De feu et de braise (Diluc x Varesa)

Chapitre 20 : Diluc

2695 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 02/07/2025 13:47

Le vent du matin s’était levé avec une douceur trompeuse, balayant les derniers souffles de chaleur nocturne et les cendres mortes du feu de camp. Je coinçai une des piques de la tente sous mon bras et l’enroulai dans la toile, méthodique, concentré. Du moins, j’essayais.

Mon esprit, lui, n’avait rien de calme.


J’entendais chacun de ses pas derrière moi. Varesa. Ses gestes maladroits, ses soupirs discrets, sa façon de replier les couvertures avec une lenteur nerveuse. Elle évitait mon regard. Depuis le petit déjeuner, elle s’efforçait de ne pas croiser mes yeux, comme si elle avait peur d’y lire quelque chose. Ou d’y trouver une réponse à une question qu’elle n’osait pas poser.


Et moi ? J’étais incapable de détourner mes pensées d’elle.


La nuit que nous avions partagée restait imprimée sur ma peau comme un sceau de feu. Sa voix brisée. Son souffle saccadé. Ses hésitations tendres. Chaque détail m’habitait encore. Non pour le plaisir brut que j’avais connu par le passé — mais pour autre chose. Quelque chose de plus profond. De plus dangereux, aussi.

J’avais senti son cœur battre sous mes doigts. Sa peur. Son abandon. Sa confiance absolue, offerte sans détour, sans retenue. C’était cela, plus que tout, qui me bouleversait. Ce don sans exigence. Cette innocence.


Et j’étais effrayé.


Parce que moi, je n’étais pas innocent. Mon passé ne l’était pas. Il se tenait là, assis à quelques pas de nous, les yeux bleus vrillés dans les flammes d’un feu éteint.

Kaeya.


Je n’arrivais pas à détacher cette nuit de celle, plus ancienne, plus trouble, que nous avions vécue ensemble — avec Donna. Ce souvenir me collait à la peau comme une tache de vin sur une chemise blanche. Je n’en parlais jamais. Ni à lui. Ni à personne. Et voilà qu’elle revenait, cette mémoire, comme une ombre que je n’avais jamais dissipée.


J’aurais voulu que Varesa ignore tout de cela. Qu’elle continue de me regarder avec ses yeux brillants, pleins de curiosité et de désir, sans y mêler ce voile d’inquiétude que j’avais surpris dans son regard au petit matin. Mais Kaeya… Kaeya ne lui laisserait pas cette paix-là. Pas tout de suite. Pas sans me rappeler, à chaque pique, chaque sourire en coin, que nous avions un passé commun, lui et moi — et que ce passé n’était pas simple.

Il s’était servi de Donna pour se rapprocher de moi. Je le savais. Je l’avais toujours su. Mais j’avais préféré ne rien dire, ne rien comprendre. Fermer les yeux. Parce que le désir qu’il éveillait en moi me déstabilisait, et parce que j’étais lâche.


Pas avec Varesa.


Avec elle, je n’avais pas fui. Pas cette fois. Et c’était peut-être cela qui me faisait le plus peur.


Je secouai la dernière couverture avant de la rouler soigneusement, me forçant à respirer lentement, comme si cela suffisait à dompter le tumulte en moi. Mais chaque bouffée d’air soulevait un peu plus la cendre de mes souvenirs.


— Tu vas la froisser, lança Kaeya dans mon dos d’un ton léger.


Je ne répondis pas. Ce n’était pas une remarque innocente. Rien ne l’était, venant de lui. Je sentis Varesa s’immobiliser un instant, comme si ce trait d’humour avait glissé sur sa peau comme un glaçon. Puis elle reprit son rangement, trop vite, trop brusquement.


J’avais envie de le faire taire. D’un simple regard, d’un mot sec. Mais la vérité, c’est que je n’en avais pas le courage. Pas encore.

