Les Larmes de l'Abîme

Chapitre 1 : Les Cendres de la Nuit

3944 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/11/2025 11:07

« Même dans l’Abîme, la lumière pleure encore. »

Proverbe oublié de Teyvat



La nuit étendait son voile sur Teyvat comme une mer d’encre, lourde et silencieuse. Les montagnes se découpaient à l’horizon, silhouettes noires rongées par la brume, tandis que des éclats d’étoiles perçaient par endroits les nuages errants. Le vent portait l’odeur du givre et des cendres, souvenir lointain d’un monde qui s’était consumé lui-même. Dans les ruines d’un ancien sanctuaire, où la pierre portait encore les cicatrices d’une bataille oubliée, une silhouette solitaire avançait prudemment à travers la poussière. Les colonnes brisées semblaient veiller sur elle comme des spectres, et des fragments de vitraux épars reflétaient la lumière de la lune en éclats glacés. Chaque pas faisait gémir le sol, chaque souffle réveillait un écho du passé. Caelira resserra sa cape autour de ses épaules. Le tissu sombre, usé par le voyage, dissimulait partiellement une armure légère, forgée d’un métal bleuté qui semblait boire la lumière. Ses cheveux, d’un noir profond, tombaient en mèches désordonnées sur son visage, que la pâleur de la lune rendait presque irréel. Ses yeux, d’un gris irisé, tirant parfois sur le violet semblaient absorber la nuit plutôt que la refléter. Ses pas résonnaient faiblement sur la pierre fissurée. Le froid ne la dérangeait pas ; elle en avait connu de pires. Ce qui l’inquiétait, c’était le silence. Pas le silence naturel des lieux oubliés, mais celui qui pèse, qui écoute, qui attend. L’air semblait vivant, tendu, comme s’il retenait son souffle. Elle s’arrêta, leva les yeux vers le ciel. Il paraissait infini, traversé de filaments d’aurores lointaines, mais au plus profond d’elle, Caelira sentait battre une autre immensité : l’Abîme. Une présence sans forme, sans voix, mais qui vibrait dans sa poitrine comme une seconde pulsation.

"Cet endroit... respire encore", murmura-t-elle.


Un souffle lui répondit, ténu, presque un soupir. Le vent changea de direction, portant avec lui une odeur métallique. Celle du sang ancien, figé dans la pierre. Ses doigts gantés effleurèrent un mur couvert de runes éteintes. Sous la surface, un pouvoir sommeillait. Une chaleur, lente et douloureuse, se répandit dans son bras. Elle retira vivement sa main.

"Non... pas encore", souffla-t-elle.


La marque sur sa paume, une spirale fine et brûlante, s’illumina d’un éclat pâle. Elle serra le poing, retenant un tremblement. Certains jours, elle parvenait à la contenir. D’autres, comme cette nuit, elle murmurait des mots qu’aucune langue humaine ne pouvait prononcer.





Un craquement derrière elle. Caelira se retourna vivement, tirant sa lame. L’écho métallique du geste se perdit dans la nuit, avalé par l’immensité des ruines. Une silhouette émergea des ténèbres, d’abord informe, puis lentement modelée par la lueur lunaire. Sa forme oscillait, tordue, comme faite de brume solide. Son manteau, ou ce qu’il en restait, semblait flotter sans vent, tissé d’ombres mouvantes. Là où auraient dû se trouver des yeux, deux orbes violacés brûlaient d’une lueur spectrale, empreinte d’une haine millénaire. Sous sa capuche déchirée, on devinait un visage à demi dissous, sculpté dans une matière qui n’était ni chair ni pierre. Ses mains, longues et fines, tremblaient d’une énergie noire qui laissait dans l’air des traînées d’étincelles violettes. Un murmure s’échappa de ses lèvres craquelées. Un langage oublié, aux syllabes rauques et inversées, qui fit vibrer le sol à ses pieds. Une créature de l’Abîme. Un mage, sans doute, l’un de ceux qui avaient jadis pactisé avec la corruption pour transcender leur humanité.

