Rhaegar le Dernier Dragon

Chapitre 17 : Le roi Rhaegar

Chapitre final

7361 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 01/03/2017 18:41

Winterfell était en vue, et l’armée royale campa à quelques Lieues de la cité. Rhaegar Targaryen se renversa sur son siège et fit venir un clerc pour rédiger les articles de reddition tandis qu’il les lui dictait. La procédure n’avait rien d’extraordinaire. Avec l’état de guerre quasi permanent dans les royaumes du sud, les rituels qui suivaient une victoire et une défaite avaient presque été codifiés par les conventions. Avec la faciliténée d’une bonne expérience, le souverain traita de la cessation des hostilités, de la remise des armements, du paiement des réparations, de la cession des territoires, de la reconnaissance de suzeraineté, et d’autres questions aussi rapidement que son clerc était capable de les coucher par écrit.

C’était un document propre, pas injuste au vu des circonstances, et Rhaegar en était assez satisfait. Il relut le parchemin lorsque l’encre eut séché, estimaque le travail devrait servir de modèle définitif à de tels documents, ordonna à son clerc de le copier en trois exemplaires. Puis s’adossa contre son siège et ferma les yeux. C’est alors qu’on venait de lui annoncer qu’un groupe important sortait de Winterfell sans pavillon de trêve. Le roi ouvrit les yeux en fronçant légèrement les sourcils. Même à cette distance il reconnut la silhouette massive de Brandon Stark qui chevauchait un hongre crème. Ser Barristan et Ser Arthur se tenaient a ses côtés, et Rhaegar put enfin regarder Brandon de plus près. L’homme était de taille moyenne mais doté d’une puissante musculature, une épaisse barbe couvrait son visage et sa chevelure formait un casque sur sa tête, le nordien avait tout d’une brute simiesque. Lorsqu'il arriva devant le roi, il refusa de plier le genou et parla comme si Rhaegar était quelconque.

— Le siège tourne à l’impasse, commença Stark. Vous n’avez pas assez de troupes pour prendre d’assaut nos murailles. Nous avons trop peu de cavalerie pour briser votre siège. Nous n’avons rien à gagner à subir vos assauts, ni vous à poursuivre un siège sans issue, au risque d’épuiser ainsi vos provisions et d’être attaqué par nos alliés.

Rhaegar coupa son discours.

— Avant que vous ne m’ennuyiez davantage, je devrais vous dire que mes éclaireurs m’ont déjà informé de l’approche d’un nouveau corps de fantassins du Bief. Comme ils se chiffrent à trente mille, je ne doute pas que vous ayez observé leur avance depuis les tours de Winterfell. Et puisque cela a probablement déterminé cette conférence, arrêtons ces sottises à propos d’une impasse.

— Je ne devrais pas avoir à vous dire que les murailles de Winterfell sont bien défendues, ricana Stark.

— Merci, mais autant vous dire que les machines de sièges que je construis en ce moment peuvent briser ces murailles dès que j’en donnerai l’ordre, répondit le roi d’une voix calme.

Brandon demeura silencieux, Ser Barristan lui tendit le document de capitalisation. Le maître d’armes des Stark, Ser Rodéric Cassel, l’examina, lisant à voix haute pour Brandon et ses bannerets. Des visages de pierre, des lèvres pincées, des yeux furibonds – des prisonniers condamnés qui écoutaient le juge prononcer leur sentence.

— Impossible, gronda Stark.

Rhaegar se leva et toisa le parjure avec colère.

— Vraiment ? En substance, ce sont les conditions que vous vouliez m’offrir une fois Port Réal prise. Si vous trouvez la corde serrée, c’est uniquement parce que le nœud coulant est passé autour de votre cou.

Brandon Stark porta la main sur son épée, mais se ravisa en apercevant Ser Arthur et Ser Barristan faire de même.

— Je suis un homme du Nord, et l’honneur coule avec mon sang dans mes veines. Jamais je ne capitulerai, et jamais je ne plierai le genou devant un Targaryen. Aussi j’ai une meilleure proposition à vous faire.

— Je vous écoute.

— Un combat singulier, entre vous et moi. Noire Sœur contre Glace, Loup contre Dragon, le perdant s’agenouillera devant le gagnant.

— C’est ridicule, intervint Ser Barristan froidement. Vous n’êtes pas en position d’exiger quoi que ce soit, lord Stark.

— Si vous êtes vraiment un homme d’honneur, acceptez mon défi, ou je jure qu’aucun nordien ne se rendra, et Winterfell sera notre tombe à tous.

— Vous êtes un lâche ! cracha ser Barristan furieusement, vous condamnez vos propres sujets par orgueil ? Ou est l’honneur dans tous cela ? Avez-vous perdu l’esprit ?

— Soyez raisonnable lord Stark, intervint Arthur Dayne, le roi vous offre une capitulation honorable et…

— J’accepte, déclara Rhaegar d’une voix douce.

Les deux Gardes Royaux le regardèrent, abasourdis.

— Majesté non ! souffla Barristan.

— Je vous attends, dit Stark avec gravité.

Pour une raison étrange, Brandon s’inclina légèrement puis tourna les talons et s’éloigna avec Ser Rodéric. Rhaegar ordonna aussitôt à Dayne de lui enlever son armure. Ce dernier s’exécuta à contrecœur.

— Vous devriez me laissez l’affronter, majesté, dit Dayne en l’aidant à enlever son plastron. Brandon Stark est la meilleure lame du Nord et je l’ai vue combattre une fois, il est très rapide.

