Ennemi ou ami, imaginaire ou réel? Ou Jakyll et Hyde à la Ghost Whisperer
Chapitre 46 : La famille de Jim Clancy
9261 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 17/07/2025 13:32
5 septembre 2006, 13 h 00.
Je suis à l’extérieur, en train d'arroser les fleurs dans les petits jardins devant notre maison. Jim est en classe, car il débute aujourd’hui sa session d’automne. Il a amené nos fils à la garderie rattachée à l’Université Rockland.
Tout à coup, je remarque qu’un esprit vient d’apparaître devant moi, un peu vers ma droite. Il est un homme vers la soixantaine, vêtu d’un complet beige avec une chemise blanche. Ses yeux bleus, ses petites lunettes rondes en or, ses cheveux gris et ce visage me semblent familiers.
Je pense : « Je vous ai déjà vu il y a un certain temps… À moins que ma mémoire fasse défaut… »
L’esprit errant confirme ma pensée d’un mouvement de tête positif puis il dit :
— En effet, je me suis déjà présenté à toi… On peut se tutoyer…
Je l’interroge de mon ton le plus amical :
— Bon, d’accord… Tu es… Samuel Clancy ?
— Exactement…
Je rentre dans ma maison. Le grand-père de Jim passe à travers la porte.
Je lui souris de mon air le plus doux et je commente :
— Alors, que veux-tu de plus ? Mon époux porte ta bague depuis quelques années…
Avec un grand sourire au visage, l’esprit réplique d’un air enjoué :
— Très bien ! Je suis content que Jim la porte… Et surtout, qu’il ne l’ôte jamais !
Il fait une courte pause, le front plissé, puis il murmure d’une voix sérieuse :
— Je veux seulement qu’il retrouve où est le descendant ou les descendants de ce sorcier tchèque qui a maudit notre famille… Je ne peux pas partir dans la Lumière tant que je ne saurai pas si ce danger est écarté…
D’une voix tremblante malgré moi, je murmure :
— Sois-en assuré… Nous aussi… Je veux dire, Jim et moi… sommes bien curieux… de savoir où se trouvent les descendants de… cet esprit tchèque… qui suit partout Carl Neely… Selon ce que je sais… Laisse-moi quelques minutes, le temps de vérifier l’information…
Je cours dans ma chambre chercher mon carnet, dans lequel j’ai noté mes recherches sur les deux Tchèques. Puis je reviens dans le hall, mais je remarque que l’esprit errant est au salon. Je le rejoins. Je m'assieds sur le canapé et je relis les informations sur les esprits tchèques.
Je dépose mon carnet sur mes genoux et je dis d’une voix qui se veut douce :
— Parmi les descendants encore vivants de… Miloslav Vláčil et d’Ivo Vláčil, désolée d’écorcher leurs noms…
L’esprit, d’un air aimable, réplique :
— Ce n’est pas grave…
Je lève les yeux pour constater que mon interlocuteur n’est plus en face de moi. Il est à ma droite, un peu en retrait, comme s’il lit par-dessus mon épaule ma feuille de carnet.
Je m’éclaircis la gorge, puis je reprends, en suivant avec mon stylo les différents noms :
— Nous avons… Jiří Vláčil, un policier d’Openview… Une ville voisine à la mienne… On a Martin Vláčil, son frère… qui est un enseignant d’anglais à l’école secondaire d’Openview. Et ses enfants, Marc et Diana, qui vivent probablement dans la même ville… Il y a Slavoj Bareš… Qui vit aussi à Openview… De même pour ses fils, Igor et Ferdinand… Petr Bareš, à ce que je comprends, ne vit pas dans notre ville ou aux environs… Il est peut-être en Slovaquie, en Tchéquie ou Dieu-sait où… De même pour son fils, Valentýn… Ensuite, Gustav Jelínek, sa fille Helena et son fils Patrik, vivent probablement en Europe… Même chose pour Česlav Vláčil et ses fils, Lukáš et Miroslav, ou encore pour Nikola Vláčil et ses enfants… C’est seulement les descendants de cet esprit tchèque qui vivent à Openview que Jim et moi avons rencontré il y a quelques années…
Samuel murmure :
— Et alors ?
— Rien de bizarre, rien de suspect… Nous ne les avons pas vus avant et ils ne semblent pas nous avoir déjà vu… Seulement que nous n’avons pas pu conclure quoi que ce soit de leur rapport avec le policier Carl Neely… Ce n’est pas parce qu’ils n’ont en commun que les yeux gris que je me permets d’établir une… parenté entre eux… Surtout que pour moi, il est impossible qu’il soit un bâtard… De sorte que je pense qu’il serait un pauvre Tchèque… anglicisé… Pour l’instant, le seul élément commun est la nationalité… et les yeux gris… Mais son rapport avec les descendants des sorciers qui… ont maudit la famille de Jim, … C’est-à-dire toi et les autres membres de ta famille, m’échappe pour l’instant…
Je termine mes propos en gémissant :
— J’ai essayé plusieurs fois de demander aux Observateurs…
Samuel demande d’une voix douce :
— Excuse-moi, Melinda…
Je murmure d’un air affable :
— Oui…
— Qui sont les Observateurs ?
D’un ton assuré, je réponds :
— Ils sont des esprits qui voient et entendent tout ce qui se passe parmi les vivants et les défunts… Disons qu’ils sont des informateurs très fiables… Contrairement aux autres esprits, qui savent mentir…
— Merci de l’information…
Je murmure : — Il n’y a pas de quoi…
Je toussote et je reprends mon explication :
— Mais les Observateurs me disent que le rapport est tellement évident et que tous les moineaux de Grandview le savent…
Je hausse les épaules, exaspérée. Je soupire.
Le grand-père de Jim me sourit d’un air bienveillant et commente :
— Chaque chose en son temps… En espérant le savoir avant qu’il soit trop tard…
Je murmure : — Je l’espère aussi… À moins que…
Je referme mon carnet de notes et je réfléchis.
« À moins que Samuel essaye de discuter avec les Observateurs… »
L’esprit, comme s’il a lu ma pensée, réplique d’une voix douce :
— C’est une idée vraiment originale… Après tout, je n’ai rien à perdre d’essayer d’aborder les Observateurs… Seulement…
Il lève ses bras en un geste de résignation et ajoute :
— Comment les reconnaître ?