"Vous me trouvez toujours", dit-elle avec amertume.


Le mage leva lentement la tête. Sa voix, lorsqu’il parla, ressemblait à une prière étouffée dans la cendre.

"Nous ne te cherchons pas… Caelira. C’est toi qui nous appelles."


La chose bondit, son mouvement déformé par une vitesse surnaturelle. Elle esquiva de justesse, sa lame fendant l’air et la chair d’ombre. Un cri jaillit. Pas un cri de douleur, mais un hurlement ancien, un écho venu d’un autre plan. Le choc fit trembler les pierres, et des fragments de ruine s’effondrèrent tout autour d’eux. Deux autres figures surgirent de la pénombre. Leurs silhouettes plus frêles flottaient à quelques centimètres du sol, comme suspendues entre deux réalités. La frontière entre les mondes s’amincissait à vue d’œil. L’air vibrait, saturé d’énergie. Elle savait qu’elle devait fuir. Mais une partie d’elle, cette flamme brûlante qu’elle portait en secret, refusa. La marque sur sa paume pulsa, une lumière pâle se répandant sur sa peau.

"Non… pas encore…"


Mais c’était trop tard. La lumière jaillit de sa main, d’abord comme une pulsation, puis comme une déferlante. Une aura violette s’enroula autour d’elle, tournoyant en cercles concentriques. Les créatures hésitèrent, reculèrent. Puis furent happées par la vague d’énergie qui explosa dans un rugissement sourd. Quand le silence retomba, Caelira était à genoux, haletante. Autour d’elle, les ruines n’étaient plus que cendres et pierres noircies. L’air sentait la foudre et la poussière. Le sol lui-même semblait trembler encore, comme s’il craignait son pouvoir.

"Ça recommence", souffla-t-elle.





Elle n’eut pas le temps de reprendre son souffle qu’une voix brisa le silence. Une voix calme, teintée d’ironie, comme une lueur bleue dans la nuit.

"Je vois que je ne suis pas le seul à chasser à cette heure."


Caelira se figea, l’épée encore en main. Elle pivota lentement vers la source du son. Sous la lumière froide de la lune se tenait un homme. Une présence qui semblait appartenir à un autre tableau que celui des ruines. Les pierres brisées et les cendres formaient un décor de désolation, mais lui paraissait étrangement intact, comme si la poussière refusait de le toucher. Son manteau bleu, brodé de symboles discrets, se soulevait doucement sous le vent. Des reflets d’argent couraient le long de ses cheveux, et ses yeux, d’un bleu profond tirant sur la glace, observaient la scène avec une attention calculée. Son port était celui d’un soldat, mais sa posture trahissait la légèreté d’un homme habitué à masquer sa vraie nature derrière un sourire. Autour d’eux, le vent ramenait la cendre des créatures défaites. Le sanctuaire dévasté semblait soupirer, saturé d’une magie résiduelle. Des particules d’énergie violette flottaient encore dans l’air, comme des lucioles mortes. Kaeya, car c’était bien lui, posa une main sur le pommeau de son épée, plus par réflexe que par menace.

"Kaeya," murmura-t-elle.


Le nom avait glissé de ses lèvres sans qu’elle s’en rende compte. Il arqua légèrement un sourcil, un sourire effleurant la commissure de sa bouche.

"Tu me connais donc déjà."


Leurs regards se croisèrent, lourds de ce silence particulier où deux êtres s’évaluent sans mot dire. La lune dessinait sur leurs visages des ombres nettes, presque théâtrales : la pâleur de Caelira contrastant avec l’éclat froid de Kaeya. Il observa les ruines calcinées, la lame encore vibrante dans sa main.

"Ce n’était ni du feu, ni de la magie élémentaire," dit-il lentement. "Et pourtant, tout ici brûle encore d’une chaleur qu’on ne voit pas."


