Survivre à Gantz

Chapitre 6 : Histoire et volonté

7322 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 06/07/2020 12:45


A peine nous fûmes tous rassemblés dans la pièce que le jingle retentit. Je ne regardais pas la sphère, trop occupé à regarder John, toujours à genoux regardant ses bras vides comme si le corps de Déborah s'y trouvait encore. Lucie s'approcha de lui, prête à le réconforter.


- Il y a peut-être une solution...


Mais il ne l'écoutait pas, c'était presque comme si il ne l'entendait pas. Dans la situation actuelle il devait être loin de nous, l'esprit totalement embrouillé par tout ce qu'il venait de se passer, le cœur déchiré par sa perte. Même moi je ne savais trop où donner de la tête. Il s'était passé tellement de choses, tellement d’inattendu. Je m'étais cru chef d'équipe, fort et brave, puis j'étais devenu lâche, presque fourbe. Puis j'étais tombé dans l'égocentrisme, ne pensant qu'à moi, incapable d'agir ou d'émettre un jugement raisonnable. J'avais fait preuve de jalousie, d'envie et de mépris, envers un homme que je ne connaissais pas, pour une femme que j'avais presque oublié jusque là. J'avais été terrassé par la peur, puis terrassé physiquement. J'avais de nouveau frôlé la mort et j'avais cru mon heure être arrivée. La fin de cette seconde chance...mais j'étais toujours là. Une saloperie comme moi, je me tenais de nouveau debout dans cette pièce, n'ayant rien perdu. John avait perdu celle qu'il aimait. Déborah et les autres avaient injustement perdu la vie. Et même Lucie et Roman avait perdu tellement de temps, tellement de mois, à vivre encore et encore ce même rituel, sans pouvoir vraiment se dire qu'ils avaient la vie devant eux. Mais moi j'étais là. Personne ne m'attendait chez moi. J'étais dégoûté par moi même. Le jingle devint plus fort me faisant tourner la tête sans que je le veuille vraiment. Non sans surprise je vis alors mon portrait s'afficher.


Alessio le Vomisseur, 10 Points, La prochaine fois essaie de garder tes fluides à l'intérieur de ton corps, Tu as 10 Points, Encore 90 !


Roman s'approcha alors de moi.


- Combien tu en as eu ?

- Euh...


J'étais encore ailleurs, dans mon monde d'apitoiement, mais j'arrivais encore à peu près à réfléchir. J'avais eu celui au violon et celui à la flûte pour sûr mais nous avions tiré tous les trois sur celui au triangle. Dans la panique du moment, aucun moyen de savoir qui avait réussi à l'atteindre.


- Deux sûr...

- Donc ils doivent valoir cinq points chacun, commenta Roman.


Mais il eut vite sa réponse, car le score de Lucie s'afficha aussitôt.


Lucie la Blondasse, 5 Points, Tu as 81 Points, Encore 19 !


- Donc ils valaient cinq points les petits, commenta Lucie, je n'en ai eu qu'un seul.

- Dommage, j'espérais pouvoir en finir ce soir, continua Roman.

- Nous sommes toujours en vie, lui dit Lucie en lui prenant le bras, la prochaine fois sera la bonne.


Roman le Timide, 10 Points, Tu as 83 Points, Encore 17 !


- Oui. La prochaine sera la bonne, termina Roman.


Lentement, sans que nous l'entendions, John s'était approché de la sphère, les yeux gonflés par les larmes et un air pitoyable sur le visage. Mais je ne pouvais le blâmer, n'importe qui aurait terminé dans le même état. Il bafouilla ces quelques mots mais nous réussîmes à le comprendre.


- Qu'est-ce que c'est que ça... ?

- Les points, expliqua Lucie, tu en gagnes pour chaque monstre que tu tues ou captures pendant les missions, tu devrais en avoir beaucoup vu ce que tu as accompli.

- Comment...commença John.


Mais il se tut en voyant son portrait apparaître sur la surface de la sphère.


John le Garde du Corps, 35 Points, Tu feras mieux ton boulot la prochaine fois, Tu as 35 Points, Encore 65 !


Je le regardais ne sachant que faire de mes sentiments envers lui et son score, balançant entre la surprise, l'incrédulité et le respect. Roman laissa aller un petit sifflement, et Lucie murmura un « Pas mal ». Si tous les trois étions conscients de son score monstrueux pour une première mission, lui ne semblait pas réagir. A croire qu'il n'avait toujours pas repris les rênes de la réalité. Pourtant il articula, toujours hébété.


- Ces quoi ces points...

- Quand tu en as 100 tu peux ramener quelqu'un mort durant une mission à la vie, tu pourras ramener Déborah !!


