De feu et de braise (Diluc x Varesa)

Chapitre 21 : Varesa

2055 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 05/07/2025 18:23

Le sable chauffait déjà sous mes jambes, malgré l’heure encore fraîche. Je m’étais assise un peu à l’écart, à moitié dissimulée derrière les ruines blanchies par le soleil, laissant mes pensées tournoyer en silence comme les grains de poussière dans la lumière du matin. Derrière moi, leurs voix résonnaient, étouffées, entrecoupées de silences lourds.

Diluc et Kaeya.

Je n’écoutais pas, ou du moins j’essayais de ne pas écouter. Mais certains mots me parvenaient quand même, plus aiguisés que d’autres. Des bribes. Des soupirs. Un ton trop grave. Une pique trop bien placée. Et, entre chaque échange, le silence. Ce silence-là, je le reconnaissais maintenant. C’était le même que celui qui s’était installé entre lui et moi.

Depuis ce matin, depuis le petit déjeuner.

Depuis que son passé avait glissé entre mes doigts, sans que je le comprenne.

Je fermai les yeux. Les battements de mon cœur étaient irréguliers, coincés entre la brûlure de la jalousie et la morsure du doute. Donna. Ce prénom tournait en boucle dans ma tête, comme une ritournelle que je ne savais pas comment faire taire. Il me blessait plus que je ne l’aurais cru. Parce qu’il était lié à lui. Parce qu’il était lié à eux.

Et je ne comprenais rien.

Kaeya… Kaeya parlait par énigmes. Il lançait des flèches enduites de miel et de poison, et je ne savais jamais si je devais les éviter ou les attraper. Diluc, lui, fuyait. Il se fermait dès que j’abordais ce sujet. Il changeait de ton, se raidissait, et détournait le regard.

Comme s’il avait honte.

Et c’était peut-être cela qui me faisait le plus mal.

S’il avait été sincère cette nuit-là… s’il m’avait regardée comme il semblait le faire, comment pouvait-il me cacher autant le jour d’après ? Pourquoi cette gêne, ce silence, cette fuite ?

Une part de moi brûlait encore de la tendresse qu’il m’avait offerte. De ses gestes, de ses mots. De la manière dont il m’avait tenue. De la douceur de ses lèvres sur ma peau. Je n’avais jamais connu ça. Ce genre de rapprochement, physique et émotionnel. Je n’avais jamais laissé personne m’atteindre ainsi.

Et maintenant, j’avais l’impression de ne plus savoir où poser mes pas.

J’aurais voulu lui demander, encore. Insister. Mais j’avais trop peur de la réponse. Ou de l’absence de réponse.

Alors une autre pensée germa dans mon esprit. Si Diluc ne voulait pas me dire ce qu’il s’était passé… peut-être que Kaeya, lui, le ferait.

L’idée me glaça autant qu’elle me troubla.

Je ne lui faisais pas confiance. Mais il savait des choses. Des choses qu’il laissait volontairement échapper entre deux moqueries, deux sourires en coin. Il savait, et il aimait me voir dans le doute. Alors peut-être… peut-être que si je le confrontais, il finirait par me dire la vérité. Même par jeu.

Ou peut-être qu’il me briserait.

Mais n’étais-je pas déjà en train de craquer ?

Peu importe ! J’avais besoin de savoir.

Après plusieurs heures de marche, le soleil était déjà haut lorsque nous atteignîmes une petite oasis, à la lisière d’un ancien camp de nomades abandonné. Une source encore vive serpentait entre les pierres crevassées, et quelques palmiers tordus offraient une ombre bien maigre.

Kaeya proposa une pause. Diluc accepta, d’un hochement bref. Moi, je m’assis sans rien dire, un peu à l’écart, comme toujours.

J’observai l’eau. Elle miroitait sous la lumière, claire et silencieuse. Tout comme moi. Je me sentais transparente. Inexistante. Et pourtant, mon corps brûlait. D’attente. De désir. D’incompréhension.

Je l’aimais. Je ne savais pas encore comment, ni pourquoi. Mais je l’aimais.

Et je détestais cette sensation.