— Le meilleur bretteur du Nord est Eddard Stark, et il se trouve avec Robert Baratheon qui est tout aussi redoutable. On trouve toujours plus fort que sois mon ami.

— C’est de la folie, dit Barristan en secouant la tête.

— Tout comme cette guerre, et c’est le seul moyen d’épargner des vies. Je ne veux plus de morts inutiles.

Rhaegar fit jaillir Noire Sœur de son fourreau et partit rejoindre ser Brandon qui l’attendait en faisant des moulinets avec Glace, l’épée en acier valyrien de la famille Stark. Rhaegar se mit en garde et Brandon l’imita en tenant l’énorme épée en position d’estoc.

— Commençons ! déclara Rhaegar avec gravité

— NON ! grogna Brandon Stark. Finissons-en !

Brandon attaqua le premier. Sa rapidité était effrayante, mais Rhaegar bloqua et para le coup, décochant au passage une riposte qui força Brandonà reculer d’un bond. La foule se fit silencieuse et regarda les deux hommes s’affronter. Peu de personnes parmi les présents étaient à mêmed’apprécier pleinement le niveau de maîtrise qui était déployé devant elles, mais toutes savaient qu’elles regardaient deux combattants extraordinaires. L’Epée du Matin observa le combat, partagé entre l’émerveillement et l’horreur.Malgré sa carrure, Brandon Stark était d’une rapidité surprenante. Son jeu de jambes était parfait, lui assurant un équilibre constant, qu’il soit en train de bondir à l’attaque ou de se défendre sauvagement. Le rythme du combat était quasiment inhumain, lesdeux hommes semblaient pris dans un duel qui ressemblait à une danse. Le roi se battait merveilleusement bien, même si le guerrier du Nord parvenait à repousser chaque attaque du souverain, comme s’il devinait à l’avance les coups de son adversaire.

Glace entailla la poitrine de Rhaegar, provoquant une giclée de sang. Barristan gémit, mais son exclamation fut couverte par les cris de la foule. Brandon se rua pour porter le coup de grâce.

Mais le jeuneroi se déporta légèrement vers la droite. Son épée jaillit. Brandon se jeta en arrière, mais pas assez rapidement.

Noire Sœur le blessa juste au-dessus de la hanche droite. Les deux hommes se tournèrent autour de façon plus prudente. Rhaegar avait été touché à la poitrine, juste sous la clavicule, et du sang coulait jusque sur son ventre. La blessure de Brandon coulait, elle aussi, abondamment, inondant ses bas-de-chausses et ses jambières. Les deux hommes se précipitèrent une nouvelle fois l’un sur l’autre. Leurs lames s’entrechoquèrent à plusieurs reprises. Comme ils étaient presque au corps à corps, Brandon asséna soudainement un coup de poing à la tempe du Roi qui recula d’un pas. Comme il avait bien accompagné le coup, ce dernier réussit à parer un estoc enchaîné de Brandon destiné à l’éventrer. Ils se remirent à se tourner autour.

À présent, le duel était moins violent, plus mesuré, chacun cherchant la faiblesse de l’autre. Mais il n’était pas pour autant moins tendu ; la foule restait anormalement silencieuse. Pour Barristan Selmy, ce fut comme si le temps s’était ralenti. Il observa Stark, à la recherche d’une faille, la moindre chose qui permettrait une ouverture à Rhaegar. Mais il ne vit rien. Le loup était le guerrier le plus abouti qu’il ait jamais vu.

Et Rhaegar se fatiguait. Brandon s’en était aperçu lui aussi, et le combat se transforma rapidement en un jeu du chat et de la souris. Il bloqua une fente brusque et d’une riposte entailla l’épaule du roi. Son attaque suivante manqua de faire tomber Rhaegar. Glace fondit sur lui, mais le souverain se jeta de côté et la lame ne fit que ricocher contre sa tempe. Le jeune homme avait le visage en sang.

Brandon tenta une feinte suivie d’un coup d’estoc en plein coeur.

Rhaegar para et asséna un revers qui toucha Brandon au biceps gauche, lui coupant la peau. Le rythme reprit de la vitesse, les deux hommes frappant et taillant de toutes parts, bloquant et esquivant. Arthur Dayne avait compris que le nordien essayait d’épuiser son adversaire déjà fatigué. Et il était en train de réussir.

Le bras d’arme du roi n’était plus aussi rapide qu’avant, et Glace se fraya un chemin jusqu’à l’épaule gauche du jeune homme. Rhaegar recula. Barristan vit sa poitrine se soulever à répétition tandis qu’il cherchait à reprendre son souffle.

Bien que saignant abondamment, ce maudit Stark,lui, ne semblait pas trop souffrir.

— Ne me demandez pas de ne pas intervenir, ser Arthur, le roi m’en voudrait mais je refuse de le voir mourir.

— Je ressens la même chose que vous, mais nous devons faire confiance à sa majesté.

— Il est aussi mon ami, s’écria Barristan d’une voix étranglée.

— Alors agissez en ami et laissez le roi livrer son combat.

Mais les deux hommes ignoraient que Brandon était plus fatigué qu’il ne le laissait paraître. Ses bras pesaient une tonne. Toutefois, son adversaire était encore plus fatigué que lui et le nordien prendrait au moins plaisir à le tuer. Il s’était toujours demandé à quel point Rhaegar était bon. À présent il avait la réponse, et, au fond de lui, il était heureux de ne pas l’avoir affronté plus tôt. Les réflexes du jeune homme étaient incroyablement aiguisés, comme d’ailleurs la rapidité de ses contre-attaques.