J'avais parlé sans réfléchir, j'avais parlé fort et vite. Ma réponse était sortie d'elle même, d'un seul coup, de la façon la plus naturelle qui soit. Pourquoi ? Je ne le comprenais pas sur le coup. Mais il était fort probable que je voulais lui redonner de l'espoir. Si il avait été aussi fort dès la première fois alors il avait toutes ses chances. Il ne devait pas abandonner, il ne pouvait pas abandonner ! Quelque part, je faisais peut-être une sorte de transfert. J'étais moi même tellement bas dans ma propre estime que j'essayais de lui redonner du courage...un peu comme si je voulais moi même me remonter le moral. Mais sa détresse m'avait fortement touché et je tenais absolument à lui dire qu'il y avait un espoir. Et cela sembla fonctionner car ses yeux brillèrent aussitôt d'une seconde vie. Il se tourna vers Lucie et Roman, ayant bien enregistré que ces deux là en savaient le plus sur notre situation.


- C'...c'est v...vrai, balbutia-t-il.

- Oui, dit Roman, mais il va falloir t'accrocher pour atteindre ce stade.

- Gantz, montre nous la liste de ceux qui sont morts, dit alors Lucie en se tournant vers la sphère.


Celle ci, qui avait retrouvé sa couleur lisse et sombre, s'alluma à nouveau, présentant une immense grille comportant une bonne centaine de photos à peine plus grandes que des photos d'identité. Tout en bas se trouvaient ceux qui étaient morts ce soir, dont Déborah. Je vis aussi qu'il y avait ceux de la précédente mission...et bien d'autres que je n'avais jamais vu. A voir le nombre de morts je me demandais depuis quand cette histoire durait.


- Regarde, elle est là tout en bas, Gantz garde en mémoire chaque personne morte durant les missions, et ce depuis bien avant que nous ne soyons morts Roman et moi.

- Avec 100 points tu peux ramener à la vie n'importe lequel d'entre eux, expliqua Lucie, mais je suppose qu'il n'y a qu'un seul portrait qui t'intéresse.


John s'approcha de la surface de la sphère et je put voir dans son regard une détermination nouvelle qui brûlait aussi fort que lorsqu'il s'était battu à mains nues contre le monstre final. Il voulait le faire et il allait le faire, j'en étais intimement convaincu. Il s'écarta ensuite, ayant retrouvé son calme même si on pouvait encore ressentir sa nervosité.


- Quand aura lieu la prochaine mission ?


Il posa cette question avec une surprenante détermination ce qui ne fit que renforcer mon respect pour lui. Contrairement à moi il affrontait l'éventualité d'un prochain combat avec un stoïcisme surprenant. Moi qu'est-ce que j'avais fait ? Oh oui, j'avais largué ma meuf et m'étais mis à me la jouer un esprit sain dans un corps sain comme si j'avais toute la vie devant moi. Malgré cette soirée chez Lucie et Roman, malgré toutes leurs explications, j'avais seulement vécu comme si j'étais de nouveau en vie et que tout irait bien. Pourtant durant cette soirée je m'étais rendu compte à quel point ma vie ne tenait qu'à un fil. Retrouver une bonne conduite de vie dans la vie de tous les jours c'était une chose, mais je devais aussi me concentrer sur ce que nous faisions ici. Autrement je serais de nouveau lâche, je serais de nouveau seul et je serais de nouveau en danger...et par conséquent je mettrais les autres en danger.


- Pour le moment rentre chez toi, repose toi, conseilla le sage Roman, et très bientôt nous t'expliquerons tout ce que nous savons.

- Tu as un numéro de téléphone, lui demanda Lucie comme elle l'avait fait avec moi auparavant.

- Je vais m'en occuper, dis-je soudain.


Encore une fois je fus surpris par ma propre réaction. Je venais de me porter volontaire pour aider John à comprendre tout ce bordel. Peut-être que je voulais simplement l'aider. Peut-être que je souhaitais faire en sorte qu'il se sente moins perdu au milieu de cette histoire invraisemblable. Et peut-être que j'essayais de m'aider moi même en lui apportant mon aide, certainement pour me sentir un peu moins comme la dernière des merdes. Lucie et Roman me regardèrent un instant, comme si ils réfléchissaient à la suite des événements.


- Pourquoi pas, dit enfin Lucie, après tout nous sommes assez occupés et Alessio en sait au moins autant que nous sur tout ce qui se passe ici.

- Je te remercie, me dit aussitôt John.


Toute l'animosité qu'il semblait avoir pour moi auparavant avait disparu. Pourquoi ce changement ? Je l'ignorais, mais cela ne m'aida pas à me sentir mieux. Le temps d'une mission et malgré le deuil qu'il portait sur les épaules, il me regardait désormais avec de l'espoir et même une touche d'amitié. Si ça avait été moi dans ses chaussures j'aurais certainement été aussi jaloux que lui, et je ne suis pas sûr que j'aurais géré sa perte aussi bien que lui.


- Pas de souci, c'est normal...vu la situation.


On s'échangea nos numéros et sans trop tarder on fila tous de l'appartement, laissant Gantz derrière nous. Nous prîmes tous des directions différentes et je retrouvais bientôt la rame de métro mal fréquentée qui me ramenait vers mon quartier. J'avais l'esprit toujours aussi embrumé par tout ce qui s'était passé. Mais je repensais à une chose, un détail important, et pourtant secondaire par rapport à tout ce que j'avais vécu durant le combat. Il y avait un homme, un être vivant, coincé dans la sphère. Un mystère de plus.


