Rhaegar le Dernier Dragon

Chapitre 11 : La Caresseuse

3935 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/11/2016 23:55

Légère et courtement vêtue d’une tunique blanche retombant à mi-cuisse, Elia Martell courait jambes et pieds nus à même l’herbe de la prairie, inondée de lumière printanière et constellée de fleurs sauvages. Le vent contraire qui soufflait dans ses cheveux les parfumait de l’odeur salée des embruns, et elle aimait cela.

Sortir courir lui était primordial. Depuis trois semaines, elle avait essayé en vain de remplir ses journées d’activités agréables, mais les femmes du palais avaient peu l’occasion de se divertir. Elles n’étaient pas autorisées à faire du cheval ou à assister à des divertissements du soir, en ville. Il n’y avait pas de festivités, ni de rassemblements pour danser et chanter. Aussi jour après jour, Dorne lui manquait-il de plus en plus, et elle rêvait de la liberté dont elle avait joui. Pendant plus de deux heures, Elia avait tiré à l’arc, transperçant cible sur cible. Elle s’obligeait à mettre sa colère au service de la concentration, à rassembler son énergie au lieu de la disperser. Lorsque ses muscles avaient été douloureux, elle s’était élancée dans une longue course solitaire.

Son corps sculptural se contractait à chaque bond, avant de se détendre en une large foulée ; sa chevelure noire, douce et brillante, rebondissait dans son dos comme une crinière, ses bras légers battaient énergiquement, tandis que sa poitrine se soulevait dans le halètement de la course. Elle aperçut un troupeau de moutons et leur jeune pâtre. Le garçon la salua d’un grand signe du bras. Elia lui adressa un sourire et poursuivit sa course le long d’un mur de pierre qui dessinait la ligne de crête. Attirée par un bosquet d’arbres aux branches lourdes de fleurs roses et blanches elle s’assit à l’ombre et reprit son souffle.

Rhaegar la contemplait en silence, à califourchon sur son destrier qu’il éperonna pour venir la rejoindre.

Elia ouvrit les yeux et quand elle l’aperçut, son cœur s’emballa. Devant elle se tenait le plus bel homme qu’elle ait vu de sa vie. Un instant, elle se demandait si elle ne rêvait pas.

Elia se leva lentement

— Voila un plaisir inattendu ! dit-elle en souriant au prince.

— Vous êtes rapide, fit-il remarquer.

— Pourquoi m’observiez-vous ?

— Vous courrez bien, mais je crois que vous balancez trop les bras.

— Si je comprends bien, le prince Rhaegar m’observe pour mieux critiquer ma technique ?

— Pas du tout. En fait, je voulais vous rencontrer, mais je n’ai pas trouvé le bon moment pour me présenter.

— Moi je croyais que vous m’évitiez.

— Mes excuses, j’étais occupé ailleurs.

— Ce n’est rien, le rassura Elia.

Rhaegar l’invita à s’assoir à ses côtes, et Elia inspira longuement pour calmer le flot d’émotions qui menaçait de la submerger. Mais que lui arrivait-il bon sang ? Elle qui n’avait jamais été timide devant personne, voilà qu’elle était transformée en vierge effarouchée qui tremblait en rougissant. La fine robe qu’elle portait lui parut tout à coup bien légère et translucide.

— Je suis venu vous demander de me libérer du devoir de vous épousez, déclara Rhaegar gravement.

Elia ne dit rien, mais elle observa le vide un moment et le silence se prolongea. Rhaegar ignorait comment sa requête serait accueillie, mais il s’attendait au moins à une certaine colère. Mais elle lui adressa un sourire triste et le regarda dans les yeux.

— Si seulement les choses étaient aussi simples. Vous êtes un homme noble et courageux, et vous méritez bien plus que je ne peux vous offrir. Mais ce mariage a été arrangé par Doran et Aerys. Je suis tout aussi prisonnière que vous de leur décision. Nous ne pouvons pas échapper à notre destin, Rhaegar.

— Je me suis promis d’épouser celle dont je tomberai amoureux. Princesse Elia, vous êtes une très belle femme, mais je ne ressens rien pour vous, peut-être de la tendresse mais rien de plus.

— Peu de gens de naissance royale parviennent à épouser la personne qu’ils aiment, prince Rhaegar. Votre mère m’a fait une offre similaire, mais j’ai refusé.

— Pourquoi ? s’enquit-il simplement.

— Je ne vous aime pas non plus, prince Rhaegar, mais j’éprouve de l’affection pour vous. Je ne peux vous promettre de vous rendre heureux, mais j’essaierai.

