Rhaegar le Dernier Dragon

Chapitre 16 : Soulèvement

7851 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/02/2017 18:42

Gerold Hightower, Arthur Dayne, Oswell Whent et Barristan Selmy, tous quatre en armure, arrivèrent à la tombée de la nuit, en nage et harassés de fatigue. Ils confièrent leurs chevaux aux ordonnances et gravirent rapidement l’escalier du palais jusqu’à la salle du Conseil où les attendait Rhaegar.

Lewyn Martell et Willem Darry ne les rejoindraient que le lendemain car ils se trouvaient alors à Viergétang.

Un garde les fit entrer dans la pièce, déjà éclairée, où était réunis le prince Rhaegar, Sandor Clegane, Jon Connington, Jaime Lannister, Jonothor Darry, ainsi que plusieurs commandants des bataillons de la phalange et de la cavalerie lourde. Tous, y compris le prince, avaient revêtu leur armure. Casques et épées reposaient sur la table, à portée de main, signe que la situation était encore critique.

Rhaegar alla à leur rencontre, l’air ému.

— Mes amis, nous voici enfin réunis.

Arthur Dayne prit alors la parole au nom de la Garde.

— Nous sommes désolés de la mort du roi Aerys, et profondément chagrinés. Nous le pleurons avec une douleur sincère. Sa mort est un terrible événement. Mais puisque tu recueilles son héritage, nous te reconnaissons comme son successeur et comme notre roi.

Sur ces mots, il tira Aube et s’agenouilla devant Rhaegar, les autres l’imitèrent aussitôt avant de s’assoir à la table.

Rhaegar déclara d’une voix puissante.

— La nouvelle de la mort d’Aerys va se répandre dans le monde entier en l’espace de quelques jours. Elle provoquera une série de réactions difficiles à prévoir. Mais nous devons agir avec la même rapidité, afin de faire obstacle à tout ce qui pourrait affaiblir le royaume ou détruire en partie ce que mes ancêtres ont construit. Voici mon plan.

Il prit appui sur la grande table et eut soin de sonder en prenant son temps chaque paire d’yeux rivée sur lui, afin de s’assurer une dernière fois de leur loyauté. Les éléments qu’il comptait leur livrer étaient d’une importance capitale, après tout. Mieux valait être sûr.

— Il nous faut d’abord réunir des informations sur l’état des frontières du Nord, sur les réactions des grandes familles, et…

Il se tourna vers Jaime avec un regard lourd de signification.

— … sur les intentions certains qui commencent à s’agiter dans l’Ouest et au Sud, à savoir les Baratheon, les Tully, et les Tyrell. Étant donné qu’ils disposent d’armées plus nombreuses, il est opportun de procéder au plus vite à ces vérifications.

— Que pensez-vous faire, majesté ? demanda Jaime non sans une certaine appréhension.

— Je n’ai pas l’intention de vous mettre dans l’embarras Ser Jaime : je communiquerai mon premier message à un homme de confiance qui partira aussitôt pour Castral Roc. J’ai, de toute façon, décidé de convoquer tout les seigneurs à Port Real pour me prêter serment. Certains penseront qu’il est possible de revenir en arrière, et nous devrons leur prouver qu’ils se trompent et que je ne suis pas mon père.

Rhaegar se tut. Au cours de cet instant, tous se rendirent compte que le temps s’était arrêté, qu’un avenir dont on ne pouvait rien imaginer était en train de se préparer dans cette pièce. Le jeune homme qu’Aerys avait banni siégeait à présent sur le Trône de Fer et, pour la première fois de sa vie, le pouvoir dévastateur qu’il n’avait vu s’exercer que par les héros des légendes se trouvait dorénavant entre ses mains.

Le prince laissa à ses amis le commandement des diverses unités de la phalange et de la cavalerie, et à Ser Barristan la responsabilité du palais royal ; puis il repartit en compagnie d’Arthur Dayne et de Sandor Clegane vers le Septuaire de Baelor, où son père reposait, et où il allait devoir accomplir des tâches difficiles.

À mi-chemin, ils rencontrèrent un émissaire de Varys qui apportait une dépêche urgente.

— Je suis heureux de vous avoir trouvé, majesté ! s’exclama-t-il en lui tendant un rouleau scellé. Lord Varys désire que vous lisiez cette missive sans tarder. »

Rhaegar l’ouvrit et parcourut son message laconique :

Votre majesté !

Le Nord s’est soulevé et le Val d’Arryn rassemble ses troupes au moment ou je vous parle.

Votre présence est indispensable à Harrenhal.

Prenez soin de vous.  

Varys

Depuis des heures Rhaegar poussait son cheval au galop sans le ménager sur la route poudreuse, car il savait que le Nord pouvait s’insurger d’un moment à l’autre. Il n’ignorait pas que les seigneurs brûlaient de se retourner contre les Targaryen au moindre signe de faiblesse. Et comme si cela ne suffisait pas, on murmurait que les Tyrell prenaient des contacts à Accalmie avec les Baratheon et qu’ils offraient de gros financements en or pour soutenir le soulèvement.

Les éléments d’instabilité étaient nombreux, et si toutes ces menaces se concrétisaient en même temps, le nouveau souverain n’aurait pas d’issue.

Ils atteignirent Harrenhal au couchant et Willem Darry vint à leur rencontre sur le seuil. Ce chevalier était le maître d’arme du prince, et un officier de la vieille garde, loyal envers le trône et extrêmement fiable.