* * *


- Putain Stan j'ai vu que tu parlais à cette gonzesse, tu sais la brune du groupe de T.D, celle avec des décolletés de fou.

- Oui, elle est venu me voir pour savoir si je pouvais lui filer des photocopies de notre exposé, elle trouvait que c'était une bonne base de travail.

- Pour le boulot, te fous pas de ma gueule, elle t'a même donné son numéro...elle vient pas te parler que pour des cours.

- Tu sais moi elle m'intéresse pas, je peux te donner son numéro si tu veux.

- Et puis quoi après, tu me le donnes, je lui envois un texto et après elle va se demander comment je l'ai eu...je vais passer pour un con.

- Mais non, je crois qu'elle est célibataire...peut-être qu'elle veut simplement causer avec un mec.

- Et c'est toi qu'elle a choisi vieux !


Je prenais un verre en ville avec mes deux acolytes favoris, Stan et Bastien. Stan était plus vieux que nous de cinq ans. Il avait déjà terminé des premières études et avait monté une petite entreprise. Selon lui elle avait bien marché mais il avait finit par en avoir plein le cul et avait repris des études dans un autre domaine. Il était plus mature que nous et avait l'art de causer. Il plaisait aux filles, les abordant facilement et usant sur elle d'un charme d'adulte. Mais il était aussi parfois très puéril, et lorsqu'il était décidé, il était celui parmi nous qui faisait le plus de conneries. Bastien était un an plus jeune que moi et avait quitté sa copine peu après son arrivée à l'université. Depuis il ne vivait que de plan culs et semblait tout le temps en chasse. Mais c'était quelqu'un d'agréable, traitant hommes et femmes avec respect et il faisait preuve d'énormément d'humour. Puis il y avait moi au milieu. Le gars généralement plus calme, celui qui était casé avec sa copine depuis un moment, mais qui une fois un peu pété devenait le plus barjo des trois. Mais ceci avait bien changé depuis quelques temps. Je ne fumais plus, je buvais moins, je bossais plus, je faisais attention à moi et surtout, je parlais moins. Ces deux là me connaissaient bien et ils avaient remarqué tout ceci assez vite. Je ne leur avais rien dit bien entendu, pas l'intention de me faire exploser le crâne en laissant échapper une information.


- Et toi Alessio, depuis que tu es célibataire, tu t'en sors ?


Bastien me tira de ma rêverie avec le sujet qui l'intéressait le plus, les filles et le cul.


- Jusque là non...mais ça va, ça ne me manque pas pour le moment, je profite juste d'être célibataire.

- Mais ça fait quoi, un mois environ...je sais pas comment tu fais, commenta Bastien, pas que j'ai toujours l'occasion de coucher à droite à gauche, je sais ce que c'est aussi des périodes mortes...mais un mois quand même.

- Qu'est-ce que tu veux que je te dises, ça va, je le vis bien...pis quand ça va moins bien je me tapes un porno ou j'utilise mon imagination tout en m'astiquant.

- Je lèves mon verre à l'autosatisfaction, dit Stan en se marrant à moitié, et aux hommes qui ne dépendent pas toujours du sexe des femmes...aussi bon que ce soit.


On leva nos verres suite à cette étrange déclaration, habitués que nous étions à avoir nos délires et à se la jouer machos alors que tous ici apprécions les femmes dans leur entièreté. On but quelque gorgée avant de reprendre notre conversation, et ce fut Stan qui relança cette dernière.


- N'empêche, c'est vrai que tu es bizarre depuis quelques temps Al', il s'est passé un truc ?

- Déjà comment tu fais pour ne plus fumer, j'ai essayé cinquante fois et je me retrouve toujours à m'en rouler une au bout d'une semaine, ajouta Bastien.

- Je sais pas...j'ai vingt ans, je peux plus agir comme si j'en avais encore quinze. La clope c'est facile, faut juste se forcer au début, et c'est pas évident...pour le reste.

- Ouais le reste, depuis quand tu bosses autant à la bibliothèque, continua Bastien, tu t'es même mis à faire du sport apparemment !

- Je suis avec mes potes où chez les flics, répondis-je du tac-au-tac, j'ai bien le droit de faire ce que je veux bordel, j'essaie de devenir un adulte responsable et respectable.


J'avais lancé cette dernière réplique avec un air plein d'ironie et de sarcasmes afin que mes deux amis ne me prennent pas trop au sérieux. Je tenais à les faire rire avec mon humour très second degré de façon à noyer un peu le poisson. Je n'appréciais pas vraiment d'être ainsi questionné mais, pour leur défense, j'avais changé beaucoup de choses. L'astuce sembla marcher car ils sourirent tous les deux, pensant certainement que j'avais quelques autres choses en tête et que ce « sérieux » que j'affichais depuis quelques temps ne durerait pas. A mon grand soulagement la conversation repartit assez vite sur la fille à gros seins de notre groupe de T.D. Une brune de taille moyenne avec un corps superbe, il fallait le dire, mais je lui trouvais un visage...pas moche...mais particulier. Dans tous les cas Bastien avait déjà des vues sur elle, et je soupçonnais fortement Stan, contrairement à ce qu'il affirmait, qu'il ne se contenterait pas de parler uniquement de travail avec elle.


