Ennemi ou ami, imaginaire ou réel? Ou Jakyll et Hyde à la Ghost Whisperer
29 août 2006, mairie de Grandview, 11 h 30.
Jim, Christopher, Jack et moi, assis sur les premiers bancs, sommes les invités au mariage de Delia et de Timothy. Pour l’occasion, nous avons revêtu nos plus beaux habits ; Jim et nos fils en complet bleu marine avec chemise blanche ; moi en tailleur vert clair avec une chemise blanche et des talons hauts verts. Les nouveaux mariés sont assis sur des chaises face à un notaire, qui les regarde par-dessus ses lunettes, et signent le contrat de mariage. Je suis tellement contente que mon associée ait trouvé un époux. En tout cas, cet heureux événement fait changement de mon inquiétude pour les cinq signes que je laisse de côté pour ne pas assombrir le mariage. Je remarque que le couple est encadré de deux esprits, l’un à gauche de la mariée, l’autre à droite du marié. Le premier est un homme d’âge mûr, vêtu d’un complet brun et d’une chemise blanche, qui est tachée de sang à la hauteur de sa poitrine. Le second est une vieille femme un peu grasse vêtue d’une longue robe verte et beige. Les deux esprits, lorsque je les regarde attentivement, me fixent, les yeux écarquillés. Moi, je me demande bien la raison de leur présence auprès des vivants.
« Sans doute qu’ils ne s’attendent pas à ce que quelqu’un puisse les voir », pensé-je. « Rien de bizarre… Je comprends très bien leur réaction… »
En m’adressant mentalement aux deux défunts, qui apparaissent alors devant moi, je pense, en les regardant alternativement : « Je suis Melinda Gordon… Et vous, Madame et Monsieur ? »
Je remarque que Jack et Christopher observent avec curiosité les esprits. Je me penche vers eux pour leur murmurer en russe de rester tranquilles et de ne pas trop les déranger. Ils regardent la salle autour d’eux.
Les deux esprits s’entr’observent, puis observent alternativement mes fils et moi.
L’esprit masculin dit d’une voix joyeuse :
— Enfin trois individus qui peuvent nous voir !
Il continue d’un débit de voix normal :
— C’est bizarre… Mais ça semble être vrai, sinon, vous ne réagirez pas ainsi… Intéressant à savoir… Jusqu’à un certain point, c’est même…
L’esprit féminin termine sa phrase :
— Déconcertant… Surtout lorsque… comment dire… Nous sommes habitués à ce que tout le monde nous ignore et regarde à travers nous… Enfin quelqu’un qui…
L’esprit masculin, avec un sourire aux lèvres, en regardant la revenante d’un air bienveillant, fait un geste de sa main droite pour l’inviter à terminer son propos.
Celle-ci le remercie d’un signe de tête puis ajoute :
— Vous avez raison… C’est ce que je voulais dire… Enfin quelqu’un qui nous voit et avec qui nous pouvons discuter…
Elle nous adresse son plus beau sourire et s’éloigne de nous pour se rapprocher des mariés.
Le revenant, lui, s’approche de mes fils, qui tournent à nouveau leurs têtes vers lui, les yeux écarquillés sans doute de surprise.
Jim murmure à notre fils aîné en anglais :
— S’il te plaît, Chris, peux-tu te tenir tranquille ?
L’interpellé détourne alors son regard de l’esprit errant et tourne sa tête à gauche et à droite, comme s’il regardait la salle de la mairie. Son frère en fait autant.
L’esprit sourit gentiment puis murmure :
— Les petits garçons sont vraiment mignons…
Sans doute que je ne pouvais pas m’empêcher de sourire devant une telle remarque, puisque l’esprit de l’homme commente :
— Je ne doute pas, Madame Gordon… que vous les avez bien élevés…
Émue, je réplique mentalement : « Merci beaucoup… »
En se retournant vers moi, il demande, en faisant un geste vers mes fils, les sourcils froncés : — Madame Gordon, pouvez-vous m’expliquer quelque chose ?
Je me retiens de ne pas faire un mouvement rotatif du poignet ; je n’ai quand même pas oublié les autres invités autour de moi. Mais je réplique par la pensée : « Posez votre question… J’essaierai de répondre du mieux que je peux… »
Mon interlocuteur dit :
— Pouvez-vous me dire pourquoi vous semblez être la seule à pouvoir me…
Il jette un coup d’œil rapide vers l’esprit féminin et reprend : — euh… nous voir ?
Je soupire et je répond mentalement : « Simplement parce que j’ai un don… qui fait en sorte que je vous vois… »
L’esprit masculin : — Votre explication est intéressante…. D’ailleurs,
Il désigne d’un geste de sa main Christopher et Jack et continue sa phrase :
— Je remarque que les enfants en bas âge aussi me voient… Mais lorsqu’ils sont plus vieux, comme mon fils, ils ne semblent pas me voir…
Je pense : « Ils n’ont pas un don similaire au mien ou à mes fils… »
Les sourcils levés, il balbutie : — Sérieux ?
Je réponds par la pensée : « Oui… »
Et l’esprit de l’homme s’éloigne un peu de mes fils, afin d’être plutôt face à moi. Il se retourne vers les mariés et s’exclame d’un air enjoué :
— Cette scène me rappelle mon propre mariage ! Ça ne va pas me rajeunir !
Je m’éclaircis la voix et, en regardant à nouveau les deux esprits errants, je leur demande à nouveau mentalement s’ils veulent bien se présenter.
L’homme fait un geste vers la femme, qui apparaît soudainement face à moi, et dit d’un ton chaleureux, en faisant un geste sa main vers elle : — Les dames d’abord…
Je pense spontanément : « Quel esprit gentleman ! »
Elle murmure, la tête légèrement tournée vers lui : — Merci…
En me regardant d’un air que je qualifierais de bienveillant, la vieille femme dit d’un ton assuré, en pointant ses mains vers sa poitrine : — Je suis Emerald Flaherty…
Je pense : « Sans doute une parente de Timothy… »
Emerald, les mains ramenées vers elle, s’exclame : — Exactement !
Mine songeuse, en feignant d’ajuster ses petites lunettes, elle dit :
— Plus précisément, je suis sa grand-mère… Puisque Tim est le fils de mon fils…
Je la remercie d’un signe de tête.
Je remarque que Jim se penche vers moi et murmure en russe :
— Tout est correct, Mel ?
Je réplique dans la même langue :
— Oui… C’est seulement que chacun des mariés est suivi par un esprit… L’un d’eux, celui qui suit ton collègue, vient de se présenter…
D’un air étonné, il demande : — Qui est-ce ?
— Sa grand-mère… paternelle, une certaine Emerald…
Il confirme sa compréhension d’un mouvement de tête positif.
En regardant discrètement vers la direction de l’esprit de l’homme d’âge mûr, je murmure en russe à l’oreille de Jim :
— Il y a un autre esprit, dont l’aspect n’est pas très présentable… Il est aux côtés de mon associée…
Mon époux réplique dans un murmure :
— C’est un pack combiné d’esprits… S’est-il présenté ?
