Retour spirituel de Richard Payne

Chapitre 1 : Maison, petite maison

2561 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 01/02/2024 19:19

En août 2010, Richard Payne arrive à l'aéroport, ravi de revenir enfin dans sa ville natale, Grandview. Son voyage d'études d'un an en Orient, plus exactement au Pakistan, pour une étude plus minutieuse du deobandisme, une branche sunnite de l'Islam propre au pays et à l'Asie du Sud, l'a rendu nostalgique de sa ville. Il est encore plus euphorique à l'idée de montrer sa demeure à sa bien-aimée, Sarah Benveniste, qu'il a rencontré lors de son voyage. Cette élégante trentenaire, aux traits délicats, aux yeux marrons et aux cheveux de jais, est professeur de Religion, spécialiste de l'Islam, venue aussi pour un voyage d'études. Elle séduit immédiatement le professeur d'Anthropologie avec son immense savoir qui crée des discussions très animées entre eux pendant des heures sans interruption. De fil en aiguille, Richard Payne se rapproche de la charmante femme et la courtise. Deux mois avant la fin du voyage, Sarah s'arrête à Paris, sa ville où elle a enseigné quelques années, vendant son appartement et signifiant la fin de son poste de chargée d'enseignement pour le prochain semestre à l'Université. Les deux amoureux reviennent ensemble à Grandview.



Arrivé devant la maison, une charmante maison sur deux étages en briques avec un toit gris, des fenêtres qui ressemblent à des yeux ensommeillés, un jardin bien fleuri, malgré la chaleur estivale, et un élégant arbuste qui projette son ombre délicate sur la façade, apportant un peu d'ombre, Sarah sourit, s'imaginant dormir d'un sommeil profond lorsqu'elle traversera le seuil. Le professeur d'Anthropologie sourit également et murmure à sa compagne :

— Sarah, je te présente ma demeure... Ma maison où je vis depuis plusieurs années... Alors, les dames d'abord.

Le quarantenaire aux yeux bleus pétillants de curiosité et aux cheveux blonds, fier, laisse galamment sa bien-aimée rentrer dans la maison, malgré leur fatigue réciproque du voyage et des changements de fuseaux horaire. Il veut absolument lui montrer les différentes pièces de l'immense maison pour la familiariser avec l'endroit avant de partir dormir. Le sommeil peut attendre, il y a des priorités dans la vie ! Cette maison sera la sienne également bientôt.


Quelques minutes plus tard, revenus dans la cuisine, le professeur et sa compagne entendent un bruit étrange, celui du grincement de l'imposante bibliothèque dans le salon. Le couple se retourne et Richard s'approche du meuble. Ce dernier est déplacé de quelques centimètres de sa place habituelle, comme si une force étrangère le meut, absolument indifférente aux maints livres qui sont pourtant lourds. Une lueur d'inquiétude traverse le regard de Sarah et de Richard, mais le professeur se ressaisit rapidement et fait mine de rien, reprenant son air nonchalant habituel, question de ne pas semer la panique à sa bien-aimée. Il lui affirme sérieusement :

— Sarah, il n'y a rien d'anormal. Nous sommes fatigués, un petit somme nous fera le plus grand bien. Viens, allons dormir d'un doux sommeil réparateur tant mérité.

L'interpellée opine du chef, se frotte les yeux, jette un rapide regard sur le meuble, murmure une vague prière en hébreu et suit le conseil de Richard.



Le lendemain matin, après le petit-déjeuner, Sarah interroge son amant :

— Richard, es-tu certain que je ne devrai pas m'inquiéter qu'un meuble rempli de livres, c'est-à-dire très lourd à déplacer, bouge de lui-même ? Ne sois pas si nonchalant, mon amour ?

Le professeur hausse les épaules, un sourire forcé aux lèvres et répond :

— Sarah, je ne m'inquiète pas, puisque ce matin, le meuble est à sa place, comme avant. Viens le constater.

Le couple se déplace jusqu'au salon et la professeur, remarquant que le meuble est bel et bien à sa place, affirme :

— D'accord, tu as raison, mais je suis certaine de ne pas halluciner hier soir lorsque j'ai vu la bibliothèque se déplacer d'elle-même... Es-tu certain que ce ne soit l'action d'un sombre djinn très malveillant ?