- Qui c'est ce gars, demanda soudainement Bastien en regardant derrière moi.


Je me tournais et vit, se dirigeant vers nous, une figure assez familière. Il me remarqua aussitôt et vint vers nous. Je me levais pour l’accueillir.


- Les gars, je vous présente John, un pote du sport.


John et moi avions convenu de nous retrouver cet après midi afin que je lui parle de toute notre affaire. J'avais en revanche aussi été appelé par mes potes pour boire un coup. On avait jugé bon d'inventer un petit mensonge pour ne pas éveiller les soupçons. Fort heureusement pour moi, Stan et Bastien était du genre à apprécier les nouvelles rencontres et ne verrait pas ce nouveau venu d'un mauvais œil. John se présenta naturellement, comme il l'aurait certainement fait en n'importe quelle autre occasion puis s'installa avec nous un petit moment, le temps de boire un verre. Je fus un instant inquiet que mes amis arrivent à nous percer à jour mais la conversation tourna plus autour de John que de notre rencontre. Face à moi et mes deux amis il était très différent de ce que j'avais vu jusque là. Il était définitivement grand et avait ce coté assez beau gosse mais plutôt humble. Il était,si il se montrait naturel, assez souriant et riait de bon cœur. Au fond de lui, compte tenu de sa situation je me disais qu'il devait un peu se forcer, mais il semblait aller bien. Tous les quatre nous tenions donc une conversation normale, comme si nous vivions une vie de tous les jours. Je profitais de cet instant autant que possible jusqu'à ce que Stan et Bastien s'en aille. Le premier avait finalement reçu un appel de la fille aux gros seins du groupe de TD lui proposant un verre. Proposition qu'il avait décidé d'accepter. Bastien, un peu jaloux, partit peu après prétextant qu'il avait des « trucs » à faire, mais je le soupçonnais fortement d'être parti se faire beau pour aller en soirée et se chercher un plan cul. Nous étions alors au début de soirée et l'ambiance était devenue bien plus lourde à notre table.


- Tes potes sont sympas, finit par dire John, j'aurais aimé les rencontrer dans d'autres circonstances.

- Ce sont les meilleurs, et je n'aime pas avoir à leur mentir comme ça...bref...maintenant qu'on est tranquille...

- Oui.


Il s'affaissa sur lui même, soudainement très las. Il venait de jouer une longue comédie. Bien qu'il était parti armé avec la motivation de ramener Déborah à la vie, la perspective de vivre sans elle entre temps devait peser lourd sur ses épaules.


- Comment tu te sens, demandais-je un peu bêtement.


Mais il leva les yeux et me fit un étrange sourire triste. Il semblait presque heureux de ne pas avoir à faire semblant devant moi. Il soupira longuement et s'enfonça dans sa chaise tout en faisant signe à un serveur tout proche.


- Mal, je me sens mal...mais je m'accroche.

- Qu'est-ce que je vous sers, dit le serveur qui s'était rapidement avancé vers nous.

- La même, dis-je en montrant ma pinte de bière blonde.

- Une pour moi aussi, fit John.

- Bien, je vous apporte ça.


Le serveur prit nos verres vides et s'en alla avec.


- Je n'aurais pas pensé que ça serait aussi dur tu sais. J'étais heureux quand j'ai appris que je pouvais la ramener mais merde, en arrivant dans notre appart' j'ai réalisé à quel point j'étais seul.

- Vous viviez ensemble ?

- Oui, Debs et moi on a pas perdu de temps.

- Vous vous êtes rencontrés à la fac ?

- Ouais. Elle est en langue étrangère comme moi. Au bout de quelques mois on s'est mis ensemble, et au bout d'un an on a pris un appart' tous les deux.

- Effectivement, pour des étudiants vous n'avez pas perdu de temps, commentais-je.


Quelques jours plus tôt, lorsque je retrouvais Déborah au bras de l'homme qui buvait désormais un verre en face de moi, j'aurais pu me sentir encore plus jaloux d'apprendre qu'ils avaient une relation aussi développée. Mais tandis que le serveur revenait et posait nos pintes sur la table tout en laissant l'addition dans un coin, je me rendais compte que je ne ressentais plus ce genre de sentiment. Ce n'était pas un ami, mais on vivait, lui et moi, la même merde. J'en étais venu à penser que lorsque l'on partageait ce genre d'expérience, on ne pouvait que se rapprocher des autres. On était embarqué ensemble dans cette histoire de dingue et j'appréciais le sentiment de ne pas être seul dans cette galère. Si on avait de la chance, si on s'en sortait, peut-être que John pourrait devenir un ami. Après tout, ce que j'avais appris jusque là sur lui était plaisant, et le gars en lui même était finalement sympathique.


- Et toi, tu as rencontré Déborah comment, elle a voulu me parler rapidement de toi avant qu'on soit téléporté...mais je lui ai dit que je voulais rien savoir...putain qu'est-ce que je peut-être un gros con parfois.