Je réponds d’un ton aimable avec mon plus beau sourire :
— J’ai deux Observateurs, dont je ne me rappelle plus de leurs noms, qui m’informent de certains détails… Dans tous les cas, ce sont des Français… Il y a un homme d’âge mûr du Moyen Âge, qui est vêtu de vert… Et il y a une femme, d’une époque plus récente, je pense, qui est peut-être un peu plus jeune et qui est vêtue d’une longue robe blanche…
Samuel Clancy murmure d’une voix calme :
— Merci… Tu penses ainsi que je pourrais leur demander qui est le descendant de ce sorcier tchèque, qui doit être aussi méchant que lui, sans doute…
Je réplique d’une voix douce : — Dans tous les cas, tu n’as rien à perdre de les demander…
Il confirme silencieusement mes propos puis disparaît de ma vue en passant à travers le mur le plus près de lui. Je range mon calepin et je reviens m’occuper de mes fleurs. Pendant que je les arrosais, je pense, inquiète : « C’est un mystère pour moi ! Pourquoi ces deux sorciers tchèques suivent-ils Carl Neely ? À moins que… Il les invoque intentionnellement, mais pourquoi ? Il les connaît d’une autre personne qui ne soit aucun des descendants ? Mais là, ça me dépasse ! Ah, mon Dieu, aide-moi ! »
Je range l’arrosoir et je me signe par automatisme.
Je reviens au salon, ne sachant que conclure de toute cette histoire. Pour me rassurer, je récite une prière à la Mère de Dieu puis je reviens à mon tricot.
Lorsque Jim revient avec nos fils pour le souper, nous nous attablons. Au menu, une soupe aux légumes. Pendant que Jim et moi faisons la vaisselle, je remarque l’apparition de son grand-père du côté latéral de la table.
Je lui demande d’une voix douce : — Samuel…
Mon mari se retourne vers moi et commente :
— En train de parler avec mon grand-père ?
Je hoche la tête.
En ramenant mon attention vers l’ancêtre de Jim, je pose enfin ma question :
— Samuel, qu’est-ce que tu veux me dire ?
L’interpellé me sourit furtivement puis me répond :
— Pour te dire que je n’ai pas encore obtenu réponse à ma question concernant les descendants des sorciers tchèques…
— Comment ça ? demandai-je, étonnée.
Samuel soupire et dit d’un ton exaspéré, en haussant les épaules d’un air résigné :
— J’ai demandé aux deux Observateurs que tu m’as mentionné, mais aucun ne veut répondre… Je leur ai même demandé plusieurs fois, mais ils ont refusé de m’apporter une réponse claire… Au contraire, ils cherchent à me convaincre de ne pas m’inquiéter pour cette histoire de descendants des sorciers tchèques…
Il termine d’un air pensif, les yeux dans le vague :
— C’est vrai qu’ils ont raison, en un sens… Pourtant, ceci n’ôte pas mon inquiétude pour Jim…
Je réplique d’une voix douce :
— Bon, puisque personne ne veut nous le dire, il nous reste seulement à le découvrir…
Je lève mes yeux au plafond en s'exclamant :
— En espérant que le Seigneur nous éclaire avant qu’il soit trop tard !
Jim intervient en russe, lueur d’inquiétude dans ses jolis yeux bleus :
— Mel, par l’amour du ciel, peux-tu…
Je le fixe et je termine sa phrase dans ma langue maternelle :
— … te dire ce qui vient de se passer ? Oui, bien sûr !
Je soupire et je reprends d’une voix désespérée :
— Ton grand-père Samuel a demandé aux Observateurs français qui étaient les descendants des sorciers tchèques qui ont maudit tes ancêtres… Personne n’a répondu à sa question… Ils lui ont même recommandé de ne pas s’inquiéter de cela… Comme c’est aussi un mystère pour nous…
Mon époux se rapproche de moi pour m’enlacer tendrement par la taille. Je m’appuie contre lui pour me rassurer. Nous demeurons silencieux pendant je ne sais combien de temps. Des pensées se succèdent sans aucun ordre dans ma tête. Ce rapport de Carl Neely avec les deux sorciers tchèques demeure vraiment obscur pour moi.
Je gémis en russe :
— Jim, je ne sais pas comment je devrais savoir… qui est le descendant des sorciers tchèques…
Il m’embrasse sur les lèvres pour me faire taire.
Il murmure :
— Mel, dis-toi bien que tu le sauras en temps et lieu… Il faut seulement comprendre l’identité de ce descendant de sorcier… Quoique, je dois t’avouer que j’en suis moi-même perplexe…
Je soupire, exaspérée par cette énigme.
Jim me sourit gentiment pour me rassurer. Je souris à mon tour, mais il sait que c’est forcé pour ne pas commencer à pleurer.
Il dit de sa voix la plus douce :
— Dans tous les cas, avec ce que tu m’as dit, je pense peut-être que si mon grand-père s’inquiète… euh… se préoccupe de savoir qui sont les descendants des sorciers tchèques qui avaient maudit ma famille… C’est en raison de la réalisation probable des deux derniers signes…
Je réplique :
— Ça fait du sens…
Je fais une courte pause, le temps de bien comprendre ce que Jim vient de dire. Au bout d’un certain temps, la gorge nouée, je murmure d’une voix tremblante malgré moi :
— Mais c’est encore plus inquiétant…
Il me serre encore plus contre lui, comme un geste protecteur. Il réplique à voix basse :
— Je n’y avais pas pensé sur le coup… Désolé, ma chérie, mais je ne veux pas te déprimer, t’attrister…
— C’est correct… Je t’aime tel que tu es…
— De même pour toi ! C’est pourquoi nous sommes ensemble, n’est-ce pas ?
Je confirme d’un geste positif. Nous demeurons silencieux pendant je ne sais combien de temps. Le temps de réaliser dans quelle situation nous sommes. Face à des ennemis que nous ne connaissons pas, alors qu’ils semblent nous connaître… Je me sens impuissante… Je préfère me remettre à Dieu et au Christ.
Ce calme pesant est interrompu par la voix de Jim :
— Mel, pour l’instant, il me semble que le meilleur, ce serait de ne pas s’inquiéter pour l’avenir et ces sorciers tchèques… Inutile de penser immédiatement à une certaine causalité fataliste entre ces deux éléments, tant que nous n’en avons pas l’évidence, n’est-ce pas ?