Le roi tournoya brusquement Noire Sœur puis sourit.

Irrité, Brandon bondit à l’attaque.

Rhaegar para. Brandon lui décocha un direct du gauche. Rhaegar esquiva le coup et asséna un crochet du gauche foudroyant à la mâchoire de Brandon. Ce dernier accompagna le coup et fit une pirouette pourse mettre hors de portée de Noire Sœur qui fendait l’air en sifflant. Le jeune homme suivit son attaque pour porter le coup fatal. Brandon para l’estoc et se fendit vers l’avant. Glace ricocha contre Noir Sœur.

— Tu devrais peut-être te reposer un peu, proposa Brandon sur le ton de la conversation. Recule-toi et reprends ton souffle.

À peine eut-il fini sa phrase qu’il attaqua, prenant presque Rhaegar par surprise. L’épée du roi monta plus lentement qu’avant et la lame de Brandon glissa contre elle, percutant les côtes de Rhaegar et lui arrachant la peau. Rhaegar pivota sur ses talons, fit un tour complet, et laissa partir un ample coup de taille. Brandon ne le bloqua que partiellement et la lame lui trancha la chair à l’épaule.

Il fit un bond en arrière. Rhaegar n’avait pas suivi et Stark sourit en réalisant que le jeune homme était, finalement, arrivé au bout de ses forces.

Brandon passa à l’attaque. Rhaegar para puis tomba sur un genou. Son adversaire l’attaqua de nouveau. Rhaegar se jeta vers la droite, roula et se remit debout, à l’instant où Stark abattait la lame en un arc meurtrier. C’est alors que Noire Sœur lui transperça le dos pour remonter par un poumon et ressortir dans sa poitrine. Brandon tomba en arrière et s’affaissa contre Rhaegar, lâchant son épée et posant sa tête contre l’épaule de son tueur.

— Bien joué… majesté, souffla-t-il.

— J’ai eu beaucoup de chance, lui dit le roi en le faisant s’allonger par terre.

— Vous devriez… faire panser vos blessures.

— Je vais attendre un peu, répondit Rhaegar.

Brandon cracha du sang et trembla, Rhaegar le serra dans ses bras puis regarda Ser Arthur qui appela aussitôt un mestre. Mais le loup secoua la tête. L’acier valyrien est plus tranchant que l’acier ordinaire. Et Noire Sœur était aussi coupante que Glace.

— Le Nord… se souviendra de votre bravoure… mon garçon… murmura Brandon d’une voix faible, j’aurais aimé vous connaître… avant.

— Moi aussi, guerrier. Moi aussi.

— Je crois que je vais dormir un peu.

Brandon ferma les yeux et Rhaegar le déposa au sol.

Le loup était mort.

Sentant son coeur se briser, Rodéric Cassel se laissa tomber sur un genou. De l’autre côté du cercle, il vit ser Arthur Dayne, faire de même, imité par tous les chevaliers. Puis, un par un, tous les soldats de l’armée royale s’agenouillèrent en respect pour Brandon Stark qui à vaillamment combattu jusqu’au bout.

Rhaegar pencha la tête, malade de dégoût de cette guerre inutile. Puis, dans le calme ambiant, il entendit un léger sifflement. Il leva les yeux. Sans que personne ne s’en aperçoive, pendant que se déroulait la titanesque bataille, des nuages d’orage s’étaient accumulés. Le ciel s’obscurcit sous ses yeux, puis un coup de tonnerre éclata tandis qu’un éclair illuminait le ciel au-dessus des murs de Winterfell.

Et une pluie diluvienne s’abattit.













Le roi ne sut jamais combien de temps il était resté agenouillé dans la boue et la pluie. Puis il s’aperçut finalement que des gens bougeaient autour de lui. Il ouvrit les yeux. Les nordiens étaient rassemblés autour de Brandon et s’apprêtaient à emporter sa dépouille. En se levant il aperçut une jeune femme aux cheveux noirs marchant vers eux dans la pluie, seule, vêtue d’une robe écarlate, le visage sévère et la tête haute.

Elle le rejoignit. Elle était livide, et ses cheveux étaient plaqués sur sa tête et sur ses épaules par la pluie, mais il trouva qu’elle était la plus belle femme qu’il ait jamais vue.

Elle regarda le corps de Brandon, et quand ses yeux se posèrent de nouveau sur Rhaegar, ils étaient pleins de larmes.

— Eh bien, roi ? Es-tu content de cette journée ?

— Que voudriez-vous que je dise, madame ?

— Que cela se termine maintenant, et que tu rentreras chez toi.

— Oui, je retourne à Port Real, et à mon navire, et je quitterai Westeros, je ne suis pas fais pour être roi.

Elle leva les yeux, incrédule. Et ce fut le choc ! Le roi aussi pleurait, elle regarda ses Gardes qui se tenaient à distance respectable, l’un d’eux détourna les yeux et l’autre affichait une mine sombre, mais Rhaegar pleurait toujours et la regarda enfin.

—J’ai ressenti beaucoup de peine pour Brandon. Il n’aurait pas dû perdre, et il l’a su au moment de sa mort. Il s’attendait à ce que je sois sur la défensive, à ce que je lise ses mouvements. Lorsque mon épée l’a transpercé, ses yeux ont changé. Il avait l’air d’être redevenu un enfant, perdu et déconcerté.