Elle garda le silence, essuyant la poussière de sa lame avant de la rengainer.

"Un accident," finit-elle par dire, la voix basse.


Kaeya hocha légèrement la tête, sans insister. Il s’avança de quelques pas, contournant un pan de mur effondré, et tendit la main vers elle.

"Mondstadt n’est pas loin. Tu pourrais y trouver un peu de repos."


Caelira hésita. Le vent soulevait autour d’eux les restes d’un voile de cendre. Les arbres au loin bruissaient comme des témoins indifférents. Elle finit par glisser sa main dans la sienne. Sa peau était glacée, la sienne tiède.

"Je ne te dois rien," dit-elle simplement.


Kaeya eut un bref sourire.

"Parfait. Alors, marchons comme deux inconnus. C’est souvent là que les histoires commencent."





Ils marchèrent côte à côte à travers la forêt, sous un ciel que la lune effleurait à peine. Le vent glissait entre les branches hautes, faisant frémir les feuillages comme une mer sombre. L’air portait une odeur de mousse et de terre humide, mêlée à celle, plus ancienne, de la pierre et du fer. Un parfum d’histoire oubliée. Les troncs massifs semblaient veiller sur eux, dressés comme des gardiens pétrifiés, et leurs ombres s’étiraient en longues silhouettes mouvantes sur le sentier. Kaeya avançait d’un pas sûr, son manteau effleurant les herbes couvertes de rosée. De temps à autre, il jetait un coup d’œil à Caelira. Elle se mouvait avec une aisance presque irréelle, chaque pas silencieux comme si la forêt elle-même retenait son souffle pour la laisser passer. La lune dessinait des reflets d’argent sur ses cheveux sombres, et ses yeux, tournés vers le chemin, semblaient chercher quelque chose que lui ne pouvait pas voir. Leur silence se mêlait au murmure du vent. On aurait dit que les arbres eux-mêmes chuchotaient, transmettant des secrets que seul l’Abîme pouvait comprendre.

"Tu ne viens pas de Mondstadt", dit-il finalement, sa voix brisant doucement la tranquillité du sous-bois.


Elle tourna légèrement la tête sans ralentir.

"Non."


Un instant passa. Le bruissement des feuilles, plus fort, couvrit presque le son de leurs pas.

"Alors d’où viens-tu ?" demanda-t-il, sans insister, presque distraitement.

"De là où les étoiles ne se reflètent plus."


Kaeya leva un sourcil, mais ne répondit rien tout de suite. Il se contenta de sourire, ce sourire énigmatique qu’il portait souvent comme un masque. La réponse l’intriguait et l’inquiétait tout à la fois. Le silence retomba, plus lourd cette fois. Les arbres s’écartaient devant eux, ouvrant sur une clairière noyée de brume. La lumière lunaire, pourtant éclatante ailleurs, refusait d’y pénétrer complètement. La brume y formait des spirales mouvantes, s’enroulant sur elles-mêmes comme des volutes d’encre dans l’eau. Caelira s’arrêta net. Son regard s’assombrit, et un léger frisson parcourut son bras. L’air vibrait faiblement autour d’eux. Kaeya observa la scène, son expression se faisant plus sérieuse.

"Qu’est-ce que c’est ?"

"La trace d’un passage," répondit-elle à voix basse. "L’Abîme laisse des cicatrices… même quand il se retire."


Le vent se leva brusquement, emportant quelques feuilles mortes dans un tourbillon silencieux. Puis tout retomba. Ils restèrent là un moment, figés au bord de la clairière, à contempler la spirale brumeuse qui semblait battre d’un pouls invisible. Kaeya finit par détourner les yeux, mais l’image resta imprimée dans son esprit. Celle d’une femme venue des ténèbres, et d’un monde dont les blessures ne se refermaient jamais tout à fait.