J’approuve ses propos. Je l’embrasse sur les lèvres pour me calmer. Je me libère de mon étreinte pour me rendre au salon, où je tricote quelques rangs de mon chandail.
Heureusement que le soir est très tranquille. Sans doute que la répétition trois fois de suite de la prière du soir a aidé.
Le lendemain, en après-midi, après la vaisselle, je suis au salon, en train de tricoter. Nos fils jouent avec beaucoup d’insouciance. Je les ai quand même à l’œil, pour être certaine qu’ils ne fassent pas de bêtises. Jim est au travail.
Tout à coup, voilà un esprit qui fait son apparition. Intriguée, je dépose mon tricot et je le détaille : une vieille femme vêtue d’une longue jupe et d’un chandail bleu marine tricotés. Sur sa tête, un voile qui cache ses cheveux et des petites lunettes rondes qui mettent en valeur ses yeux bleus. Lorsque mon regard se pose sur elle, celle-ci me sourit gentiment puis murmure comme pour elle-même en polonais :
— Hmm… J’ignorais que l’épouse de Jim pouvait me voir… Moi qui suis habituée à ne pas être remarquée par personne depuis des années…
Je réplique dans la même langue :
— Pourtant, c’est un fait qui me caractérise… Je vous vois, vous, les esprits errants,
Moue un peu froissée au visage, la femme dit d’un ton bourru :
— Madame, je sais bien que j’ai quitté mon corps, pas besoin de me le dire !
— Désolée, c’est un peu par habitude… Mais je vous vois et je peux vous aider à accomplir votre dernière volonté afin que vous quittiez en paix le monde des vivants…
Le visage de mon interlocutrice se déride puis elle me demande d’un air sérieux : — Comment cela se fait que vous voyez les esprits, mais pas les autres ?
Avec mon sourire le plus aimable, je réponds d’une voix douce :
— En raison de mon don particulier, pour ainsi dire…
— Votre explication est intéressante…
— Melinda Gordon-Clancy…
— Enchanté ! Moi, c’est Vera Lipiński-Peterson.
— Enchanté !
Je fais une courte pause le temps de prendre en note dans mon calepin son nom.
Je pense, perplexe : « Jim ne m’a pas dit qu’il avait des Polonais dans sa famille, moi qui pensais qu’ils étaient tous des Irlandais ! »
Comme si Vera avait lu ma pensée, elle la confirma d’un mouvement de tête positif.
Elle ajouta, les sourcils levés, en faisant un geste vers moi :
— C’est plutôt moi qui s’étonne que vous connaissez ma langue maternelle…
J’interviens :
— Mon grand-père maternel était un Polonais… Et ma mère sait le russe et le polonais… C’est elle qui m’a appris votre langue… De sorte que nous avons plusieurs points en commun…
— Hmm, intéressant et vraiment inattendu !
Vera fait une courte pause puis reprend :
— Ça ne vous dérange pas de poursuivre notre conversation en polonais ?
Avec mon plus beau sourire aux lèvres, je dis :
— Pas du tout…
Je pense : « L’occasion de voir si je n’ai pas oublié cette langue, car je ne la parle pas souvent… »
Je toussote et je reprends la conversation : — Si vous permettez une question…
Vera fait un geste rotatif de sa main.
Je continue : — Que puis-je faire pour vous aider ?
L’esprit dit en me regardant d’un air assuré :
— Savoir à quel salaud ma fille Brigit s’est marié.
J’en prends note dans mon calepin sous son nom puis je demande : — Pourquoi dites…
Vera m’interrompt d’une voix douce : — Puisque je suis la grand-mère de ton époux, on peut se tutoyer ?
Je murmure : — D’accord…
Je remarque du coin de l’œil que Christopher et Jack ont interrompu leurs jeux depuis l’arrivée de l’esprit. Ils ont tourné leurs têtes vers lui et moi. Je me dis à moi-même qu’heureusement ils ne savent pas le polonais, de sorte qu’ils ne comprennent rien de notre conversation, qui n’est vraiment pas adaptée pour des enfants de leur âge.
Je murmure à l’adresse de l’ancêtre de mon mari : — Vera, permets-moi seulement d’envoyer mes fils dans leur chambre…
L’interpellée murmure : — Oui, bien sûr…
Je m’adresse à mes enfants en russe d’une voix douce :
— Chris et Jack, voulez-vous continuer vos jeux dans votre chambre ?
Les garçonnets confirment d’un geste positif. Et ils prennent quelques jouets et vont dans leur chambre.
Une fois qu’ils ont fermé la porte de leur chambre, je me retourne vers l’esprit errant en disant en polonais :
— Excuse-moi, mais je préfère que nous poursuivons notre conversation sans la présence des enfants…
Vera murmure : — Je comprends…
— Si nous reprenons… Tu dis que le mari de ta fille Brigit, autrement dit, ton gendre, est un salaud… Mais pourquoi l’accuser ? Qu’a-t-il fait ?
Le regard de l’esprit s’assombrit puis s’exclame d’un ton courroucé, les joues rouges, les poings serrés : — Il a voulu plusieurs fois la tuer !
Surprise, je balbutie : — Quoi ?
— Tu as bien entendu ! Il a voulu tuer Brigit ! Sans doute pour hériter de son compte bancaire !
Gênée, je ne pose ma question qu’après un long silence : — Es-tu certaine de ce que tu dis ? As-tu des preuves ? Ou bien tu l'accuses à tort ?
Vera répond sèchement : — C’est un fait ! Un point c’est tout !
— Peux-tu préciser ?
Au lieu de répondre, elle disparaît de ma vue en passant au travers le mur.
Je soupire en pensant : « Que conclure d’une telle accusation ? Elle n’est pas légère… Mais est-elle vraie ou fausse ? Malheureusement, j’ai ainsi pensé de l’accusation de meurtrier de la part de mon beau-père… J’étais trop naïve… envers Carl Neely… Je peux m’attendre à tout… Et quoi si ce n’est qu’une erreur de jugement de la part de Vera ? En l’absence de plus d’évidence, je ne peux rien conclure… Ah, Seigneur, éclaire-moi ! »
J’indique un point d’interrogation à côté de la phrase « accusation de tentatives de meurtres » dans mon carnet et je le range dans mon sac à main beige dans ma chambre. Pour me changer les idées, je continue mon tricot.