D’abord, Lyanna Stark fut trop choquée pour éprouver du chagrin. Elle se sentait comme assommée par un gigantesque poing de fer. Surtout lorsque le roi perdit connaissance, sans hésiter elle s’élança a son chevet sans comprendre pourquoi elle aidait le meurtrier de son frère. Peu lui importait, cet homme souffrait et elle l’aiderait, ami ou ennemi. Il avait perdu beaucoup de sang, ses blessures étaient graves. Ser Barristan et Ser Arthur s’apprêtèrent à le soulever pour l’emmener dans une tente mais Lyanna les empêcha.

— Il faut le transporter à Winterfell, s’écria-t-elle vivement.

— Nous avons un mestre et… déclara Barristan  

— Ce qu’il lui faut c’est un lit, du feu, de la chaleur, autant que maîtresse du Nord je vous offre mon hospitalité.

— Allons-y sans tarder. Ordonna Dayne.

*

Assis à côté du lit, Barristan Selmy observait le visage de son roi inconscient. Allant à l'encontre des directives du mestre, il avait ouvert les volets pour mieux distinguer les traits de Rhaegar. Le souverain avait le teint gris ; ses joues étaient creusées et ses yeux enfoncés dans leurs orbites. Chaque fois que Barristan posait la main sur sa poitrine, il ne percevait que des battements de cœur faibles et irréguliers.

Le chevalier ne s’était guère inquiété au cours des deux premiers jours de sommeil de Rhaegar. En effet, le mestre des Stark un certain Lewyn luiavait expliqué que la bataille avait épuisé le jeune targaryen et, faisant confiance au mestre, Barristan l’avait aidé à saigner son maître et ami.

Mais, au bout de quatre jours d’attente, le Chevalier Garde ne croyait plus le mestre.Les traits de Rhaegar étaient toujours plus creusés, et rien ne montrait qu’il reprendrait un jour conscience. Remplissant un gobelet d’eau fraîche, Barristan souleva la nuque du malade et essaya de le faire boire, mais le liquide ruissela sur son menton sans passer la barrière de ses lèvres. Découragé, il abandonna.

Il se leva en entendant la grande porte grincer. Quelques instants plus tard, le mestre de l’armée pénétra dans la chambre et sortit sa trousse. Barristan le dévisagea sans aménité ; il n’aimait guère les mestres mais leur enviait leur savoir. Mais au même moment, Lyanna Stark fit son entrée et Barristan contempla la jeune louve qui s’interposa entre le médecin et son patient.

— Qu’est-ce donc que cela ? s’indigna le mestre. Il faut lui appliquer des sangsues pour atténuer la pression des liquides internes.

— Pardonnez-moi, mais il n’a pas été question de sangsues dans votre conversation avec notre mestre. Vous aviez envisagé de pratiquer un drainage en cas de suppuration, c’est tout.

—Ayez confiance. C’est moi, le mestre.

— Maître Lewyn est le mestre personnel des Stark, et il a même soigné ma mère et mes frères. J’ai également confiance en lui. C’est pourquoi vous n’appliquerez pas les sangsues avant d’entendre son avis.

— Ça n’a aucun sens…

Il se tourna vers Ser Barristan.

— Faîtes donc sortir cette femme, ou le roi risque de mourir.

Levant une main squelettique, il tenta d’écarter Lyanna,mais Barristan s’interposa et saisit le mestre par le col de sa tunique brise et l’attira àlui. Le mestre pâlit brusquement en lisant la détermination du chevalier dans ses yeux d’émeraude.

— Cette dame a ouvert les portes de sa demeure pour nous, lui rappela Barristan, et je t’interdis de mettre ces sales bêtes sur la peau de mon roi si le mestre de lady Stark s’y oppose !

—Puisque c’est comme ça, je m’en vais, affirma le mestre, vexé.

Le mestre se retira et ser Barristan retourna au chevet de Rhaegar. Lyanna examina la blessure du malade, malgré les compresses elle suppurait.La nuit était fraîche, mais un voile de sueur brillait sur le beau visage de Rhaegar. Elle leva une main et caressa la joue enfiévrée.

— Pardonnez-moi de vous poser cette question, madame. Mais pourquoi tenez-vous à aider le roi ? Je veux dire… il a tout de même…

— Si le roi avait choisi l’un de ses gardes pour combattre mon frère, je l’aurais laissé pourrir dehors. Mais il à affronté Brandon l’arme au poing.

Elle le regarda dans les yeux et ajouta promptement :

— Et c’est un homme blessé que j’aide, pas le roi. Pour moi ça fait une différence

C’est là que mestre Lewyn fit son entrée. C’était un homme âgé qui traînait l’éternelle chaîne des mestres, et Barristan apprécia l’aura d’intelligence et de bonté qui émanait de lui.

—Que se passe-t-il, ma dame ? demanda-t-il.

—Son mestre voulaient lui appliquer des sangsues, mais je m’y suis opposée : je préférais entendre ton avis. Vexé, il est parti.

— Tu as bien fait, ma dame : les sangsues auraient aggravé son état. Comment va-t-il ?

— Il a toujours beaucoup de fièvre, répondit Barristan avec inquiétude.

— Ser Arthur Dayne est parti pour Port Réal avec la moitié de l’armée, déclara-t-il au chevalier, il à laissé Ser Clegane avec la cavalerie, et vous prie de lui envoyer un corbeau une fois l’état du roi amélioré.