— Pas encore… Je vais maintenant l’aborder…
— Heureusement, Mel, que tu peux parler avec eux par la pensée… Ce qui est vraiment subtilement génial !
Je souris brièvement.
Je regarde où est l’esprit, mais il est déjà loin de moi ; il est revenu près de mon associée.
Je pense : « Alors, une autre fois, Monsieur ! »
Je ramène mon attention vers Emerald, qui me sourit gentiment.
Je lui demande mentalement : « Pourquoi êtes-vous aux côtés de votre petit-fils ? »
Elle répond : — Parce que je veux qu’il récupère ma bague avec le chaton en émeraude… Je ne sais plus lequel de mes enfants l’a hérité… Et j’ai essayé plusieurs fois de lui faire comprendre mon souhait, sauf qu’il ne m’a pas compris… J’espère avec votre aide, Madame Gordon, pouvoir enfin partir…
Elle regarde autour d’elle puis ajoute : — Je commence déjà à m’ennuyer de voir les mêmes décors, les mêmes rues… Vous comprennez ?
Je réplique mentalement : « Je vous comprends Madame… Ne vous inquiétez pas, je vous aiderai du mieux que je le peux… »
Emerald me remercie d’un geste de tête puis disparaît de ma vue pour être aux côtés du nouveau couple.
Tout à coup, je sors de mes pensées par le notaire qui s’exclame d’une voix forte :
— Voilà Timothy Flaherty et Delia Stewart-Flaherty officiellement mari et femme !
Nous applaudissons.
Une fois le calme revenu dans la salle, le nouveau marié dit d’un ton enjoué, en serrant la main de sa femme :
— Maintenant, chers amis, la fête !
Et les époux se dirigent lentement vers la salle voisine. Nous les suivons. Je note que les deux esprits les suivent, large sourire aux lèvres. Je fais un signe à Jim, pour amener nos enfants loin de l’esprit, en lui précisant en russe son aspect peu présentable et où il se trouve. De sorte que mon époux, tenant chacun de nos fils par la main, les amène rapidement dans la salle voisine. Ainsi, ils n’ont pas eu le temps de se retourner pour voir le revenant.
Je profite de l’occasion pour aborder en pensée l’esprit qui suit mon associée de boutique : « Excusez-moi, Monsieur… qui suit Delia Flaherty, mais vous ne vous êtes pas présenté tout à l’heure… Quel est votre nom ? »
L’interpellé se retourne vers moi et répond : — Désolé… Je suis Charlie Banks…
Puis il disparaît en passant au travers le mur de la salle voisine.
Je rapporte à mon mari ses propos puis je commente :
— Il me semble avoir déjà entendu ce nom… Ne serait-il pas le premier mari de Delia ?
Jim réplique : — Sans aucun doute… Sinon, pourquoi suivrait-il ton associée ?
Je remarque que la grand-mère de Timothy suit ce dernier en silence.
Au cours de la fête, du vin blanc et rouge sont servis pour les adultes ; pour les enfants, du jus de pommes ou d’oranges. Je veille sur mes fils, qui jouent avec les enfants des autres invités, sans doute des amis de Delia et de Timothy. « Au moins, profiter mes anges, de vos jeux innocents… Lorsqu’on vieillit, on devient des vieux grincheux sérieux », pensé-je avec humour.
Au centre de la salle, une grande table couverte d’une nappe blanche, sur laquelle se trouvent des mets et des amuse-gueules de toutes sortes.
Je murmure à mon époux, entre deux gorgées de vin rouge qui a été servi :
— Jim, qu’en penses-tu que nous abordons Delia et Timothy après la fête ? Je suis vraiment intéressée pour aider la grand-mère de ton collègue…
Il approuve mes propos d’un mouvement de tête. De sorte que j’attends avec impatience la fin de la fête, lorsque les autres invités auront quitté la salle. Jack s’exclame en russe : — Maman, qu’est-ce que tu attends ?
De ma voix la plus douce, je réponds : — Que les autres invités sortent de la salle…
Christopher demande, ses yeux bruns grands comme des soucoupes : — Pourquoi ?
— Parce que je veux… parler avec les mariés… Ils sont suivis par des esprits errants… Et je sais, mon ange, comment faire… Je dois les aborder… Je veux dire les esprits et les vivants… Comme je te l’avais expliqué…
Mon fils confirme sa compréhension d’un mouvement de tête positif.
Je continue :
— Et toi aussi, quand tu seras grand, tu aideras les esprits à passer dans la Lumière…
Je l’embrasse maternellement sur le front en pensant : « Que Dieu l’aide à rester sur le droit chemin ! »
Jack demande de sa voix fluette en russe :
— Maman, pourquoi tu attends que tout le monde sort pour parler des esprits… Ils sont là…
Il fait un geste de sa main droite pour désigner les deux esprits errants, qui se tiennent près des nouveaux mariés.
Je pense : « Mon cœur, tu n’imagines quand même pas que je vais hurler devant une salle bombée : ‘‘Salut tout le monde ! Et vous, les mariés, vous êtes suivis par deux esprits errants!’’ Ils me prendront certainement pour une folle… Mon ange, tu es vraiment mignon dans ton innocence… Mais ce n’est pas comme ça que ça se passe… »
Je m’éclaircis la gorge pour me ressaisir et je réponds en regardant mon fils benjamin droit dans les yeux :
— Il ne faut pas ennuyer les autres… avec les histoires d’esprits particuliers… Ce ne sont que les proches qui peuvent nous intéresser… et nous apporter des informations pertinentes afin de mieux comprendre ce que veulent les revenants… D’ailleurs, je dois te rappeler que ce ne sont pas tous les vivants qui sont ouverts à notre don…
Les sourcils levés, Jack balbutie :
— Comment ? Pourtant, nous le voyons… Qu’est-ce qu’il y a de bizarre ?
— Mon ange, la plupart des gens ne les voient pas… Et ils ne croient pas aux histoires de fantômes… Pour eux, c’est bon pour des films, mais pas dans la vraie vie… C’est pourquoi il faut faire attention…
Christopher commente, moue quasi boudeuse sur son visage :
— Qu’est-ce que les adultes sont compliqués !
Je souris malgré moi à sa remarque. Je pense : « Tu as raison, mais il faut quand même avoir du tact, mes anges… Ça viendra avec le temps… Comme on dit, chaque chose en son temps ! »
Je fais un clin d’œil complice à mon époux, assis à ma droite ; il comprend aussitôt et il propose à nos fils de jouer dans un coin de la salle, car il y a quelques peluches qui ont été apportées. Et tous les trois se rendent dans ce coin, en attendant que la salle se vide.
Une fois que les autres invités ont quitté la salle de dîner, Jim, nos fils et moi nous avançons d’un pas tranquille vers le nouveau couple. Mon mari leur transmet tous nos meilleurs vœux. Il tient d’une main Jack, de l’autre Christopher, qui regardent, leurs yeux grands ouverts, autour d’eux. Christopher, en faisant un geste vers l’esprit errant qu’est devenue Emerald Flaherty, balbutie en russe :
— Que veut la madame ?