Pas parce qu’elle était mauvaise… mais parce qu’elle m’échappait. Parce qu’elle m’ouvrait, de l’intérieur, comme une fêlure lente, brûlante, qui ne se refermait pas.

Et surtout… parce que je ne savais plus si j’avais eu raison.

Raison de lui donner mon corps. Mon cœur. Mon souffle. Mes premières fois, toutes offertes d’un coup, comme un fruit mûr arraché à la branche, sans réfléchir, sans me retenir.

Est-ce que j’avais été trop rapide ?

Trop naïve ?

Trop… moi ?

Je repensai à cette nuit — à son souffle dans mon cou, à ses doigts dans mes cheveux, à sa voix douce, basse, grave, comme un feu au creux de mon ventre. Je revoyais ses gestes, son regard, cette tendresse presque sacrée dans la façon dont il m’avait guidée, touchée, comme si j’étais précieuse. Unique.

Et pourtant…

Et pourtant, pourquoi est-ce qu’aujourd’hui, il détournait les yeux ? Pourquoi son silence me blessait plus que n’importe quelle parole ? Pourquoi Kaeya, avec ses sourires en coin et ses mots qui piquent, semblait en savoir plus que moi sur ce que j’avais cru être un instant suspendu entre nous ?

Une fois, il m’avait dit que je n’avais rien à regretter.

Mais s’il avait tort ?

Et s’il regrettait, lui ?

Une peur sourde s’enroula autour de mon cœur.

Et s’il m’avait prise dans ses bras parce qu’il avait besoin de fuir autre chose ? Quelque chose de plus ancien. De plus douloureux. Un souvenir enfoui sous le sable, qu’il essayait d’éteindre à travers moi ?

Donna. Kaeya. Et lui, au centre.

Il ne m’avait jamais parlé de Donna. Pas vraiment. Juste quelques mots, vagues, suspendus, comme s’il voulait en dire plus, mais que quelque chose l’en empêchait. De la honte, peut-être. De la douleur.

Et Kaeya… Kaeya, lui, laissait parfois tomber un nom, une anecdote, un sourire trop appuyé. Mais rien de concret. Rien que je puisse comprendre vraiment. Il savait des choses. Des souvenirs qu’ils partageaient, lui et Diluc, avec cette Donna, cette silhouette invisible qui semblait avoir marqué un coin de leur histoire.

Mais moi ? Moi, j’étais dans le flou. Incapable d’imaginer ce qu’ils avaient vécu. Ce qui les liait encore. Et pourquoi ce nom, ce simple prénom, suffisait à poser une ombre sur leurs regards.

Je me sentais exclue d’un récit dont je n’avais pas les clés. Comme si un chapitre manquait au livre de leur vie, et que ce chapitre, ils s’étaient jurés de ne jamais le relire.

Et ce silence me tuait.

Je regardai encore en direction de l’eau clair de la petite oasis ; comme si j’allais voir tout à coup mes réponses s’afficher devant moi flottant au dessus du point d’eau.

— Tu sais que si tu continues à le regarder comme ça, tu vas finir par l’enflammer, glissa une voix douce à côté de moi.

Kaeya.

Je ne l’avais pas vu s’approcher. Il s’était accroupi près de moi, une gourde à la main, ses yeux toujours aussi brillants d’un amusement feint.

Je ne répondis pas. Mon regard resta fixé sur le filet d’eau. Mais mon cœur accéléra.

— Tu veux savoir, n’est-ce pas ? dit-il, plus bas. Ce qu’il ne te dit pas.

Je me tournai lentement vers lui. Mes yeux plantés dans les siens. Il souriait, bien sûr. Ce demi-sourire moqueur qu’il portait comme un masque.

— C’est si évident ? soufflai-je.

— Aussi évident qu’un éclair dans la nuit, répondit-il. Et crois-moi, tu n’es pas la seule à brûler pour lui.

Je tressaillis. Mais il continua, le ton toujours aussi léger :

— Il a toujours été comme ça, tu sais. Passionné. Entier. Et terriblement secret.

— Pourquoi… il ne me dit rien ? demandai-je, la voix brisée.

Kaeya haussa les épaules.