— Sarah, ne te tracasse pas trop avec toutes ces hypothèses ? De toute manière, depuis quand une bibliothèque intéresserait un djinn ? Un djinn a des connaissances plus vastes que les miennes. Et ma bibliothèque devrait plutôt le faire mourir de rire, plus que rien d'autre.

Elle soupire, exaspérée de l'attitude trop rationnelle et ironique du professeur, et joue avec son pendentif, une kahmsa, ou main de Myriam. Elle se signe néanmoins, récitant le Chema Israël, priant Dieu de les aider dans leur situation. Richard sourit à l'attitude de son amante et lui annonce, fièrement :

— Changeons de sujet ma chérie, j'ai une bien meilleure idée... J'irai m'informer s'il y a une charge, voire un poste, au département de Religion. Ainsi, tu auras au moins un emploi, ma chérie.

Sarah, très touchée en son âme par l'attention que lui porte son amant, lui sourit et murmure, lui serrant tendrement la main :

— Merci, Richard, un vrai gentleman !

Ravi, l'interpellé agite sa blonde tête de fierté.

— Je le sais bien. C'est inné pour moi, ma dame.

Il lui fait un baise-main galant. Sarah, rougissante d'autant d'attention, lui réplique :

— Richard, c'est correct, tu n'es pas un chevalier du Moyen-Âge de la Chanson de Roland !

Sourire énigmatique, le professeur se relève.

— Je le sais bien, Sarah, mais il y a un détail que j'ai bien retenu de mon premier mariage avec ma feue Kate, à savoir qu'il faut prévoir du temps pour son épouse, et non seulement courir après le travail et oublier d'avoir des enfants.

Sarah, mine rêveuse à s'imaginer mère, chuchote tendrement à l'oreille du professeur :

— Tu as raison, les enfants, une descendance nombreuse, est le meilleur des biens, voire la richesse la plus brillante de l'homme. Les enfants sont la meilleure bénédiction que nous pouvons avoir, en tant que couple. Que Dieu nous exauce d'avoir une descendance nombreuse et bonne. Descendance qui sera comme autant de pierres précieuses d'une couronne. Un proverbe ne dit-il pas « Celui qui a des enfants vit comme un chien et meurt comme un homme ; celui qui n'en a pas vit comme un homme et meurt comme un chien » ?

— Si tu le dis. C'est toi qui connaît mieux les proverbes que moi ! Mais tu as raison ! s'exclame-t-il, ravi que sa compagne partage son point de vue concernant les enfants.

Il l'enlace et l'accompagne jusqu'à la sortie pour une petite promenade dans la ville et faire les commissions. Arrivés au marché où des femmes se dépêchent et des marchands vantent leurs fruits, légumes, viandes et poissons, le professeur remarque deux silhouettes familières à quelques mètres d'eux... une petite brunette suivie d'un grand homme robuste... Nul autre que Mélinda Gordon et Jim Clancy, pense le professeur. Il se racle la gorge et les apostrophe :

— Jim Clancy et Mélinda Gordon, est-ce bien vous ?

Les deux interpellés se retournent, étonnés, et, reconnaissant la voix de leur vieil ami qu'ils n'ont pas vu depuis longtemps, affichent un sourire sincère de joie, leurs yeux marrons et bleus pétillent de joie et affirment à l'unisson :

— Richard Payne, vous êtes enfin de retour !

— Eh oui, je suis de retour... et je ne reviens pas seul.

Il tient la main de Sarah.

— Effectivement, confirme Mélinda en fixant le vide à la gauche du professeur. Vous n'êtes pas seul...

Se raclant la gorge, le professeur continue les présentations, tout en portant son attention à son amante.

— Mélinda Gordon, une amie de Grandview, épouse de Jim Clancy, que j'ai aidé maintes fois, je vous présente ma compagne, et bientôt épouse, Sarah Benveniste.

— Félicitations, professeur Payne, s'exclament à l'unisson, sincèrement ravis pour lui, Jim et Mélinda.