Lorsque Jim revient du travail, vers 21 h 30, je lui explique ma rencontre avec Vera Lipiński-Peterson. J’ai déjà envoyé Christopher et Jack dormir depuis une demi-heure.
Il m’écoute attentivement puis la mine pensive, commente :
— Vera est en effet ma grand-mère maternelle…
D’un ton faussement boudeur, je l’interromps :
— Mais tu ne me l’avais pas dit ! Tu m’as dit qu’ils étaient tous Irlandais !
Petit sourire coupable, il se défend :
— Désolé… Mais les Irlandais, ils sont du côté paternel, pas maternel… En effet, si je me souviens bien ce que ma mère m’a dit quand j’étais petit, sa mère, c’est-à-dire ma grand-mère, est née dans un petit village polonais… Dont je ne me rappelle plus du nom…
Avec mon plus beau sourire, je murmure :
— Ce n’est pas grave… Je vais faire une recherche sur Internet… J’y vais maintenant !
Je me rends dans mon arrière-boutique pour rechercher sur l’ordinateur. Au moins, je parviens à trouver un avis de décès, qui mentionne que Vera Lipiński-Peterson est morte le 9 juillet 1998 à Grandview. En consultant les quelques rares résultats que je parviens à trouver en lançant une recherche sur Google, je trouve les informations suivantes : elle est née le 22 juillet 1923 à Brzeska Wola, un petit village de la gmina miejsko-wiejska (mixte urbaine-rurale) de Białobrzegi, dans le district de Białobrzegi, dans la voïvodie (la région) de Mazovie, au centre-est de la Pologne, à cette époque la Druga Rzeczpospolita Polska (Deuxième République de Pologne). Je prends note des informations et je reviens chez moi, où je les résume à mon mari.
Ce dernier commente d’une voix chaleureuse :
— Mel, si je comprends ce que tu m’as dit, ma grand-mère veut que nous sachions qui est vraiment le mari de ma tante Brigit ?
Je demande d’un ton doux :
— Comment il s’appelle déjà ?
Mon époux répond sans hésiter :
— Dylan Whitman.
Il poursuit d’un ton amer, ses yeux bleus lançant des éclairs :
— Si ma mémoire ne me trompe pas, il a un rapport de famille avec le salaud de Carl Neely…
Je caresse son bras droit pour le calmer en murmurant d’une voix douce :
— Il me semble aussi, mais je préfère vérifier… Laisse-moi quelques secondes et je te reviens là-dessus…
Je fouille rapidement dans mon carnet de notes, pour retrouver la généalogie que j’y ai inscrite.
Je m’éclaircis la gorge avant de confirmer :
— En effet, Dylan Whitman est le fils aîné de Maxence Whitman et de Megan Belvedere-Whitman. Il est le frère d’April Whitman-Jacobs et de Owen Whitman. Son oncle se prénomme Nathaniel. Ses cousines sont Olivia et Cecile… Et Cecile Whitman-Neely est la mère de Carl Neely… Ce qui veut dire…
Je soupire et je reprends d’un air exaspéré en levant les bras :
— Là, Jim, je suis perdue avec les rapports de famille…
Mon époux me sourit gentiment et murmure :
— Ne t’en fais pas, Mel… Pour reprendre ce que tu viens de dire, Dylan Whitman, qui a épousé ma tante Brigit, est le cousin de la mère de Carl Neely, c’est ça ?
— Oui…
— Ça signifie donc, dit-il, mine pensive, qu’il est son cousin germain…
Mon plus beau sourire aux lèvres, je murmure :
— Merci pour le terme précis…
— Il n’y a pas de quoi… En tout cas, ceci pourrait expliquer l’inquiétude de ma grand-mère Vera par rapport à Dylan… Ayant un rapport de famille avec Carl Neely, on peut s’attendre à tout…
— Et quoi si l’accusation est fausse ? Comment vérifier ?
— En faisant une recherche dans les archives et sur l’Internet…
De joie, je lui saute au cou :
— Je la débute demain !
— Et si jamais tu ne parviens pas à trouver quelque chose, tu peux toujours demander à Paul de faire l’enquête…
Je m’exclame d’un air enjoué :
— Tu es vraiment génial !
— C'est toi qui es géniale !
Mine pensive, Jim ajoute après une courte pause, en se tapant le paume de la main sur son front :
— Ah ! J’ai oublié un détail !
Je réplique : — Lequel ?
— Ils ont des enfants… Emerald et Grace… L’aînée est née, si je ne me trompe pas, le 3 mai 1968… La benjamine le 10 décembre 1969…
Je murmure : — Merci de l’info !
Petit sourire aux lèvres, il murmure : — Il n’y a pas de quoi…
Nous demeurons silencieux pendant je ne sais combien de temps. Jim baille, jette un coup d’œil rapide sur sa montre, puis murmure :
— Il est tard, Mel… Allons dormir…
Je murmure : — Quelle heure est-il ?
— 22 h 15…
Je comprends mieux omment je ne parviens plus à garder les yeux ouverts. J’approuve silencieusement ses propos et nous nous allongons dans notre lit.
Le soir, nous nous endormons enlacés, après avoir répété trois fois de suite la prière. Dans mon rêve, je me trouve devant une maison que je ne parviens pas à identifier. Tout est propre, les petits jardins à l’avant bien fleuris de roses blanches. Je frappe doucement sur la porte en métal. Un homme vers la trentaine, vêtu d’une tenue de jogging bleu marine, l’ouvre et me salue :
— Vera, content de te voir !
Une voix féminine familière dit d’un ton qui me semblait faussement joyeux :
— Mère !
Je réplique d’un ton que je m’efforce de paraître joyeux :
— Moi aussi, je suis contente de vous voir !
J’entends un enfant pleurer.
Je m’exclame d’un air joyeux :
— On dirait que je suis grand-mère…
La jeune femme s’approche de moi. Rien de bizarre. Elle est vêtue d’une longue robe bleue ciel, qui va très bien avec ses yeux. Cependant, je trouve son sourire forcé. Je trouve bizarre la froideur du couple, qui est quasi palpable. « Sans doute qu’ils se sont disputés… À moins que quelque chose s’est passé, mais quoi ? », pensé-je, étonnée.