Kaeya s’approcha, la démarche nonchalante, les bras chargés de gourdes et de cordes. Il les déposa au sol sans bruit, puis s’accroupit pour serrer une boucle. Son profil effleurait à peine le mien, mais sa voix, basse, me parvint clairement.


— Tu veux que je reste à l’arrière, aujourd’hui ? Histoire de ne pas vous gêner dans vos... échanges.


Je le regardai. Droit dans les yeux. Il sourit, sans chaleur.


— Ça ne t’a jamais gêné, les trajets à trois.


Je me raidis.


Varesa ne comprit pas. Elle ne pouvait pas. Et c’était précisément cela qui me mettait en pièces. Elle ne savait pas ce qu’il voulait dire, mais elle avait deviné qu’il y avait un sous-texte. Et cela suffisait à creuser encore la distance entre nous.


Elle ramassa silencieusement le reste des affaires. Ses mains tremblaient légèrement. Je m’approchai d’elle, mais elle se détourna avant même que je dise un mot.

Je n’étais pas sûr qu’elle m’en veuille. Peut-être que oui. Peut-être qu’elle doutait. Mais ce que je ressentais surtout dans ses gestes, c’était la confusion. Et une sorte de déception que je n’avais pas su éviter.


Je voulais lui dire que je n’étais pas ce que Kaeya sous-entendait. Que ce que nous avions vécu la veille était pur. Vrai. Unique. Mais je n’étais pas certain qu’elle m’aurait cru. Pas avec Kaeya si près. Pas avec Donna dans nos mots.


Le camp fut plié plus vite que je ne l’aurais cru. Une mécanique bien huilée, malgré les silences pesants. Le soleil s’élevait doucement au-dessus des collines.


— On y va ? demanda Kaeya, déjà le pied dans la poussière.


Je hochai la tête. Varesa resserra sa ceinture et enfila son sac à dos. J’aurais voulu effleurer sa main, juste pour lui dire que j’étais là, qu’elle comptait. Mais je n’osai pas.

Nous nous mîmes en marche.


Le silence entre nous était devenu un quatrième compagnon. Il marchait à nos côtés, pesant sur mes épaules comme une cape trempée. Je jetai de temps en temps un regard à Varesa. Elle évitait soigneusement les miens, les yeux fixés sur l’horizon ou les cailloux à ses pieds. Mais je voyais sa mâchoire serrée, la tension dans sa nuque.

Elle pensait. Trop. Comme moi.


Je ralentis légèrement pour me mettre à sa hauteur.


— Tu veux de l’eau ? murmurai-je, presque coupable.


Elle secoua la tête sans un mot.


— Varesa...

— C’est rien. Je suis juste fatiguée.


Mensonge. Je le sentais à la façon dont elle évitait de cligner des yeux, comme si elle refusait que quoi que ce soit déborde de ses paupières.

Kaeya sifflota derrière nous, un air de taverne que je reconnaissais. Celui que jouait le barde au moment où Donna riait trop fort. Je serrai les dents.

Je ne pouvais pas continuer comme ça.


— Ce qu’il dit... ce qu’il insinue, ce n’est pas...

— C’est pas à moi de savoir, souffla-t-elle, coupant ma phrase. C’est votre histoire. La vôtre.


Son regard croisa le mien, juste une seconde. Ce n’était pas du reproche. C’était pire. C’était de la distance. Elle avait commencé à se retirer. Doucement. Pour ne pas faire de bruit. Et ça me fit mal. D’une douleur vive et simple, comme une entaille nette sur le flanc.


Je ravalai mes mots.


On continua d’avancer.


Nous nous arrêtâmes quelques heures plus tard à l’ombre d’un amas rocheux. Le soleil tapait maintenant avec toute la force de la mi-journée. Varesa s’assit à l’écart, tirant de son sac une figue sèche qu’elle mâchonna sans entrain. Kaeya s’allongea à même le sable, mains derrière la tête, sifflotant toujours.