— Sinon, de votre côté, rien de nouveau en un an ? les interroge Richard.

— Au contraire, beaucoup de nouveauté... commente Mélinda en lançant un regard entendu à son mari... Mais commençons par les bonnes nouvelles. Nous sommes parent d'un adorable garçon, Aiden, né l'an passé.

À ce moment, le professeur remarque que la jeune chuchoteuse d'esprits tenait depuis le début de leur conversation un bébé bien emmailloté dans de chaude couverture. Sarah sourit et se surprend à rêvasser d'être elle-même mère et de porter ainsi son propre petit bébé. Richard, à qui l'expression de la spécialiste de l'Islam n'échappe pas, murmure à son oreille :

— Tu aimeras, toi aussi, être mère, n'est-ce pas ?

Revenant à la réalité, la Juive détourne son regard de Mélinda, affichant un sourire gêné à son compagnon et affirme :

— Avez-vous d'autres bonnes nouvelles ?

— Oui, complète Jim, je suis étudiant à la faculté de médecine à l'Université Rockland depuis un an. Ma femme m'a convaincue de devenir médecin depuis mon expérience de mort imminente un an et quelques mois plus tôt.

Il se penche vers sa femme, l'embrassant tendrement sur une joue.

— À vous voir ainsi, commente Sarah, vous formez un couple si harmonieux.

— Merci pour le compliment ! s'exclame Mélinda.

Richard les salue respectueusement, prenant congé du couple d'amis.


Lorsque le professeur et sa compagne se sont éloignés, Mélinda, berçant Aiden, murmure à son mari :

— Jim, j'ai remarqué que le professeur est suivi par un esprit errant qui n'a pas l'air très sympathique.

— Qui est-ce ? À quoi ressemble-t-il ?

— Un jeune homme, fin vingtaine ou début trentaine, aux cheveux brun foncé et aux yeux marrons, vêtu d'un complet noir et d'une chemise blanche. Il est très fâché contre le professeur, ne cessant de répéter que la maison d'un homme, c'est sa femme et qu'il est un voleur de femme.

— Il insinue que le professeur lui aurait volé sa femme, Sarah Benveniste ? Étrange, ce ne ressemble pas à Richard Payne d'adopter un tel comportement.

— Je suis d'accord.

— Mais que savez-vous de lui ? les interroge l'esprit errant, apparu à la droite de Mélinda, la fixant.

— Je sais qu'il est un professeur compétent avec un sens de l'humour particulier.

— Pouvez-vous concevoir qu'il ne soit pas si bon que vous le pensiez ? Il a violé la Parole divine qui dit de ne pas convoiter le bien et la femme d'autrui...

— Attendez, quel est votre nom ?

— Je suis Shlomo Weismann, professeur de Religion, spécialiste du judaïsme, et mari de Sarah Benveniste depuis le 2 Nissan 5760*.

Et l'esprit s'évapore, laissant la chuchoteuse d'esprits très perplexe.


En parallèle à la présentation du défunt mari de Sarah à Mélinda, après les commissions, Richard et sa compagne se rendent à l'Université Rockland pour s'informer des postes disponibles au Département de Religion. Et, heureusement pour la spécialiste de l'Islam, il y a un poste récemment vacant. Elle obtient deux semaines plus tard le poste, à la suite des entrevues et du processus d'embauche.

Passant par le parc de la ville, Richard commente à Sarah :

— Mélinda et Jim sont deux amis, des simples citoyens de la ville, que j'ai rencontré parce qu'ils venaient souvent m'interroger sur des détails concernant les croyances et les pratiques religieuses, superstitieuses et occultes.

— D'accord, mais chéri, tu dois prendre plus au sérieux ton objet d'études... Toutes les superstitions n'en sont pas... Une bibliothèque qui bouge n'est pas normal... Je suis certaine qu'il doit y avoir une entité invisible, un esprit ou que sais-je quoi, qui déplace le meuble... N'oublie pas que dans le Coran, il est dit que Dieu est Celui qui connaît le monde visible et invisible** ...