— Majesté, annonça-t-il, j’ai des nouvelles en provenance de Vivesaigues : Hoster Tully a refusé votre invitation et s’est déclaré ennemi du Trône ; il a convoqué ses bannerets et s’apprête à marcher vers Pierremoûtier. Tywin Lannister vous assure de sa sincère fidélité.

— Ser Willem, je voudrais savoir ce que vous pensez vraiment de Tywin. Il sait que son fils Jaime est à Port Real. Il pourrait penser que je le tiens en otage. Est-ce, à votre avis, la raison de sa déclaration de fidélité ?

— Oui, je le pense, le seigneur de Castral Roc n’a jamais pardonné à votre père de lui avoir soutiré son héritier. Il tient son armée en état d’alerte mais reste neutre, pour l’instant du moins.

— Bien, de toute façon, j’ai ordonné à Ser Gerold de tenir Jaime sous haute surveillance. Quelles nouvelles du Nord ?

— De mauvaises nouvelles. Les Stark se soulèvent, ils ont attaqué plusieurs de nos garnisons frontalières.

— Que me conseillez-vous ?

— Je leur ai adressé des messages. S’ils devaient les ignorer, frappez-les aussi durement que vous le pourrez.

— Bien sûr. Et dans le Sud ?  

— Rien de bon. Accalmie a rompu la paix du roi, Robert Baratheon dirige une cohorte de chevaliers de l’orage, et affirme que vous… êtes très jeune, et que…

— Parlez librement.

— Que vous manquez d’expérience et que vous ne parviendrez pas à sauvegarder l’hégémonie de la dynastie targaryenne.

— Ils le regretteront vite.

Rhaegar ouvrit la porte de la grande salle, et étala une carte des Sept Couronnes. L’Ouest était tenu en respect, l’Est lui était acquis. Mais le Nord et le Sud représentaient de graves menaces. Il devait contre attaquer au plus vite, de façon à prouver que Port Real possédait un souverain aussi fort qu’Aegon le Conquérant.



Il sortit sur le chemin de ronde qui donnait au nord et porta son regard vers les montagnes avoisinantes. Les forêts commençaient à changer de couleur à l’approche de l’automne, bientôt la neige tomberait, en leur assurant jusqu’au printemps que la situation demeurerait tranquille dans cette région. Il fallait donc, pour le moment, effrayer le Val et les Stark, et trouver un plan d’action en attendant que l’armée royale soit rassemblée.

Il réunit son conseil militaire quelques jours plus tard.

— Je pénétrerai dans le Val avec l’armée, sur le pied de guerre ; je les obligerai à me prêter serment, et j’irai jusque sous les murs de Winterfell, annonça-t-il. Je veux montrer au Val d’Arryn qu’ils ont un nouveau chef. Quant aux Stark, j’ai l’intention de les épouvanter : il faut qu’ils sachent que je peux frapper à tout moment.

— Nous avons un problème, intervint Dayne. Les forces du Val ont bloqué le Trident en élevant des fortifications à droite et à gauche du fleuve. Nous sommes dans une impasse.

Rhaegar s’approcha de la carte et indiqua le massif du mont qui tombait à pic avec les Eyrié.

— Je le sais, répondit-il. Mais nous embarquerons par la mer et nous passerons ici. 

— Et comment ? demanda Willem Darry. Nous n’avons pas d’ailes, me semble-t-il.

— Certes mais nous possédons des masses et des ciseaux, répliqua Rhaegar. Nous creuserons un escalier dans la roche. Faites venir cinq cent mineurs, les meilleurs. Donnez-leur de la bonne nourriture, des vêtements, des chaussures, et promettez-leur plus s’ils en finissent avant dix jours : ils se relaieront sans trêve du côté de la mer par le Grand Arc. Les ennemis ne pourront pas les voir.

— Vous parlez sérieusement ? demanda Dayne stupéfait.

— Je ne plaisante jamais durant les conseils de guerre. Et maintenant, dépêchons-nous.

Tous les membres du Conseil se lancèrent un regard stupéfait : à l’évidence, aucun obstacle, aucune barrière, humaine ou divine, n’arrêterait le nouveau roi.

L’escalier de Rhaegar fut construit en sept jours. À la faveur des ténèbres, l’infanterie d’assaut passa vers les Eyrié sans difficulté.  Quelques heures plus tard, un messager à cheval rapporta la nouvelle à Jon Arryn, sans pouvoir l’expliquer. Au reste, personne n’était alors en mesure de le faire.

— Tu es en train de me dire qu’une armée conduite par le roi en personne, marche dans notre dos ?

— Oui.

— Et par quel miracle a-t-elle débarqué, selon toi ?

— On l’ignore monseigneur, mais les soldats sont bien là. Et ils sont nombreux.

— Combien ?

— Entre trois et cinq mille hommes, bien armés et bien équipés. Il y a aussi des chevaux. Pas beaucoup, certes, mais il y en a.

— Il est impossible de venir par la montagne.

Jon Arryn n’avait pas encore fini de parler quand un de ses soldats lui signala que deux bataillons de lanciers et un escadron à cheval remontaient la Porte Sanglante en direction des fortifications. Il comprit vite ce que cela signifiait : Les gens du Val allaient donc être écrasés entre deux armées avant la tombée du soir. Un peu plus tard, un autre guerrier lui communiqua qu’un chevalier du nom de Clegane s’était présenté dans l’intention de négocier.

— Dis-lui de venir immédiatement, ordonna Arryn, avant de sortir par une poterne pour rencontrer le messager.

— J’m’appelle Clegane, déclara le chevalier au visage ravagé, et j’t’demande de nous laisser passer. Nous n’voulons t’faire aucun mal, mais seulement rejoindre notre roi, qui se trouve derrière toi, et nous rendre avec lui à Winterfell, où il doit convoquer les seigneurs du Nord.