Ils s’approchèrent lentement de la clairière. Le silence s’y faisait presque total, comme si même le vent refusait d’en troubler l’équilibre fragile. Sous leurs pas, le sol s’assombrissait peu à peu. La mousse laissait place à une étendue de cendres, noires et sèches, formant un cercle parfait au milieu des arbres. Tout autour, les troncs portaient les traces d’un ancien incendie : une brûlure si vieille qu’elle semblait gravée dans l’écorce même du monde. Au centre du cercle, à demi enfoui dans la poussière, un éclat violacé pulsait faiblement. C’était une lumière à la fois belle et inquiétante, un battement régulier, semblable à celui d’un cœur endormi. Kaeya s’agenouilla, son ombre s’étirant jusqu’au bord du cercle. Il tendit la main, attiré par la luminescence du fragment. L’air vibra imperceptiblement.

"Tu connais ce genre de pierre ?" demanda-t-il, la curiosité tempérée par la prudence.

"Ne la touche pas !"


Sa voix claqua comme un fouet dans l’air figé. Kaeya se figea, surpris par la brusquerie du ton. C’était la première fois qu’il percevait dans sa voix non pas la maîtrise glaciale qu’elle portait toujours, mais une peur viscérale, presque douloureuse. Caelira s’avança lentement. Ses pas ne laissaient aucune empreinte sur la cendre. Lorsqu’elle s’accroupit devant le cristal, la lumière sembla se ranimer, vibrant à mesure qu’elle tendait la main. La marque sur sa paume s’illumina, un fil de lumière s’en échappant pour rejoindre le fragment. Un souffle parcourut la clairière. Les cendres s’élevèrent un instant avant de retomber, comme si le monde lui-même retenait sa respiration.

"Ce n’est pas une pierre," murmura-t-elle. "C’est un souvenir... l’écho d’un monde que l’Abîme a dévoré."


Kaeya se redressa lentement, son regard oscillant entre elle et le cristal. Il ne dit rien. L’expression de Caelira suffisait à comprendre. Ce qu’elle voyait, lui, ne pouvait le percevoir. Elle ferma les yeux. Et soudain, l’air sembla changer autour d’elle. Une chaleur brûlante monta du sol. Des images s’imposèrent à son esprit, violentes et limpides : des flammes avalant un horizon, des silhouettes fuyant dans des ruelles de pierre, un ciel se fendant en deux, avalé par une obscurité vivante. Un cri. Une main tendue vers elle qu’elle n’avait pas pu saisir. Son souffle se brisa. Un instant, elle chancela. Kaeya s’approcha d’un pas, mais elle le repoussa d’un regard. Elle ouvrit les yeux, et une larme, fine et silencieuse, glissa sur sa joue. La lumière du cristal faiblit, comme si elle s’éteignait avec elle.

"Chaque fragment de l’Abîme contient une mémoire," dit-elle d’une voix rauque. "Et celles-ci… sont les miennes."


Kaeya resta muet, frappé d’un respect silencieux. Devant lui ne se tenait plus une étrangère aux dons étranges, mais une survivante d’un désastre que nul n’aurait dû endurer. Une relique vivante d’un monde disparu. Le vent se remit à souffler, léger, presque compatissant. Les cendres s’envolèrent dans une spirale lente, se mêlant aux rayons blafards de la lune.

"Alors tu n’es pas venue ici par hasard," finit-il par dire doucement.


Caelira serra la main autour du cristal, dont la lueur s’éteignit tout à fait.

"Non," répondit-elle simplement. "L’Abîme m’a appelée… et je dois comprendre pourquoi."