— Donc vous acceptez de m’épouser ?

— Pour moi ce serait le plus grand des honneurs, acquiesça-t-elle en lui prenant la main. Et qui sait… un jour peut-être j’éprouverai des sentiments pour vous… pour toi, ajouta-t-elle les yeux brillants.

Rhaegar la regarda un moment puis il sourit. Elia pencha la tête de côté et l’observa à son tour. 

— J’aime te voir sourire, Rhaegar ; cela te rend séduisant. Tu ne le fais pas assez souvent.

La main de la jeune femme était chaude, et sa tête était légèrement inclinée, de telle sorte qu’il était incapable de lire son expression. Mais elle avait les yeux grands ouverts, les joues roses et les lèvres légèrement écartées. Il s’avança vers elle et elle ne se déroba pas ; leurs lèvres se frôlèrent. Les bras d’Elia se refermèrent autour de sa nuque et elle se colla contre lui, pressant ses seins contre sa poitrine. Rhaegar était indéniablement enivré par la proximité de la jeune femme. Il posa la main sur son épaule et descendit lentement le long de son bras, mais elle l’arrêta en refermant les doigts sur les siens. Il ressentit d’abord une brève déception, mais qui s’évanouit quand elle plaqua aussitôt sa main contre son sein.

Rhaegar se leva et attira Elia à lui, pourtant elle s’écarta aussi rapidement qu’elle s’était offerte. Voyant son expression apeurée, il pivota sur lui-même pour affronter le danger immédiat. Un homme surgit de nulle part et sauta sur lui avec un stylet. Sa charge était mortelle, mais Rhaegar se glissa sous la lame qui descendait et, d’un coup de pied, faucha les jambes de l’assassin. Il fallut quelques secondes à ce dernier pour recouvrer son équilibre – un délai suffisant pour que Rhaegar s’empare d’une lourde souche d’arbre.

Surveillant la souche, l’assassin s’avança avec confiance. En s’observant, les deux combattants décrivirent un cercle, ramassés en position de combat, prêts à frapper ou à battre en retraite à tout instant. L’agresseur feinta, et Rhaegar balança la racine gauchement pour parer sa menace.

Désormais certain d’avoir pris la mesure de son adversaire, l’assaillant abattit sa lame fine vers le ventre de Rhaegar. Mais celui-ci n’était déjà plus là. Avec une vitesse déconcertante, avec une rapidité déconcertante, il frappa son ennemi abusé par sa rapidité de cobra, assénant un coup de branche. L’arme improvisée du prince heurta la garde du stylet, l’arrachant au poing engourdi du tueur. Ce dernier empoigna le prince qui rejeta la souche devenue inutile, les deux relouèrent par terre et chacun essaya de prendre l’avantage sur l’autre par la lutte

L’assassin était un Navré, plus grand et plus musclé que Rhaegar, il avait été entraîné jusqu’à la perfection pour servir son ordre. Maintes fois, il avait brisé des hommes à mains nues. Massivement bâtis et habiles combattants, les Navrés qui soumettaient les hommes ordinaires à leur étreinte grasse les voyaient toujours perdre.

Mais en luttant maintenant contre le prince Rhaegar, l’assassin découvrit un homme bien plus puissant qu’aucun de ceux qu’il avait affrontés. La sueur ruissela sur son corps. Désespérément, il chercha à broyer son adversaire sous ses cent kilos de muscles. Mais Rhaegar Targaryen n’était pas n’importe qui, ce dernier était parfaitement entraîné à la lutte.

Démontrant un savoir de maître en matière de prises, il brisa chaque étreinte qu’essaya l’agresseur. D’une torsion subite, il rabattit le bras du Navré derrière son dos dans un étau irrésistible. Ce dernier se débattit en vain, son bras rendu inutile, tandis que Rhaegar le forçait à terre. Il y eut un claquement étouffé. L’assassin fut pris d’une convulsion. Avec détermination, Rhaegar brisa l’autre bras de l’assaillant, et son gémissement désespéré de souffrance animale fut le bruit le plus fort de toute cette âpre lutte. Mais le Navré avait plus d’un tour dans son sac, il dégaina un autre stylet de sa manche, et enfonça la lame dans le bras du prince qui grimaça de douleur. L’assassin leva son arme pour donner le coup de grâce, mais Elia l’assomma violement avec une pierre.

Rhaegar reprit son souffle puis grimaça lorsque qu’Elia examina sa blessure.

— Maintenant je te dois la vie, murmura Rhaegar.