— Je n’ai pas grand choix, observa Arryn.

— Tu ne crois pas si bien dire, répliqua Sandor.

— D’accord, traitons. Mais puis-je savoir une chose ?

— C’n’est pas sûr que je vais te répondre, répondit le Limier sur un ton très solennel.

— Par quel mystère votre infanterie a-t-elle surgi dans notre dos ?

— Nous avons creusé un escalier dans le flanc du Grand Arc.

—Un escalier ?

— Ouais. Ce passage nous permet de garder des contacts avec nos alliés du Val… si tu vois ce que je dire.

Abasourdi, Jon Arryn ne put que s’incliner.

Deux jours plus tard, Rhaegar atteignit le château du Val, convoqua le conseil des nobles, et tous lui prêtèrent serment.

Bien sur le roi avait exigé des otages qu’il emmènerait avec lui en campagne où ils exerceraient tous des charges d’écuyers. Chaque famille noble s’était vue déposséder de son aîné. Le jeune roi avait même pris place sur le Trône des Aigles pendant que les nobles s’inclinaient devant le nouveau monarque de Westeros. Ce dernier leur avait assuré qu’il ne leur était pas hostile, et que leurs enfants recevraient la meilleure éducation possible sous l’égide du Trône de Fer. Bien sûr Jon Arryn était bien déterminé à ne pas se laisser abattre. Il avait attiré lord Royce à l’écart ainsi que d’autres et les avait exhortés à ne pas désespérer, à se tenir prêts pour l’instant de la délivrance.

— Un adolescent siège sur le Trône de Fer, disait-il, et la situation est favorable.

Lord Royce secoua la tête et regarda son suzerain dans les yeux

— Cet adolescent ainsi que vous l’appelez, a conquis le Val en trois jours, sans coup férir, et nous a lancé un message bien précis par le biais de la parade qu’il a effectuée sous nos murs. Moi à votre place, je l’écouterais.   

Jon Arryn fit une grimace de colère, comment expliquer à lord Royce qu’il voulait se venger d’un jeune homme qu’il l’avait soumis sans perdre le moindre soldat ! Lui qui avait instruit Ned Stark et Robert Baratheon sur l’art de la guerre, venait d’être battu par un blanc-bec qui passait son temps à jouer de la cithare. Il devait se rendre à l’évidence, il avait sous- estimer le jeune roi, et il en payait le prix. Aucun noble ne le suivrait, surtout avec leurs enfants retenus en otage. Il accompagna à contre cœur le jeune roi, vers le Nord, surtout lorsqu’il reçut l’ordre de placer son armée sous l’autorité de Sandor Clegane.

Avec les chevaliers du Val, l’armée de Rhaegar était plus nombreuse et ce dernier envoya un message à la flotte royale commandée par Jonothor Darry, lui enjoignant de remonter la mer jusqu’à Blancport – mouvement qui requérait cinq journées de navigation. Quant à lui, il le rejoindrait avec ses troupes par la route royale pour prendre Moat Cailin. Ainsi il isolerait le Nord et obligerait les Stark à le reconnaître comme souverain légitime des Sept Couronnes.

Mais Rickard Stark refusa de négocier, et renvoya le messager de Rhaegar avec des mots durs : le Nord ne plierait le genou devant aucun Targaryen, même s’il chevauchait un nouveau dragon ! Ces mots blessèrent profondément Rhaegar, et la colère du souverain se mit à monter et enfler alors comme la fureur d’un fleuve en crue.



Après la malheureuse réponse des Stark, Rhaegar occupa aussitôt Moat Cailin et Blancport vers la fin de la semaine. Après cela, il décida d’emmener son armée vers le nord, pour punir les Stark de leur audace. Le dragon était en colère, même si il ne le montrait pas. Le jeune roi avait un visage fermé, et chacun évitait de croiser son regard violet.

Marchant vers le sud à partir de Moat Cailin, Rhaegar conduisit son armée le long la Route Royale qui menait tout droit vers Winterfell. On avait élargi et redresséd’anciennes routes et des pistes commerciales, taillé dansla forêt de nouvelles voies de liaison. Si la forêt dense du Bois-Aux-Loups jouait le rôle d’une barrière naturelle contre lesarmées d’invasion, il n’était pas davantage possible demener une armée hors de la forêt avec un minimum d’ordre ou de rapidité. Mettant à profit la saison sèche, Rhaegar conduisit ses hommes à un rythme soutenu à travers Quart-Thorren jusqu’à la lisière de Motte-la- Forêt. D’où il fit halte pour former ses régiments et laisser au train de bagages le temps de les rattraper.

L’armée royale se composait de huit régiments de cavalerie lourde et vingt- et-un de légère, soit quasiment trente-cinq mille hommes. Parmi ceux-là, la cavalerie lourde se mêlait presque entièrement des chevaliers en armure, qui apportaient avec eux l’équipement et l’entraînement essentiels. Les rangs de cavalerie légère comptaient plus d’écuyers– ni testés ni aguerris –qu’il ne plaisait à Rhaegar d’en employer, et il se fiait à son noyau de chevaliers vétérans pour tenir ces régiments unis. La cavalerie légère comprenait sept régiments d’arbalétriers à cheval, le prince lui-même commandait une unité composée pour la plupart de Capes Blanches et de nobles des maisons fidèles à la couronne, comme les Velaryon, les Darry, et sans oublier les meilleurs lames du royaume. Barristan Selmy, Arthur Dayne, et Gerold Hightower avec qui seul Sandor Clegane rivalisait en taille et en force. Jon Arryn faisait aussi partie de l’entourage du prince, ce dernier ne regardait même pas le maître du Val, à vrai dire, il l’ignorait totalement, ce qui enrageait ce dernier bien sûr.