— Merci mestre Lewyn.

Il hocha la tête, puis la dépassa et s’approcha du lit. Il se pencha sur Rhaegar et tira le drap pour regarder la blessure. Puis la renifla.

—Très mauvais, dit-il en posant une main sur le front du roi. Pire que ce que je craignais.

Il sortit de son sac un petit flacon en poterie couvert de gaze, puis une étroite cuillèrer en bois. À la lueur vacillante des lampes, Barristan le vit appliquer avec soin sur la blessure une pâte blanche. Puis il regarda de plus près. La pâte se tortillait !

—Que faites-vous ? s’écria-t-il horrifié.Ce sont des asticots !

—Oui, ce sont des asticots, dit Lewyn. Et ils sont sa seule chance de survivre. Bien qu’il soit peut-être déjà trop tard.

Tout en parlant, il déposait les minuscules vers blancs sur la blessure, puis il la recouvrit d’un morceau de gaze.

—Les asticots vont manger la chair pourrissante et dévorer la maladie qui est en lui. Ce sont des créatures de la saleté j’en conviens–mais elles se régaleront de la saleté qui est entrain de le tuer. Les dothraki appliquaient la même méthode pour soigner leurs blessures.

— Combien de temps… doivent-ils se nourrir de sa plaie ?

— Trois jours. Les asticots vont grossir jusqu’à dix fois leur taille actuelle. Je les enlèverai, et j’en mettrai peut-être d’autres. Quand il se réveillera, il faut le faire boire le plus possible, de l’eau coupée de miel.

Et le traitement commença, Barristan veillait fidèlement sur son ami, au troisième jour il avait le teint moins blafard mais il avait toujours de la fièvre. Le Chevalier regarda le mestre Lewyn retirer la gaze. Il eut un haut-le-cœur quand il le vit sortir un par un les asticots, maintenant gras, et les laisser tomber dans un récipient vide. Ils étaient énormes, enflés. Mais la blessure,bien qu’ouverte et à vif, avait l’air plus propre et moins enflammée.

Les jours passèrent lentement. Rhaegar avait davantage de moments de lucidité, et il parvint même à manger un bol de bouillon de viande et un peu de pain. Lesnuits restaient difficiles.Il criait pendant les rêves induits par la fièvre, appelant sa mère ou son père. Une fois la blessure entièrement nettoyée, le mestre déclara qu’il était temps de la recoudre. Une fois terminé il poussa un soupir et se tourna vers Selmy et lui sourit avec bonté.

— Il est hors de danger, mais son esprit m’inquiète, il fait des cauchemars de plus en plus violent, il faut le calmer.

— Est-ce qu’il a une épouse, ou une maîtresse quelque part ?

— Sa fiancée se trouve sur Peyredragon, l’informa le chevalier, et sa maîtresse sur Port Réal, je pourrais envoyer un corbeau lui enjoignant de venir au plus vite.

— Avec ces cauchemars je ne pense pas qu’il tiendrait le coup, amenez lui une jeune femme à son lit, ou un jeune homme, si telles sont ses préférences.Que quelqu’un s’allonge, nu, à côté de lui, et le caresse.Faites tout ce qui peut lui rappeler les plaisirs de la vie.

— Facile à dire, grommela Barristan.

— Aller vous reposer, Ser Barristan, je veillerai sur lui. Allez dormir un peu. Vous vous sentirez mieux après.




L’abîme tourbillonnait autour de lui. Noire Sœur trancha la gorge d’une énorme gargouille au corps couvert d’écailles. Haute comme un homme, la créature blessée laissa échapper de véritables bouillons de sang qui trempèrent Rhaegar de la tête aux pieds, à tel point qu’il eut du mal à ne pas lâcher son arme. Il monta un peu plus haut à flanc de colline. Les monstres volants tournoyaient autour de lui, hors de portée de l’épée luisante, et le sol disparaissait à chacun de ses pas. Quelques feux lointains étaient visibles au fond du gouffre, et il semblait entendre les plaintes des âmes tourmentées.

Il était épuisé. Une douleur atroce lui vrillait le crâne. Il entendit des ailes battre juste derrière lui et se retourna brusquement pour planter sa lame dans un abdomen velu. Mais la créature était déjà sur lui, et ses crocs se refermèrent sur son épaule. Il bondit en arrière et trancha la tête de son adversaire inhumain. Il tomba sur le dos et le sol disparut sous ses jambes.

Roulant sur le ventre, il se remit debout et courut jusqu’au sommet de la colline. Le néant se rapprochait de lui, montant inexorablement telle une marée impitoyable.

Les gargouilles continuaient de tournoyer au-dessus de lui.

À cet instant, il l’entendit.

— Je t’aime, dit-elle, et un rai de lumière déchira les ténèbres pour bâtir un pont reliant la terre au ciel.

Rhaegar sentit la chaleur d’un corps nu se glisser contre le sien. Ses bras se posèrent sur sa poitrine et sa jambe toucha sa cuisse.

— Serala ? murmura-t-il.

Mais ce n’était pas Serala, il vit un autre visage, de magnifiques yeux bleus plongés dans les siens.

— Oui, c’est Serala, dit-elle.