Avec mon plus beau sourire maternel aux lèvres, je réplique dans ma langue maternelle : — Elle veut que je retrouve une bague…
Avant que mon fils dise quoi que ce soit, je m’empresse d’ajouter :
— Ne t’en fais pas, mon ange… Maman sait comment faire…
Je l’embrasse sur le front et je me relève. Jim me sourit gentiment et serre paternellement la main de Christopher.
Je me retourne vers les mariés, en bredouillant des vagues excuses.
Ensuite, je m’éclaircis la gorge, en regardant Timothy et son ancêtre, à sa droite : — Monsieur Flaherty, l’esprit qu’est votre grand-mère…
La vieille femme sourit puis commente :
— Je suis sa grand-mère paternelle, Emerald Flaherty…
Je répète ses propos au vivant :
— Votre grand-mère paternelle, Emerald Flaherty…
Je continue : — Présentement à votre gauche…
Le collègue de mon mari et mon associée me regardent d’un air sceptique. Ils regardent rapidement vers ladite direction. Je remarque du coin de l’œil que mes fils regardent l’esprit errant avec curiosité. L’esprit les salue d’un signe de tête. Je me retiens de ne pas éclater de rire devant une telle attitude infantile.
Je bredouille pour garder mon sérieux :
— Excusez-moi, elle est à ma gauche, donc à votre droite…
Ils regardent dans l’autre direction, et comme s’ils ne voient personne, ils me fixent à nouveau, les sourcils levés.
Timothy s’exclame :
— Tous mes respects, Madame Gordon…
Je lui coupe la parole :
— Vous vous demandez comment votre grand-mère, qui est décédée…
Il dit d’un ton ému :
— Emerald est décédée depuis… un peu moins de quatre ans…
— Pourtant, elle est un esprit… Et je vois de telles entités…
Delia et Timothy s’exclament à l’unisson : — Sérieux ou c’est une blague ?
Je réponds d’un ton sûr :
— C’est sérieux… Si je les vois, je veux dire les esprits, c’est en raison d’un don… que j’ai remarqué depuis mon enfance et… que j’ai sans doute hérité de ma mère et de ma grand-mère maternelles… Elles aussi voient les esprits errants… Et elles m’ont appris à vivre avec mon don particulier…
Mon époux lâche la main de Christopher pour serrer ma main droite en signe de soutien.
Devant les expressions d’étonnement et de scepticisme du couple, je m’empresse d'ajouter, avec mon plus beau sourire aux lèvres : — C’est la vérité… Un fait qui me caractérise…
Delia commente d’une voix un peu traînante : — Et comment vous les voyez, les esprits ?
Je réponds sans hésiter :
— Je les vois comme je vois les vivants… Les revenants ont toujours l’apparence qu’ils ont au dernier moment de leur vie dans le monde ici-bas…
Timothy intervient : — Votre explication est intéressante, Madame Gordon…
L’ancêtre de l’ambulancier commente : — Merci de l’explication…
Je murmure : — Il n’y a pas de quoi…
Il s’éclaircit la gorge puis me demande d’un ton sérieux :
— Bon, puisque vous voyez les esprits, que veut ma grand-mère ? Pouvez-vous lui demander ?
Je réplique avec mon plus beau sourire : — Sans problème… Et elle a sans doute entendu votre question…
L’esprit errant hoche la tête et répond à la question de son descendant :
— Tim, je veux simplement que tu donnes ma bague avec une émeraude à ta femme…
En regardant le collègue de Jim, je rapporte les propos de son ancêtre :
— Elle veut que… vous lui donnez sa bague avec une émeraude à votre femme… D’ailleurs, c’est ce qu’elle m’a dit un peu plus tôt aujourd’hui, pendant que vous signiez votre contrat de mariage…
Mon associée commente, les yeux écarquillés et les sourcils levés :
— Qu’est-ce que cette histoire de bague ?
Timothy serre la main de sa femme et murmure :
— Delia, laisse-moi régler cette histoire… Elle ne ment pas… Ma grand-mère avait une telle bague…
Elle lâche sa main et s’éloigne de nous.
Timothy se retourne vers moi et dit : — Vous êtes sérieuse… Je vous crois bien…
Je lui adresse mon plus beau sourire et je murmure : — Merci de votre confiance…
— Pour ainsi dire des propos… que personne ne sait… Même pas moi…
Il fait une courte pause puis ajoute, la mine songeuse, en se grattant le menton :
— Et que je ne pense pas que vous avez demandé à mon père ou à ma tante…
Je réplique de mon ton le plus aimable : — En effet, je ne les connais pas…
Jim confirme : — Tim, nous ne connaissons ni tes parents ni ta tante…
L’interpellé ajoute :
— Ce n’est pas une chose dont nous parlons entre collègues… Disons qu’on joue plutôt aux cartes…
Mon époux murmure : — Tu as raison…
Son collègue dit :
— Au moin, je suis assuré que vous n’avez pas demandé ni à mon père, ni à ma tante…
Il fait un geste de main vers moi et continue sa phrase :
— De sorte que, très sérieusement, je ne doute pas… comment dire… que vous voyez les esprits… Même si pour moi, je trouve ça bizarre…
Il hausse les épaules et ajoute :
— Mais pourquoi pas ? Je me dis que c’est possible… Malgré que je ne puisse pas… imaginer… comment une telle chose soit… disons… réelle…
Jim surenchérit :
— Ne t’inquiètes pas, Tim… Ma femme aide depuis de nombreuses années les esprits errants…
Il me serra la main, me fait un clin d’œil complice et ajoute :
— Par ailleurs, je l’aide beaucoup… pour résoudre les différents cas des esprits errants qu’elle rencontre… À deux têtes, on réfléchit mieux qu’à une…
Je pense, en regardant mon mari : « Jim, tu es génial ! »
Je m’éclaircis la gorge, lâche la main de mon époux puis je demande d’un ton aimable, en regardant d’un air qui se veut bienveillant le nouveau marié : — Monsieur Timothy Fla…
Il m’interrompt d’un air bienveillant, large sourire aux lèvres :
— C’est correct ! Vous êtes la femme de mon collègue…
Je confirme d’un mouvement de tête positif.
Timothy continue :
— Et je suis ami avec Jim… vous pouvez bien me considérer comme un ami ?
Je réplique : — Ouais… Pourquoi pas ?
— On peut donc se tutoyer ? Et tu peux, Melinda, m'appeler par mon prénom ou par mon diminutif, Tim… Tous mes collègues font ainsi…
— Bon… D’accord…
Je fais une courte pause puis je reprends :
— Donc… Qu’est-ce que je voulais dire ? Ah, oui ! Timothy, si vous… Si tu le veux bien, nous pouvons revenir au cas de ta grand-mère, Emerald…
L’interpellé confirme en secouant sa tête de haut en bas.