Je l’observe discrètement du coin de l’œil lorsqu’elle nous mène jusqu’à un salon baigné par la lumière du soleil. Je note ainsi son mouvement réflexif de tirer les manches de sa robe.
« Sans doute qu’il l’a battu… » Pour me changer les idées, je regarde les deux petits enfants ramper partout dans le salon. Je fais attention à ne pas marcher sur leurs doigts. Je parle un peu avec les deux adultes, puis je sors de la maison, précédé par le jeune homme.
Fin du rêve.
Je me réveille, en pensant : « Ça doit être un moment de la vie de Vera Lipiński-Peterson ! »
Je soupire et je me retourne, pour m’endormir en faisant attention de ne pas réveiller Jim.
Le lendemain matin, lorsque Jim et moi nous réveillons, je lui raconte mon rêve.
Et j’ajoute : — Je pense qu’il s’agit d’un épisode de la vie de ta tante…
Il commente :
— En tout cas, ça fait du sens… Je peux te confirmer que ma tante vit dans une maison avec les caractéristiques que tu as mentionné… Du moins, d’après mes souvenirs…
— D’accord… Mais où ?
— Dans notre ville…
— Au moins, si nous aurons la nécessité de lui rendre visite…
Il m’interrompt d’une voix douce :
— Je ne crois pas que cela soit nécessaire…
— Si tu le dis…
Puis, voyant l’heure affichée sur le réveil, nous récitons notre prière du matin puis nous nous levons.
Après le petit-déjeuner, je me rends dans mon arrière-boutique. Mon époux est avec nos fils au salon. Heureusement qu’il n’a cours qu’en après-midi. Au passage, je salue mon associée. Je fais une recherche en inscrivant les noms « Brigit Peterson », « Brigit Peterson-Whitman », « Brigit Whitman » et « Dylan Whitman ». Peu de résultats. Je ne parviens qu’à trouver un avis de mariage. Brigit et Dylan se sont mariés le 10 mai 1967 à l’église de Saint-Jean-Baptiste de Grandview. J’en prends note et je reviens chez moi en rapportant à Jim le seul résultat que j’ai trouvé.
Il m’enlace et murmure en russe :
— Mel, tu pourrais demander à Paul de faire son enquête, sans doute qu’il aura accès à plus de documents… C’est quand même son travail…
Je réplique dans la même langue : — Je vais maintenant l’appeler…
Je me libère de son étreinte. À ce moment précis, Vera Lipiński-Peterson apparaît devant moi.
Je l’aborde de ma voix la plus douce en anglais : — Vera, qu’est-ce que tu veux me dire ?
Mon époux questionne : — Qu’est-ce qui vient de se passer, Mel ?
Sans quitter Vera du regard, je réponds à voix basse : — Jim, c’est ta grand-mère Vera qui vient d’apparaître… Ne m'interromps pas, s’il te plaît… Ne t'inquiète pas, je te rapporterai ensuite ce qu’elle a dit…
Il confirme sa compréhension d’un mouvement de tête positif.
Je m’adresse à l’esprit : — Excuse-moi, Vera…
Avec son plus beau sourire, mon interlocutrice dit à voix basse :
— C’est correct… Je peux très bien comprendre qu’il soit difficile d’interagir avec les vivants et les esprits… Je ne parviens pas tout à fait à m’en faire une idée, mais je me dis chacun ses qualités et ses défauts…
— Merci pour le commentaire… Ne veux-tu peut-être pas passer à quelque chose de plus sérieux ?
Son visage redevient sérieux. Vera fait une courte pause puis dit d’un ton neutre :
— J’ai entendu ta conversation quand tu as raconté ton rêve à Jim… Je voulais seulement ajouter que c’était vraiment ce que j’avais vu au cours d’une visite à ma fille le… Laisse-moi me rappeler de la date exacte…
Je pense ironiquement : « Tu aurais pu me le dire plus tôt ! Mais bon… »
Je soupire.
La grand-mère de Jim, comme si elle ignorait ma pensée, mine pensive, continue :
— C’était le 12 juillet 1970… Je voulais voir mes petites-filles, Emerald et Grace… Elles étaient tellement mignonnes…
Puis elle disparaît aussitôt.
Je me retourne vers Jim pour lui rapporter les propos de son ancêtre. Il serre mes mains entre les siennes et confirme sa compréhension d’un mouvement de tête positif.
Je murmure d’un air exaspéré :
— Puisque ma recherche s’est révélée vaine, je demanderai à Paul de faire son enquête…
Je termine d’un ton neutre : — En espérant qu’il parviendra à trouver des informations pertinentes ! Et que Dieu lui vienne en aide !
Je téléphone à Paul Eastman pour lui demander s’il pourrait m’aider en enquêtant sur Dylan Whitman et Brigit Peterson-Whitman. Le policier accepte et ajoute qu’il me rappellera en retour dès qu’il aura fini. Je le remercie puis nous raccrochons nos téléphones. Je reviens au salon, où je regarde nos fils s’amuser avec beaucoup d’innocence. Je serre la main de mon époux.
5 octobre 2006, 9 h 40.
Jim et moi sommes au salon, assis l’un à côté de l’autre sur un canapé. Heureusement, ce n’est qu’en après-midi qu’il a cours. Le téléphone sonne. Mon époux se lève et soulève le combiné, parle peu avec l’interlocuteur au bout, raccroche puis revient à sa place initiale, large sourire aux lèvres et les yeux brillant de joie.
Il dit d’un air enjoué :
— C’est Paul Eastman ! Il a fini son enquête sur ma tante Brigit et arrivera dans quelques minutes nous communiquer les résultats.
J’ajoute :
— En espérant que nous parviendrons à savoir ce que ta grand-mère veut que nous comprenons… Et ainsi qu’elle quitte en paix le monde des vivants…
Jim murmure en serrant mes mains entre les siennes : — Je l’espère aussi…
Je murmure : — Peut-être que je devrais envoyer Chris et Jack dans leur chambre ?