Il avait baissé la tête et se l'était prise entre les mains, ressassant une attitude qu'il n'aimait pas. A croire qu'il avait lui même été jaloux et aussi peu agréable sans vraiment le vouloir. Comme si à ce moment, juste après leur mort, il n'avait pensé qu'à la protéger. Pour ma part je ne lui en tenais plus rigueur.


- Ça va, ça va. Te prends pas la tête avec ça. C'est du passé...et c'est pas comme si j'avais été agréable non plus. Et puis, entre nous, si ça avait été moi à ta place aux côtés de Déborah, j'aurais certainement réagi de la même façon.

- Si tu le dis...bref, il sembla reprendre du poil de la bête, alors vous vous êtes connus comment ?

- Au lycée, on s'est suivi dans les mêmes classes pendant les trois ans. C'était une très bonne amie, le genre de filles curieuse, drôle, très sympa. Elle était assez extravagante par rapport aux autres filles et se marrait volontiers même quand je me lançais dans des délires très...masculins on va dire.

- Des délires masculins ?

- Bah tu sais, parler de cul, d'alcool, de fêtes, de jeux vidéos...des trucs qui gonflent généralement les nanas, enfin la plupart, précisais-je, mais elle ça la faisait marrer...elle était cool quoi.

- J'ai remarqué ça chez elle aussi...toujours prête à parler de tout.

- Toujours ! Puis ben, c'était ma pote quoi. Certainement la meilleure pote que j'ai eu au lycée, puis la fac est arrivée et on s'est perdu de vue.

- Pourquoi ça, demanda John, si vous vous entendiez si bien ?

- Oh, elle a bien essayé tout au début de continuer à parler...mais pour le coup c'est moi qui me la suis jouer gros con, j'étais passé à autre chose...et sans m'en rendre compte, avec le temps, on ne s'est plus parlé.


Je buvais une gorgée dans mon verre tout en méditant la dessus. Je n'y avait plus pensé l'autre soir. Mais j'avais toujours été le genre à tourner la page en changeant d'école ou de villes. Mes potes au collège ? Oubliés dès que je suis entré au lycée. Ceux du lycée ? Plus de contact dès que j'étais entré à la fac. Un vieil ami que j'avais quand on était gamin ? Plus de contact dès qu'il a déménagé avec ses parents. Pourtant, aussi loin que je me souvienne, la plupart de ces gens avaient essayé de continuer nos relations. Mais pas moi, j'avais fait le tri très rapidement, j'étais passé à autre chose. Combien d'amitiés perdues avec le temps ? Combien de personnes avec qui j'aurais pu avoir de très longues relations que j'avais simplement oublié ou laissé de côté ? Le compte était certainement trop important. Décidément je n'étais pas quelqu'un de très sympathique.


- C'est pas malin, commenta-t-il, peut-être que les choses auraient tournées autrement si tu l'avais fait.


Je levais les yeux vers lui, cherchant à comprendre où il voulait en venir.


- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Bah, si vous aviez continué à parler, peut-être que c'est toi qui aurait fini avec elle.

- Je ne pense pas, j'ai essayé quand on était au lycée mais elle n'a pas voulu.


Je rigolais suite à ma réplique car à bien y réfléchir, cette époque là avait un goût agréable. Je me souvenais de ce jour où je lui avais fait comprendre qu'elle me plaisait et qu'elle avait préféré qu'on reste amis. J'avais été triste, mais pas malheureux. Je n'avais pas eu le cœur brisé contrairement à ce que je pensais. Et si je l'avais aussi facilement oublié une fois arrivé à la fac, c'était certainement pour une raison. Je rajoutais donc.


- Non, crois moi ! Hormis ce qui s'est passé dans la pièce avec la sphère, pour elle, pour toi comme pour moi, les choses ont tournées comme elles devaient.

- Si tu le dis...et tant mieux pour moi, ajouta-t-il.

- Ouais, sacré veinard !


Je plaisantais à nouveau en levant mon verre et on trinqua à cette situation, et sans se le dire, à la mémoire de Déborah. Puis il reposa son verre et redevint aussitôt très sombre. Je m'apprêtais à lui demander ce qui n'allait pas lorsqu'il se lança.


- Tu sais...je lui dois beaucoup.

- Comment ça, demandais-je.

- A Déborah, elle m'a rencontré au pire moment de ma vie, sans elle je me serais certainement jeté du haut d'une fenêtre, ou me serait pendu aux poutres de mon premier appart.


La conversation prenait un tournant plus qu’inattendu. Nous devions parler de Gantz après tout et voilà qu'il me parlait de ses états d'âmes. J'avais du mal à m'imaginer le beau gosse sportif en face de moi être plongé si loin dans la dépression qu'il avait pensé à en finir.


- Qu'est-ce que tu me racontes là...t'es pas sérieux ?

- Quand j'étais au lycée, j'étais un gars assez populaire, le genre qui plaît aux filles, sportif et pas con en plus de ça...mais aussi profondément gentil.


Il avala une gorgée de bière comme pour se donner du courage.


- Jusqu'au lycée en fait, je n'ai jamais eu le moindre problème, les gens m'appréciaient globalement, je n'ai jamais eu d'ennemis, ne me suis jamais fait bizuté ou emmerder. Quelque part jusqu'à mes seize ans j'ai grandit sans savoir à quel point les gens peuvent être cruels entre eux.