Rhaegar savait parfaitement qu’une attaque surprise sur Winterfell était impossible. Les espions de lord Rickard avaient déjà dû apprendre au seigneur du Nord la présence du jeune roi au Bois-Aux-Loups, et l’informer qu’une force considérable de cavalerie blindée faisait mouvement vers sa position. Rhaegar savait que Rickard Stark serait obligé de déployer sa propre cavalerie pour contrer le péril targaryen.

Le souverain avait une intention simple : engager le combatcontre l’armée duNord et la détruire – laissant ainsi Winterfell vulnérable au siège par les masses de fantassins qui pourraient marcher sans crainte.

À l’insistance du Jon Arryn, vingt régiments à piedtirés du Val devaientaccompagner l’armée royale, lui donnant ainsi sur le papier uneforce supplémentaire de vingt-quatre mille fantassins.

Rhaegar considérait ces régiments comme un handicap, en ce qu’ils freinaient comme un corps-mort l’avance de ses forces montées. Arryn soutint qu’ils constitueraient une force d’occupation pour le siège de Winterfell. Le monarque céda sur ce chapitre. De toute façon, il avait l’intention de marcher contre la cité, afin d’attirer les Stark dans une bataille en terrain découvert et, en de telles circonstances, la perte de quelques jours en traversant la frontière n’avait que peu d’importance. En secret, Rhaegar avait l’intention d’abandonner les fantassins à leur sort si leur retard devait mettre sa cavalerie en péril. Qu’Arryn ait retenu ses forces personnelles de participer à l’assaut suggérait qu’il était disposé à donner plus de temps à ses anciens alliés pour se préparer. Rhaegar l’avait deviné, mais il décida de jouer le jeu, car il contrôlait les événements comme un joueur d’échec.

La guerre sur les plaines ressemblait aux batailles en pleine mer. La surface s’étendait sur desdistances immenses sans barrière naturelle significative ;il n’existait pas de position défensive qui ne puisse êtreprise de flanc. De la même façon, il n’y avait aucun besoinde s’emparer de vastes superficies de prairie : on nepouvait les garder, et cela ne servait qu’à distendre davantage les lignes de ravitaillement et de communication. De plus, s’il y avait abondance de pâture pour leurs montures, l’alimentation pour les troupes se limitait aux propriétés agraires des domaines isolés. L’eau se confinait à des puits disséminés et des prairies ennoyées traîtresses qui enfouissaient les rivières et lesruisseaux de la région.

La plaine était une mer sans limite faite d’herbes hautes, que les armées à cheval fendaient avec rapidité comme de vastes flottes en armure. La vitesse et la puissance de frappe jouaient un rôle capital. Ici, comme dans une grande bataille navale, la guerre se faisait à la vitesse de la foudre ; c’était un combat tout en remous entre les troupes lourdement armées et d’autres, éminemment mobiles. Le but était de détruire les forces de combat de l’adversaire, laissant ainsi le royaume ennemi ouvert devant l’armée d’invasion.

L’infanterie manquait de la mobilité que réclamaient de telles tactiques. Et sans soutien, les fantassins ne pouvaient pas non plus affronter une charge de cavalerie lourde. En l’absence de fortifications ou de barrières naturelles, une armée incapable de manœuvrer face à son ennemi se voyait rapidement prise de flanc et cernée. Bois-Aux-Loups était une vaste superficie désolée ; elle avalait des armées entières comme la mer dévore des flottes complètes.



Rhaegar quitta Quart-Thorren avant l’aube, avançant selon une ligne qui menait vers Winterfell. Il avait l’intention d’affronter l’armée des Stark aussi vite que possible, et une poussée directe versla ville devait assurément forcer la rencontre. La lourdearmure de plates n’offrait aucune protection contre le froid, et Rhaegar avait l’intention d’attaquer avant que ses hommes ne soient trop épuisés pour combattre.

L’armée royale avançait derrière un bouclier serré de cavalerie – consistant en six régiments de cavalerie légère allant et venant sur un front de plus de quinze kilomètres, avec des patrouilles avancées parfois de dix kilomètres sur les troupes de contact. Deux autres régiments de cavalerie légère étaient détachés pourgarder les flancs. Derrière le bouclier, le corps principal avançait en double colonne, chacun des trois régiments de cavalerie légère, suivi par quatre de cavalerie lourde, puis trois supplémentaires de légère. Derrière eux roulait le lourd train de bagages, et, respirant la poussière comme la tradition l’exigeait, les vingt régiments à pied. Un dernier régiment de cavalerie légère était déployé en arrière-garde.

La marche s’effectuait en ordre compact, car Rhaegar s’attendait à une attaque de lord Rickard et tenait à garder sesforces concentrées, pour se déployer instantanément dèsque ses éclaireurs seraient entrés en contact avec l’armée ennemie. Il était disposéà sacrifier les bagages, aubesoin – c’était principalement la présence des fantassinsqui les requérait – et son souci principal, vis-à-vis descolonnes d’infanterie, se bornait à les tenir éloignés de sespropres manœuvres.