Je remarque que l’esprit errant en question, immobile jusqu’alors à la droite de son descendant, dit de sa voix enrouée par l’âge : — Je vais répéter ma requête…
Je détourne mon regard de la revenante puis je m’adresse au vivant : — Voilà ! En parlant de votre… ta grand-mère… Elle est à ta droite… Elle vient de dire qu’elle va répéter sa requête…
Je me tourne vers Emerald et l’interroge d’une voix douce : — Madame, désolée…
Avec un sourire aux lèvres, elle réplique : — C’est correct…
Elle s’éclaircit la gorge puis ajoute : – Donc, je répète ma requête… Je veux simplement que Timothy donne à son épouse la bague qui m’avait appartenu de mon vivant… Celle qui a une émeraude sur son chaton… C’est très clair, n’est-ce pas ?
Je hoche la tête par automatisme. Aussitôt, je ressens les regards curieux de mon époux et de son collègue sur moi, comme s’ils disaient : « Et alors ? Qu’est-ce qui vient de se passer ? »
Je me tourne vers eux et je dis d’une voix douce :
— Ta grand-mère a répété sa dernière volonté… Elle veut que toi, Timothy…
En faisant un geste de ma main droite vers le collègue de Jim, je continue:
— Tu récupères sa bague avec l’émeraude sur le chaton et tu la donnes à ton épouse… C’est-à-dire… à mon associée de boutique…
Timothy se gratte le menton, mine pensive. Nous demeurons silencieux pendant un certain temps.
Il dit d’une voix songeuse : — Où pourrait bien être cette bague ?
Jim et moi haussons les épaules pour toute réponse.
Le collègue de mon mari nous sourit gentiment et commente :
— Normal que vous ne le savez pas… Quand vous ne savez même pas de quelle bague il est question…
Jim murmure : — En effet, ma femme et moi ne le savons pas….
J’interviens d’une voix douce : — Excuse-moi, Timothy…
Il réplique : — Alors ?
Je continue : — Avant de réfléchir au sujet de la bague…
Je sors de mon sac à main beige mon calepin et un stylo pour prendre des notes.
Je termine ma phrase : — Je voudrais avoir plus d’informations sur votre grand-mère…
Les sourcils levés, Timothy balbutie : — Pourquoi ?
— Et bien, afin de pouvoir mieux comprendre ce qui est arrivé à la bague… Je veux dire… Pour déduire son possesseur… Au moins pour essayer de comprendre pourquoi ta grand-mère est attachée à cette bague…
Devant son expression faciale que je traduis comme un mélange de méfiance et d’étonnement, je m’empresse d’ajouter aussitôt :
— Ne t’inquiètes pas, je ne m’intéresse pas aux histoires de famille, mais seulement de manière spécifique… comment dire… à ce qui permet d’accomplir la dernière volonté de ta grand-mère… Les autres histoires de ta famille ne m’intéressent pas du tout… J’en ai assez avec la mienne, crois-moi !
Le visage de Timothy redevient souriant et il demande :
— En gros, tu veux savoir tout ce que je sais au sujet de la bague avec l’émeraude de ma grand-mère Emerald, afin que nous puissions la retrouver… Car tu me dis que ma grand-mère… euh… son esprit… veut que je remette à Delia cette bague ? Ai-je bien compris ?
Avec mon sourire le plus aimable, je réplique : — Exactement…
— Bon… Laisse-moi me souvenir c’est quoi cette histoire de la bague à l’émeraude… Je l’ai entendu de mon père…
Jim intervient : — Comment s’appelle-t-il ?
— Alexander.
Timothy fait une courte pause puis continue, en regardant alternativement mon mari et moi : — Il me semble que c’est lui qui a la bague… Il est l'aîné…
Emerald intervient : — En vérité, Alexander est l’aîné parmi les enfants survivants…
Étonnée, je tourne mon regard vers elle et je fais un geste rotatif de la main.
Je ressens les regards de mon époux et de son collègue.
Je murmure en tournant légèrement ma tête vers eux : — Emerald vient de parler…
Timothy, d’une voix rauque, demanda : — Qu’est-ce qu’elle a dit ?
— Elle a dit qu’en réalité, ton père est l’aîné parmi ses enfants survivants…
— C’est-à-dire ?
— Et bien, moi aussi j’attends la suite de ses explications…
Il hoche la tête.
Je me retourne vers Emerald et je murmure :
— Merci de votre patience… Je m’excuse pour le délai d’attente… Mais il fallait que j’explique…
La revenante murmure d’une voix douce, autant que le permet sa voix enrouée par l’âge : — C’est correct, Madame Gordon…
Elle s’éclaircit la gorge puis ajoute : — Je précise : Alexander a un frère aîné, prénommé Henry…
Elle termine d’une voix émue, les larmes aux yeux : — …qui est né… le 2 mars 1948… Il mourut… en bas âge… À un an et trois jours…
Je pense, perplexe : « Quelle est la cause de décès ? »
Comme si elle a lu ma pensée, elle répond : — Mon fils est mort… de la rougeole…
Je pense, rassurée : « Une maladie infantile… Pour faire changement des morts violentes… »
Je griffonne sur une page vierge de mon calepin, puis je demande, en fixant le collègue de mon mari : — Ta grand-mère a dit… que ton père a un frère aîné, Henry, qui n’avait vécu qu’un an et trois jours… Le pauvre… Il est mort d’une maladie infantile… la rougeole…
Je lève les yeux au plafond en murmurant : — Que Dieu ait son âme !
Tim commente : — Merci, Melinda… de rapporter les propos… de ma grand-mère…
Je réplique : — Il n’y a pas de quoi… Je ne fais que ce que je dois faire… Aider les esprits errants et leurs proches…
Je m’éclaircis la gorge et je reprends d’une voix enjouée :
— Tu penses alors aller chez ton père pour récupérer la bague ?
Timothy : — Exactement… Il est très peu probable que ma tante l’ait… À moins que mon père ne lui l’avait donné…
Il hausse les épaules et termine sa phrase :
— Car c’est quand même une bague féminine… Et je n’ai jamais vu ma mère la porter… Si mon père ne la garde plus, soit il l’avait donné à ma tante… soit il l’avait vendu dans une bijouterie…
Je pense : « Logique… Au moins, il n’y a pas tant de possibilités… Sauf si la bague a été vendue dans une bijouterie et que Dieu-sait qui la porte… Là, ça complique les choses… Mais espérons que nous aurons rapidement accès à la bague d’Emerald Flaherty… »
Jim demande : — Tim, ton père vit où ?
— À Grandview… De même pour ma tante…
Avec un grand sourire au visage, mon époux s’exclame d’une voix enjouée :
— Ça nous facilite grandement les choses !
— Exactement !
Timothy Flaherty fait une courte pause, puis ajoute, en regardant alternativement Jim et moi : — Eh bien, je vous propose alors d’y aller maintenant…
Emerald hoche lentement de la tête. Jim et moi approuvons à l’unisson.
Jim, qui tient nos fils par la main, sort le premier de la salle, suivi par son collègue puis Emerald et je sors la dernière. Une fois à l’extérieur de la salle, dans le corridor, Delia nous attend, visiblement très impatiente.
Elle s’exclama en faisant un grand geste des mains vers nous :
— Tim, qu’est-ce que tu traînes encore ?