— Au cas où ceci n’est pas convenable pour leur âge… Bien sûr que oui ! Il vaut mieux prévenir que guérir… D’ailleurs, je ne pense pas que nos anges se plaindront de jouer dans leur chambre… En tout cas, ça serait plus intéressant pour eux de continuer leurs jeux plutôt que d’écouter Dieu sait quelles histoires sordides entre adultes…
J’approuve ses propos et je demande d’une voix douce à Christopher et à Jack d’aller jouer dans leur chambre. Ils m’écoutent aussitôt et se rendent en courant jusqu’à l’endroit en question. Moi, je cherche en vitesse mon calepin et un stylo, au cas où j’aurai des notes à prendre. Je les dépose sur la table basse, de manière à les avoir sous la main.
Quelques minutes après son appel, voilà Paul Eastman devant la porte de notre maison, en uniforme. Jim lui ouvre la porte et ils arrivent au salon. Jim lui désigne d’un geste de main l’autre canapé. Notre ami policier le remercie d’un signe de tête, s’assied, dépose un sac à dos brun à côté de lui. Jim s’assied à ma droite.
Paul toussote puis dit d’un ton sérieux, en regardant alternativement mon époux et moi :
— Voilà, Melinda, j’ai terminé ce matin mon enquête sur Monsieur Dylan Whitman et Madame Brigit Peterson-Whitman.
Il sort de son sac une pile de documents. Il les dépose sur la table basse puis continue :
— J’ai apporté les photocopies des différents documents que j’ai pu trouver… Les deux dernières feuilles sont mes conclusions… Sur ce, je vous laisse les lire… Comme tous les documents sont en anglais, il n’y a eu aucun travail de traduction…
Je murmure : — Très bien !
Jim s’éclaircit la gorge puis demande : — Paul, pouvons-nous garder les documents ?
— Oui, sans aucun problème ! J’ai aussi une copie pour moi, dans mes dossiers d’enquêtes…
Avec son plus beau sourire, il termine d’un ton aimable :
— Sur ce, bonne lecture et bonne journée à vous !
Jim et moi répliquons à l’unisson : — Merci à toi et bonne journée !
Mon époux raccompagne notre ami jusqu’à la porte d’entrée puis revient au salon. Il s’assied à la même place, prend le premier document et nous en débutons la lecture.
Je remarque que la grand-mère de Jim apparaît à ce moment, près de la table basse. Je signale sa présence en murmurant à l’oreille de mon mari en russe qu’elle est là. Nous revenons au document. Je ressens le regard de l’esprit derrière ma nuque.
« Sans doute que Vera veut aussi lire les documents rattachés à sa fille… » pensé-je avec humour.
En résumé, il est question du dossier médical et judiciaire de Brigit Peterson-Whitman et de son mari. Elle a été hospitalisée à plusieurs reprises, comme l’indique très clairement le dossier médical de l’hôpital Mercy. La première hospitalisation a été le 13 juillet 1970, à 26 ans, car elle avait des ecchymoses sur les bras et les jambes, ainsi que des blessures moyennes, probablement faites avec un couteau. La deuxième a été le 3 décembre 1975, pour des blessures très sévères aux bras et à la poitrine. Dylan a été acquitté, reconnu non-coupable. La troisième le 19 juillet 1995, pour intoxication alimentaire, dont le suspect a été son mari. Il a subi un interrogatoire, mais il n’a pas été admis coupable.
Vera commente d’une voix triste en anglais avec un léger accent polonais :
— C’était peu après la mort de mon mari… quatre jours plus exactement…
Je tourne mon regard vers elle, en pensant : « Et quoi alors ? »
Jim toussote et murmure :
— Tu es correcte, Mel ?
Je ramène mon attention vers lui et je réponds :
— Ta grand-mère a dit que l’hospitalisation de ta tante du 19 juillet 1995 a été quatre jours après la mort de son mari…
Il approuve puis ajoute :
— C’est vrai… Mon grand-père maternel, Andrew Peterson, est mort le 15 juillet 1995…
Je dis : — De sorte que je me demande bien ce que Vera veut insinuer…
L’esprit réplique d’un ton acerbe :
— Sans doute parce qu’il voulait hériter de notre compte bancaire… Je veux dire celui de mon mari…. D’ailleurs, c’est bizarre qu’il n’a pas été considéré coupable… Pourtant, Dylan est le seul à pouvoir faire un tel acte ignoble…
Je murmure : — Sans doute parce qu’il a des complices dans la police…
Jim me regarde avec insistance, comme s’il veut savoir ce qui venait d’être dit.
Je dis de ma voix la plus chaleureuse :
— Désolée, mon amour, de ne pas avoir immédiatement rapporté les propos de Vera…
Il réplique: — C’est correct…
Je reprends :
— Elle a dit que Dylan a sans doute fait une autre tentative d’empoisonnement sur sa femme pour hériter du compte bancaire du défunt…
Mon époux commente sur un ton ironique :
— Rien de surprenant… On pouvait seulement s’attendre à pire…
Je reprends :
— Aussi, Vera trouve bizarre qu’il ne soit pas coupable… C’est pourquoi je pense qu’il a sans doute des complices dans la police… Mais qui ? Peut-être le policier tchèque ?
— Est-ce que ça pourrait concorder en raison des dates ?
Je retrouve rapidement mes notes sur les descendants des esprits tchèques. Je murmure : — Peut-être que oui, étant donné que Jiří Vláčil (désolée de mal prononcer son nom) a été à Grandview de 1970 à 1980… En tous cas, pour les deux premières hospitalisations de ta tante… Pour les autres, ce complice pourrait même être Carl Neely lui-même…
J’éclate en sanglots. Jim m’enlace et me berce doucement en murmurant d’une voix rauque :
— Mel, calme-toi… Ne pleure pas… S’il te plaît… Nous avons encore la suite à lire… Ressaisis-toi… Tant que nous n'avons pas plus de preuves de leur rapport, il ne sert à rien de s’inquiéter… Il faut simplement faire avec les informations dont nous disposons…
Puis un silence plane dans le salon. Au moins, je me ressaisis en séchant mes larmes.
Je murmure d’une petite voix :
— C’est vrai, Jim, tu as raison…
Mon époux me lâche puis saisit le dossier médical de Brigit Peterson-Whitman. Nous poursuivons la lecture. Une quatrième hospitalisation a été le 10 juillet 1998, en raison de blessures graves et d’intoxication alimentaire.