Je pris une gorgée d’eau, tentant de réfléchir. À un plan. À une manière de reprendre la situation en main, de la rassurer, de lui prouver que je n’étais pas cet homme qu’elle imaginait soudain. Mais mes pensées tournaient en boucle. Elle méritait mieux que mes silences. Elle méritait la vérité. Même si je ne savais pas encore comment la formuler.

Je jetai un œil vers elle. Elle me regardait. Pour la première fois depuis ce matin.


— Tu n’es pas obligé de te taire, tu sais.


Je haussai un sourcil.


— Tu veux que je parle ?


Elle hésita, puis hocha doucement la tête.


— J’aimerais comprendre. Ce qu’il y a entre vous. Ce que... Kaeya essaie de me dire.


Je m’assis près d’elle. Pas trop près. Juste assez pour qu’elle sente que je n’étais pas en train de fuir. Même si, au fond, c’est exactement ce que je faisais.

Elle triturait nerveusement une mèche de ses cheveux, les yeux perdus quelque part entre le sable et l’horizon.


— Il y a quelque chose, murmura-t-elle. Quelque chose que je ne comprends pas.


Je me raidis.


Elle tourna enfin la tête vers moi. Son regard n’était pas dur. Pas encore. Mais il était plus sombre que d’habitude, voilé par une tristesse douce qui me serra le ventre.


— Ce que Kaeya insinue... ce que vous ne dites pas... ça me fait mal, Diluc. Parce que je sens que ça te touche, que ça te suit. Et que tu refuses de m’en parler.


Je ne répondis pas tout de suite. Comment aurais-je pu ? Les mots restaient là, coincés dans ma gorge comme des épines. Je sentais sa douleur. Sa déception. Et pourtant, je n’arrivais pas à formuler la moindre phrase honnête sans me sentir minable.


J’aurais voulu pouvoir tout lui dire. Mais je n’étais pas prêt. Pas encore. Parce qu’il y a des souvenirs qui collent à la peau comme la suie d’un incendie, et qu’aucun mot ne peut vraiment nettoyer.


Alors je me contentai de baisser les yeux, honteux.


— C’était il y a longtemps, dis-je simplement, la voix basse.


Elle attendit. Mais je ne poursuivis pas. Parce que si je le faisais, je devrais admettre ce que j’étais à l’époque. Ce que j’ai accepté, ce que j’ai provoqué. Ce que Kaeya et moi avons fait — non pas pour l’amour d’une femme, mais pour... d'autres raisons. Des raisons que je n’ai jamais su regarder en face.


— Tu ne veux pas me le dire ? demanda-t-elle.


Je levai les yeux vers elle. Il y avait une fissure dans sa voix. Minuscule, mais bien là.


— Ce n’est pas que je ne veux pas, soufflai-je. C’est que je ne sais pas comment.


Elle détourna le regard. Lentement. Et je sentis le vide s’ouvrir entre nous. Pas un gouffre. Juste un pas de plus vers l’éloignement.


— Alors peut-être que je devrais arrêter de poser des questions, répondit-elle, presque pour elle-même.


Elle se leva et rejoignit Kaeya, qui l’attendait déjà à quelques pas. Il ne dit rien, mais je vis son regard glisser brièvement vers moi. Un mélange de reproche et de triomphe silencieux.


Je restai là, un moment. Incapable de bouger.


Je venais de la perdre un peu. Juste un peu. Mais je savais combien ces petites pertes s’accumulent jusqu’à devenir une absence.

Et j’en étais l’unique responsable.


Je me redressai lentement, dépoussiérant mes genoux d’un geste machinal. Le vent s’était levé un peu plus. Il soulevait des grains de sable secs et les faisait danser autour des empreintes de nos pas, comme pour mieux les effacer.


Peut-être que le désert était un expert en oublis.


Je calai les derniers sacs sur mon dos, jetai un dernier regard au campement défait, puis marchai en silence vers eux. Kaeya et Varesa attendaient. L’un droit, son manteau flottant doucement dans la brise. L’autre, un peu plus en retrait, les bras croisés, le regard fuyant. Elle n’avait pas remis son bandeau dans ses cheveux. Je ne sais pas pourquoi ce détail me frappa autant. Peut-être parce qu’il manquait à sa silhouette comme son rire manquait à l’air du matin.