Les doubles colonnes avançaient en une ligne bienordonnée d’environ un kilomètre et demi de largederrière le bouclier de la cavalerie, avec les derniersfantassins traînant moins d’un kilomètre et demi àl’arrière. En dépit des vigoureuses protestations del’infanterie fraîchement arrivée du Val, Rhaegar leurfit parcourir le premier jour quarante bons kilomètres. Il y eutun certain nombre de désertions chez les fantassins au furet à mesure que la journée s’avançait et que le froid devenait plus mordant. Rhaegar ordonna à l’arrière-garde de passer au fil de l’épée tous les retardataires, ce qui découragea d’autres tentatives. Le jeune dragon n’avait nul besoin d’eux, mais il ne tenait pas non plus à les voir tomber entre les mains des Stark pour raconter tout ce qu’ils savaient de ses plans.

Rhaegar doubla ses sentinelles cette nuit-là, en supposant que Rickard était désormais informé de saposition et qu’il avait rassemblé tous les bannerets pour renforcer son armée principale. Winterfell ne se trouvait plus qu’à une soixantaine de kilomètres – une journée de chevauchée forcée pour la cavalerie. Les Stark devraient agir très bientôt.

Vers minuit, des éclaireurs surexcités vinrent rapporter au roi Rhaegar que l’armée du Nord campait à peu près à quinze kilomètres au sud de Winterfell. Lord Stark rassemblait son armée à une journée de cheval de la cité ; l’héritier d’Aerys avait avancé avec une rapidité inattendue, et Rickard n’avait pris la route que ce jour pour arrêter la poussée ennemie.

Rickard Stark avait confiance en son armée. Il savait qu’il allait l’emporter contre un prince qui n’a jamais combattu de sa vie, ses éclaireurs avaient vu traîner la ligne de fantassins et les lourds chariots d’impedimenta, créant l’impression que l’armée royale était une masse d’infanterie soutenue par des régiments dispersés de cavalerie légère. On savait que le jeune roi avait sous ses ordres de la cavalerie lourde, mais, dissimulée comme elle l’était au coeur de la colonne, sa force était grossièrement sous-estimée.

Le Loup avait confiance.

Le Dragon connaissait bien le Loup, et il savait que celui-ci serait trop confiant. Le monarque se mit en route avant l’aube. Le temps que le soleil dans son ascension ait fait s’évaporer la rosée légèrede la prairie somnolente, les deux armées se retrouvèrentface à face. L’heure de tremper l’Epée était arrivée, et inévitable.

*


Ser Brandon Stark, le fils et héritier de lord Rickard avait déjà fait former les rangs et il avançait. Il avait prévu d’encercler l’armée royale tandis qu’elle s’efforçait de se mettre en route. Une bonne stratégie, sur la base de l’information, telle qu’il l’avait reçue, que l’armée d’invasion se composait principalement d’infanterie avec de simples renforts de cavalerie, pour le principe. La rapidité de déplacement de Rhaegar aurait dû lui donner l’alerte, mais Brandon voyait peu de raisons d’imaginer que cette armée était entraînée et dirigée par un guerrier né. Tout ce qu’il savait fils aîné d’Aerys, est qu’il était un bon jouteur et qu’il commerçait avec les Cités Libres.

Le jeune Stark fut un peu déconcerté par lenuage de poussière qui fondait rapidement sur lui del’horizon sud-est. Sans que sa confiance soit encore ébranlée, Brandon positionna aussitôt ses régiments – en première ligne, six régiments d’archers montés, soutenus par sa cavalerie lourde au centre, et six régiments de cavalerie légère sur chaque aile, avec le reste de la cavalerie légère derrière, au centre, en réserve.

Un fin panache de poussière masquait l’avance des Sudistes, et empêchait le seigneur du Nord et son fils de distinguer ce qui se trouvait au-delà des premiers rangs. Il avait l’impression que Rhaegar avait déployé ses hommes sur une ligne de bataille trop grande, et il supposa que c’était parce que son bouclier de cavalerie n’avait pas couvert efficacement le corps principal de l’infanterie.

Ne tenant pas à laisser aux sudistes le temps de réparer cette erreur, lord Rickard ordonna à sa première ligne d’archers d’attaquer.


*

Le visage paisible de Rhaegar se tordit avec un sourire de loup en observant la ligne ennemie. À ce point, deux kilomètres environ séparaient les premières lignes des deux armées, les deux camps continuant d’avancer à un rythme de marche. Rhaegar avait déployé ses colonnes en un vaste croissant, positionnant ses archers sur chaque flanc avec les quatorze régiments de cavalerie légère qui restaient, en deux lignes sur l’avant. Organisés selon une troisième ligne, ses huit régiments de cavalerie lourde demeuraient en réserve jusqu’à ce que Rickard envoie ses propres régiments blindés. Un peu en retrait, son infanterie se positionna encinq carrés pour avancer, avec des lances et des masses qui hérissaient leurs pourtours.


Alors que les archers montés de Brandon s’éloignaient du front dans leur assaut, Rhaegar fit signe à ses archers d’attaquer depuis les flancs. L’héritier des Targaryen décida que le jeune Stark cherchait le contact, probablement autant pourjauger la puissance sudiste qu’autre chose.Traditionaliste par nature, Brandon suivait la stratégie qui aurait provoqué la déroute de n’importe quelle armée mal dirigée.

Cette action reflétait son mépris de l’armée royale. Si les archers pouvaient prélever un lourd tribut sur les fantassins mal protégés, ils avaient davantage une valeur de harcèlement face à la cavalerie. Un coup direct avec les projectiles légers à pointe de fer pouvait pénétrer la maille, mais pas l’armure en plates d’acier de la cavalerie lourde. En revanche, les montures de la cavalerie légère étaient dépourvues des caparaçons qui protégeaient les chevaux des régiments blindés. Un feu roulant de flèches pouvait détruire une formation, en blessant et en rendant inutilisables les montures, et Rhaegar réagit pour se prémunir contre cela.