- Il t'es arrivé quelque chose ?


A ma question il se renfrogna. Je croyais retrouvé le John au regard assez colérique que j'avais rencontré dans l'appartement. A croire que je venais de le lancer dans un sujet sensible.


- Tu sais...tu n'as pas besoin de me parler de ça.

- En première, j'ai rejoint un club de sport de mon lycée...tous des grands gaillards, pas toujours très fins, mais de bons sportifs. Et même si j'étais aussi bon qu'eux, j'étais quand même le petit nouveau. Alors au début je n'ai rien dit lorsqu'ils me piquaient mes fringues et les jetaient dans le gymnase pour que j'aille les chercher à poil. Je ne disais rien lorsqu'ils jetaient mes fringues sous la douche pour que je n'ai plus rien à me mettre où que je retourne en cours en étant trempé.

- Je ne préfère pas que tu continues, tu n'es pas obligé, lui assurais-je en lui posant une main sur l'épaule.

- Si ! C'est important ! Pour moi ! Et pour que tu comprennes à quel point Déborah est arrivée à un moment décisif dans ma vie.


A ma grande surprise, il sortit un paquet de clope de sa veste et s'en alluma une. A croire que ce bonhomme parfait avait des vices lui aussi. Peut-être sentant que la suite allait être difficile à entendre, ou peut-être parce qu'arrêter de fumer était vraiment difficile je lui en demandais une qu'il me donna volontiers.


- Tu sais, quand tu te fais harceler, tu ne t'en rends pas compte. Tu vois ces connards te faire toutes ces choses, mais ils les justifient. Au début tout du moins. « T'es nouveau ! », « On est tous passé par là ! », « On fait pareil aux autres ! ». Tu les vois faire la même chose aux nouveaux qui arrivent après toi...donc tu te poses pas trop de questions. Tu souffres, tu te sens mal, mais comme une merde tu continues de te pointer à ce club pour la seule et simple raison que tu aimes le sport. Tes parents te voient rentrer le soir de plus en plus fatigué mais tu leur dit que tout va bien. Puis quand tu rentres et qu'ils te voient vraiment mal dans ta peau, tu te surprends même à mentir, à dire que tu as eu de mauvaises notes, ou que c'est à cause d'une fille avec qui ça n'a pas marché.


Je l'écoutais sans faillir.


- Au final tu comprends que tu mens à tout le monde autour de toi, tout ceux qui s'inquiètent vraiment pour toi parce que tu ne veux pas les alarmer, parce que tu ne veux pas cracher le morceau. Si ces enfoirés sont capables de te faire subir toutes ces saloperies alors que vont-ils te faire si tu les balances à un prof ? Alors tu encaisses, en te disant qu'ils finiront par se lasser ! Tu espères même, devenant toi même une ordure, qu'ils finissent par s'en prendre à un autre.


Je n'en revenais pas. Plus son histoire avançait, plus je sentais sa nervosité. Il tremblait légèrement et son anxiété était palpable. J'avais été chahuté moi aussi, que ce soit au collège ou au lycée, mais jamais à ce point là. Et à dire vrai je m'en étais généralement sorti en me montrant moi même cruel avec d'autres, ou en passant à d'autres choses. Mais ce qu'il me racontait était hors norme. A croire que l'on ne vivait pas dans le même monde.


- Mais un jour...où j'en ai eu assez et que j'ai eu le malheur de me rebeller, ils sont devenus violents. Après les moqueries et les mauvaises blagues j'ai attaqué une nouvelle période, plus violente, jusqu'à ce que je décide de finalement quitter le club. Mais ces gars là étaient dans mon lycée donc ils ont quand même continué à me poursuivre. J'ai réussi à tenir jusqu'au bout...je sais pas trop comment, entre les cours, les mensonges, les coups donnés dans les couloirs, les passages à tabac dans les chiottes...


Il avala doucement sa salive et baissa tellement les yeux que je ne voyais plus son regard.


- Peut-être parce que c'était nos derniers jours...je sais pas. Le jour des résultats du bac, je suis allé à une grosse fête rassemblant ma promo. Et ils me sont tombés dessus. Et ils m'ont...


Je tirais doucement sur ma cigarette, presque en pause, attendant avec frayeur ce qu'il allait m'annoncer. Je m'attendais alors au pire.


- Ils m'ont forcé à me foutre à poil...à ce stade là...je ne sais pas j'aurais pu me battre...mais encore une fois, comment expliquer. Quand tu passes aussi longtemps à subir de mauvais traitements tu envisages toujours le pire et tu espères pouvoir t'en tirer au mieux. J'avais l'impression de ne pas avoir d'échappatoire. Ils avaient réussi à me briser, des connards de lycéens qui ne devaient même pas se rendre compte à quel point ils étaient en train de me pourrir la vie.


Il tira une longue taffe sur sa cigarette. Les yeux toujours baissés, cherchant absolument à éviter mon regard.