Affichant son sourire le plus affable, Richard murmure :

— Sarah, tu n'as pas à t'inquiéter. Sinon, j'appellerai Mélinda pour qu'elle vienne confirmer ou infirmer la présence d'un esprit errant, comme elle appelle ces entités spirituelles, près de la bibliothèque...

Sarah tourne son regard interrogateur vers son amant, l'incitant à développer un peu plus sa pensée.

— ... Ah ! Je pensais que tu le savais ! Mélinda a un don singulier, celui d'interagir avec les esprits perdus, les âmes errantes, les fantômes, c'est-à-dire les âmes de ceux qui sont décédés mais qui restent encore parmi les vivants, pour les faire partir dans la Lumière, l'Au-delà... Et je l'ai rencontré pour l'aider autour de certains indices, signes et esprits.

— Merci de l'explication, commente-t-elle. Et je partage ton avis. Ne dit-on pas dans nos expressions « Ne méprise personne, il n'est personne qui ne puisse avoir son moment », n'est-ce pas ?

— Effectivement.

— Si nous remarquons à nouveau des phénomènes bizarres, pourrais-tu demander à cette connaissance de venir chez nous pour comprendre ce qu'il faut faire ? Et tu pourras aussi savoir les moyens de l'éloigner... Mais il faut connaître son identité, j'ignore qui ce peut bien être.

Richard approuve d'un geste de la tête à son attention et le couple revient chez eux.


Un peu plus tard, à 14 h 00, alors que Richard passe près de la bibliothèque, il entend le grincement de la bibliothèque qui se déplace. Il se retourne et des livres l'écrase avant qu'il n'ait le temps de réagir. Sarah, au bruit de la chute des livres, accourt pour l'aider à se dégager, très inquiète. Le professeur, malgré une entorse à la cheville, continue à afficher un sourire habituel et ses yeux discernent un livre ouvert non loin de lui. Il se relève et lit le message suivant : « לֹ֥א תַחְמֹ֖ד בֵּ֣ית רֵעֶ֑ךָ לֹֽא־תַחְמֹ֞ד אֵ֣שֶׁת רֵעֶ֗ךָ וְעַבְדֹּ֤ו וַאֲמָתֹו֙ וְשֹׁורֹ֣ו וַחֲמֹרֹ֔ו וְכֹ֖ל אֲשֶׁ֥ר לְרֵעֶֽךָ׃ פ »*** Confus, montrant le texte à sa compagne, il lui demande :

— À ton avis, Sarah, que veut bien nous communiquer cet esprit en nous sortant un extrait des Commandements en hébreu ?

— À moins que ce soit mon défunt mari, Shlomo, qui continue à me considérer comme sienne et qu'il s'en prend à toi parce qu'il te considère comme un voleur de femme...

Le professeur blêmit et murmure :

— Alors, sérieusement, j'irai demain matin téléphoner à Mélinda pour qu'elle tâche de raisonner ton défunt mari... Je sais ce que c'est une défunte épouse jalouse... Je l'ai vécu !

— Bonne idée ! parce que je ne sais pas trop quoi dire à Shlomo... Tu ne l'as pas tué pour m'avoir, puisque nous nous sommes rencontrés beaucoup plus tard... Et je lui étais toujours fidèle, je l'aimais... Mais il ne peut pas m'interdire de me remarier... Je suis perplexe.

Le couple range les livres à leur place et est très impatient d'appeler demain matin la chuchoteuse d'esprits pour connaître la raison de Shlomo Weismann à rester parmi les vivants et à déranger le professeur d'Anthropologie.




À suivre.



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* Le 2 Nissan 5760 équivaut, dans le calendrier hébraïque, au 7 avril 2000.

** Référence au Coran, 64,18 « Il [Dieu] est le Connaisseur du monde Invisible et visible, et Il est le Puissant, le Sage. »

*** Citation d'un des Commandements de la Torah, שְׁמוֹת, Shemot, qui signifie « Noms », 20,17, en hébreu ; Bible, Ex 20,17 « Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain; tu ne convoiteras point la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son boeuf, ni son âne, ni aucune chose qui appartienne à ton prochain. »

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