Les lèvres de la jeune femme touchèrent les siennes, et il sentit les battements de son coeur s’accélérer. Sa main glissa plus bas, et il gémit quand il sentit l’excitation le gagner. Elle ouvrit la bouche, et le baiser devint plus passionné. La douleur de sa blessure s’effaça. Ce rêve-là était nouveau ! Une partie de son esprit s’attendait à le voir disparaître et se transformer en une scène d’horreur.

Mais cela n’arriva pas. Il sentit la chaleur monter en lui et son coeur battre à tout rompre. De son bras valide, il lui entoura la taille et l’attira sur lui. Sa cuisse glissa par-dessus ses hanches, et elle se retrouva assise sur lui.

Désormais, les visions de cauchemar n’avaient plus de prise sur lui. Il sentit la chaleur douce et humide de son corps et se souleva pour la rejoindre. Elle cria quand il la pénétra, puis se pressa plus étroitement contre lui, ses mains entourant le visage de Rhaegar, ses lèvres contre les siennes.

Au plus profond de son corps, quelque chose se réveilla et grandit. C’était le désir de vivre, de connaître le bonheur. Le fantôme qui le chevauchait trembla, gémit, puis cria. Le son emplit un vide en lui. Puis une lueur blanche explosa derrière ses paupières, et il s’évanouit.

À son réveil, il fut accueilli par le chant des oiseaux et la lumière étincelante du soleil.


*

Barristan Selmy ouvrit le paquet que lui avait confié mestre Lewyn et caressa délicatement les feuilles et tiges séchées qu’il contenait.

Emplissant un gobelet d’eau bouillante, il y jeta une poignée d’herbes et une odeur forte et désagréablement douceâtre emplit la chambre.

À quelques pas de lui, Rhaegar s’était réveillé, mais il n’avait rien dit, n’avait pas même bougé lorsque son ami était monté le voir. Après avoir remué l’infusion à l’aide d’une cuillère en bois, Barristan ôta les feuilles flottant à la surface et apporta le breuvage au malade. Rhaegar n’avait pas quitté son lit – il s’y était assis pour regarder par la fenêtre.

— Buvez ceci, lui dit Barristan.

Rhaegar accepta le gobelet tendu et le porta à ses lèvres.

— Buvez bien tout, ordonna le chevalier, et son roi obéit sans mot dire.

Chaque jour, les forces du jeune roi lui revenaient davantage, il était à peine capable de monter un escalier, devant s’arrêter plusieurs fois pour reprendre son souffle.

Autrefois mince et puissant, son corps était devenu squelettique et ses muscles avaient fondu. Mais la disparition de l’infection lui avait redonné de l’appétit, et Barristan supervisait la préparation de ses repas. Pas de pâtisseries ni de vin, mais beaucoup de fruits et de viande fraîche.

— Mon grand-père était un grand guerrier en son temps, dit-il à Rhaegar, et il a reçu plus de vingt blessures. Il affirmait qu’un organisme blessé a besoin d’une nourriture simple : de l’eau pour nettoyer le corps, des fruits et de la viande pour redonner des forces. Et, comme pour un bon cheval, le corps doit être exercé afin de retrouver sa force.

La peau de Rhaegar perdit rapidement sa pâleur fantomatique, et les cernes sous ses yeux s’estompèrent.

Barristan avait emprunté deux chevaux aux écuries des Stark pour monter à cru sur les collines. La chevauchée fatigua Rhaegar, et Sandor les conduisit jusqu’à une ferme où se trouvait un puits. Les deux compagnons s’assirent à l’ombre de la maison. Le roi posa la main sur sa cicatrice. Il ne portait plus de bandage, mais la chair était encore rouge vif.

— Qu’en est-il de la douleur ? demanda Selmy.

— Elle me démange, répondit-il d’une voix distante.

— Encore quelques jours et nous repartons à Port Real, votre victoire s’est propagée aux quatre coins du royaume, majesté. On vous surnomme maintenant le Roi Guerrier.

— C’est un nom ridicule.

— Je n’ai jamais aimé le Hardi moi non plus.

Rhaegar afficha un sourire crispé.

— Je ne suis pas fait pour être roi.

— Vous avez dit la même chose à lady Stark.

Rhaegar le regarda brusquement, mais Barristan observait le vide comme perdu dans ses pensées.

— Je n’ai pas vu lady Stark, où est-elle ?

— En deuil je présume, elle a perdu son frère et son père.

— Son père ? s’exclama Rhaegar, mais je croyais qu’il était seulement…

— Mort de chagrin après la mort de Brandon.

Barristan se tourna vers le jeune homme, il voulait dire quelque chose mais aucun mot ne sortait de sa bouche.

— Si tu as quelque chose à dire, dis-le-moi, mon ami.

— Vous êtes désormais moi roi, dit Barristan froidement. Je ne suis plus votre ami, mais votre serviteur.

— Alors je t’ordonne de me parler comme tu l’as toujours fais avec moi, avec honnêteté et sincérité.

Barristan se mordit la lèvre puis le foudroya du regard.

— Par les Sept, qu’est-ce qui t’a pris de croiser le fer contre Brandon Stark ? As-tu perdu l’esprit ?

— Et qu’aurais-je dû faire ? répliqua Rhaegar sur le même ton. Refuser le combat comme l’aurait fait un lâche ? Choisir un autre qui aurait sûrement perdu le combat ?