- Ils m'ont d'abord frappé, histoire de ! Puis tour à tour ils m'ont pissé dessus. C'était suffisant pour la plupart...mais deux sont restés, les pires, les chefs. Ils m'ont forcé à les sucer avant de me gicler au visage...et ainsi se termina ma vie de lycéen.


Il soupira très longuement. Levant doucement les yeux sur moi. Je devais avoir l'air con à le regarder car je pouvais sentir que ma main s'était ramollie, tenant à peine ma clope qui pendait au bord de ma bouche entrouverte. J'étais abasourdi. Je ne pensais pas avoir entendu ce que je venais d'entendre, ni ne croyais ce que je venais de comprendre. Mais avant que je réagisse il continua.


- J'ai passé le pire été de ma vie a simplement me morfondre chez mes parents avec pour seule consolation le fait que j'allais vivre à la rentrée dans une autre ville, il marqua alors une pause tout en écrasant sa cigarette, au début ça allait, jusqu'à ce que je les croise, les deux gars en question, les meneurs. Ici, dans cette ville.


A cette mention il regarda autour de lui de peur certainement de les croiser.


- Je me suis renseigné, et apparemment les autres sont partis faire des études ailleurs, sauf eux deux. Ces ordures m'ont suivi sans que je le sache...et depuis trois ans bientôt je ne peux m'empêcher d'avoir cette crainte dans un coin de ma tête, à me demander ce qu'ils feraient si je tombais de nouveau sur eux.

- Oaaah...


J'avais poussé cette expression de surprise malgré moi. Son histoire était absolument horrible. A croire que l'on ne peut jamais savoir ce que vivent les gens, ce qu'ils traversent. Je n'aurais jamais deviné que le jeune homme, beau, confiant et très avenant que j'avais en face de moi en avait autant bavé. Et même si sa peur était encore palpable en cet instant, j'avais toujours autant du mal à l'imaginer se morfondre de peur la nuit dans son lit...et c'était pourtant ce qu'il devait faire.


- Désolé...fallait que ça sorte.

- Non non...enfin, si ça te fais du bien, y'a pas de soucis...je te juges pas !


Je me trouvais extrêmement maladroit mais comment ne pas l'être quand quelqu'un que vous connaissez à peine vous lâche une telle bombe. Et pourtant, bien qu'il ne soit qu'un étranger qui partageait avec moi le lourd secret de Gantz, je savais au fond de moi qu'il ne m'avait pas menti.


- Mais, et Déborah, elle était au courant, demandais-je soudainement.

- Oui. C'est en fait là que je voulais en venir. Je l'ai rencontré peu après avoir appris que mes deux tortionnaires faisaient eux aussi leurs études en ville. Dans la vie de tous les jours je ne montrais pas que je n'allais pas bien...comme si ils continuaient à me persécuter jour après jour alors que je ne les voyais plus depuis plusieurs mois. Mais Déborah était perspicace alors elle s'est intéressée à moi.


Le serveur approcha pour qu'on lui règle la note ce que je fis au plus vite afin qu'il s'en aille. Pas question que quelqu'un nous dérange à ce stade de la conversation. Je commandais cependant deux autres pintes...j'en avais besoin, et mon petit doigt me disait qu'après ceci John ne serait pas contre non plus.


- Je pense sincèrement qu'au début elle s'intéressait à moi parce qu'elle se disait que quelque chose n'allait pas avec moi, que je n'agissais pas de façon naturelle. Et puis très vite j'ai eu l'impression que mon genre, sportif, grand, beau gosse, ne lui plaisait pas vraiment.

- Je crois qu'elle m'avait parlé de ça, mais elle était restée très évasive sur son genre de mec à l'époque, ajoutais-je, mais oui, dès que j'avais un problème, sans que j'en parle, elle semblait le savoir.

- Ouais. Enfin bref ! Disons que sans qu'on s'en rende compte, et avant que je lui lâche le morceau, je suis tombé amoureux, elle aussi, même si ça a mis un peu plus longtemps de son côté. Après ça, lentement mais sûrement, elle m'a fait revivre, très clairement. Elle m'obligeait à sortir, m'a même conseillé un psy, alors que j'avais même honte d'y avoir recours. Elle m'a fait remonter la pente avec toute la gentillesse et la patience possible sans jamais me forcer à lui dire ce qui n'allait pas.


A dire vrai, je la connaissais tenace mais pas à ce point là. Preuve encore une fois que Déborah devait l'aimer autant qu'il l'aimait elle.


- Alors un jour je lui ai tout raconté...et elle ne m'a pas jugé, elle n'a rien dit. Tu sais, j'avais peur de sa réaction, de ce qu'elle allait penser de moi. A ce stade là, je ne comprenais toujours pas que j'étais la victime dans l'histoire. Je me sentais encore coupable d'avouer tout ça à quelqu'un. Je me sentais coupable de la tenir près de mon corps qui avait été souillé par ces enfoirés. Je me sentais sale à l'embrasser avec cette bouche qui...bref. Mais elle ! Elle, elle m'a juste pris dans ses bras en me disant qu'elle était heureuse de tout savoir et qu'elle espérait qu'à partir ce cet instant j'irais mieux moi aussi.