Précédées par une pluie noire de mort, les deuxarmées virèrent de concert sur la plaine jaune. Lesarchers de Rhaegar se distinguaient de loin à leurs foulardsnoirs et à leurs larges brassards de tissu rouge, frappés dusceau du dragon tricéphale targaryen.

Les archers en train de charger circulaient comme autant de tourbillons de poussière à travers les hautes herbes. L’engagement se produisait avec la vivacité de la foudre – vidant des selles sur les deux fronts ou, plus souvent, précipitant à terre cheval et cavalier. Normalement, un archer portait vingt-quatre flèches dans son carquois. Sur ce terrain, chacun d’eux était capable de décocher avec précision six flèches par minute – davantage, si les circonstances l’exigeaient. Vider les carquois fut l’affaire de quelques minutes ; ensuite, il s’agissait de regagner les lignes ou de se réapprovisionner sur le champ de bataille.

Les deux côtés subirent des pertes modérées, loin d’être incapacitantes. C’est Rhaegar qui avait la force la plus importante, et la charge des Stark ne réussit pas à pénétrer. Les cavaliers opposés échangèrent des tirs jusqu’à ce que leurs carquois soient vides – puis ils rejoignirent leurs lignes respectives qui avançaient lentement. Ce fut un engagement subit, indécis – suggérant à l’esprit le rideau de foudre qui précède l’approche d’un orage à l’horizon.



Brandon Sark, rendu furieux par l’impasse et impatient de prendre le commandement de la bataille, ordonna à sa cavalerie lourde de charger au centre de la ligne de Rhaegar, et dépêcha en même temps ses régiments de cavalerie légère contre chaque pointe du croissant pour protéger ses flancs. Les archers de retour contournèrent ses propres flancs pour avancer avec la force de réserve. Celle-ci devait suivre lors d’une seconde vague, et se joindre à l’attaque partout où la ligne des nordiens menaçait de se rompre.

Le plan d’action de Brandon visait à percer les rangs de la cavalerie – pour couper ainsi la ligne de Rhaegar en deux, et pénétrer jusqu’à l’infanterie que rien ne soutenait, à l’arrière. Un bon plan – en supposant que la cavalerie royale serait rejetée en arrière contre les masses à pied, frappées de panique. La poussière qui masquait l’avance de Rhaegar, toutefois, cachait le fait que l’infanterie se trouvait loin en arrière – et qu’immédiatement derrière le bouclier de cavalerie légère, le prince attendait avec huit régiments de cavalerie lourde.

La charge des Stark tonnait en se dirigeant vers l’armée Targaryenne, chassant devant elle les archers qui se repliaient, comme l’écume devant la déferlante.

Sur son étalon, le souverain donnait des ordres à ses trompettes. Verrouillant en position basse la visière de son armet, il saisit sa lance et pressa Aïeul en avant à un trot rapide. Des trompes beuglèrent sur toute la longueur du croissant pour transmettre les ordres du chef à travers la fine poussière qui voilait les bannières de bataille. Des officiers criaient des ordres au-dessus du tonnerre de plus en plus sourd de cent mille sabots.

Galopant plusieurs centaines de mètres en avant de la cavalerie lourde de Rhaegar, les première et deuxièmelignes de cavalerie légère se divisèrent abruptement enleur centre, se rabattant vers les pointes droite et gauchedu croissant. Quand cette brèche centrale s’ouvrit, lesrégiments d’archers en train de se replier s’y engagèrent au galop, passant entre les rangs ouverts de la troisièmeligne blindée pour reformer leurs positions à l’arrière.Tandis que les archers se ruaient vers l’arrière et quel’ouverture au centre s’élargissait, la troisième ligne de Rhaegar resserra les rangs et se rua en avant. À travers le rideau de poussière jaune, le jeune dragon mena sa cavalerie blindée sur la plaine.

Près de dix mille lances d’acier miroitaient au soleil, comme le sourire soudain d’un requin affamé. En un instant de peur, Brandon comprit qu’il était tombé dans le piège de l’ennemi. Impossible de faire machine arrière.

La terre trembla sous leur charge. Le martèlement des sabots – mouvant la masse énorme des guerriers en armure et des bardes d’acier – ravagea le terrain dense, broya le sol desséché en innombrables explosions de poussière et de roc pulvérisé. Comme deux monstrueuses avalanches d’acier scintillant, propulsées par le muscle et l’os, les armées opposées se précipitèrent l’une vers l’autre – désormais au galop, labourant le sol dans leur frénésie de frapper et de tuer.

Moins d’un kilomètre séparait les deux lignes decavalerie lourde quand leur charge atteignit le plein galop.La distance fila par grandes vagues frémissantes sous letonnerre de leurs sabots. Le temps resta suspendu en uncalme étrange face à l’espace qui se précipitait. Lessecondes se réduisirent à d’insignifiants éclats d’éternité.

Enclos dans des univers d’acier, les yeux fixés sur les lignes de lances devant eux, les oreilles assourdis par le grondement ravageur des sabots, l’odorat tué par la chaleur et la poussière, la langue engourdie par la tension, et pour seule sensation cette folle ruée à travers l’espace.

Que connaît du temps un météore à l’instant de son ultime plongée embrasée ?

L’acier, l’espace et l’heure, peut-être, fusionnent intimement au sein de l’ici et du maintenant.

Le bruit ? L’acier qui se brise et des cris ardents de rage et de souffrance. La mort explosive d’un volcan, vomissant son sang igné dans la mer glacée. Deux vagues d’acier se percutent. Le temps est suspendu ; l’espace est immobile ; et au milieu triomphe l’acier qui les domine de son écrasante compacité brute.