Le vent se leva soudain, déchirant le silence de la clairière. Les arbres, pris d’un frisson, plièrent sous la bourrasque. Les feuilles se mirent à tournoyer comme des milliers d’éclats sombres, et le sol vibra d’une énergie profonde. Le cristal au centre du cercle trembla, projetant autour de lui des faisceaux de lumière violette qui lacérèrent la nuit. Caelira recula instinctivement, la main tendue devant elle. La lumière se fit plus vive, brûlante, jusqu’à devenir insoutenable. Une fissure se traça sous leurs pieds. Fine d’abord, puis béante, avalant tout sur son passage. Un grondement monta des entrailles de la terre, lourd et guttural. Kaeya la saisit par le bras, son regard soudain dur. Sans un mot, ils se jetèrent hors du cercle juste avant que la faille n’explose. Une lumière violacée jaillit du gouffre, montant comme un geyser, puis s’abaissa pour laisser place à une silhouette. Elle s’éleva lentement, émergeant du cœur de la faille. Une forme sans contour net, faite de brume et d’éclats cristallins. Par moments, on aurait cru discerner un visage. Un regard. Mais aussitôt la forme se dissolvait pour se reformer ailleurs. Sa présence pesait sur l’air, déformant la lumière, tordant l’espace. Une voix s’en échappa, grave et vibrante, à la fois lointaine et intime.

"Tu ne peux pas fuir ton sang, héritière…"


Le souffle de Caelira se bloqua dans sa gorge. Ses doigts tremblaient. Cette voix, elle la connaissait. Une voix qu’elle avait crue effacée avec les années, perdue dans les murmures de l’Abîme. Elle fit un pas en avant, le regard rivé sur la silhouette.

"Non… pas toi…" murmura-t-elle, presque sans voix.


L’être s’inclina légèrement, comme dans une parodie de révérence. Son corps se distordait sans cesse, entre ombre et éclat.

"Tu sais ce que je suis, Caelira," souffla-t-il. "Et tu sais ce que tu devras devenir."


Le sol vibra de nouveau. Des racines noires jaillirent du cercle, serpentant sur la terre, cherchant à les atteindre. Kaeya dégaina son épée, le métal renvoyant les reflets pourpres de la lumière. Il se plaça devant elle, son manteau battant dans la tempête d’énergie. La lame fendit l’air en un éclat d’argent, mais ne rencontra rien. L’être se dissipa, puis se reformula derrière eux, comme s’il se jouait des lois du monde. Sa voix s’étira dans la brume, traînante, insinuante.

"Elle ne t’a jamais dit, n’est-ce pas ? Qu’elle porte l’Abîme en elle…"


Kaeya se tourna vers Caelira. Son regard, d’ordinaire perçant, vacilla un instant. Entre eux, l’air semblait plus froid.

"Qu’est-ce qu’il raconte ?" demanda-t-il, à mi-voix.


Caelira resta immobile. La marque sur sa main luisait d’un éclat violent, pulsant au rythme de son cœur. Elle baissa lentement les yeux.

"La vérité," murmura-t-elle.


Un silence de plomb tomba sur la clairière. La silhouette disparut dans un dernier souffle de lumière, et la faille se referma dans un grondement sourd. Il ne resta plus que l’odeur de cendre et le goût du fer dans l’air. La forêt, de nouveau, retint son souffle.





Le silence retomba brutalement, lourd, presque palpable. Même le vent, quelques instants plus tôt enragé, semblait s’être figé. La forêt entière retenait son souffle. Kaeya demeurait en position de défense, son épée encore levée, mais son attention n’était plus sur la brume disparue. C’était Caelira qui l’inquiétait. Sous la lueur mourante du cristal, il vit, pour la première fois, quelque chose courir sous sa peau : des filaments sombres, mouvants, comme des veines d’ombre pulsant à chaque battement de son cœur. Il ne dit rien tout de suite. Le spectacle le fascinait autant qu’il l’effrayait. Ce n’était pas naturel. Ce n’était pas humain. Caelira, haletante, s’agenouilla lentement, une main posée sur le sol encore chaud. Ses yeux brillaient d’une lueur trouble, entre la fatigue et le désespoir. Lorsqu’elle parla enfin, sa voix semblait venir de loin, comme si elle récitait une vérité qu’elle portait depuis trop longtemps.