Son époux réplique : — Ma chérie, laisse-moi ! Je dois aider ma grand-mère et Melinda !
Les mains sur les hanches, elle hurle :
— Ainsi, tu t’entends avec eux… Sans que je le sache ?
Il cligne des yeux, s’approche de Delia, lui saisit les poignets puis lui répond :
— Non, non, ma chérie… Quand la femme de mon ami voit les esprits… Et que je me suis convaincu de… qu’elle ne ment pas…
— Ne va pas me dire…
— Veux-tu te taire ? Va à la maison… Je te rejoindrai dès que j’aurai fini… Je dois rendre visite à mes parents…
Moue boudeuse, mon associée croise ses bras sous sa poitrine et balbutie d’un ton bourru : — Alors… À tout à l’heure… Tim !
— À plus tard !
Delia nous tourne les talons et s’éloigne de nous.
Timothy soupire et se retourne vers mon époux et moi. Devant la moue de mes fils, il commente :
— Melinda, on dirait que tes fils n’ont pas aimé la réaction de ma femme…
Petite sourire coupable, je murmure : — Excuse-moi, Timothy…
Celui-ci s’exclame d’un air enjoué : — Ce n’est pas grave ! Ils sont vraiment mignons !
Le mari de mon associée fait une courte pause, s’éclaircit la gorge puis dit, en regardant alternativement Jim et moi :
— Je vous propose… d’aller voir maintenant mon… euh… mes parents…
Jim balbutie : — Pouvons-nous amener nos enfants ?
Sourire au coin des lèvres, Timothy murmure : — Ils peuvent venir sans problème avec nous…
J’ajoute : — D’autant plus que votre grand-mère présente un aspect présentable pour des enfants en bas âge…
Les sourcils levés, il demande : — Si ma question n’est pas indiscrète, quel âge ont tes fils ?
Je réponds d’une voix douce : — Ta question n’est pas du tout indiscrète…
Mine songeuse, je termine ma phrase : — Mon aîné, Christopher, a… quatre ans… Mon benjamin, Jack… a trois ans…
Timothy, large sourire aux lèvres, yeux brillants de joie, s’exclame :
— Alors, allons-y ! C’est moi qui vous conduit jusqu’à la maison de mon père !
Il nous mène jusqu’à une voiture bleue stationnée devant la mairie. Sans doute son véhicule personnel. Christopher, Jack et moi nous asseyons sur les sièges arrières, Jim à la place du co-conducteur et Timothy à la place du conducteur. Il nous amène rapidement jusqu’à une petite maison unifamiliale avec un petit jardin. Nous sortons tous de la voiture et Tim se rend jusqu’à la porte d’entrée, puis sonne.
Quelques minutes plus tard, un homme corpulent, peut-être vers la cinquantaine en raison de quelques cheveux gris qui parsèment ici et là ses cheveux bruns clairs, vêtu d’un complet bleu marine et d’une chemise blanche l’ouvre. Il me semble l’avoir peut-être vu parmi les invités, mais je n’en suis pas certaine.
Il ajuste ses lunettes sur son nez et s’exclame : — Tim ! Tu reviens vite de ton mariage ?
L’interpellé répond : — Oui…
En regardant alternativement Jim, Christopher, Jack et moi, le vieil homme ajoute :
— Tu ne viens pas seul…
Timothy confirme d’un mouvement de tête puis en faisant un geste vers nous, s’empresse de préciser : — Je suis venu avec mon ami Jim… Clancy, sa femme, Melinda, et leurs fils… Pour une histoire concernant grand-mère…
L’homme se retourne vers l’intérieur et crie d’une voix forte : — Chas, on a de la visite !
On entend une voix enrouée répliquer : — Qui est-ce ?
— Notre fils et ses amis…
— Qu’ils entrent !
Le cinquantenaire se retourne vers nous et dit d’une voix douce : — Alors, entrez ! Vous êtes la bienvenue !
Et nous entrons à l’intérieur, où l’homme nous amène jusqu’à un salon avec deux canapés beiges en face d’un téléviseur éteint. Entre les canapés, une table basse en bois de cerisier laqué s’y trouve. La salle est baignée par la lumière naturelle du soleil grâce à la grande fenêtre qui donne sur la rue.
Une femme d’à peu près du même âge, vêtue d’une longue robe tricotée en bleu, se lève du canapé sur lequel elle est assise et demande d’un ton inquisiteur : — Alex et Tim, avec qui êtes-vous venus ?
Timothy réponds : — Mère, c’est moi qui est venu avec un couple d’amis…
Avec son sourire le plus affable, il ajoute :
— Avant d’expliquer quoi que ce soit… je vous présente mes amis…
Il fait un geste vers mon époux et dit : — Mon ami et collègue, Jim Clancy…
En faisant un geste vers son père, il le présente : — Mon père, Alexander…
En faisant un geste vers la femme plus âgée, Timothy dit : — Ma mère, Chastity…
Mon époux réplique : — Enchanté de vous rencontrer !
Alexander réplique : — Pareillement pour nous !
Timothy fait un geste pour me désigner et dit : — La femme de Jim, Melinda….
Je réplique avec mon plus beau sourire :
— Contente de vous rencontrer, Monsieur et Madame Flaherty !
Chastity murmure : — De même pour nous…
Je présente mes fils aux parents de Timothy : — Mes… euh… Nos enfants… Des vrais anges… Christopher et Jack…
Chastity se penche vers eux et murmure : — Ils sont vraiment adorables…
Elle se relève et nous désigne d’un geste de ses mains vers le salon et dit : — Asseyez-vous…
Moue dubitative au visage, son mari commente : — Tu n’as pas vu combien ils sont ?
— Attends, attends…
La mère de Timothy énumère avec ses doigts : — Il y a toi… Tim… moi… Ça fait déjà trois personnes… Ensuite, on a… Jim Clancy… Sa femme… et leurs deux fils… Ce qui fait quatre… Et donc… trois et quatre font sept…
Alexander dit d’un ton légèrement énervé : — Il n’y a pas autant de place sur les canapés !
Timothy intervient d’une voix posée : — Et si on ajoutait…
Il parcourt du regard le salon et ajoute : — Attends, attends, laisse-moi évaluer… On peut évaluer qu’il y a… de la place pour… quatre-cinq… Disons cinq si ça ne dérange pas mon collègue d’avoir sur ses genoux sa femme…
Il tourne sa tête vers nous pour faire un clin complice.
Jim murmure : — Ça ne me dérange pas, n’est-ce pas Mel ?…
J’approuve ses propos d’un mouvement de tête positif. Je remarque que l’esprit errant qu’est Emerald se tient à la droite de Timothy toujours aussi silencieuse. Elle ne fait que suivre du regard ce qui se passe.
