les avaient suivis, s’installant à leur tour sur un muret, non loin de là.

— Les connaissez-vous ? demanda-t-elle en les désignant.

L’expression de Sandor s’assombrit.

— Non, et apparemment ils nous suivent depuis un bout de temps, mais n’ayez crainte. N’importe quel guerrier à peine entraîné pourrait faire détaler ces deux abrutis en moins de temps qu’il en faut pour le dire !

Ashara éclata de rire.

— Je veux bien vous croire

Des femmes portant des seaux vides approchèrent bientôt du puits et les délogèrent de leur banc. Ashara et Sandor s’écartèrent et gravirent la pente en direction d’un passage voûté appelé Queue-Dragon, qui menait tout droit aux jardins d’Aegon. Là y poussaient de hauts arbres sombres, des églantiers, des haies d’épineux, des massifs de fougères, et des canneberges y parsemaient une partie marécageuse. Une forte odeur de résine embaumait le jardin.

— Pourquoi avoir quitté vos terres ? demanda-t-elle.

Il haussa les épaules.

— A cause de mon grand frère. Ce dernier a été armé chevalier par Tywin Lannister, j’ignore pourquoi… et je n’y comprends rien, à vrai dire. Gregor a toujours été une ordure, une pourriture même. L’adouber chevalier était une connerie. Je ne pouvais plus le supporter, alors j’ai quitté le château familial.

Un autre silence s’installa. Ashara, heureuse d’être avec Sandor, n’en était pas ennuyée, mais lui était de plus en plus mal à l’aise.

— Je n’ai jamais su parler aux femmes…, avoua-t-il, avec gaucherie. J’ignore ce qui les intéresse. En ce moment précis, je le regrette.

Elle gloussa.

— La vie, la naissance, la croissance, les fleurs qui éclosent puis se fanent, les saisons de la pluie et du soleil, les vêtements reflétant la beauté qui nous entoure, le bleu du ciel, la verdure, l’or du soleil… Mais ce qui nous intéresse avant tout, ce sont les gens. Leur existence et leurs rêves. Avez-vous une famille quelque part ?

— Non. Sans compter mon salopard de frère, mes parents sont morts il y a des années.

— Pas d’épouse quelque part ?

— Qui voudrait épouser un monstre comme moi ?

Ashara se tourna vers lui, et le regarda dans les yeux.

— Un homme n’est pas défini par sa gueule. professa-t-elle en le faisant sursauter de stupéfaction Oui, poursuivit-elle avec un sourirer, je suis dornienne, et une dornienne connait les termes crus. La gueule, la dégaine, face de cul… Écoutez-moi, Sandor. Je me fiche de qu’on dit sur vous, tout comme je me fiche de votre visage. Aujourd’hui j’ai vu un homme qui aidait une jument à accoucher, et croyez moi aucun homme, même à Dorne, n’aurait déployé tant d’efforts pour un animal         quelconque – et pourtant les chevaux sont notre passion ! Vous êtes un homme bon, je le sais maintenant, et je préfère épouser un homme défiguré mais au cœur tendre, qu’un damoiseau galbé mais au cœur de pierre. Vous, un monstre ? Sottises !

Il pencha la tête sur le côté et l’examina avec attention pour savoir si elle était honnête. À sa grande surprise, elle semblait l’être.

— C’était gentil de me dire ça, dit-il.

— Non, dit-elle. Ne croyez pas que je sois une flagorneuse qui essayait de vous faire plaisir. Je suis Ashara Dayne des Météores, et je dis la vérité. Regardez-moi encore dans les yeux, Clegane, et dites-moi si vous y voyez des mensonges.

Elle le regarda avec aplomb, et elle sentit qu’il se détendait.

— Non, dit-il. Il n’y a pas de mensonge dans vos yeux.

Au fil de leur promenade, le soleil s’était fait bas dans le ciel, et Ashara se tourna.

— Je dois rentrer.

— Reviendrez-vous me voir ?

La nervosité du Limier était manifeste, ce qui la remplit d’une assurance dont elle faisait rarement l’expérience en compagnie des hommes.

— Peut-être demain…

Il sourit.

— Je l’espère.

Les dix jours suivants, elle lui rendit visite quotidiennement, et ils se promenèrent le long des grandes murailles. Ils bavardaient peu, mais elle chérissait de tels instants passés avec lui davantage que tout ce dont elle gardait le souvenir. Surtout celui où elle avait dérapé sur une marche des remparts et qu’il l’avait rattrapé par la taille avant qu’elle ne tombe. Elle s’était blottie alors contre lui, la tête posée sur son épaule. Un instant exquis… Elle aurait voulu qu’il dure pour toujours.

     

Ashara le regarda dans les yeux, mais l’expression de la femme changea, et elle fixa quelque chose derrière lui. Sandor virevolta et vit l’un des deux homme qui les suivait, une dague à la main. L’assassin se ruait vers lui. Clegane jeta Ashara de côté, esquiva la lame et saisit le poignet de l’homme, qu’il tira loin d’Ashara. Puis il lui flanqua un bon coup de tête au visage, lui brisant le nez. À demi assommé, du sang giclant de ses narines, l’assassin recula.

Le Limier le suivit et le frappa de nouveau. L’homme s’écroula au sol et lâcha le couteau. Sandor le ramassa et plongea la lame acérée dans la gorge de l’homme. Du sang jaillit de l’artère tranchée.

Ashara se releva, et se tourna vers le deuxième homme, qui l’attrapa par la taille pour lui transpercer la gorge.

— Je suis navré ! murmura-t-il avant de porter le coup fatal.

Au même moment, Clegane aussi rapide que l’éclair, l’attrapa le souleva, puis l’éventra en déversant ses entrailles au sol, puis le jeta au loin. Ashara encore choquée s’effondra dans les bras du Limier qui se tourna pour repérer d’autres adversaires potentiels.

— Tout va bien, la rassura-t-il, c’est fini.

— C’était… un Navré… murmura-t-elle en tremblant.

— Un quoi ? rugit-il surpris.

— Les Navrés, expliqua-t-elle en levant les yeux vers lui, des assassins aussi fourbes que dangereux. Ils sont nommés ainsi à cause de leur habitude de murmurer « Tellement navré… » à l’oreille de leurs victimes avant de les tuer. Mon grand père maternel a était abattu par l’un d’eux quand il s’était brouillé avec un haut noble de Qarth.

Elle regarda subitement le palais de Peyredragon.

— La princesse Elia, s’écria-t-elle apeurée, je dois la prévenir.

Elle s’élança a vivre allure, suivie du Limier qui lâcha un juron. Le prince Rhaegar était aussi en danger, c’est sur.

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