« Je suis née de deux mondes. »


Son souffle formait de petits nuages dans l’air refroidi.

« L’un de lumière… l’autre de ce que tu viens de voir. Quand l’Abîme a englouti ma cité, il m’a laissée en vie. Pas comme une victime… mais comme un héritage. »


Kaeya resta immobile, les mâchoires serrées. Un craquement sec attira son regard : le fragment de cristal, désormais terni, se fendillait lentement, avant de s’effriter en poussière argentée.

« Alors tu portes l’Abîme en toi… » murmura-t-il, plus pour lui-même que pour elle.


Caelira leva les yeux. Son regard n’avait plus rien de distant. Il brûlait d’un éclat mélangé de honte et de colère.

« Je ne l’ai pas choisi. Mais je ne peux pas le fuir. Chaque jour, je lutte pour qu’il ne me consume pas. »


Un grondement sourd résonna sous leurs pieds. La terre vibra faiblement avant de se stabiliser. Là où la faille s’était ouverte, il ne restait plus qu’une cicatrice, une ligne noire qui s’effaçait lentement sous la poussière. Kaeya rengaina son arme. Le silence revint, ponctué seulement par le bruissement des feuilles. Il la considéra longuement. Une part de lui aurait voulu partir, laisser cette étrangère et son fardeau derrière lui. Mais il n’y parvenait pas.

« Alors tu portes une guerre entière à toi seule, » dit-il enfin.


Caelira esquissa un sourire sans joie.

« Oui. Et elle ne fait que commencer. »


Leurs regards se croisèrent. Dans le sien, Kaeya lut une résignation farouche. Celle de quelqu’un qui savait qu’il n’y aurait pas de rédemption. Et malgré lui, il sentit naître un respect silencieux.

« Tu n’es pas la première étrangère à apporter le chaos à Mondstadt, » murmura-t-il. « Mais peut-être seras-tu la première à lui survivre. »


Caelira resta un moment immobile, puis hocha lentement la tête. Le vent recommença à souffler entre les branches, dispersant les cendres autour d’eux. L’obscurité s’était retirée, mais l’écho de sa présence demeurait. Comme un avertissement gravé dans l’air.





La brume se dispersait lentement, effilochée par le souffle froid du vent. Les arbres frémissaient, leurs branches tordues retrouvant un murmure de vie après la tempête silencieuse. Des fragments de cendre flottaient encore dans l’air, luisant comme des lucioles éteintes. Kaeya resta un instant immobile, scrutant la lisière de la clairière où le sol gardait encore les traces du combat. Puis il tourna les talons, prenant la direction de Mondstadt. Ses pas écrasaient les feuilles humides, rythmés par le bruissement du vent entre les troncs. Derrière lui, Caelira ne bougeait pas. La lune se reflétait dans ses yeux, où la fatigue se mêlait à une étrange mélancolie. Elle leva lentement la tête vers le ciel. Les étoiles brillaient, mais certaines semblaient vaciller, comme effacées par une ombre invisible. Le monde lui paraissait à la fois familier et étranger. Trop silencieux, trop fragile. Un long frisson la parcourut. Le pouvoir endormi sous sa peau, cette lueur sombre qu’elle avait si longtemps contenue, pulsait faiblement, comme un cœur étranger battant en écho du sien. Elle inspira profondément, puis fit un pas, puis un autre, suivant la trace laissée par Kaeya. Le vent se renforça, faisant claquer sa cape contre ses jambes. Au loin, la lueur de Mondstadt filtrait à travers la forêt. Promesse de chaleur, peut-être, ou simple illusion. Mais son regard restait fixé sur l’horizon. Là où le ciel touchait la terre, elle sentait encore la présence de l’Abîme, tapie, patiente. Un murmure s’insinua dans son esprit, plus clair que jamais. Une voix sans visage, douce et glaciale à la fois. Et dans ce chuchotement, il n’y avait plus de menace. Seulement une promesse.

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