— Peut-être parce qu’il a honte. Peut-être parce qu’il t’aime trop. Ou pas assez. Peut-être parce qu’il ne sait pas ce qu’il ressent. Ou qu’il le sait très bien, mais qu’il a peur de te perdre si tu découvres la vérité.

Je sentis mes yeux s’embuer. Je détestais Kaeya, à cet instant précis. Pour son regard pénétrant. Pour ses demi-vérités. Pour la facilité avec laquelle il lisait en moi.

— Et toi ? soufflai-je. Tu sais ce qu’il me cache ?

Kaeya pencha la tête, un sourire presque triste aux lèvres.

— Je sais, oui. Mais ce n’est pas à moi de te le dire. C’est à lui.

Je me levai brusquement. La douleur dans ma poitrine était insupportable. J’avais besoin de marcher. De m’éloigner.

De pleurer.

Mais je ne voulais pas qu’ils me voient pleurer.

Je m’éloignai de l’oasis, les poings serrés, les larmes au bord des cils. Et derrière moi, je sentais leur regard à tous les deux. Deux hommes liés par un secret. Un souvenir. Une femme. Ou plus.

Et moi, au milieu. Prisonnière de ce passé que je ne comprenais pas.

Et pourtant, je ne pouvais pas m’empêcher d’aimer l’un d’eux.

Et de haïr l’autre pour me le rappeler.

Le soleil était haut quand les premiers sifflements ont fendu l’air.

J’ai à peine eu le temps de comprendre.

Un souffle. Une vibration. Et puis cette certitude, animale, instinctive : on nous observait.

J’ai ralenti. Tendu l’oreille. Mes pieds s’enfonçaient dans le sable, et une sueur glacée m’a coulé dans le dos. Je me suis retournée, juste assez pour croiser leurs regards — ceux de Diluc et Kaeya, déjà en alerte.

— Bouge pas ! a crié Kaeya.

Mais c’était trop tard.

Une ombre a jailli de derrière une dune. Noire. Épaisse. Un éclat violet, puis un choc. Un projectile. Un de ceux de l’Abîme, je le reconnaîtrais entre mille.

Et il fonçait droit sur moi.

Tout mon corps s’est contracté au moment de l’impact. Une douleur aiguë, fulgurante, m’a transpercée du flanc à l’épaule. Un feu dans mes veines. Le souffle coupé. Je suis tombée à genoux, puis sur le côté.

Le sable m’a semblé froid, malgré la chaleur. J’entendais leur voix, lointaine. L’écho d’un cri. Peut-être mon prénom.

Ma vue s’est brouillée.

Diluc…

Il s’est penché sur moi. J’ai senti ses mains, ses bras. Sa voix, tremblante, brisée.

— Varesa. Varesa, tiens bon, par les Sept...

J’ai tenté de sourire. Mais je crois que je n’ai réussi qu’à grimacer.

—   C’est toi qui me sauve… cette fois ?

— Tais-toi. Ne parle pas.

Mais moi, j’avais besoin de parler. De dire quelque chose. Avant de sombrer. Avant de…

— T’avais pas le droit de te taire, Diluc. Pas après… cette nuit.

Il a blêmi. Je l’ai vu. Même à travers la douleur.

— Je voulais te protéger.

— Tu m’as laissée dans le noir…

Kaeya est apparu à côté de lui, posant des bandages, tentant d’arrêter l’hémorragie.

— Elle saigne trop. Il faut l’éloigner d’ici.

Mais je ne voulais pas partir. Pas encore. Pas sans comprendre.

— C’est Donna, hein ? ai-je murmuré. Elle compte encore ?

Silence. Le genre de silence qui hurle plus fort qu’un cri.

— Tu l’as aimée ? Et Kaeya ? Vous… vous étiez… ?

Je n’arrivais pas à finir. Mon souffle tremblait. Mes yeux se fermaient.

— Varesa, arrête, supplia Diluc. Tu ne sais pas ce que tu dis.

— Parce que tu me laisses rien savoir…

Et je suis tombée.

Je ne sais pas combien de temps j’ai sombré. Il y a eu des éclats. Des voix. Des bras qui me portaient. Des murmures. Une chaleur contre ma peau. Une larme. Peut-être la sienne.

Et puis le noir.

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