Le collègue de mon époux commente en se grattant le menton, mine pensive :
— De sorte qu’il ne manque que deux places…
Il continue d’un air enjoué, en levant son index droit :
— Ce qui se règle facilement… En y ajoutant deux chaises…
Alexander approuve : — Tim, tu restes toujours aussi bon en maths… Mieux que moi… Bon…
Il termine d’un ton bourru : — Je les apporte tout de suite…
Le père de Timothy, en marmonnant des propos que je ne parviens pas à saisir, apporte deux chaises depuis une autre pièce, sans doute de la cuisine. Il les dépose l’une à côté de l’autre, à la gauche de l’un des canapés. Il nous invite d’un geste de la main à s’asseoir. Les deux parents du collègue de Jim s’asseyent l’un à côté de l’autre sur un canapé, Jim et Christopher sur l’autre, Jack sur une chaise, Timothy sur l’autre, et moi sur les genoux de mon mari. Avant de commencer, je murmure en russe à mes fils de rester tranquilles à leur place et de ne pas trop s’agiter en raison de la présence de l’esprit errant.
Alexander s’éclaircit la gorge et balbutie : — Désolé pour un accueil si désorganisé, fiston…
Timothy, petit sourire au coin des lèvres, réplique :
— Ce n’est pas grave, père… Passons plutôt à ce qui nous intéresse…
Il se tourne légèrement vers moi et ajoute : — C’est sur l’initiative de l’épouse de mon collègue que nous sommes ici aujourd’hui…
Je confirme d’un geste positif.
Il regarde ses parents et continue d’un ton sérieux : — Car Madame Melinda Gordon, qui a un don bien particulier… m’a expliqué que grand-mère Emerald veut que je donne à ma femme la bague avec l’émeraude…
J’interviens : — Je vous assure que c’est la vérité…
Je remarque que l’esprit errant hoche la tête, comme pour confirmer nos propos.
J’ajoute aussitôt : — D’ailleurs, je dois vous préciser, Madame et Monsieur, que j’ai un don depuis mon enfance qui fait en sorte que je vois les esprits errants…
Alexander demande d’un ton mi-sérieux, mi-cynique, d’un regard en-dessous de ses lunettes : — Madame, quel est le prix pour une visite ?
Je proteste, en agitant mon index droit en un signe négatif :
— Non, non ! Pas du tout ! Je ne perçois aucun salaire pour ce que je fais en tant que passeuse d’âmes !
D’un ton surpris, les yeux écarquillés, mon interlocuteur balbutie : — Intéressant…
Il fait une courte pause et d’un regard par-dessus ses lunettes, il demande d’un ton inquisiteur : — Ainsi, vous prétendez… avoir vu l’esprit errant de ma défunte mère…
Je confirme en opinant du chef.
Il continue : — …Et selon ce qu’elle vous a dit… que veut-elle au juste ?
Je m’éclaircis la gorge puis affirme d’une voix calme : — Votre mère…. Emerald Flaherty… veut que…
En faisant un geste de ma main droite pour désigner Timothy, je poursuis :
— …votre… fils…
Je ramène ma main vers moi et dis :
— donne la… euh… sa bague avec l’émeraude à sa femme…
Emerald intervient en s’exclamant : — Alex, c’est la vérité ! Je suis sérieuse ! Pourtant, je t’ai bien élevé !
Je ne peux pas m’empêcher de sourire brièvement à une telle remarque. Mon époux, son collègue et les parents de ce dernier me regardent d’un air étonné, les sourcils levés.
En désignant du bras la direction vers laquelle est l’esprit errant, je commente :
— Monsieur Alexander Flaherty, tous mes respects, mais la réaction de votre mère… Elle a dit que c’est la vérité… Qu’elle est sérieuse et qu’elle vous a bien élevé…
Alexander fait une moue, regarde rapidement la direction que j’ai désigné puis, comme s’il ne voit rien, ramène mon attention vers moi, en balbutiant :
— En tous cas, vous semblez bien connaître les manières de ma défunte mère…
Il continue en haussant un peu la voix, les sourcils levés :
— Pourtant, Madame Gordon, êtes-vous vraiment certaine que ma mère vient de dire ça ?
Je réponds d’un air assuré : — Oui !
— Êtes-vous certaine de ne pas avoir…
Sa femme lui coupe sèchement la parole :
— Alex ! Comment tu oses insinuer que Madame Gordon aurait inventé une telle réplique ! Honte à toi !
Il réplique : — Femme ! Peut-être que nous sommes en présence d’un charlatan…
Timothy le foudroie du regard et dit en haussant un peu la voix : — Père, sérieusement ! Peux-tu prendre au moins le temps d’écouter ce que Madame Gordon a à te dire avant de l’accuser…
Je remercie le collègue de mon mari d’un signe de tête.
Jim ajoute d’un ton légèrement courroucé : — Monsieur Alexander Flaherty, c’est un minimum de politesse que d’écouter ma femme…
Il fait une courte pause, s’éclaircit la gorge puis continue d’un ton sévère :
— Après, que vous ne croyez pas à ce qu’elle vous dit… Je comprends très bien que pour vous, les esprits n’existent pas… Mais ce n'est pas parce que vous ne les voyez pas que ceci annule pour ainsi dire… Leur existence, qui est différente, sans doute de la nôtre, car ils n’ont pas de corps… D’ailleurs, peu de gens peuvent voir les revenants… Pouvez-vous au moins comprendre cela ?
Le père de Timothy baisse sa tête, comme s’il fixe ses pieds.
Il demeure silencieux pendant plusieurs minutes avant de balbutier : — Oui…
Le collègue de mon mari intervient d’un ton chaleureux : — D’ailleurs, père, je dois te rappeler certaines théories des philosophes que j’ai vu lors de mes études collégiales…
Alexander relève sa tête et murmure, en faisant un geste rotatif de sa main droite : — C’est-à-dire ?
— Qu’il n’y a pas que le monde physique… Il y a aussi un monde invisible… Et n’oublie pas que l’homme, pour pouvoir être vivant, doit être animé par une âme…. Et c’est précisément ce que Madame Melinda Gordon voit…
Mon époux confirme les propos de son collègue d’un mouvement de tête.
Timothy se retourne vers moi et questionne : — N’est-ce pas ainsi, Melinda ?
Je balbutie, quelque peu étonnée de son explication : — En un sens, oui…
Je fais un geste de ma main droite vers le père de Timothy et je continue d’un air assuré : — D’ailleurs, je dois vous préciser, Monsieur, que je fais la différence entre les vivants et les esprits… Disons qu’ils n’apparaissent pas de la même manière malgré que les revenants aient une forme humaine… Car je les vois selon leurs dernières apparences avant qu’ils ne quittent définitivement leurs corps… Ils peuvent… comment dire… apparaître et disparaître comme bon leur semble… Ils peuvent lire les pensées des vivants, les posséder ou les influencer… C’est du moins, ce que je conclus selon mon expérience… de passeuse d’âmes… Et moi, à mon tour… je dois les aider justement…
Je serre la main droite de Jim entre les miennes, tout en regardant rapidement Christopher et Jack. Je me ressaisis quelques secondes plus tard et je dis en ramenant mon attention vers Alexander :
— Je dois aider ces pauvres âmes perdues à quitter le monde des vivants en essayant de comprendre leur histoire, leur dernière volonté… De sorte que je dois entrer en contact avec des proches du défunt pour mieux comprendre ce qu’il veut… et pour, éventuellement, réaliser leur volonté, s’il s’agit de donner une bague ou une broche à leur descendant… Vous comprenez ce que je veux dire ?