Putain, il s'était mis à pleurer en racontant tout ça. Il n'avait pas bronché en racontant les sévices qu'il avait subi, hormis à travers sa nervosité, mais là il pleurait à chaudes larmes. Je ne me sentais pas très à l'aise car la terrasse était assez remplie et voir un type de sa taille se laisser aller ainsi attirait le regard. Mais ce n'était pas n'importe qui, c'était un homme qui en avait chié et qui avait certainement toutes les raisons de pleurer que ce soit de tristesse ou de joie. Je remarquais alors un couple nous fixer étrangement.


- Ben quoi, vous avez jamais vu un homme pleurer !


Je criais sur le couple et remarquais aussitôt que les tables adjacentes nous regardaient aussi. John lui continuait de pleurer aussi chaudement qu'il l'avait fait lorsqu'il avait vu Déborah mourir. Le voyeurisme des gens m’insupportai.


- C'est pas un putain de spectacle !


A ma grande satisfaction, les quelques connards autour de nous reportèrent leur attention sur leurs tables. Je ne réalisais qu'alors, que dans ma colère, je m'étais levé. Je me rasseyais, assez satisfait de moi tout en collant deux bonnes tapes dans le dos de John.


- Allez, allez, laisses toi aller.


Il se calma lentement, à son rythme. Je restais silencieux tout en sirotant ma bière, continuant cependant de regarder autour du moi, faisant fuir du regard ceux qui tentaient malgré tout d'épier à nouveau ce qui se passait à notre table.


- Donc voilà...dit-il soudain.


Il renifla une dernière fois avant de continuer.


- Après ça elle m'a simplement encouragé tout en continuant à m'aimer comme elle le faisait. J'ai réussi grâce à elle à en parler à mes parents, à mon psy ainsi que quelques amis du lycée.

- Et la police ?

- On a essayé avec mes parents, mais il n'y avait pas de preuve et sans la confession d'autres personnes ayant pu vivre la même chose, c'était difficile de monter un dossier. Du coup, ça n'a rien donné. Je crois qu'ils n'ont même pas été interrogés. Mais ce n'est pas grave...encore une fois c'est Déborah qui me l'a fait comprendre, l'essentiel c'est que je remonte la pente. En parler est toujours difficile, mais me fait toujours du bien.

- Je crois...enfin je l'espère pour toi !

- Dans tous les cas je ne serais certainement pas là pour parler de tout ça aujourd'hui si elle n'avait pas été là. J'ai beau avoir l'air fort, être confiant, mais je ne fais que me reposer sur elle et elle me supporte avec une force incroyable. En réalité, je me montre aussi jaloux, aussi protecteur, ce n'est pas parce que j'ai peur que quelqu'un me la prenne.

- Mais..., commençais-je en songeant que je savais où il voulait en venir.

- Mais j'ai simplement peur qu'elle parte. Je fais plus que l'aimer, je suis dépendant d'elle à un point que je n'aurais imaginé. Je m'en rends bien compte depuis qu'elle est partie.


Ainsi toute la psychologie de mon partenaire était désormais étalée face à moi. Je comprenais maintenant pourquoi il avait tenu à me parler de tout ça. Un jeune homme brisé par la vie et la cruauté du genre humain qui avait bien failli en finir. Puis il a trouvé un bloc, un appui, un espoir en la personne de Déborah. Il l'aimait, s'appuyait sur elle, et était très dépendant d'elle. En réalité je ne voyais pas une autre personne en ce monde qui puisse se sentir aussi connecté avec elle. Il était presque troublant d'être témoin d'une telle forme d'attachement. Je n'avais rien connu de tel. J'avais été amoureux oui, plusieurs fois, mais je ne m'étais jamais laissé allé à un tel point de confiance entre mes partenaires et moi même. Outre le traumatisme qu'il avait vécu il aimait Déborah pour ce qu'elle était et tout ce qu'elle lui apportait au quotidien. Elle n'était peut-être pas là pour en parler mais si elle était restée à ses côtés, si elle le soutenait depuis tous ce temps, il y avait fort à parier que ses sentiments pour John étaient réciproques et aussi intenses. Je me rendais compte que ces deux là s'étaient réellement trouvés. Une parfaite relation, un couple de roman à l'eau de rose, des âmes sœurs de films romantiques. Tout ceci me chamboula profondément mais je ne pouvais me laisser aller, il n'y avait désormais plus qu'une chose à faire.


- Okay John...j'ai compris où tu voulais en venir ! Tu as une bonne raison, peut-être même la meilleure raison de rester en vie dans ce jeu horrible ! Alors je vais tout t'expliquer, tout ce que j'ai compris par moi même et tout ce que Lucie et Roman m'ont racontés.

- Hey, je suis venu pour ça après tout, fit-il en prenant un air plus guilleret.

- Parfait, alors laisse moi t'exposer toute la situation et quand on se retrouvera dans cette pièce, on prendra ce putain de jeu mortel au sérieux et on s'en sortira !

- C'était mon intention !


On trinqua à l'idée de sortir victorieux tous ensemble de ce merdier, on trinqua au retour de Déborah, on trinqua à notre prochaine liberté et notre reprise de la vie de tous les jours et je me lançais dans mon long exposé.

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