Vera commente d’un air triste :
— C’était le lendemain de ma mort…
Elle se déplace en face de nous, près de la table basse, et continue d’un ton courroucé :
— Ça confirme bien ce que je pensais ! Le salaud voulait hériter de ce qui restait du compte bancaire de mon mari ! En plus d’avoir notre maison !
J’approuve ses propos en pensant : « Ça fait du sens ».
Devant le regard insistant de Jim, je le regarde puis lui rapporte les propos de l’esprit.
Il confirme sa compréhension d’un mouvement de tête puis commente :
— L’hypothèse de Vera fait du sens… C’est un peu trop pour que les hospitalisations de ma tante Brigit coïncident avec le décès de mon grand-père puis de ma grand-mère maternels…
Je murmure : — Tout à fait d’accord…
Je me retourne vers l’esprit et je demande en anglais :
— Vera, si tu me permets une dernière question…
L’interpellée confirme d’un signe discret de tête.
Je continue :
— Tu sembles connaître les différentes tentatives de meurtres sur ta fille… Comment le savais-tu ?
Elle répond dans la même langue :
— Lorsque j’étais vivante, j’avais reçu des appels de mon gendre, qui gémissait beaucoup de la situation dans laquelle il se trouvait. J’avais compris plus tard qu’il jouait une telle comédie pour gagner mes sentiments…
Elle termine d’un air courroucé, en serrant ses mains en poings :
— C’est pourquoi à mes yeux, Dylan n’est qu’un salaud de la pire espèce !
Puis un silence pesant plane. Je rapporte les propos de l’esprit à mon mari, en précisant qu’il est encore là. Je reprends mon calepin en main, pour barbouiller le point d’interrogation après « accusation de tentatives de meurtres » sous le nom de Dylan Whitman. Je fixe Vera, attendant qu’elle dise ou fasse quelque chose. Le silence semble ainsi s’éterniser pour moi.
Vera commente en polonais :
— Merci pour ces documents ! Au moins ils confirment ce que je pensais depuis longtemps de mon gendre…
Elle continue d’un air courroucé, en haussant la voix :
— Il est un salaud ! Un arriviste ! Je plains ma fille de l’avoir marié ! Comment cela se fait qu’il ne soit pas derrière les barreaux ? J’espère que justice soit faite !
Je sursaute devant sa colère, mais je résume ses propos d’une voix tremblante à Jim.
Je toussote puis je dis à l’esprit de mon air le plus aimable :
— Vera, tu peux laisser tomber ta colère…
L’interpellée m’interrompt sèchement :
— Pourquoi ? Je devrais peut-être lui pardonner ?
Je balbutie :
— En un sens, oui… Sinon, comment espères-tu partir dans l’Au-delà ?
Elle grommelle des propos indistincts.
Je m’éclaircis la gorge puis je dis d’un ton sérieux :
— Il ne nous reste qu’à lire que les deux feuilles de conclusion de Paul…
Je me tourne vers mon mari, qui me regarde d’un air étonné. Je lui rapporte les propos de Vera. Ensuite, nous lisons ces feuilles. Premièrement, il conclut que c’est clairement Dylan Whitman qui est responsable des tentatives de meurtres sur sa femme. Deuxièmement, il semble peut-être avoir un complice dans la police et dans le système judiciaire. Cependant, aucune liste de complices n’est dressée. Probablement par prudence, pensé-je.
À ce moment précis, lorsque nous avons terminé la lecture des feuilles de conclusion de l’enquête de Paul Eastman, un esprit fait son apparition. Intriguées, Vera et moi tournons nos tête vers sa direction. Il me semble même du coin de l’œil que mon mari suit la direction vers laquelle se dirige mon regard. Comme il ne voit rien, il me regarde, suspendu à mes lèvres.
Je reconnais immédiatement l’esprit : Laurie Gibeau.
Étonnée je l’aborde :
— Madame l’Observatrice, qu’avez-vous à nous dire ?
Jim intervient : — Mel, l’Observatrice française est là ?
Je confirme discrètement et je ramène mon attention vers elle.
Sourire bienveillant au visage, la Française dit d’une voix douce :
— Je vois que vous avez besoin d’aide pour convaincre Madame Vera Lipiński-Peterson de partir dans la Lumière… Je suis venue pour cela…
Je pense en soupirant : « Et pourquoi ne pas confirmer ou infirmer nos hypothèses sur Dylan Whitman ? »
Comme si l’Observatrice a lu ma pensée, elle dit d’un ton sérieux :
— Je ne réponds pas à cette question !
Elle toussote puis ajoute d’une voix douce en faisant un geste de sa main vers l’ancêtre de Jim :
— Madame Vera Lipiński-Peterson, vos doutes concernant votre gendre sont confirmés par l’enquête de Monsieur Paul Eastman… Ensuite, vouloir que la justice humaine le condamne, c’est un souhait vain. Pouvez-vous vous rendre à l’évidence de l’inutilité de votre colère ? Elle ne fait qu’alourdir votre âme, ce qui vous empêche de quitter le monde des vivants. Pouvez-vous au moins admettre cela ?
Vera baissa la tête, comme si elle ne voulait pas affronter le regard de Laurie. Elle demeure silencieuse pendant je ne sais combien de temps. Je vois du coin de l’œil mon époux qui me serre la main. Je comprends qu’il veut savoir ce qui vient de se passer.
Je murmure en russe en me penchant vers lui :
— Mon amour, je te résumerai un peu plus tard la conversation… Pour l’instant, l’Observatrice a dit à Vera de laisser tomber sa colère… Colère qui alourdit son âme, ce qui l’empêche de quitter définitivement le monde des vivants… J’espère qu’elle parviendra à convaincre ta grand-mère…
Jim confirme sa compréhension d’un geste affirmatif.