— On peut y aller ? demanda Kaeya, plus neutre que d’habitude.


J’hochai la tête.


Nous nous mîmes en route. Le désert devant nous était large, ocre, sans fin. Une mer immobile. Le sable crissait sous nos pas, et nos ombres s’étiraient paresseusement sur la crête des dunes.


Je marchais légèrement en avant, sans parler. Varesa ne disait rien non plus. Par moments, j’entendais le bruit de ses pas glisser, hésiter. J’aurais voulu lui tendre la main. Mais je ne le fis pas.


Je sentais sa distance. Comme une corde qu’elle avait relâchée. Elle me suivait, mais n’était plus avec moi. Pas vraiment. Et le pire, c’est que je ne pouvais pas lui en vouloir. J’étais le nœud de ce silence-là. Celui qui savait, et qui ne disait rien.


Je m’étais toujours cru bon pour garder les secrets. Mais je n’avais jamais anticipé le poids de ceux qu’on garde pour se protéger soi-même.


Le soleil montait lentement dans le ciel. Nous longions une ancienne voie commerciale à moitié ensablée. Parfois, on croisait les restes d’un vieux étendard rongé par le vent, un morceau de roue calciné, ou un os blanchi par le soleil. Je me concentrais là-dessus. Sur les traces de civilisations passées. Sur les choses mortes et simples.

Pas sur elle. Pas sur ses silences.


Et pourtant, à chaque bruit de sa démarche, à chaque soupir qu’elle réprimait, une partie de moi se tournait vers elle. Mû par quelque chose de plus fort que la volonté. L’instinct. L’attachement.


Le souvenir de la nuit me revenait par vagues. Non pas les gestes — mais l’intimité. Son souffle contre ma peau. La façon dont elle avait posé sa joue sur mon épaule, comme si rien d’autre n’existait. J’aurais voulu retrouver cela. Ce silence-là, ce moment de vérité.


Mais maintenant, nos silences étaient différents. Lourds. Inconfortables.


— On fait une pause ? proposa Kaeya, brisant le mutisme général.


Je me contentai de hausser les épaules. Varesa ne répondit pas.


Nous nous arrêtâmes à l’ombre relative d’une colonne effondrée. Kaeya sortit une gourde. Varesa, elle, s’écarta légèrement, dos à nous. Elle s’assit sur un morceau de pierre et sortit une figue de sa poche, sans y toucher.


Je la regardai en silence. Son profil était figé. Concentré. Mais je voyais ses doigts trembler. Elle faisait tout pour ne pas pleurer.


Kaeya s’approcha de moi. Il s’accroupit près du sac commun, ostensiblement occupé à trier les provisions, mais je sentis son regard me percer.


— Tu ne lui dis rien, hein ?


Je ne répondis pas.


— Tu crois la protéger, en gardant le passé sous clef, mais tu l’éloignes, Diluc. Elle n’est pas idiote.


Je serrai les mâchoires.


— Ce n’est pas à toi d’en parler, grognai-je.

— Non. Mais si tu ne le fais pas, elle remplira les vides elle-même. Et crois-moi… ce que son imagination construit est souvent pire que la vérité.


Je ne supportais pas son ton. Trop lucide. Trop juste. Trop Kaeya.


— Laisse-la tranquille, soufflai-je. S’il te reste encore un peu de respect pour elle.


Kaeya ne répondit pas tout de suite. Il se contenta de jeter un regard vers Varesa, là-bas, seule dans sa bulle de sable et de pensées.


— Ce n’est pas elle que je protège, murmura-t-il finalement.


Puis il se releva et s’éloigna.


Je ne compris cette phrase qu’une dizaine de pas plus tard. Et elle me laissa un goût amer dans la gorge.


Il ne parlait pas de Varesa. Il parlait de moi.


De nous.


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