Moue dubitative au visage, d’un regard par-dessus, le père de Timothy murmure : — Ouais…
Je reprends, en faisant un geste vers mon interlocuteur :
— C’est exactement… la même chose qui se passe en ce moment avec votre… mère… je l’ai vu, je ne sais plus si je vous l’ai déjà dit…
Les deux parents de Timothy tournent leurs têtes en un geste négatif.
Timothy intervient : — Melinda, c’est à ma femme et à moi que tu l’as dit…
Je murmure : — Merci du rappel…
Je ramène mon attention vers le couple plus âgé et je poursuis :
— … Donc, je disais que j'ai vu Madame Emerald Flaherty au cours du mariage de votre fils… un peu plus tôt aujourd’hui… Et lorsque je lui ai demandé la raison qui la retient encore parmi les vivants, elle m’a clairement répondu qu’elle veut que votre fils remette sa bague à sa femme. Et c’est tout… En discutant avec Timothy, il nous a suggéré de vous voir pour récupérer la bague de votre mère, Monsieur Alexander Flaherty…
Alexander, les sourcils levés, tourne sa tête vers son fils et s’exclame en faisant un grand geste de ses mains vers moi :
— Fiston ! Ne me dis pas que tu crois à cette femme, qui affirme voir des esprits…
Le collègue de mon mari lui coupe la parole sèchement :
— Pourquoi pas ? Je la crois bien honnête…
Jim intervient :
— Je peux vous confirmer que mon épouse ne ment pas… Bien que je ne vois pas moi-même les esprits… Je me dis qu’il soit bien possible que ma femme puisse les voir… J’en ai la preuve depuis… un peu plus de sept ans… qu’elle les aide… Je n’ai jamais douté de ma Melinda.
Timothy intervient à nouveau :
— C’est correct, père, si ça te dérange cette histoire d’esprit, laisse faire ton scepticisme de côté et permets-moi de remettre à ma Delia chérie la bague d’Emerald et nous sommes tous quitte ! D’ailleurs, mère ne la porte pas… Donc, au lieu qu’elle amasse la poussière, tu serais mieux de me la donner afin que ma femme la porte… Qu’en penses-tu ?
Alexander baisse les yeux, comme s’il n’osait pas affronter nos regards. Il demeure silencieux pendant un certain temps, ce qui me semblait une éternité. Je remarque du coin de l’œil que l’esprit errant disparaît de ma vue pour réapparaître à la droite de son fils.
Intriguée, je la questionne du regard en pensant : « Alors ? Que pouvons-nous faire ? »
Comme si elle a lu ma pensée, Emerald Flaherty répond d’une voix douce :
— Ne vous inquiétez pas, Madame Gordon… Je viens de faire le tour de la maison de mon fils…
Elle me fait un clin d’œil complice puis ajoute :
— C’est l’avantage de pouvoir se rendre où je veux…
Emerald reprend d’un ton sérieux :
— Mais, blague à part… Ma bague est dans la boîte à bijoux qui, elle, est dans le tiroir supérieur du chevet de mon fils…
Je murmure : — Merci…
Devant les regards interrogateurs que je ressens sur moi, je détourne ma tête de la revenante et je dis, en parcourant du regard mon mari, son collègue et les parents de celui-ci : — Madame Emerald Flaherty vient de faire le tour de votre maison, Monsieur Alexander Flaherty…
L’interpellé s’exclame d’un ton ironique :
— Madame, vous n’allez quand même pas me faire croire que le soi-disant esprit errant de ma défunte mère a pu faire le tour de ma maison...
Je lève mon index droit pour l’inciter à la patience.
Je l’interromps d’une voix douce, quasi suppliante :
— Merci de patienter un peu, s’il vous plaît… Je disais donc… Votre mère… a dit qu’elle sait exactement où se trouve la bague qu’elle recherche… Elle se trouve dans une boîte à bijoux dans le tiroir supérieur de votre chevet de nuit, Monsieur…
Les yeux écarquillés, la bouche entr’ouverte d’Alexander me font savoir qu’il est très surpris par mes propos. Après un court silence, il balbutie :
— Co… Comment pouvez-vous le savoir ? Même Tim ne le sait pas…
Mon plus beau sourire aux lèvres, je réponds d’une voix très douce :
— Je le sais parce que l’esprit errant qu’est votre mère me l’a dit… Autrement, je ne peux pas savoir où se trouve la bague… N’est-ce pas une preuve suffisante que je vous dis la vérité ?
Moue dubitative, il réplique : — Mouais… D’accord… Ça va… J’ai compris…
Il soupire et dit, en fixant Timothy : — Fiston, je me rends à ton avis… Je te remets à l’instant la bague de ma défunte mère… Esprit ou pas esprit…
Emerald, les mains sur les hanches, dit d’un ton courroucé :
— C’est ainsi que tu parles de moi ? Pff ! Comme si je n’existais pas ! C’est vraiment vexant !
Sans doute que je ne peux pas m’empêcher de sourire malgré moi devant la réaction de l’esprit, je ressens les regards intrigués de Jim, Timothy, Alexander et Chastity.
Avant que je puisse dire quoi que ce soit, Christopher intervient :
— Pourquoi vous regardez ainsi maman ? C’est la madame qui est vexée de la manière dont vous parlez d’elle… Elle a les mains comme ça…
Il se lève et imite la pose de l’esprit errant, ce qui provoque un rire général.
Je murmure à mon fils en anglais :
— C’est correct, Chris, je pense que tout le monde a compris… Veux-tu t'asseoir, s’il te plaît ?
Il confirme sa compréhension en secouant sa tête de haut en bas et s'assied à sa place sans ajouter un seul mot.
Je dis aux parents de Timothy, en faisant un geste vers eux : — Excusez bien mon fils…
Le collègue de mon mari, les sourcils levés, demande d’une voix chaleureuse :
— Pas de problème… Madame Gordon, si vous permettez une question… Vos enfants voient-ils aussi les esprits comme vous ?
Je réponds : — Oui…
Je m’éclaircis la gorge puis je poursuis :
— Mais c’est la réaction de Madame Emerald Flaherty… Bon ! Tout ça pour dire que vous…
Je fais un geste vers le père de Timothy et je continue ma phrase :
— Monsieur Alexander Flaherty, vous acceptez de remettre la bague de votre défunte mère à votre fils afin que ce dernier puisse accomplir sa dernière volonté ?
L’interpellé secoue sa tête de haut en bas et dit : — Oui…
Je tape dans mes mains de joie et je m’exclame : — Très bien ! Ainsi…
Je tourne mon regard vers la revenante, qui suit d’un air amusé ce qui se passe :
— Vous, Emerald Flaherty, pourrez enfin partir dans la Lumière…
Je ramène mon attention vers Alexander, qui se lève lentement du canapé sur lequel il est assis et sort du salon, sans doute pour aller dans sa chambre. Il revient quelques minutes plus tard, tenant de sa main droite une boîte à bijoux.