Acier contre acier. Le muscle et l’os pour nous diriger, l’acier pour protéger. Acier contre acier. Lance contre bouclier, contre plastron et spallière,contre plaque de poitrail et barde de cou. Les fers des lances mordaient et ricochaient, les hampes de bois frémissaient et éclataient.

Les armées se heurtèrent comme les mâchoires dentues d’un inimaginable Léviathan, se refermèrent avec une fureur démente qui broyait et brisait ses rangées infinies de crocs brillants.

Les armes tranchantes étaient pratiquement inutiles contre l’armure de plates. Propulsés par l’élan de la masse d’acier et de muscle, les fers de lance en feuille pouvaient percer l’armure en acier de l’homme ou du cheval avec des résultats mortels. Même si le fer de lance était détourné ou que la hampe éclatait, l’impact en lui-même était meurtrier, projetant un adversaire de sa selle, à plein galop. Si le guerrier désarçonné survivait à sa chute, le poids écrasant de son armure complète pouvait lelaisser cloué sur place, désemparé. D’ailleurs, le danger nevenait pas uniquement de la pointe de la lance. Un lancier inexpérimenté pouvait se voir précipité à bas de sa selle par le même impact qui pénétrait dans son adversaire, parce que la hampe répercutait une grande partie du chocà la garde de lance bordée de feutre arrimée à la droite de son plastron.

Rhaegar Targaryen émergea à la tête de sa charge, impressionnante figure en armure noire. Son étalon noir, gigantesque dans ses bardes d’acier assorties, se dressait comme un démonécumant aux sabots de fer. Ses hommes savaient qu’il les menait, et le suivaient dans l’enfer sans plus y penser.

Le roulement de tonnerre sourd des sabots qui martelaient – puis l’instant de la collision. Une lance se pointa sur Rhaegar dans l’intervalle d’espace intemporel qui se refermait. Il déplaça soudain sa propre lance, frappa l’autre, la sentit glisser sans dommage sur son garde-bras, puis son fer de lance s’orienta vers le haut pour se glisser derrière le bouclier de l’assaillant, frapper à l’angle de l’armet et du gorgerin. Le fer de lance fut retenu un instant, la hampe ploya sous leur élan combiné– puis selibéra brutalement, et le cavalier nordien bascula en arrière de la selle, le cou déjà brisé.

Le fracas de sa chute fut soudain repris en un échotout au long du front une protestation stridente d’acierqui couvrit le grondement de basse des sabots alors queles deux lignes se percutaient.


Rhaegar, sa lance seulement retenue un instant, dépassa au galop la marionnette d’acier aux fils coupés. Déjà une deuxième lance se dressait vers lui. Il réorienta la sienne en garde ; l’autre fer de lance s’abaissa instantanément, frappa l’Aïeul. La bosse hémisphérique de la plaque de poitrail dévia la pointe. La lance de Rhaegar, dérapant sur le bouclier de l’autre, percuta le cavalier ennemi au centre du plastron, perça plastron, poitrine et dossière, et souleva de sa selle le guerrier embroché, pour le maintenir un instant dans les airs – avant que la hampe de bois ne se rompe. Rhaegar grogna et rejeta la moitié cassée à la rencontre d’un troisième lancier qui se précipitait. S’écartant d’un sursaut, le chevalier noir détourna avec son bouclier la lance ennemie, tandis que sa propre lance brisée se prenait dans les pattes du destrier qui chargeait. La monture nordienne trébucha ; à plein galop, sous la double charge d’une armure lourde et de son cavalier, elle ne pouvait se retenir. Cheval et cavalier s’écroulèrent pêle-mêle tandis que Rhaegar les dépassait à vive allure, détachant de sa selle Noire Sœur.

Un autre lancier se rua sur lui dans un bruit de tonnerre, tandis que Rhaegar tirait Noire Sœur. Il se tordit, arrêta le fer de lance avec son bouclier. La hampe se fracassa sous l’impact, rejetant le monarque contre son haut troussequin. Son assaillant se maintint en selle, nonsans difficulté, lui aussi. Rhaegarlança sa lame valyrienne en uneestocade meurtrière quand ils vinrent au contact. La lame perça lavisière sur l’armet de l’autre. Rhaegar hala le manche, manquant de perdre prise, tandis que les chevaux secroisaient avec fracas. La lame se dégagea dansune giclée de cervelle.

La charge de Rhaegar l’avait désormais entraîné à travers la ligne ennemie. Quelques chevau-légers suivaient en une deuxième ligne, mais le prince les ignora pour l’heure. Tirant sur les freins du mors, il réussit à faire virer Aïeul vers la droite, retenant sa charge précipitée. Il eut un instant de répit pour reprendre son souffle et étudier le champ voilé de poussière. La charge du Nord s’était brisée sur l’armure des régiments royaux. Déjà, la plupart des guerriers qui combattaientavaient perdu leur lance, et s’affrontaient à coups dehache, de masse ou de fléau. Çà et là, Rhaegar vit qu’on employait de grandes épées à deux mains, de lourdes lames dont la puissance d’écrasement servait même lorsque le tranchant échouait contre les plates d’acier. La mêlée sonnait comme les forges de l’enfer une cacophonie assourdissante d’acier martelé, de heurts de sabots, de corps qui s’effondraient, de cris de guerre et de hurlements d’agonie. La poussière et les mottes de terrearrachées tournoyaient comme un blizzard jaune.