— Ne me refais plus jamais peur comme ça, l’admonesta Elia d’une voix frissonnante.

Elle déchira un morceau de tissu de sa robe et banda la blessure du mieux qu’elle pouvait. Mais elle remarqua les mains tremblantes du prince, et fronçant les sourcils, elle lui massa les mains sans dire un mot.

— Le froid ne me fait pas cet effet-là, d’habitude… !

— Ce n’est rien…

— Je tremble de peur en fait… répliqua-t-il avec un sourire nerveux. Tu dois être déçue, non ?

— Pas du tout, répondit Elia en secouant la tête. Tout le monde tremble après l’action. Mais c’est ce qui se passe pendant l’action qui compte.

— Tu ne trembles pas, toi.

— C’est parce que je m’occupe.

— J’ai bien cru qu’on allait mourir. Et l’espace d’un instant, ça m’était égal, c’était une impression merveilleuse.

Il voulait lui dire combien il avait été heureux de l’avoir à ses côtés, mais il n’y arrivait pas. Des bruits de galop se firent entendre, c’était Ser Barristan avec le Limier. La princesse aida Rhaegar à relever et ce dernier fit signe aux hommes venus le chercher. Les assassins avaient échoué, et le prince comptait bien savoir pourquoi et surtout qui les envoyaient.




















— Les Navrés ! déclara Serala d’une voix sombre. La plus grande et dangereuse guilde d’assassins de Qarth. Ils sont nommés ainsi à cause de leur habitude de murmurer « Tellement navré… » à l’oreille de leurs victimes juste avant de les tuer. Bien que moins redoutés que les Sans-Visage, ils ont la réputation de ne jamais manquer leur cible.

Ils étaient réunis dans la salle de la table peinte qui dominait la citadelle. C’était une vaste pièce ronde aux murs de pierre noire et nue à l’instar du reste de la forteresse. Seules quatre hautes meurtrières en ogive, orientées vers les quatre points cardinaux, en perçaient les parois.

 Au centre se dressait la table peinte : une énorme bille de bois sculptée sur ordre d’Aegon Targaryen avant la Conquête. Longue de cinquante pieds, large de vingt-cinq dans sa plus grande largeur et quatre au point le plus étroit, elle était façonnée à l’image de Westeros : chaque golfe, chaque péninsule et baie s'y découpaient.

Le plateau, noirci par des siècles de vernis, représentait les Sept Couronnes d’avant la Conquête avec les fleuves, les montagnes, les villes, les châteaux, les lacs et forêts, mais aucune frontière. Hormis la table la pièce ne comportait qu’une cheminée et un siège. Ce seul siège était érigé à l’emplacement exact de Peyredragon, surélevé pour avoir une vue d’ensemble de Westeros. Rhaela Targaryen y était assise, à sa droite se trouvait le prince Vyseris ; Barristan Selmy et Jonothor Darry se tenaient debout devant la porte d’entrée ; Rhaegar qui portait un pansement au bras, observait le vide, assis devant la table peinte.

Elia et Ashara Dayne étaient eux également assises à la gauche de la reine.

Seule Serala restait debout, habillée d’une robe noire parsemée de joyaux brillant de mille feux. En rencontrant enfin la concubine de Rhaegar, Elia réalisa qu’elle était deux fois plus belle qu’une princesse des cités libres, ou de Westeros tout court. Elle avait tout pour plaire, un corps parfait, une peau lisse et crémeuse, des cheveux aussi noirs que ceux d’une orientale, et une voix suave et envoûtante. Pourtant cette délicatesse était nimbée d’une aura presque malsaine, ce n’était qu’une fois qu’elle regardait Rhaegar que son visage s’adoucissait.

— Combien d’autres personnes ont-elles été prises pour cibles ? demanda la reine Rhaela en se tournant vers ser Barristan.

— Trois gardes, ainsi qu’un chevalier de la maison Velaryon, dame Ashara Dayne, et bien sûr le prince.

— Six morts, six têtes, commenta Serala en passant derrière le siège de Rhaegar. Les Navrés ne choisissent jamais une victime au hasard.

— C’est moi qu’on voulait tuer, déclara Rhaegar en regardant sa mère. L’assassin n’a pas prononcé un mot quand il m’a attaqué, ce qui veut dire qu’il n’était pas un Navré.

— Quelqu’un a cherché à vous tuer tout en assurant ses arrières, intervint Jonothor Darry, les Navrés ne faisaient que déblayer le terrain.