— Je l’aurais vaincu sans difficulté, et tu sais pourquoi ? Parce que j’avais compris en deux coups sa technique, chose que tu n’as mis du temps à découvrir. Lui à failli te tuer, mais dieux merci, la chance était de ton côté. Tu pouvais aussi choisir ser Arthur qui l’aurait abattu rapidement. Mais tu ne l’as pas fait ! Tu n’es plus un prince marchand, mais un roi désormais, si tu étais mort qui aurait pris ta place ? Hein ? Vyseris ? Ou Robert Baratheon pendant qu’on y est.

— Tu penses vraiment que j’aurais choisi un autre pour combattre à ma place ? Toi qui me connais si bien, tu crois que j’aurais pu faire une chose pareille ?

— Pas de cela avec moi, jeune roi, grogna Barristan avec des yeux menaçants. Brandon Stark était la plus fine lame du Nord, tu voulais  juste mesurer ta force avec la sienne. Tu crois qu’il méritait de mourir afin que tu puisses marquer un point ? N’aurais-tu pas pu le gagner à   ta cause par la force de persuasion de tes propos, par ta puissance mentale ? Faut-il toujours que la mort ait le dernier mot avec toi ?

— Parfois, lui dit-il, de tels actes sont nécessaires. J’ai vu un jour ser Jonothor fendre la poitrine d’un marin pour en extirper la pointe de flèche qui s’y était logée… Parfois, il faut couper le mal à la racine.

— Ne cherche pas à te duper toi-même, contra Barristan. Ne tente pas de trouver une explication rationnelle à ta malveillance pour lui donner le visage du bien… Oui, les nordiens t’obéiront et te craindront dorénavant. Oui, le royaume n’a plus à redouter la discorde. Oui, tu es le roi. Ton père serait si fier de toi !

Rhaegar sentit la colère monter en lui.

— Stark avait été dûment averti, j’ai offert des conditions de capitulation honorables et il a choisi de passer outre. Cet instant sanglant aura fait plus qu’une avalanche de paroles ! Voilà la stricte vérité !

— La vérité ? s’exclama Barristan choqué et ahuri. La vérité mon roi, est une pute aux nombreuses tenues, et il me semble qu’elle offrira à un homme des raisons valables à n’importe quel acte, si atroce soit-il. Et ce sera tout pour aujourd’hui.

Barristan se tut. Son accès de colère l’agaçait lui-même. Il avait de l’affection pour le jeune souverain, qu’il admirait beaucoup. Rhaegar était capable d’une grande bonté et de loyauté. Il était courageux et avait des principes. Des caractéristiques rares, de l’avis de tous. Mais à mesure que son pouvoir grandirait, Rhaegar serait de plus en plus menacé – Barristan le savait. Après un temps, il poussa un soupir.

Le roi était adossé à un arbre.

— Je suis navré, mon ami. Ce n’est pas à moi de vous faire la leçon.

— Non, en effet. Mais tes remarques m’ont fait réfléchir, et il y a un fond de vérité. Merci de ton honnêteté.

Le chevalier laissa échapper un petit rire.

— Il faut toujours que je dise ce que j’ai sur le cœur… pour mon malheur ! Difficile de trouver une personne que je n’aie pas insultée, à un moment ou à un autre…

Le tonnerre roula dans le lointain, et un vent froid se leva. 

— Quand repartons-nous pour Port Real ?

— Demain, je vais d’abord saluer lady Stark, puis nous quitterons le Nord pour le soleil du sud.

— Il était temps, grommela Barristan, j’ai horreur du froid.

— J’aurais voulu ne jamais me réveiller, avoua Rhaegar d’une voix triste.


*

Lyanna Stark entra voluptueusement dans l’eau chaude et laissa sa servante enduire ses cheveux d’huile parfumée, avant de faire disparaître les impuretés de sa peau à l’aide d’un couteau en os à la lame arrondie. Puis elle enfila une robe de lin bleu qui lui arrivait à la cheville et s’assit en compagnie de ses caméristes. Elle aurait voulu sortir pour chasser mais elle devait rester tant que le roi n’était pas là, elle avait demandé de ses nouvelles, et on l’avait informée qu’il avait retrouvé la santé. Elle resta assise, rêveuse pendant que ses dames jacassaient sur tout et n’importe quoi. Les paroles de l’une d’elles attirèrent son attention.   

— Avez-vous remarqué que le roi serrait dame Lyanna par la taille pendant qu’on le transportait inconscient au palais ? Même dans cet état il vous enlaçait le corps.

— Tu dis n’importe quoi, dit une autre horrifiée, et tu oublies qu’il a tué notre seigneur Brandon !

— Il l’a battu en combat singulier, c’était un duel, je te rappelle.

— Tais-toi maintenant ! vociféra la plus grande.

Déjà lasse de leurs jacasseries, Lyanna ferma les yeux un moment lorsque la porte de ses appartements s’ouvrit Et une voix qui lui serra le cœur fit résonner celui-ci comme une grande cloche frappée par le bedeau.

— Je voudrais quelques instants seul avec lady Lyanna.

C’était le roi Rhaegar. Il fit signe aux servantes de se retirer mais Lyanna se leva de son divan et le regarda dans les yeux.

— C’est ma chambre personnelle, pas votre champ de bataille, majesté… Il leur faut ma permission.

Il eut un sourire penaud qui lui donna l’air d’un adolescent et fit disparaître la sévérité de ses traits. Puis il esquissa une courbette et s’apprêta à partir, lorsque Lyanna ajouta d’une voix de velours :

— J’ai dit… Personne ne s’en va sans ma permission. En outre, ça pourrait être dangereux de rester seule avec vous.