Au-delà de la masse qui combattait en armure, les régiments de cavalerie légère s’étaient engagés dans un assaut éclair de sabres et de piétinements de sabots. Ils se dégagèrent de la mêlée des combattants en armure –leurs sabres étaient des jouets contre des cavaliers et deschevaux blindés, et les hauberts de mailles n’offraientaucune défense contre les armes dévastatrices de lacavalerie lourde.

La poussière masquait les détails de la bataille, mais Rhaegar pouvait voir que les cornes de son croissant, renforcées par les premières lignes de cavalerie légère qui se portaient vers les flancs, avaient englouti toute la charge des Stark. Les forces de Rickard étaient cernées.

La bataille était à présent une immense mêlée, et Rhaegar avait l’avantage du nombre. Le seul espoir pour les Stark d’échapper à l’annihilation était de s’arracher au piège targaryen, de reformer leurs hommes en une retraite agressive.

Et ce point, Rhaegar vit que les carrés d’infanterie avançaient prudemment pour se joindre aux combats. La charge du Val avait rattrapé la charge du Nord, portant la bataille au-delà de la ligne de premier contact.

Le sol labouré était jonché de corps en armure et en maille, beaucoup encore en vie mais cloués sous la masse de leur armure, écrasés sous le poids des montures tombées. Sans plus de remords que des chacals, les fantassins les couvrirent en un grouillement – plantant des poignards et des miséricordes à travers la maille et au défaut des plates, fracassant armets et plastrons à coupsde marteaux et de haches.

Maintenant, la Garde Royale s’infiltrait à travers le chaos d’acier et de chair enaction, pour se regrouper autour de leur futur roi etprendre de nouveaux ordres. La bataille avait dépassé lestade de la stratégie, un maelström bouillonnant deduels individuels et de corps à corps. Rhaegar dépêcha plusieurs aides pour ordonner aux fantassins d’aider à remettre en selle les soldats encore capables de combattre, puis il replongea dans la mêlée.

La hache et le bouclier. Le marteau et la masse. Pas de lance, désormais : le combat était trop rapproché pour la manier. Certains guerriers en armure plongeaient vers la cavalerie légère du Nord en difficulté, les harcelant dans le chaos des combats comme de grotesques requins métalliques. Enfermée à l’intérieur du croissant royal, la cavalerie du nord ne pouvait pas manœuvrer. Les chevaux hurlaient et se cabraient, télescopant leurs camarades, les cavaliers incapables de maîtriser leursmontures paniquées. Dans la presse, il n’y avait pas deplace pour riposter à l’encerclement des troupes targaryennes qui les étouffait.

Rickard et Brandon Stark, dans leur confiance, avaient commis deux erreurs fatales. Ils avaient laissé déborder leurs flancs, et ils n’avaient pas conservé une réserve appropriée.

Rhaegar allait et venait à travers le chaos du champ debataille, en essayant de localiser les Stark. La nappe depoussière s’alourdissait à chaque minute qui passait,enveloppant le terrain entier sous une chape étouffante.

Dans la brume jaune, il ne distinguait rien au-delà d’une vingtaine de mètres. La bataille se livrait sur quatre kilomètres carrés de terre labourée et de chair mutilée, et son ennemi lui échappait dans le tourbillon vertigineux qui jonchait le terrain d’une litière de cadavres toujours plus abondante.

Ce n’était pas l’ouvrage qui lui manquait, plus près. Se dressant à travers la pénombre jaune, dans son armure noire désormais couverte de poussière et de sang, Rhaegar ressemblait au dieu de la guerre, en marche au coeur des célébrations de ses adorateurs. Si sa présence au plus dru des combats inspirait ses hommes, elle attirait également les attaques désespérées de l’ennemi pris au piège. Si le Targaryen tombait, il y aurait encore un espoir de victoire.

Et pourtant le roi  maniait Noire Sœur comme un éclair de mort, fendant boucliers et brassards avec sa lame noire. Les coups de masses, de fléaux et d’épées à sa recherche avaient enfoncé et entamé son bouclier. Ne pouvant abattre le démon furieux dans son armure éclaboussée de sang, ils s’en prirent à son étalon à la robe d’ébène, leurs coups ricochant sur le chanfrein et la barde de cou. Rhaegar les écrasa comme un lion disperse des chacals, tuant jusqu’à ce qu’ils n’osent plus approcher de lui, fuyant devant sa charge mortelle. Il était dans son élément, infatigable et implacable, tandis qu’il fauchait ses ennemis qui se pressaient, couvrant la terre dévastée de corps brisés et d’acier démantelé. Le dragon se battait comme un fou furieux, pressant et inexorable.

Toutefois, un observateur attentif aurait constaté qu’il ne s’agissait pas de frénésie suicidaire, mais que chaque geste, chaque coup, chaque parade étaient finement calculés par un vif intellect et une haute compétence. Et cette conscience n’en rendait Rhaegar Targaryen que plus terrifiant.

La bataille fut remportée avant même que le soleil eût parcouru la moitié de sa course dans le ciel. L’armée du Nord battit en retraite, et on venait d’annoncer que Brandon évacuait son père blessé vers Winterfell. Le souverain enleva son armet et secoua ses cheveux. Arthur Dayne se présenta à Rhaegar, l’épée au poing et l’armure encore éclaboussée de sang. Le poitrail et les flancs de son destrier étaient tout aussi rouges.

— Victoire sur toute la ligne, majesté ! annonça Dayne.

Rhaegar hocha la tête en regardant les morts, si c’était cela la victoire, elle avait un goût amer.

— Plus personne ne troublera la paix, murmura-t-il d’une voix terrible.





 



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