Il la dépose sur la table basse devant lui, s’assied à sa place sur le canapé et dit, en regardant son fils : — Voilà, Tim, la bague demandée ! Tu es content ?
L’interpellé bredouille : — Oui… Merci…
Le collègue de Jim prend la boîte à bijoux et la range dans la poche de son pantalon.
Ensuite, il dit : — Merci, père et mère, de votre collaboration ! Dans tous les cas, je vous tiendrai au courant s’il y a de quoi de neuf de mon côté… Je vais profiter de ma lune de miel avec ma Delia… À la prochaine !
Jim réplique : — Passez une bonne journée, Monsieur et Madame Flaherty !
Puis nous sortons de la maison des parents de Timothy. Ce dernier nous propose de revenir jusqu’à la mairie. Nous embarquons dans sa voiture et nous voilà en quelques minutes devant la bâtisse. De là, Jim, Christopher, Jack et moi revenons tranquillement à la maison.
Une fois la porte d’entrée refermée, mon mari envoie nos fils jouer dans leur chambre ; puis il serre tendrement ma main droite et nous nous rendons au salon, où nous nous asseyons sur un canapé.
Il commente en anglais :
— Heureusement, Mel, que le père de Tim… euh… de mon collègue… a été collaboratif…
Il continue en russe :
— Je ne te cacherais pas qu’il a commencé à m’énerver avec son scepticisme… Surtout lorsqu’il insinue…
Je murmure d’une voix douce en russe :
— Ne t’en fais pas trop, mon amour, pour des gens de cette sorte… Après tout, ce n'est pas mon problème s’ils ne croient pas en l’existence de l’âme et de la vie après la mort… Tu sais que je suis habituée à de telles réactions…
Un petit sourire apparaît sur son visage, le déridant de son énervement passager. Je comprends très bien sa réaction. C’est vrai qu’il est agaçant de se trouver en présence d’un interlocuteur têtu qui joue le sceptique-qui-ne-croit-en-rien…
Je continue : — L’important n’est-il pas qu’il a cédé la bague à ton collègue ?
Mon mari réplique : — C’est vrai… Tu as raison…
Il fait une courte pause, la mine pensive. Il me regarde droit dans les yeux et demande d’un ton mi-sérieux mi-inquiet :
— Mel, comment peux-tu être certaine que Tim donnera la bague de sa mère…
Je le corrige : — De sa grand-mère…
— Bon, tu as compris !... à Delia ?
Je hausse les épaules en disant :
— Je ne le sais pas… Est-ce que j’ai l’air de le savoir ? Non !... Sauf si Emerald m’informe de la chose…
Je m’interromps moi-même en pensant : « Delia… Avec ses questions… si je suis sérieuse, comment je vois les esprits… Elle manifeste trop de scepticisme à mon goût… Me croit-elle vraiment ? Est-ce que je peux compter sur elle comme sur Andrea ? »
Jim, qui remarque sans doute mon front plissé, murmure en russe :
— À quoi penses-tu, mon amour ?
Je réponds :
— À mon associée… Elle me semble trop sceptique, vu les questions qu’elle m’a posées…
Moue renfrognée au visage, il réplique d’une voix pensive :
— Ouais… Je trouve qu’elle manifeste trop d’opposition à l’égard… de ton don… Ce qui ne semble pas être une personne de confiance, si tu veux mon avis…
— C’est ce que je crains, malheureusement… Je remarque dans ce cas-là à quel point Andrea me manque… Elle était une amie pour moi…
— Je comprends, ma chérie… Mais laisse-toi le temps de montrer si Delia est vraiment une bonne amie ou non… Ce n’est certainement pas avec… cette première confrontation avec ton don… que ça signifie qu’elle est mauvaise… Quoique je n’ai pas de grandes attentes… Je te ferai remarquer que Tim s’est montré quand même plus convaincu… Mais pas Delia…
— Mouais…
Je soupire. Nous demeurons silencieux pendant un certain temps. Je retourne sans cesse différentes pensées sur Delia : croyait-elle vraiment que je peux ou que je puisse voir les esprits ? Tantôt. je me dis que oui, tantôt non.
Jim brise le silence en murmurant à mon oreille en russe :
— Laissons Delia… Pour le cas de la grand-mère de Tim, tu me diras si elle part enfin dans la Lumière ? Je suis assez curieux de savoir la fin de cette histoire…
Pour toute réponse, j’embrasse Jim sur les lèvres ; il me rend mon bisou.
À ce moment précis, un esprit apparaît à quelques face à moi, entre la table basse et la télévision. Intriguée, je tourne lentement ma tête vers sa direction. Je le reconnais aussitôt : la grand-mère paternelle de Timothy.
Jim me lance un regard étonné, jette un coup d’œil rapide vers la direction, puis il se penche vers moi pour murmurer en russe : — Mel, un esprit ?
Je réponds dans un souffle : — Oui… C’est Emerald Flaherty…
La revenante, visage illuminé d’un large sourire, s’exclame :
— Merci, Madame Gordon ! Timothy n’a pas oublié de remettre à sa femme ma bague !
Elle tourne lentement sa tête vers sa droite, et murmure après un long silence :
— Quelle lumière ! Quelle blancheur ! C’est sublime !
Émue aux larmes, je murmure d’une voix douce : — C’est la Lumière…
Elle me sourit gentiment et termine ma phrase :
— C’est l’au-delà, où, nous, les âmes, allons après la fin d’une vie dans le monde ici-bas…
Elle termine sur un air enjoué, les yeux brillants d’une joie irréelle : — Je le sais !
Emerald jette un coup d’œil à nouveau vers sa droite et dit d’une voix émue : —
Je vois mon mari, mon cher Denis… Il me fait de grands signes de mains…
Elle s’exclame d’un air enjoué, en faisant des grands gestes de ses bras vers sa droite : — J’arrive !
Elle laisse retomber ses bras de côté, me regarde d’un air bienveillant et dit :
— Encore une fois, Merci beaucoup, Madame ! Que Dieu vous bénisse, vous et les vôtres ! Au revoir !
Je réplique, presque en pleurant tellement je suis émue : — Au revoir et bon voyage !
Je serre les mains de Jim entre les miennes.
L’esprit, sourire aux lèvres, se dirige vers sa droite et elle disparaît complètement de ma vue.
Émue, je m’appuie contre mon époux en murmurant en russe :
— Que le Seigneur soit Loué ! Un esprit errant de moins !
Jim réplique dans la même langue : — Mel, tu es, comme toujours, géniale !
Il m’enlace contre lui. Je me laisse bercer pendant un certain temps.
Lorsque l’heure du thé approche, je m’empresse de mettre l’eau au bouilloire puis de servir le thé vert, pour mon mari, mes fils et moi. Je me dis à moi-même que je dois me reposer de toute cette histoire et surtout ne pas anticiper les réactions de mon associée, et encore moins de s’inquiéter au sujet des deux signes qui peut-être ne se réaliseront pas.