— Vous n’avez donc pas confiance en moi ? s’étonna Rhaegar en souriant.

— C’est en moi que je n’ai pas confiance. Mon sang de Loup pourrait m’inciter à venger votre assaut.

— Vous avez tous les droits, je vous dois la vie.

— Et moi je vous dois la mort de mon frère !

— Dans ce cas, je donnerai ma vie pour vous, lady Stark.

Lyanna le gratifia de son plus beau sourire, et Rhaegar eut l’impression que les rayons du soleil venaient se perdre dans ses yeux qui scintillaient telles des pierres précieuses.

— Il semble que ce compte doive être réglé en privé, après tout ! murmura-t-elle en plongeant son regard dans les yeux violets.

Les servantes s’éclipsèrent.

— Votre blessure avait l’air profonde, ajouta-t-elle inquiète, laissez-moi voir.

— Les rois ne montrent pas leurs blessures, dit Rhaegar avec gravité.

Elle se leva brusquement, puis tira un poignard de sa manche et souleva le pourpoint de son visiteur avant qu’il n’eut le temps de réagir. Le roi respira rapidement, de peur, ou d’autre chose, la lame était très près de sa cicatrice. D’un geste, elle pouvait lui ôter la vie, mais la Louve ne fit qu’examiner la plaie, et le jeune homme tressaillit lorsque ses doigts glacés touchèrent sa peau.

— Pour d’autres cela pourrait être une cicatrice de bataille… pour moi, vous êtes la lune baignant dans la nuit, murmura-t-elle dans un souffle semblable au vent des montagnes.

Elle recouvrit la blessure et glissa le poignard dans sa manche.

— J’ai vu vos blessures, Rhaegar… vous n’êtes plus le roi.

— Ce que vous voyez est simplement la marque de l’épée de Brandon…

— Et votre cœur saigne, je le sais. Même les louves ont un cœur!

Elle se pencha plus près et l’embrassa sur la joue.

— Ceci est un gage d’amitié du Nord, nous vous serons fidèles, roi Rhaegar et nous nous souviendrons de notre serment. Le Nord se souvient toujours de ses promesses.

— J’accorde un très grand prix à l’amitié, sans doute parce que je n’ai jamais eu beaucoup d’amis. Vous m’avez sauvé la vie, et c’est là une dette dont je saurai m’acquitter. Si jamais vous avez besoin de moi, je serai là, sans vous poser la moindre question.

Pour une raison qu’il ignorait, Lyanna rougit et détourna les yeux. Elle paraissait très pâle et, pour la première fois depuis qu’il l’avait rencontrée, Lyanna semblait tendue, mal à l’aise… Son visage sévère s’était radouci et avait rosi.

— Ne me remerciez pas, ou mon hospitalité pourrait être remise en question.

— Je m’en vais demain, lady Stark.

— Et alors ?

— Nous ne reverrons peut-être jamais.

— Vous avez laissé plus qu’un souvenir, majesté, n’ayez crainte.

Rhaegar lui embrassa la main, et Lyanna le vit quitter ses appartements, elle s’appuya contre le mur comme si elle se sentait défaillir et écouta ses pas résonner dans le couloir puis s’éteindre au fond de l’escalier.

Et c’est alors qu’elle caressa son ventre d’une main tendre.

— Un souvenir qui grandira en moi, mon amour.







Épilogue


Rhaegar Targaryen quitta Winterfell le lendemain. Il vainquit Hoster Tully au cours d’une bataille rangée dans la plaine de Noblecœur, et partit ensuite avec son armée pour envahir les terres de l’Orage. Pendant la campagne, il gagna un autre surnom : « Le Roi des Batailles ».

Il épousa Elia Martell après la rébellion. Elle lui donna deux enfants qui se nommèrent Aegon et Rhaenys. Son règne prospère fit oublier les années de terreur sous Aerys.

Serala d’Asshaï demeura à la cour du roi, et d’aucuns murmuraient qu’elle le recevait toujours certains soirs dans ses appartements. Mais personne n’apporta la preuve de ces rumeurs. Elle fut surnommée la Perle Noire du Dragon et certains nobles furent mystérieusement assassinés lorsqu’ils osèrent critiquer son ascension à la cour de Port Real.

Sandor Clegane fut adoubé chevalier, il épousa dame Ashara Dayne et reçut la seigneurie de Lestival. Avec les années, leur famille s’agrandit de deux fils qui se nommèrent, Arnaud et Trevor. Ils devinrent tous deux écuyers de ser Barristan Selmy.

Jon Reinhard conquit les Cités Libres et annexa même certaines terres de Vaes Dothrak. Baela Feunoyr le nomma Main de la Reine et gagna même le respect de la Compagnie Dorée. Leur projet d’envahir Westeros avançait à grands pas, et une guerre plus violente attendait le royaume des Sept Couronnes.    

Un jour, Eddard Stark devenu seigneur du Nord, vint à Port-Réal accompagné d’un enfant. Jon Snow était le nom du fils de Lyanna Stark. Arrêtant le pas lent des chevaux, l’enfant se tourna sur sa selle et fixa obstinément l’horizon des mers de l’Est.

Au même moment, à des milliers de kilomètres de là, une fillette aux yeux violets se leva et regarda en direction de l’Ouest.

— Que regardes-tu, Amerei ? lui demanda sa mère.

— L’ennemi, murmura la fillette.



(Mais ceci est une autre histoire)



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