— Je parie aussi qu’aucun d’entre eux ne connaissaient la vraie cible, dit Serala en serrant l’épaule de Rhaegar, hormis bien sur celui qui a blessé le prince. Nous avons trouvé de l’Aloès de Loup sur lui… une fois sa cible éliminée, il aurait mis fin à ses jours.

Rhaela poussa un soupir et secoua la tête. Vyseris regardait tantôt sa mère, et tantôt Rhaegar, comme il aurait aimé intervenir et donner son avis, mais n’avait hélas rien à dire sur le sujet.

— Je veux savoir pour qui il travaille, avait déclaré la reine. Et aussi pourquoi. Interrogez l’assassin !

— Ce ne sera pas facile, majesté, intervint Barristan Selmy, l’homme est peut être entrainé à résister a un… interrogatoire.

— Je pourrais lui administrer, la Mort des Mille, proposa Serala avec un sourire étrange.

Le visage de Rhaegar blêmit, de même que ceux de sa mère et des autres. Seules Elia et Ashara les regardaient tour à tour surprises et intriguées. La Mort des Mille ?  

— Tu n’es plus une Caresseuse, déclara Rhaegar encore choqué. Tu n’as pas à faire ça, même pour moi.

— Mon amour, rétorqua Serala en lui effleurant le visage, cet homme voulait t’enlever à moi, et à ta mère… Tu crois que je vais le laisser s’en tirer à si bon compte ?

Elia détourna les yeux devant cette scène un peu… troublante. Serala et Rhaegar formaient un si beau couple qu’elle en était… blessée. Ashara se leva à son tour et décida de poser la question qui lui brûlait les lèvres.

— En quoi consiste cette Mort des Mille, je vous prie ? s’enquit-elle. Il s’agit de mille quoi ?

Serala se tourna vers elle, et lui sourit à pleines dents.

— Mais de caresses, bien sûr.

Elia se leva à son tour et la foudroya du regard. Elle pouvait peut-être supporter que cette amante de cœur touche à son futur mari, mais pas qu’elle se moque de son amie.

— Ce que dame Ashara voulait savoir, c’est la façon dont vous administrez vos... caresses.

Serala posa sur la princesse des yeux aussi froids et malveillants que ceux d’un serpent.

— Mais avec plaisir, assura la Caresseuse.

— Hors de question, intervint Rhaegar rapidement, princesse Elia que vous l’appeliez la mort des mille caresses, des mille cruautés ou des mille marques d’affection, qu’est-ce que ça change, au fond ? Si l’assassin reçoit mille quoi que ce soit, il meurt, quoi qu’il arrive ! Ce nom est juste censé signifier que c’est une mort atrocement longue à venir...

— J’ai vu pire, répliqua Elia froidement, laissez-là donc m’expliquer ce qu’elle va faire de ce bougre.

— Vous n’avez rien vu, petite dornienne, murmura Serala d’une voix terrible, suivez le conseil du prince et continuez donc à courir et a folâtrer avec votre amie.

— Allons mon frère ! intervint Vyseris jovial, permettez a dame Serala de nous expliquer l’art de la caresse, j’aimerais l’entendre aussi, et peut-être que la princesse Elia apprendra des choses intéressantes.

— Oui ! renchérit Elia. Apprenez-moi.

Serala la gratifia de son sourire de hyène, puis déclara d’un ton détaché :

— Princesse Elia, on l’appelle la Mort des Mille car elle nécessite un millier de petits morceaux de papier de soie, pliés et mélangés dans un panier. Chacun d’eux porte un mot ou deux, jamais plus de trois, qui désignent telle ou telle partie du corps. Le nombril, le coude gauche, la lèvre supérieure, l’orteil médian droit, et ainsi de suite. Bien sûr, le corps ne comporte pas un millier de parties susceptibles de devenir sensibles à la douleur, comme le petit doigt, ou qui commandent une fonction vitale, comme le rein. Pour être précis, le décompte traditionnel d’une Caresseuse n’a en fait répertorié que trois cent trente-six zones de ce type. Les papiers sont donc presque tous écrits en triple : en tout cas trois cent trente-deux d’entre eux le sont, ce qui donne un total de neuf cent quatre-vingt-seize papiers. Vous m’avez bien suivi, princesse Elia ?  

— Oui, dame Serala, répondit Elia le visage blême.

— Alors, vous avez remarqué que quatre parties du corps, au lieu d’être écrites trois fois, le sont sur un seul papier. Je vous expliquerai pourquoi après, si vous ne l’avez pas deviné. Nous en sommes donc à mille, tout juste. Bien ! Chaque fois qu’un homme ou une femme est condamné à la Mort des Mille, avant que je commence à me pencher sur son cas, je fais remuer le tas dans le panier par mes assistants, afin que tous les papiers soient bien mélangés. Je le fais pour éviter autant que possible au sujet la répétition immédiate du même supplice, ce qui serait, vous le comprendrez, déplaisant pour lui, mais aussi ennuyeux pour moi.