Je ramène mon attention vers les deux esprits, en pensant un peu ironiquement : « Merci, Madame l’Observatrice, de prendre ma place auprès de Vera ! Ce n’est pas la première fois que vous me faites ça ! Comme si je n’étais pas assez convaincante ! »
L’ancêtre de Jim relève la tête, faible sourire aux lèvres. Elle regarde Laurie d’un air bienveillant et dit d’un petite voix :
— C’est vrai, Madame…
L’Observatrice, en pointant vers sa poitrine :
— Laurie Gibeau…
Vera reprend :
— … que vous avez raison… Maintenant que mes doutes sont confirmés, je peux…
L’Observatrice la corrige d’une voix douce :
— Vous voulez…
Petit sourire coupable, la Polonaise dit :
— D’accord… Je peux et je veux quitter le monde des vivants… J’ai vu mes petits-enfants et mes arrières-petits-enfants… Et je ne peux pas m’attendre à ce que ma fille Brigit, après… trente-neuf ans de mariage… divorce de son mari… alors qu’elle s’est habituée à lui… De sorte que je ne peux rien faire…
Elle hausse les épaules en un geste de résignation et ajoute :
— Je trouve ça ennuyant de voir les mêmes rues de Grandview… Je ne me sens pas très utile ici…
L’Observatrice secoue sa tête de haut en bas et dit d’une voix douce :
— Il est très bien, Madame Vera Lipiński-Peterson, de prendre conscience de votre situation post-mortem… Je ne doute pas que vous savez que vous devez quitter le monde des vivants… Vous étiez quand même bien élevée en matière de religion… Maintenant que la colère n’aveugle plus votre cœur, voyez-vous une lumière ?
La grand-mère de Jim regarde à gauche et à droite puis dit d’un ton assuré :
— Non…
Elle tourne soudainement sa tête un peu vers sa droite et s’exclame d’un air enjoué : — Maintenant, oui ! Une lumière blanche, pure et tellement accueillante !
Elle regarda l’Observatrice et moi et ajoute :
— Mon cher Andrew est là et me fait des signes de bras pour le rejoindre…
Se tournant face à la lumière que seule elle voit, Vera crie :
— Mon chéri, j’arrive !
Je suis émue jusqu’aux larmes. Je murmure en anglais :
— Va-y, Vera, cette lumière est pour toi !
Je termine en polonais :
— Bon voyage !
Je murmure en russe à mon mari :
— Jim, ta grand-mère partira bientôt !
Vera se dirige tranquillement vers sa droite. Je la suis du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse complètement de ma vue, enveloppée par une lumière blanche irréelle.
Je soupire de joie en serrant la main de Jim. Je commente d’un air joyeux :
— Mon amour, ta grand-mère Vera est partie dans la Lumière !
J’ajoute, en regardant Laurie Gibeau : —
Grâce à l’aide de l’Observatrice française…
En m’adressant à elle, je murmure :
— Merci Madame…
Je pense ironiquement : « Merci d’être passeuse d’âmes à ma place ! J’ignorais que cela faisait partie de vos tâches… Il me semblait qu’un Observateur, ça ne faisait que regarder ce qui se passait parmi les vivants et les défunts… À moins que vous vous permettez d’être plus active que vos semblables… »
Comme si elle ignorait mes pensées, avec un petit sourire gentil aux lèvres, la Française réplique :
— Il n’y a pas de quoi…
Elle ajoute :
— Madame Melinda Gordon-Clancy, je dois vous laisser… Le travail m’appelle ! Je dois revenir à mon poste d’observation… Je ne peux pas tout laisser à mes collègues, qui doivent sans doute se demander où je suis…
L’Observatrice disparaît de ma vue en passant au travers la télévision.
Je fixe pendant un certain temps la direction vers laquelle se trouvait auparavant Laurie Gibeau. Je pense, perplexe : « Je me demande bien pourquoi les Observateurs ne se montrent pas plus collaboratifs pour comprendre certains détails… Comme le rapport des esprits tchèques avec Carl Neely… » Je soupire. « Tandis qu’ils ne vont pas hésiter à révéler certaines choses… C’est gentil… Mais c’est un mystère… »
Je sors de mes pensées par la voix harmonieusement de Jim :
— Mel, qu’est-ce qui se passe ?
Je le regarde droit dans les yeux et je réponds :
— L’Observatrice française vient de disparaître… Selon ce qu’elle a dit, elle doit regagner son poste d’observation…
Petit sourire au coin des lèvres, mon époux commente :
— Dans tous les cas, elle a un sens de l’humour bien particulier… Probablement l’humour français, non ?
— Ouais, humour qui est différent du russe…
— Dans tous les cas, très bien que grand-mère Vera ait enfin quitté le monde des vivants…
Je confirme ses propos d’un geste positif.
Il continue, en rangeant les dossiers :
— Par contre, ce comportement de Dylan n’annonce rien qui vaille… Tout comme Carl Neely et compagnie…
Je murmure d’une voix presque larmoyante :
— C’est ce qui m’inquiète le plus…
Je soupire et j’enchaîne d’un air exaspéré :
— Surtout si au final Carl Neely, ton oncle et Gabriel Lawrence sont complices ! Et la réalisation des deux signes… Mais par qui ? Tout cela m’échappe et me dépasse !
Je pleure. Jim m’enlace et murmure :
— Mel, s’il te plait, ne pleure pas… Il ne sert à rien de s’alarmer pour des fantasmes malsains de nos ennemis…
Je m’écrie entre deux sanglots :
— Mais ça ne change pas qu’il y a une menace qui plane sur nous !
— Qu’est-ce qui te dis que la menace se réalisera ? D’ailleurs, nous ne connaissons pas tous nos ennemis… Je comprends très bien, ma chérie, que c’est cela qui t’inquiète, mais comptons bien sur la protection divine pour éviter des malheurs à nos fils et à nous…
J’approuve silencieusement ses propos, n’ayant pas assez de force pour parler tellement ma gorge est nouée par l’émotion. Je m’empresse de sécher mes larmes.
Il me berce doucement en murmurant d’une voix douce :
— Mel, ressaisis-toi… Tu sembles avoir oublié que j’ai un cours cet après-midi et que l’heure de manger approche à grands pas… D’ailleurs, j’ai faim… Je ne sais pas toi…
Je hausse les épaules et je bredouille :
— Désolée, j’ai complètement oublié…
— Ce n’est pas grave ! Tu n’auras qu’à réchauffer les pierogis d’hier…
Je murmure :
— Oui, si ça ne te dérange pas…
— Non, pas du tout !
— Alors, lâche-moi !
Je me libère de son étreinte et je me rends en vitesse dans la cuisine pour réchauffer au four nos portions de pierogis à la viande. Jim appelle nos fils et nous mangeons dans le plus grand silence. Au moins, le repas m’évite de penser aux tristes conclusions à la lecture des résultats de l’enquête de Paul et aux deux derniers signes de nos ennemis.