Sa façon minutieuse de compter, le détachement avec lequel elle persistait à appeler sa victime le « sujet », ainsi que la condescendance avec laquelle lui détaillait l’opération, tout exsudait en elle une personne méthodique et dénuée d’émotions.

— Toutes ces écritures sur des papiers pliés qu’on remue... en quoi cela a-t-il rapport avec la mort ? demanda Elia d’une voix maîtrisée.

— La mort ? Mais qui vous parle de mort ? lâcha-t-elle sèchement. Nous parlons uniquement, ici, d’extinction progressive de la vie !

Lançant un regard sournois vers Vyseris, elle ajouta :

— N’importe quel soudard, le premier barbare venu est capable de tuer. Mais dès qu’il s’agit de mener avec art un sujet sur le chemin de l’extinction progressive de la vie, alors là... Là, entre en jeu toute la science de la Caresseuse !

Ashara détourna les yeux, mais Elia garda un visage de marbre. Vyseris regretta aussitôt son intervention, mais voir Elia humiliée par Serala lui réchauffait le cœur.

Rhaela, qui connaissait Serala, n’était pas surprise, car la jeune femme ne lui avait jamais caché ce qu’elle savait faire, du coup elle ne l’avait jamais jugée, mais aujourd’hui elle découvrait une autre facette de sa personnalité, derrière sa douceur se cachait une louve aux crocs acérés.

— En clair, je prélève un des papiers dans le panier, au hasard, et le déplie. Il m’indique quelle sera la première partie du corps destinée à la Caresse. Supposons qu’il s’agisse du petit doigt gauche. Vais-je marcher droit sur mon sujet, comme le ferait un boucher, et lui scier le petit doigt gauche ? Non, évidemment. En effet, que ferais-je si, d’aventure, le papier suivant venait à nommer la même partie du corps ? Je vais donc me contenter, la première fois, d’enfoncer profondément une aiguille sous l’ongle de ce petit doigt. La seconde fois, je l’éplucherai, par exemple, sur toute sa longueur, jusqu’à l’os. Ce n’est qu’à la troisième et dernière occurrence, si elle survenait, que je sectionnerais le doigt. En règle générale, bien sûr, le deuxième papier que je tire me dirige vers une partie différente du sujet : une autre extrémité, ou le nez, pomme d’Adam, que sais-je. Cela posé, compte tenu de la triple désignation et du hasard total du choix, il se peut qu’occasionnellement la même partie du corps soit citée deux fois de suite ; mais, par chance, cette probabilité reste rare.

— Par chance oui ! commenta froidement Elia.

Serala pencha la tête de côté et la regarda.

— D’autres questions princesse ?

— Combien de temps cela dure-t-il ? demanda Elia en la regardant avec défi.

Elle haussa dédaigneusement l’épaule.

— Jusqu’à ce que le sujet rende l’âme. Après tout, il s’agit bien de la Mort des Mille. Mais nul n’est jamais mort directement des manipulations que je lui fais subir, si vous voyez ce que je veux dire. Car là réside mon art suprême : la prolongation de cette agonie, que je porte à son degré le plus insoutenable. En d’autres termes, personne n’a jamais péri du choc de la douleur reçue. Les blessures doivent aussi varier en intensité, afin que le sujet ne ressente pas qu’une seule insoutenable agonie, mais une multitude de petites douleurs qu’il puisse clairement distinguer et surtout localiser. Ici, une molaire supérieure arrachée lentement et un clou enfoncé à la place, jusqu’à l’os du sinus. Plus tard, une sonde chauffée au rouge enfilée dans le méat urinaire de son pénis, ou délicatement et de façon répétée appliquée sur le petit bulbe situé à l’extrémité de son organe à elle. Entre deux - pourquoi pas ? - la peau de la poitrine d’abord écorchée, puis laissée pendante comme un tablier.

Soudain, Serala tendit la main vers Elia et lui soupesa le sein gauche. Cette dernière ne broncha pas.

— Vous feriez un très bon sujet de caresse, dit-elle en retirant sa main.

Elia se tourna vers la reine et la salua, puis se retira suivie d’Ashara. Le prince Rhaegar foudroya Vyseris quand il gloussa, plus amusé que jamais, la dornienne avait eut ce qu’elle méritait.


  


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